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Vous pouvez effectuer des recherches en ligne dans le texte intégral de cet ouvrage à l'adresse fhttp: //books .google. com| ^â4o I '^'^ OUVKAGES DU MÊME AUTEUR : Les tradnctenrs de Shakespeare en mnsiqne, in-8°. Ba%w et Détaille, éditeurs. La Musiq.lie dans la nature, in-S**. PoUier de Ldlaine, éditeur, La Mtistqlie dans rimagerie 4U ïncyen-àge) g]iùid„iii^<'. Pottîer de jLaîaine, éditeur. TYPOORAPHIB FIRMIK-DIDOT. — ME6NIL (BURB). HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION DEPUIS LE SEIZIÈME SIÈCLE JUSQU'A NOS JOURS PAR H. LAVOIX FILS DE LA BIBLIOTHâQUE NATIONALE OUVBAaB RÉCOMPENSE PAR L'INSTITUT PARIS , LIBRAIKIE DE FIRMIN-DIDOT ET C^ IMPRIMEURS DE L'INSTITUT, RUE JAOOB, 66 1878 b> 1 i AU MEILLEUR DE MES AMIS A MON PERE 9 f i AVANT-PROPOS Dans sa séance solennelle du 15 novembre 1873 l'Aca- démie des Beaux-Arts mit au concours pour le prix Bordin de 1875 If histoire de V Instrumentation depuis le XVF siècle jusqu^à répoqice acttielle. Le programme à remplir était ainsi rédigé : Cette histoire devra comprendre : P Un aperçu très succiTict concernant lafa/Éure et le ca^ ractère de chacun des instruments introduits stcccessivement dans la musique d* ensemble. 2** Des différentes modifications que ces instruments ont subies depuis leur apparition jusqvSà nos jours et Vinfluenjce de ces modifications sur Remploi de chaque instrument. 3° Le parti qu^ les compositeurs les plus éminents ont tiré de ces différents instruments j soit dans la musiqtce ins- trumentaU proprevnent dite, soit dans la musique vocale. Pour traiter un sujet aussi considérable, et aussi neuf, dix-huit mois seulement nous étaient donnés; aussi ne pûmes-nous terminer complètement, nous arrêtant en réalité VIII AVANT-PEOPOS. après Mozart. L'Académie, tout en préférant notre tra- vail à celui de notre concurrent, ne crut pas devoir dé- ceruer de prix & un mémoire inachevé et nous accorda une première mention honorable avec une médaille de quinze cents francs, en nous encourageant par les éloges les plus flatteurs, à compléter l'ouvrage et & le publier. C'est cette histoire, aujourd'hui terminée, que nous présen- tons au public. TABLE DES MATIÈRES INTRODUCTION. Place de rinstnimentatîon dans l'art musical. Coup d'oeil rapide sur les instruments du moyen âge et leur emploi jusqu'au xvi« siècle. Quel- ques mots sur les fmiseurs d'instruments à la même époque •. 1 PREMIÈRE PARTIE. LES INSTBUHENTS, Chapitre premier. — Instruments à cordes 31 I. Instruments à cordes frottées : violes et violons, vielles.... 31 II. Instruments à cordes pincées : luths, théorbes et guitares, pandores, les tablatures, la harpe 69 m. Instruments à cordes avec clavier : l'épinette, le clavecin et le piano • gi Chapitre IL — Instruments à vent 93 I. Instruments à bouche droite ou latérale : flûtes droites et traversières 93 II. Instrumenti à ancfae dcmble : haatbpifi; baMons, cromomes, musettes et cornemuses 106 m. Instruments à anche simple : clarinettes et saxophones; .... 118 lY. Instruments à, embouchure en bois : cornets à bouquin et ser- pents. . * 128 — — en cuivre : cors, trompettes et troftibones. Les familles mo- dernes y les timbres. 131 y. Instruments à vent et à clavier : l'orgue, l'anche libre 151 Chapitre III. — Instruments à percussion 156 Timbales, tambours, triangle, cymbales, cloches, tam-tam, tiimbres à clavier > 156 b X TABLE DES MATIÈRES. DEUXIÈME PARTIE. l'insteumentation. PREMIÈRE ÉPOQUE. Depuis le XVI« eièole ]u8 et en face de cette nouvelle conquête de l'esprit humain, l'histoire ne pouvait rester muette» L'instrumentation est l'art de grouper les instruments de ma- nière à soutenir et à enrichir la mélodie, de manière à colorer l'harmonie, par les- différents timbres qui constituent Torches* tre. Avec l'harmonie et la science du développement, elle est de toutes les parties de la musique celle qui demande le plus de goût et le plus de pratique pour être appréciée à sa juste valeur* Elle est à la vérité soumise à la mélodie et à l'harmonie, sans lesquelles elle ne pourrait pas exister, et qu'elle recouvre comme d'un riche Vêtement; mais elle a de plus son caractère spécial'^ gtâce à ses oppositions d'efPets, dues au coloris varié des timbres, grâce à ses expressions variées «t à ses diverses intensités de son, dues à la multiplicité des agents sonores. Elle est comme la mélo«> die et l'harmonie, une science dont les procédés sont connus et peuvent s'enseigner, mais , comme elles aussi , elle est un art qui a sa source dans Titua^ination et qui çippartient au génie même ^ du compositeur. Lorsqu'on voit, chez les maîtres, les variétés infinies que présente le style instrumental, lorsqu'on voit avec quelle souplesse l'orchestre obéit aux inspirations du musicien, tour à tour puissant ou gracieux, massif ou léger, brillant ou voilé, dramatique ou pittoresque, suivant la volonté de l'artiste qui le fait résonner, on n'hésite plus un instant à reconnaître que ce sont là les manifestations d'un art véritable dont le propre est d'être varié et multiple comme la musique elle-même, bien plus INTEOPUCTION. 3 encore que les résultats prévus et réglés d'une science aride et sèche. Aussi, sont-ils profondément injustes, ceux qui, ne pre- nant de la musique que sa surface, traitent de mécanique et de secondaire cet art si puissant et si riche. Pour l'artiste qui a le sentiment des timbres, de leurs effets, de leur expression, de leurs couleurs diverses, quelle inépuisable source de richesse offre l'orchestre ! Chaque instrument a une voix qui lui est particulière et souvent plusieurs, suivant le re- gistre dans lequel il est employé* Voici le hautbois, tantôt plain- tif et doux, tantôt joyeux comme un chant de noce , tantôt stri- dent comme un cri de guerre. Voici le basson qui peut, suivant rimagination du compositeur, se prêter également aux tristes accents d'une marche funèbre et aux joyeux ébats de villageois en gaieté. Plus loin c'est la clarinette à la sonorité si pleine et si riche, et qui dans ses deux registres, présente des caractères si différents ; ici le cor à la voix tantôt éclatante et sonore, tantôt poétique et voilée. Ici brille la flûte, ce diamant de l'orchestre, lançant joyeusement ses notes comme l'alouette légère dans sa région aiguë, rendue plus brillante encore par les fusées delà petite flûte, ou soupirant doucement la mélodie dans son octave grave. Là, laissant tomber une à une les notes comme une pluie de perles, la romantique harpe semble donner des ailes à la pen- sée musicale^ pendant que la percussion, ce piment de la musique, relève les mille méandres d'un rhy thme vif et éclatant. Ici c'est la masse des cordes, cette base de l'orchestre, plus loin le groupe des cuivres tantôt sonnant de JDrillantes fanfai'es de guerre, tantôt plaquant gravement de religieux accords. Enfin les instruments nouveaux, véritables éclaireurs de l'orchestre, viennent encore ajouter à la palette sonore la magie de leur coloris et de leur timbre. Groupés de différentes manières, ces instruments donnent naissance à mille combinaisons. Ils se corrigent et se font valoir les uns par les autres. Quelle douceur et quel moelleux la clari- nette ne donne-t-elle pas aux flûtes, hautbois et bassons; et quelle plénitude le cor, avec ses sons larges et soutenus, ne vient-il pas ajouter à ce groupe ! Fortement assis sur le quatuor à cordes, tout ce petit orqjiestre chante, pleure, gémit, mugit, court ou se ba- lance mollement avec une incroyable fantaisie. Avec le génie 4 INTRODUCTION. des maîtres, la variété de rinstrumentation est sans bornes; ses effets sont innombrables. S'agit-il d'accompagner la voix humaine, ce premier des instruments, Torchestre acquiert alors une indi- cible souplesse ; non-seulement il se colore de mille façons d'a- près les sentiments qu'il contribue à exprimer, mais encore chacun de ses timbres se marie amoureusement au timbre de la voix. Il la suit, la soutient, la double, et, manié par une main habile, il en fait ressortir toutes les beautés sans rien perdre lui- même de son intérêt. C'est dans la symphonie que l'art de l'instrumentation prend tout son développeûient et acquiert toute sa puissance. La sym- phonie représente pour nous l'idéal de la musique pure ; là, point depoëme pour guider le musicien, point de canevas, point de situa- tion dramatique pour le soutenir. Seul en face de son idée mélodi- que et de ses développements, le compositeur crée, dans la plus belle acception du mot. Point d'effet de décor, de pompe et de cos- tume; la musique seule est reine, seule elle doit attacher, émou- voir l'auditeur par la beauté , par la richesse et la variété de ses sons, par la logique et la clarté de son développement. C'est grâce à la symphonie que la musique est le premier des arts d'imagi- nation, c'est grâce à elle qu'elle est unique dans le phénomène de la création intellectuelle. En esquissant rapidement le tableau de l'orchestre, nous avons dû plusieurs fois emprunter à la peinture quelques-unes de ses expressions. L'instrumentation, a-t-on dit souvent, est à la musique ce que le coloris est à la peinture. La comparaison ne manque pas de justesse, mais cependant elle n'est pas absolu- ment vraie. L'orchestre est en effet, pour le musicien , une riche palette où il peut puiser, sans limites, pour rehausser le dessin mélodique, pour définir et affermir la ligne musicale. Depuis les teintes sombres et ternes du basson jusqu'aux nuances pour ainsi dire transparentes de la fiû(e ei aux tons éclatants de la trom- pette, il a dans sa main, grâce à l'orchestre, la gamme chromati- que des couleurs de la musique. Sans vouloir pousser trop loin une comparaison subtile, on peut, avec justesse, trouver quel- ques rapports entre les timbres de certains instruments et les cou- leurs employées dans la peinture. C'est ainsi que I4 flûte peut rappeler l'idée du bleu, le hautbois celle du vert, la trompette et INTRODUCTION. 5 toute la famille des cuivres le& différentes intensités du rouge, et que les sons de la clarinette ont une certaine analogie avec les effets du olair-obscuri Comme le coloris, l'orchestre est destiné à compléter le tableau. Sans lui, la composition, si belle qu'elle soit, n'est pour ainsi dire qu'un dessin ; c'est grâce à lui que le musi- cien peut donner plus de vie et d'éclat à son œuvre, en agrandir les effets, en varier les développements. Mais hi doit s'arrêter la comparaison, sous peine de confondre dans une seule et même es- thétique deux arts qui, par leurs procédés, par leur mode de créa- tion, par les sujets qui leur sont propres, diffèrent absolument l'un de l'autre, et n'ont entre eux que les rapports généraux qui relient toutes les productions artistiques du génie humain. Où le parallèle doit cesser, c'est précisément dans cette forme spéciale à la musique qu'on appelle le développement. C'est grâce à elle que le musicien habile s'emparant d'une mélodie, d'uu dessin harmonique ou ryhthmique, peut composer une œuvre de lon- gue haleine, comme la symphonie en ut mineur par exemple, faire miroiter la pensée à nos yeux comme un diamant aux mille fa- cettes, lui donner tour à tour l'accent de la passion, de l'amour, de la langueur, de la colère, sans sortir du sujet qu'il a énoncé dans ce que nous pourrions appeler l'exposition du discours mu- sical, pour employer les termes de la rhétorique. Quel précieux secours- ne trouve-t-il pas dBns les couleurs variées de l'orchestre ! Certes , les souplesses de la modulation, les mille surprises du rhythme, les artifices du contre-point sont pour un musicien de géùie une source féconde et inépuisable d^effets sans cesse renais- sants ; mais, lorsqu'à ces richesses il ajoute les trésors de l'orches- tre, quelle n'est pas la puissance et *la variété de son inspira- tion ? Et nous ne parlons encore que de la symphonie ; mais jetons les yeux sur la musique dramatique, et l'horizon s'ouvrira devant nous jusqu'à l'infini. Si la musique, paa- sa nature même, est toujours empreinte d'un certain vague dans l'expression, s'il lui' est difficile sans le secours de la poésie de rendre un senti- ment bien net et bien défini, du- moins, grâce à un don qui lui est propre, elle peut exprimer à la fois dans la même-page les sen- timents les plus divers et en varier les nuances. C'est alors que L'orchestre vient apporter son inappréciable concours au com- 6 INTRODUCTION. positeur dans cet art complexe ; ce que Tacteiir ne peut pas dire, lui Texprime. Le sentiment qui agite le personnage avant même qu'il ait parlé, c'est Tinstrument qui le rendra. Il complète la pensée, il la définit, il en explique les sous^entendus. Que d'exem- ples n'aurions-nous pas à citer ! et les touchants g^nissements du hautbois dans l'air d'Agamemnoh : « Je sens retentir dans mon cœur ! d et la belle et courte ritournelle du duo de Chiillaume Tell, et la sublime réminiscence de la phrase : « Oui, tu l'as dit, » lorsque Raoul, affolé de passion, revient à lui, pense à ses com^ pagnons égorgés et, revoyant le rêve extatique qu'il doit fuir, en- tend encore résonner à son oreille le doux chant d'amour ! Ci- terai-je la plaintive élégie des deux cors anglais dans la ritonr. nelle de la Juive, le prodigieux mouvement d'orchestre de 1'/- phigénie, lorsque Oreste, se mentant à lui-même, murmure ; « Le calme rentre dans mon âme ? » Ces quelques exemples suffi- sent pour montrer de quel secours est l'orchestre dans l'expres- sion dramatique ; aussi peut-on dire que rînstrumsentation joue à la vérité le rôle du coloris dans la peinture, mais qu'elle a, de plus que lui, sa puissance d'expression indépendante de l'idée mère, indépendante même de la ligne mélodique : elle est pre^ que, comme nous le disions plus haut, un art dans l'art* Pour suivre dans toutes ses révolutions l'histoire de l'orchestre depuis le xvi® siècle jusqu'à nos jours, et avant d'énumérer les instruments qui, semblables aux personnages d'un drame, vont entrer successivement en scène, suivant les besoins des composi- teurs et les tendances artistiques de chaque époque , il est bon de jeter un rapide coup d'œil en arrière et de nous arrêter quelques instants sur le moyen âge, ce temps merveilleux de fécondation, pendant lequel ont germé lentement, mais aussi puissanunent que dans une terre riche et fertile, tous les ferments qui devaient faire éclore l'incomparable moisson de la Renaissance, ce prin- temps des âges modernes. Pendant tout le moyen âge, ce que nous appelons l'orchestre aujourd'hui, c'est-à-dire ces combinaisons de sonorités réglées d'après les rapports de timbres ou les lois esthétiques, n'existait réellement pas. Certainement, il n'est pas rare, dans les descrip- tions des poètes et des historiens, dans les représentations des miniatures et des bas-reliefs, de trouver des agglomérations d'infitrumenfes qui, selon toute apparence, devaient sonner en- semble ; matis il en était dti luxe des sonoriitéfi comme de tous les luxes au moyen âge, repas, étoffes, armes,, ornements : c'était la masse, le nombre, que recherchaient les peuples, sans trop s'in- quiéter de l'effet artistique. Plus une cour était brillante, plus la bande des ménestrels était considérable, sans pour cela former un orchestre. Pour les imagiers et les miniaturistes , la cour du S.oi des roi3, dan^ laquelle ils cherchaient à. réalteer leur idéal de oiagnificence et de spljDodeur, possédait am nombre d'instru- ments prodigieux et par la quantité et par la vs^iété; Violes de toutes formes, hautbois,, trompettes, orgues portatife, tout se presse sans qu'aucune loi musicale semble présider à cette levée d'instruments^ Lorsque, en tète de son Livre d*heure&y lé bon roi Bené se représente lui-même, «entouré de toute sa cour, que voyons-nous sur ce table§tu- qui nous fait vivre pour un instant au milieu de la société la plus polie et la plus brillunte de France au XV® siècle ? A la droite du roi, un musicien pince de la harpe ; à gauche, ua groupe- de femm(5S,offre> un singulier assemblage d'ijistrumeu,ts, un orgue portatif et un psaltérion ; au fond, et semblant tout domyier de lieur étourdissant vacarme,, deux ménestrels s'époumonnent à faire résonner des trompettes longues de plusieurs pieds, tandis qu'un tBoisième fait mi^gir un tambour semblable à. une grosse caisse sous les coups redoublés de ses deux tampons et cou^vre le bruit de son compagnon qui racle *vec vigueur les cordes cfune- gigue. Pour qui voudrait les citer, les exemples de ce genre sont à- l'infini. Ici^ c'est le célèbre chapiteau de Saint-Georges de- Bocherville (xix? siècle) ; plus loin, les cinq ménestrels et les statues de l'église de Beverley, en An- gleterre (xvi** siècle) (1)^ Ici encore, o-'est un tableaja>. un cou- ronnement de 1a Vierge, de Barnabe de Modène;. autour de la mère du divin Sauveur l'artiste s'est plu à grouper tout ce qu'il connaissait d'instruments; aussi trouvons-nous, dans le chœur d'anges qui environne la Reine des cieux, une cornemuse, une petite flûte' double, un rebec, un luth, une orgue, un timbalier frappant sur des naquaires qu'un ange soutient de ses ailes, et (1) H. Lavoix fils, la Musique dans Vymagerie du moyen âge. 1 vol. in-8**, 1875. 8 INTRODUCTION. deux grandes trompettes droites. Mais, nous l'avons dit plus haut, ce nombre considérable d'instruments ne constituait pas un orchestre. Cependant, si l'art de l'instrumentation n'existe pas au moyen âge, au moins reconnaissons-nous dans ces nombreux agents sonores les principaux éléments dont se composera l'or- chestre moderne. A peu d'exceptions près, tous les instruments dont nous re- trouvons plus tard l'emploi dans la musique existaient à l'état primitif au moyen âge. Dès que le monde nouveau commence à émerger du grand naufrage du monde ancien, les agents sonores sont créés, soit que les races envahissantes les apportent avec elles, soit qu'elles les empruntent aux peuples conquis. Les instruments à archet, venus vraisemblablement de l'Orient, après une longue pérégrination par le Nord qu'il est inutile de raconter (1), appa- raissent sous la forme du crowth et de 1^ Zym, que les auteurs ci- tent souvent et que nous retrouvons dans les' manuscrits de Bou- logne et d'Angers, si savamment décrits par M. de Coussemaker , dans les Monuments d^ Angleterre et dans le manuscrit de Saint- Gall, dont Gerbert nous a conservé les figures. Du Cange, au mot Baudosa, reproduit un passage tiré d'un manuscrit de la Vie de GharUmagne, par Aymeric de Peyrato. Dans cette page, tableau curieux de la musique au x® siècle, l'auteur nous montre un orchestre dans tous ses détails. « Les uns, dit-il, sonnaient dans des triples cornes, ceux-ci jouaient du chorus, faisant vibrer la double corde, ceux-là frappant sur de rustiques tambours, rem- plissaient l'air de leur bruit. D'autres, venus de la Gascogne, sautaient au son de la musette, tandis que leurs compagnons pin- çaient de la harpe, et qu'un dernier groupe, armé de l'archet re- courbé, imitait la voix des femmes, au moyen du rebec. » Ce n'est point ici le moment de discuter quelques-unes des expressions un peu obscures de l'auteur, mais nous avons passé en revue par cette citation une grande partie des instruments du moyen âge. C'est encore du viii® au x® siècle que nous voyons les instruments à nombreuses cordes pincées, dont la harpe anglaise {cithara angUca) est le type, et le nahulum, qui fit plus tard place au quanon. Il reste encore de l'antiquité quelques instruments d'origine romaine ■ (1) Voir à ce sujet le premier volume de YUutoire de la Musique^ par Fétis. INTRODUCTION. 9 et grecque, comme la lyre; mais ils vont bientôt être mis de côté. Dans les instruments à vent, le bois domine, il est vrai, et nous devons attendre les croisades pour voir apparaître les cuivres; mais dans ces frestiaux à bec effilé, séparé du corps sonore, ne re- connaissons-nous pas le hautbois et son anche, signe distinctif de sa race ? Dans ces longues flûtes ne voyons-nous pas le système des flûtes à bec, qui, jusqu'au milieu du xvni® siècle, tiennent une place honorable dans Thistoire de l'instrumentation ? Enfin ces grandes trompettes de guerre saxonnes dont les manuscrits nous donnent des représentations, avec leur large embouchure, leur forme recourbée, leur corps de bois, retenu par des cercles de fer, ne font-elles pas pressentir la nombreuse et riche famille des cornets en bois et à bocal qui dura jusqu'aux temps modernes ? En effet, nous retrouvons encore au xviii* siècle l'ancien cornet, peut-être même n'a-t-il pas tout a fait disparu, et dans tous les cas, le serpent, malgré sa date relativement récente, est un des derniers restes de cette famille. Quant aux instruments à réservoir d'air avec ou sans clavier, je crois inutile de rappeler combien ils étaient connus, depuis la cornemuse, qui peut être considérée comme l'or- * gue réduit àsaplus simple expression, jusqu'aux monuments sono- res venus de Constantinople chez Charlemagne, et qui servirent de premiers modèles à nos orgues d'Occident. Quelques-uns des principaux organes de nos orchestres man- quent encore ; mais une grande révolution est sur le prânt de s'accomplir, et la musique, comme tous les autres arts, va faire son profit du merveilleux mouvement des croisades. C'est, en effet, au commencement du xii® siècle, après que l'Occident s'est rué sur l'Orient, que nous voyons apparaître, rapportés par les croisés, les instruments à percussion, comme les cymbales , les naquaires, qui arrivent jusqu'à nous, presque sans changements, sous forme de timbales : le quanon et le psaltérion qui plus tard prêtera ses marteaux au clavecin, issu du monocorde à clavier, et formera le piano : puis ce sont les cuivres, qui, gardant pen- dant plusieurs siècles les traces de leur origine orientale, s'appel- leront encore, à l'époque de la Renaissance, cors sa/rrazinois. C'est aussi au temps des croisades que les instruments à cordes pincées, du genre du luth et de la guitare, font leur première apparition. Ce sont eux qui constitueront, jusqu'au milieu du xvii® siècle, le 10 INTR0I>UC!TI01f. fond de raccompagnement vocal, et dent îa niasse sonore tien- dra à peu près, pendant tonte la première période de Thistoire instrumentale, la place que nos violons tiennent aujourd'hui. A partir des croisades, les noms des instruments se multiplient à Finfini, et il deviendrait impossible de les grouper d'une façon claire si on voulait se fier aux textes qui énumèrent les agents sonores depuis le xii* siècle jusqu'au xvi® siècle. Mais il est deux faits que Thistorien ne doit pas perdre de vue : Tun est la multiplicité des synonymes dans les différents dialectes des pro- vinces de France ; l'autre, qui nous intéresse plus particulière- ment, puisque c'est sur lui que nous appuierons en partie le déve- loppement du sujet qui nous occupe, est* la formation des fa- milles instrumentales. Du xi® siècle au xii® siècle,, époque à la- quelle la diaphonie commençait à fleurir, où le style vocal parti- culier au moyen âge, dur et discordant, il est vrai, pour des oreilles modernes, mais régulièrement établi, fut constitué par des lois fixes dont les traités des vieux harmonistes nous donnent les formules, on chercha à reproduire l'échelle des voix dans les- familles instrumentales. Dès que les musiciens avaient entre les: mains un instrument nouveau, quelque peu qu'il différât de ceux qu'ils connaissaient déjà, ils s'empressaient de lui former une- famille se modelant sur la division des voix, avec lesquelles il», faisaient le plus souvent marcher l'accompagnement à l'unisson. C'est ainsi que, dans les instruments à anches, parallèlement à. la famille complète des hautbois, nous trouvons les cromornes: grands et petits, formant une série du^ave à Taigu, pour ne citer qu'un exemple. Ce principe fut longtemps en vigueur, et jusqu'au milieu du xvii® siècle, nous voyons les instruments différents marchant par groupes de quatre ou de cinq, comme les violons et les violes. Quelquefois même, un instrument servait de basse à une famille autre que la sienne, et dont les parties, graves étaient défectueuses, comme le basson, qui remplaça sou- vent les basses de hautbois. Quoique d'une invention relativement, récente, le basson est une application curieuse de cette loi, qui fut générale pendant tout le moyen âge. Toutes ces voix étaient employées; malheureusement il ne- nous reste que des données bien vagues sur les orchestres reli- gieux et profanes de cette période reculée, si tant est qu'on puisses INTEODUCTION. 11 donner le nom d'orchestre aux agglomérations d'instruments que nous trouvons, soit dans les représentations dramatiques, soit dans les fêtes publiques et privées. Cependant, au milieu des re- lations des chroniqueurs, des descriptions des poètes, la distinc- tion nettement établie par M. Chouquet , dans son Histoire de la musique dramatique en France entre la musique propre à l'É- glise et celle des fêtes et tournois, existe déjà dans l'orchestre dès le XIV® siècle. Jusqu'au xiii® siècle c'est dans les mystères ou dans les grandes pompes sacrées que les instruments en masse brillent de tout leur éclat; mais, à partir de cette époque, l'élé- ment profane fait de plus en plus invasion dans l'art. Ce n'est pas auprès du sanctuaire que se font entendre les plus somptueux or- chestres, c'est dans les entrées royales et les grandes fêtes princiè- pes qui, surtout à la fin du moyen âge, imprimèrent un si vigou- reux élan à l'art musical. Ce sont ces nombreuses troupes instru- mentales qui fourniront des interprètes, aux premiers composi- teurs du XVI® siècle. C'est de là que nous verrons sortir l'or- chestre dont les Laurent de Médicis, les Strozzi se serviront pour créer le ballet, et, partant, la tragédie lyrique. C'est là aussi que plus tard l'Église viendra chercher des exécutants le jour où, abandonnant ses formes hiératiques, elle empruntera à la musique moderne son expression dramatique. Bien plus, lorsque les musi- ciens, par une révolution que nous expliquerons dans la suite de ce travail, auront simplifié l'instrumentation, en auront fixé les bases, et l'auront fait entrer dans une voie nouvelle, ce sera en- core dans la musique de tournois, de carrousels et de fêtes, dans ce qu'on appelait en France la musique de la Grande et de la Petite Écurie, qu'ils devront aller chercher les instruments qui leur seront nécessaires pour augmenter la richesse de leur or- chestre. Il ne sera donc pas inutile, avant d'entrer dans l'explication du système instrumental du xvi® siècle, de voir rapidement, par quelques exemples, quel usage faisaient des instruments les au- teurs des Mystères et conament on s'en servait dans les spectacles populaires, les fêtes et les entrées royales. L'orgue était l'instrument le plus important de l'orchestre des Mystères, Placé derrière le porche même de l'église , tout près de l'endroit où se représentait le drame sacré, il se trouvait naturel- 12 INTRODUCTION. lement à la portée des organisateurs de la fête. De plus, son ca- ractère religieux faisait de lui l'accessoire indispensable du para- dis. Il servait à accompagner le chœur des anges, à le suppléer même, à manifester la colère et la mansuétude de Dieu. Quand Jésus entre .à Jérusalem , nous lisons dans la rubrique du Mys- tère de la Passion : « Ici se fait un grand tonnoire en paradis, de quelques tuyaux d'orgues. » Lorsque les échafauds qui com- posaient le théâtre furent éloignés du porche de l'église, des ré- gales ou orgues portatives à courts tuyaux, que nous retrouvons encore au milieu du xvii** siècle, remplacèrent l'orgue du sanc- tuaire. L'orgue n'était pas seul à former l'orchestre des mystères, et souvent le mot orgues y dans les notes marginales indiquant les nombreuses pauses de musique employées pour couper les scènes, n'est autre chose que la traduction du latin organa, qui signifie toutes sortes d'instruments. C'est, je crois, dans ce sens qu'il faut prendre ce passage du Mystère de la Résurrection de Jean Michel : ce Ici doit se faire un tonnoire d'orgues , et qu'ils soient bien con- cors ensemble. » Cette recommandation naïve semble devoir s'adresser bien plus à un grand nombre de musiciens qu'à l'or- ganiste, dont l'instrument ne pouvait manquer d'être « concors ». Aussi l'orgue se mêlait-il souvent aux rebecs, hautbois, etc. Dans un mystère où se retrouvent encore quelques traditions classiques, Agamemnon, apprenant l'outrage fait à Ménélas par l'enlèvement d'Hélène, rassemble les princes de la Grèce. Les chefs se mettent en marche et à ce moment, les joueurs de hauts et bas instru- ments se font entendre en même temps que les orgues. Souvent l'orgue se taisait au paradis et les instruments jouaient sans lui. Lorsque Dieu annonce à la cour céleste que le Messie prendra naissance, les anges en témoignent leur allégresse : « Adoncques chantent et puis les joueurs d'instruments répètent derrière les anges, pendant que ceux-ci tiennent leurs instruments et font ma- nière d'en jouer. » Mettait-on en scène un personnage qui, d'a- près les textes , devait être un musicien, il était bon que l'acteur exécutât lui-même les morceaux qui faisaient partie de son rôle. Dans le mystère de V Incarnation, ou Nativité, David, avec un autre personnage, ouvrait la scène en prophétisant la venue du Christ, et devait accompagner ses prophéties au son de la harpe. INTRODUCTION. 13 Lorsqu'on ne pouvait trouver un acteur qui sût chanter ou jouer de la harpe, on supprimait le chant, ainsi que l'indique la note marginale du manuscrit : « Adoncques harpe s'il est harpeur, ou sinon laisser cette pause qui a lieu là (1) ». M. de Coussemaker, dans son bel ouvrage des Drames litur- giques, et Danjou, ont publié tous deux le Daniel Ludusy ce drame d'un si grand intérêt, composé par les clercs de Beauvais et repré- senté en la cathédrale de cette ville le 25 décembre 1230. Dans ce mystère, on voit figurer des citharistes et des chanteurs (citharistas et psaîlentes) dans une scène où apparaît le roi Darius; mais il est fort à supposer que le mot citharistœ désigne, non point des citha- ristes, mais bien des instrumentistes de tout genre accompagnant les chanteurs. Déjà le mystère de la Vie de saint Martin, repré- senté à Seurre (Bourgogne) le 9 mai 1490 et analysé par M. Ju- binal (2), nous donne quelques détails plus précis. Au moment de représenter leur mystère, les joueurs viennent demander à la Vierge de protéger leur entreprise, et se font précéder d'une troupe de musiciens, qui est vraisemblablement la même que celle qui devra servir dans la représentation. « Les joueurs se mirent en arroy, chacun, selon son ordre, et à sons de trompettes, clairons, ménestriers, hauts et- bas instruments, s'en vinrent dans ladite église de Saint-Martin, devant Notre-Dame chanter un salut moult dévotement , afin que le beau temps vînt exécuter leur bonne et dévote intention. Laquelle chose Dieu leur octroya. » Pour compléter l'appareil musical de ces grandes représenta- tions, il fallait un orchestre pour l'enfer, comme il y en avait un pour la terre et le paradis. Les naïfs meneurs de ces drames n'y manquèrent pas, et tout ce qu'on put trauvçr d'engin sonore , horrifiquement bruyant, devint l'apanage du royaume de Satan. Ce n'étaient pas les doulçaines et vielles harmonieuses qui lui étaient réservées, mais bien les instruments à percussion, et même le canon. Lorsqu'on apprend chez Satan que Jésus-Christ est né, les diables, au désespoir de cette nouvelle, se mettent tous à crier ensemble, et leur chœur discordant est soutenu par un ac- compagnement « de tabours et autres tonnoires , faits par engins (1) Mrice, la Mise en scène depuis îes Mt/stères jusqu^ au Cid, 1 vol. in-8** 1836 , et Revw de Paris^ 2® semestre 1835. (2) A. JUBINAL, les Anciennes Tapisseries historiées ; Paris, 1838. In-fol. 14 INTRODUCTION. et couleuvrines » . Nous prions le lecteur de bien se garder de croire, d'après cet exemple, que nous voulions placer la batterie et la percussion parmi les instruments diaboliques. Nous avons laissé de côté, et à dessein, la musique instrumen- tale employée en dehors de Torgue dans le service divin pendant le moyen âge; un tel sujet ne peut être traité en quelques lignes, et les nombreuses révolutions qu'a subies cette partie de l'art religieux exigeraient un trop long chapitre pour être racontées même succinctement; et lorsqu'à l'époque moderne nous retrouve- rons la musique instrumentale dans l'Eglise, elle ne se rattachera au moyen âge que par des traditions lointaines qui ne pourront prendre place dans cette étude. A côté de l'orchestre que nous pourrions appeler liturgique, nous trouvons, comme nous l'avons dit, l'orchestre profane infi- niment plus riche et plus nombreux. Déjà, dans la seconde moitié du XI® siècle, il existait des groupes d'instruments particulière- ment destinés à accompagner les danses chez les riches seigneurs. C'est Jean de Garlande, dans son Dictionnaire, curieux tableau de la vie privée à son époque , qui rapporte ce qui suit, au para- graphe Lxxx : « Dans les maisons riches, j'ai vu des joueurs de lyre et de flûte, j'ai vu des vièleurs avec leurs vièles, d'autres mu-» siciens avaient un sistre, une gigue, unpsaltérion, une chifonie, une citole, un tambour et des cymbales, j'ai vu aussi des courti- sanes et des danseuses qui jouaient avec des serpents. ...» Puis il ajoute en manière de commentaire : « Dans ces lieux se font entendre les instruments des jongleurs qui sont aussi des joueurs de lyre. Les vielleurs (vidulatores) sont ainsi nommés de leur instrument [(viduîa) galliœ, vielle]. La gigue est un instrument de musique qui passe pour imiter les sons de l'orgue. Le chorus dans cette place est un instrument musical, et enfin le tympanum est ainsi appelé par onomatopée et en français tabour, du mot latin dérivé de l'expression tympanifes, qui est une espèce d'hy- dropisie dans laquelle le ventre sonne comme un tambour (1). » J'ai tenu à traduire en entier ce passage qui semble avoir échappé (1) GÉRAUD , Paris sous Philippe le Bel.TJn vol. în-4° publié danlrles Do- cuments inédits sur l'histoire de France, p. 611 et 602. (Jean de G-arlande vi- vait dans la première moitié du zii^ siècle. } INTBODUOTIÔN. 15 aux historiens de la musique et qui présente de l'intérêt à plus d*un titre. Les listes des musiques particulières des princes nous donnent de nombreux documents sur Tétat des orchestres aux xii®, xiii®, xiv*^ et xV siècles. Dans les comptes de ménage du comte de Poitiers, Philippe le Long, nous voyons portés Raoulin de Saint- Verin, ménestrel de cor sarrazinois; Andrieux et Bernard, trom- peurs; Parisot, ménestrel de naquaires : Bernard, ménestrel de trompettes. Sous leroiLouisX,ontrouve au nombre des musiciens composant sa musique en 1315^ GuiUotus, ménestrel de psalté- rion ; enfin, dans un compte de l'hôtel de Jean, duc de Normandie, en 1349, nous trouvons des ménestrels de naquaires, de demy- quanon, de cornet, de guiteme latine, de flûte bréhaigne, de gui- tare moresque et de vielle. La belle collection de pièces du baron de Joùrsanvault, dont le catalogue seul est un livre du plus haut in- . térêt, nous fournit aussi des détails curieux et peu connus sur ce sujet. En 1389, le duc d'Orléans donne 48 sols 6 deniers à des tabourins, ménestrels et joueurs de farces qui avaient joué devant lui. Plus tard> en 1392, Jean Poitevin, roi des ménétriers du royaume de France, et ses compagnons reçurent le prix des «sbattemenfcs qu'ils firent en l'hôtel du duc d'Orléans devant le roi et les ducs de Berry et de Bourgogne. En 1394, Gubazo, bom- barde, et Triboux, cornemuse, jouent devant le roi, en l'hôtel du duc d'Orléans, Ici le même duc fait payer 1 livre 6 sols tournois à plusieurs ménestrels qui avaient corné devant lui au château d'Asnières en 1396. Le même prince baille encore 150 Uvres tour- nois à Côlinet Bourgeois et à Albelin, ses ménestrels, et à Pierre Gi- rard, son trompette; en 1406; outre ces musiciens, nous voyons encore au service du même prince un harpeur. Du reste, le noble duc et sa famille ne se contentaient pas de se faire faire de la mu- sique, ils en faisaient aussi, et parmi les différentesgratifications accordées à des ménestrels et au fol du comte de la Marche , on trouve le prix du raccommodage de la belle harpe de madame ladu- chesse d'Orléans. Le roi avait aussi sa musique, et les quittances de sa maison, ainsi que les chartes royales, font souvent men- tion d^ musiciens et d'instruments de musique. En 1413, Char- les VI acheta 100 livres tournois « une belle harpe et bien ouvrée à notre devise, que nous avons voulu avoir et icelle faire acheter 16 INTRODUCTION, pour nous esbattre et faire jouer défaut nous, » Trois ans avant, il avait payé dix solz une autre harpe (1). Mais c'était la troupe du duc d'Orléans qui avait la plus grande réputation à cette épo- que, à tel point que la reine Ysabeau voulut Tentendre en 1413. On peut rapprocher ce fait de quelques vers d'une Danse macabre de 1424, qu'on voyait au charnier des Innocents, et dont on peut lire la description, sous le rapport musical, dans le beau travail du regretté Georges Kastner sur les Danses des Morts (2). L'au- teur de ces vers est maître Martial de Paris, dit d'Auvergne, et il semble avoir voulu faire allusion à la régente et à son amour pour les plaisirs profanes, lorsqu'il nous montre une régente résistant à la Mort qui l'entraîne et lui adressant ces paroles : LA RÉGENTE. Quand me souviens des tabourîns, Nopces, fêtes, harpes, trompettes, Menestrîers, doulçaînes, clarins, Et des grans chères que j'ai faites, Mon cueur meurt en ces entrefaites. Plus tard, ce sont encore des gratifications à des musiciens dont des pièces manuscrites nous donnent le nom et la spécia- lité. Ce sont des clairons et des trompettes qui jouèrent devant les enfants d'Orléans au jour de l'an 1469, C'est Gentil-Garçon, tambourin, et son compagnon, joueur de rebec, qui font mer- veille devant la duchesse d'Orléans, à Blois, en 1483. Enfin, à cette date, on sent approcher l'époque de la Renaissance. La musique va briller d'un nouvel éclat. Voici les ménestrels du maréchal de Gié qui jouent devant le duc d'Orléans. Plus loin , le même seigneur « s'esgaudit » à entendre les tambourins et les joueurs de musette et de rebec de Madame Marguerite de Flandres. C'est aussi à la fin du xiv® siècle et au conftnence- mentduxv®, que les musiciens s'organisent en, corps consti- tués ; c'est du 14 avril 1401 que datent les lettres patentes de Charles VI, qui confirment l'établissement de la confrérie des ménestrels et joueurs d'instruments, tant hauts que bas, con- (1) Chartes royales , t. XIII, p. 699. (Bibliothèque nationale.) (2) Kastner, Dame des Morts; Paris, Branaus, 1862. 1 yoI. in-4®. INTRODUCTION* 17 frérie fondée le 23 novembre 1831, sous Tinvocation de saint Julien et de saint Genest. C'était dans les fêtes, dans les tournois chevaleresques et musi- caux, dans les moralités, que ces nombreux ménestrels trou- vaient remploi de leurs talents variés. Nous les avons vus don- nant aubades aux princes à l'occasion du jour de Tan. "Un superbe manuscrit du xiii® siècle > qui appartient à la Bibliothè- que nationale et qui contient des chansons des MinnssingeTy nous montre un de ces tournois de ménestrels que l'Allemagne a con- servés presque jusqu'à notre époque et dont R. Wagner a fait une des scènes principales du Tannhauser, Assis sur un trône, le juge du concours, une couronne d'or sur la tête, indique le vainqueur du bout de sa baguette. Celui-ci est au centre du tableau, il tient entre ses mains sa viole et se prépare à se faire élever sur une sorte de pavois formé d'un tapis dont quatre mé- nestrels tiennent les quatre coins. Autour du vainqueur sont groupés de nombreux musiciens, les uns tenant des violes, les autres des cornemuses, des hautbois et des cornets. Dans un coin de la miniature sont peints des écussons portant des têtes de femmes, armes parlantes du triomphateur, dont le nom, ou peut- être même le surnom, Meister Hemrich Wrôwmhb (Frauenlob), se lit au-dessus de l'encadrement. Dans le poëme le Vmu du Héron, écrit vers 1338, au moment où on apporte l'animal symbolique, les musiciens font leur offîce : Entre deux plats d'argent li fut hairons assis, Deux maîstres de vièle a queus Eobert saisis Avec un quistreneux accordaient par devis. Puis les vielleurs devaient jouer doucement pour arriver, sur un signe de leur chef, axiforUssimo : Et li doit ménestrel vieler donchement Il fait des menestreux les vieles efforchier. Une dalle tumulaire en bronze, de St-Margaret Church , dans le comté de Norfolk, décrite par Cotman, représente une scène 2 18 INtBODUCITION. analogue et semble le commentaire du texte de la chronique rimée qui nous a conservé la fête du héron (1). C'est aussi dans les jeux^ moralités et soties^ qu'on retrouve l'origine de notre orchestre dramatique. M. G. Chouquet^ dans le livre que nous avons cité, décrit en détail les deux composi- tions d'Adam de la Halle, qu'il considère avec raison comme les deux premiers opéras comiques français, le jeu de RoUn et Ma- rion, et celui de la Feuillée, Une moralité célèbre aux xv* et xvi® siècles, la Condamnation des Banqmts, qui faisait le sujet des grandes tapisseries de Nancy, étudiées par M. Jubinal (2), nous donne un exemple intéressant de l'emploi de l'orchestre dans ces sortes de drames moraux. Dans la Condamnation des Banquets^ par Nicolas de Lachesnaye, Dîner, Souper, Banquet et Friandise se mettaient à danser, a Les instruments placés sur l'échafaud, ou en quelque lieu plus haut, jouaient une basse danse assez briefve. » A la fin du festin. Bonne Compagnie disait les grâces et ordon- . nait au lutenaire, c'est-à-dire au joueur de luth, de remplir son office, Plus loin> pendant le 8ouper> Bonne Compagnie dit aux musiciens de € ôeuter une chanfion> » en leur disant le premier vers dé quelques-unes : Savez*vdilfl point : Xai mis mon cueur f La rubrique ajoute : une difficulté se pré- sente. Partout, jusqu'au commencement du xvi® siècle, cette in- dustrie se montre étroitement Hée par des statuts à des corpora- tions qui l'écrasent de leur importance et du nombre de leurs pro- duits. Tantôt ce sont les chaudronniers, dinandiers et forcetiers qui réclament pour eux la fabrication des instruments de cuivre, comme les cors et les trompettes. Tantôt ce sont les orfèvres qui ne permettent pas à d'autres maîtres de travailler l'or ou l'argent et qui s'arrogent le droit de fabriquer des instruments avec ces métaux. Ici les tabletierp ne voient pas sans envie les faiseurs d'ins- truments tourner des cornes d'ivoire ou des toumebouts et cro- mornes de bois, et croient leurs privilèges atteints par les orne- ments et les filets dont les luthiers se plaisent à orner leurs luths et leurs violes. Enfin voici les boyaudiers qui demandent à fitbri- quer les cordes en boyaux, tandis que les affileurs veulent acca- parer les cordes de métal. De ce choc de corporations ayant toutes quelques rapports avec la musique, les luthiers seuls sont sortis de l'oubli, grâce à l'im- portance que donnèrent à leur profession les belles œuvres des INTRODUCTION, 21 maîtres italiens efc allemands. L'histoire des facteurs d'orgue, quoique moins connue, peut aussi être rétablie sans trop d'incer- titude ; l'Église les a pris sous sa protection et nous a conservé les noms de quelques-uns. Mais ces documents sont bien muets sur tout ce qui a rapport à la facture des instruments à vent de bois, de cuivre ou d'ivoire, qui forent si nombreux au moyen âge et dont le commerce devait avoir une certaine, extension, si on en juge par la quantité d'instruments de ce genre que nous rencon- trons à chaque pas. dans les textes des historiens et sur les monu- ments figurés. Nous l'avons dit, les faiseurs d'instruments s'étaient prifloitive- ment adjoints à des corporations puissantes, suivant la matière qu'ils employaient. Certes, les jurandes et maîtrises, qui auraient pu rendre tant de services, n'étaient pas restées ce qu'elles étaient dans l'origine, c'est-à-dire la sauvegarde des producteurs, et elles n'avaient pas tardé en réalité à être considérées presque unique- ment conxme une ressource du fisc aux abois ; mille règlements mesquins diminuaient les bienfaits qu'auraient pu produire ces associations ouvrières; mais malgré ces entraves, malgré sa lé- gislation ruineuse et tracassière, le régime des corporations offrait principalement aux fabricants d'un commerce restreint des avan- tages et des garanties d'un prix inestimable. Aussi les ouvriers des petits métiers, comme les faiseurs d'instrumentja par exemple, avaient-ils trouvé leur bénéfice à faire cause commune avec les maîtres de professions plus considérables. Ils souffrirent plus tard de ces alliances ; ils eurent bien de la peine à se délivrer des chaî- nes qui leur liaient les mains, le jour où leur commerce prit plus d'extension, mais ils n'en avaient pas n\oins trouvé dans l'origine des secours précieux auprès des maîtriçes • puissantes, dont ils avaient imploré l'appui. Les faiseurs de cors et trompettes étaient avec les chaudronniers et forcetiers, lorsque ces instruments étaient de cuivre; avec les orfèvres^ lorsqu'ils étaient d'argent; les boisseliers ou faiseurs de boisseaux construisaient les tambours, tandis que les tourneurs fabriquaient les flûtes et toumebouts en bois. Il n'est pas à dire pour cela que le même ouvrier faisait les trompettes de guerre et le coqs de clocher, mais les faiseurs d'instruments ayapt senti qu'eu se fiant à leurs seules forces ils ne pourraient se défendre contre les abus, s'empressaient de met- 22 INTRODUCTION. tre la bannière de leur petite confrérie à l'ombre de celle d'une conununauté plus nombreuse et plus riche. La première fois que nous voyons les fabricants d'instruments jouer un rôle dans l'histoire des métiers , c'est en 1292. A cette époque, le livre de la Taille ( 1 ) nous donne trois feiseurs de trompes exerçant à Paris, avec leurs noms (2). Ils s'appelaient H. Lescot, Guillaume d'Amiens et Roger l'Anglais. C'était bien peu, il est vrai, mais assez cependant pour faire sentir à ces industriels le be- soin de former un corps, eux et leurs ouvriers. Aussi, le mercredi après la mi-août de l'année 1297, adressèrent-ils une suppli- que à Robert Mang, garde de la prévôté de Paris, pour être ad- joints aux forcetiers et chaudronniers. Voici le texte de cette pièce, qui nous a été conservée dans le Livre des métiers d'É- tienne Boileau : En l'an de grâce mcciiij. xx et xvii, le merquedi après la my-août, furent presenz devant nous Bobert Mang, lors garde de la prévôté de Paris, Hen. l'Escot, GuiU. d'Amiens et Eog. l'Englois, feeseurs de trompes, si come ils di- saient, affermanz que en toute la ville de Paris n'avaient ouvreers de lenr mes- tier for's hostelx des trois persones desus dites, et nous requistrent en suppliant por le profit du roi et pour amender leur mestier que Us fussent gardez et main- tenuz selonc les conditions deu dit mestier de forceterie en la forme desus es- cripte et li uns d'els, fussent gardes de l'euvre des trompeors en tel manière que cU qui serait garde deu mestier ne les autres trompeors ne puissent riens deman- der ne reclamer en dit mestier de forceterie, ne euvrier de celui mestier. Et nous , leur requeste oye, deu consentement et de la volonté de Adam le forcetier, de Jehan le Piquet, mestres deu mestier de forceterie, presenz & ce par devant nous, leur avons otroié leur requeste, en forme dessus dite sans autrui droit. En témoing, etc. (3). Quelques années plus tard, en 120^, Rouen suiv^aît l'exemple de Pari0. Là aussi les faiseurs de trompes ou trompettes de guerre (1) GrÉBAUD , Paria sous Philippe le Bel, Contenant le rôle de la taille impo- sée sur les habitants de Paris en 1292 ; Paris, Crapelet, 1837. In-4°. (Collec- tion de documents inédits.) (2) Cet intéressant document cite de plus quatre citoléeurs et un certain Hen- ricus Ausvieles, mais rien n^indique si ces mots désignent des fabricants (m -des joueurs de ces instruments. (3) Livre des métiers d'Etienne Boileau, publié par G.-B. Depping. ( Col- lection des documents inédits sur l'histoire de France. ) Paris , Crapelet. In-4°, 1837. (Page 360.) DÎTEODUCTION. 23 s*étaient joints aux chaudronniers, et ce fut Leloquetier, maire de Bouen^ qui fit les statuts de la corporation dans la dernière an- Qée du xiii^ siècle. Mais ces statuts, à cause de leur trop grande sé- vérité,^ ne tardèrent pas à tomber en désuétude, et un des succes- seurs de Leloquetier, Guillaume de Scherville, dut les rétablir en 1357. Les longues luttes qui déchirèrent la. Normandie pendant le XIV® siècle firent oublier les règlements de Scherville, qui furent remplacés par de nouveaux statuts rédigés en 1407> par JeanDavy, baLLli de Kouen, et confirmés par lettres, royales le 23 avril 1408. Ils reçurent de nouveau la sanction du ro^ le 22 novembre 1434 et le 2 septembre 1481. Cette organisation fiit pins stable que les précédentes, puisqu'on ne la renouvela qu'en 1726, et encore n'eut-on besoin d'ajouter aux anciens statuts que quelques arti- cles nécessités par le progrès de l'industrie (1). Si Rouen ne vint qu'après Paris pour l'organisation du métier des febricants de trompes, il n'en fat pas de même des autres feî- seurs d'instruments, qui devancèrent^de beaucoup leurs confrères parisiens et surent de bonne heure se réunir aux musiciens leurs alliés naturels. Des statuts confirmés en 1454 par Charles VII ré- gissaient la corporation des joueurs, faiseurs d'instruments de mu- sique et maîtres de d^ise rouennais, et cette corporation, qui obtint de nouveaux privilèges, en^ 1611 et 1717, dura jusqu'à la disparition des maîtrises. La confrérie, n'était ni bien puissante, ni bien, riche puisqu'elle ftit incapable de payer à Louis XV le droit de joyeux avènement; mais tous les membres étaient fraternellement unis et avaient for- mé une sorte de société de secours mutuels, grâce à laquelle les associés de la corporation qui, par maladie ou par suite de leur âge, ne pouvaient plus exercer leur état, recevaient un secours, fruit d-une cotisation d'un sol de chaque cbnfrère de Saint-Ger- main et de Saint- Julien , car c'est sous la protection de ces deux saints que les joueurs et les faiseurs d'instruments s'étaientplacés. Leur confrérie qui, comme toutes celles du moyen âge, s'était formée dans la corporation, mêm^e^ faisait ses dévotions solennel- les en l'église de l'H^tel-Dieu, à la Magdeleine, et fat réglementée en 1517 par François de Harlay, archevêque de Rouen, qui pro- (1) Ordonnances des rois de Frai^ce, t. IX^ p. 813 ; XVIII, p. 676, 24 INTRODUCTION. clama hautement Futilité de ce corps « qui peut, disait-il, contri- buer si puissamment à la gloire de Dieu et à l'embellissement du culte catholique (1). » Nous ne trouvons d'ordonnance royale relative aux chaudron- niers et faiseurs de trompes de Paris que deux siècles après la re- quête de 1292, en septembre 1484 ; mais la teneur de ces lettres confirme pleinement le document fourni par Etienne Boileau (2). Ce droit de fabriquer les cors et trompettes, les chaudronniers le conservèrent exclusivement jusqu'à l'abolition des maîtrises, puis- que dans V Encyclopédie y ces instruments sont encore considérés comme étant de leur ressort. C'était encore eux qui avaient le monopole des cymbales et timbales. Les boissehers, à la même époque, avaient gardé le droit de febriqner les tambours; les fondeurs, les cloches et les carillons; et si quelque amateur voulait posséder un cor d'argent, c'était aux orfèvres qu'il devait s'adresser. Ce n'est qu'en 1599 que Paris vit s'organiser une corporation spéciale de faiseurs d'instruments de musique. Depuis longtemps ces industriels travaillant séparément, par petits groupes, sen- taient leur impuissance à faire progresser leur métier et ne sa- vaient comment arriver à de meilleurs résultats, lorsqu'un affront venu du roi força les faiseurs d'instruments et les violonniers à se réunir afin d'arriver à rendre leurs produits capables de lutter avec ceux de l'étranger. Le roi Charles IX, qui, comme on lésait, aimait fort la musique, avait voulu se procurer des violons, et trouvant les ouvriers de France trop inhabiles, fit commander des instruments au célèbre luthier tyrolien Stainer. Le coup était porté; si on n'y remédiait, c'en était fait du commerce instru- mental de notre pays. Les maîtres faiseurs d'instruments de mu- sique de la ville et faubourgs de Paris se réunirent et obtinrent de Henri IV des lettres patentes pour le mois de juillet 1599. Ces lettres ne ftirent d'abord enregistrées qu'au Châtelet, mais un siècle plus tard, le 6 septembre 1680, sur les cpnclusions du pro- cureur du roi, le Parlement confirma à son tour ces lettres en 14 articles qui régirent la corporation des faiseurs d'instruments (1) V. Ouen-Lacroix , Histoire des anciennes coTyorations de la capitale delà Normandie ; Bouen, Lecointe, 1850. 1 vol. iQ-8°, (2) Ordonnances des rois de France^ t. IX, p. 428, INTRODUCTION. 25 jusqu'en 1791 à rabolition des maîtrises. Parmi ces statuts, il en était quelques-uns qui mettaient bien nettem^itla corporation en dehors de la dépendance des métiers qui pouvaient arguer de la concurrence (1).« Les maîtres peuvent non-seulement faire tou- tes sortes d'étuis, pour mettre et enfermer les instruments qu'ils fabriquent, mais encore enrichir ces instruments de filets d'or, d'argent et d'ivoire, aussi bien que de toute espèce de marquete- rie, ces ornements étant du métier, sans que les maîtres d'aucune autre communauté, comme Içs tabletiers menuisiers, de plaquage et autres les en puissent empêcher, sous prétexte que ces ou- vrages leur sont propres. » Bien leur en prit d'avoir fait définir leurs droits, car pendant le xviii* siècle les tabletiers et les tour- neurs leur cherchèrent plusieurs fois chicane, et il n'y eut pas jus- qu'aux éventailUstes qui ne voulussent les empêcher d'orner de peintures leurs instruments ; mais, forts de la teneur des statuts de 1680, ils gagnèrent chaque fois leur procès. En 1730, ce sont les boisseliers soufSetiers de Paris qui font saisir chez un sieur Col- lard, maître facteur d'orgues, trois soufflets sous prétexte qu'eux seuls avaient le droit d'en fabriquer ; en 1741 , les tabletiers veulent saisir, chez un nommé Lefèvre, neuf flûtes traversières, neuf fifres et quatre flageolets ; mais dans ces deux occasions les faiseurs d'instruments eurent encore gain de cause (2), Nous avons vu par cet exemple que , malgré l'organisation du corps des jurandes des faiseurs d'instruments de musique , les tabletiers et tourneurs n'avaient pas abandonné toute prétention de fabriquer des flûtes et hautbois, et qu'il fallut qu'un nouveau jugement vînt confirmer les lettres royales. D'après un document tiré des Archives nationales et cité dans l'ouvrage de M. de Pon- técoulant (3), cinq luthiers seulement faisaient des instruments à vent en 1752, mais à partir de ce moment cette industrie prit plus d'extension. (1) Savart des Bruslon, Dictionnaire universel du commerce; Amsterdam, éd. de 1726 au mot : Faiseurs cP instruments, (2) Pour ces statuts et les différents procès dont il s'agit ici, voir le curieux petit recueil intitulé : Statuts, ordonnances, lettres de création, arrests et sentences de la communauté des maistres-faiseurs d'instruments de mtcsique delà ville etjaulx- hourgs de Paris ; Paris, Groux, 1741. In- 12. (3) Organographie; Paris, Castel, 1861 . 2 vol. in-8<*. 26 INTRODUCTION. Il n'est pas étoiittant, du reste, de rencontrer pareilles tyran- nies exercées par un métier sur un autre, lorsqu'on voit qu'une pauvre association comme celle des faiseurs d'instruments cher- chait encore à se diviser et à s'affaiblir. En 1692, les facteurs d'orgues, les faiseurs de flûtes et hautbois voulurent se séparer de la corporation, mais un ordre du roi fit rentrer les dissidents au sein de la communauté. Les impôts, le manque complet d'ex- portation, les tracasseries étrangères firent de la corporation des luthiers et fecteurs la plus pauvre peut-être de France, mais elle n'en était que plus processive et plus acharnée à défendre ses droits, à tel point que, si le roi Louis XVI n'avait lui-même sou- tenu Sébastien Érard en le nommant son luthier particulier et en l'affranchissant par là du joug des maîtrises, jamais cet ou- vrier de génie n'eût pu apporter dans notre pays les trésors dont il enrichit plus tard l'industrie français. Aux Pays-Bas, les luthiers avaient compris aussi combien il leur était nécessaire de se rallier à une puissante corporation, mais ils surent habilement choisir le corps de métier auquel ils désiraient se joindre. Forcés d'orner de peintures leurs instru- ments, ne voulant pas être en butte aux réclamations des artistes enlumineurs, ils se firent annexer à la corporation de Saint-Luc, protecteur des peintres et des sculpteurs, et qui même ne dédai- gnait pas de regarder aussi les musiciens d'un œil favorable. Avant 1657, date de cette association, nous trouvons déjà quel- ques facteurs. En 1441, un Pierre Bogaerts, qualifié « faiseur de trompettes », était reçu bourgeois à Anvers, et nous lisons dans les comptes communaux de Bruges, de 1482, qu'un certain Sewood construisit quatre trompettes pour les ménestrels gagistes de cette ville. Il reçut de ce chef 4 livres 8 sols (1). Ce fut au XVI® siècle que la facture instrumentale prit aux Pays-Bas une réelle extension, mais les facteurs de ce pays s'appliquèrent par- ticulièrement à la construction des clavecins, et même cet instru- ment donne son nom à la corporation tout entière des faiseurs d'instruments, car dans les livres de bourgeoisie d'Anvers, nous voyons les luthiers de cette ville désignés sous la dénomination (1) Voyez Van der Straetkn ,?a Musique aux Pays-Bas avant le xix® siècle; Bruxelles, 1867-73. 5 voL în 8". INTRODUCTION. 27 générale de facteiws de clavicordes {Gïavieor'dmaker). C'est aussi vers cette époque qu'ils commencèrent à s'associer à la gilde de Saint-Luc ; en 1523, Josse Carest se fit agréer comme sculpteur et peintre de clavicordes; en 1550, trois antres facteurs se firent encore recevoir dans la communauté des pei;ntres, mais ce ne fot qu'en 1557 que l'incorporation des fectcurs de clavicordes fut définitive. Dix d'en,tre eux, à Anvers, se réunirent et deman- dèrent à faire partie de la gilde, et des lettres leur furent aipcor- dées le 2 mars 1558. La teneur de ces lettres était des plus sages^ et dans la réglementation du « chef-d'œuvre d, dan© l'obligation où étaient les facteurs de mettre leur nom. sur chateun de leurs ins- truments, dans les mesures prévoyantes prises en vue de l'avenir, on reconnaît le bon sens et l'esprit pratique qui distinguent en- core aujourd'hui les populations dn Nord et particulièrement les Belges. Du reste, ces artistes ne construisaient pas seulement des instruments à cordes, et les belles orgues du Brabant prouvent combien les quatre Eukers, tes Carest, les Couchet, etc.^ étaient habiles non-seulement dans la facture d,es clavecins, mais aussi dans la construction de ces instruments cwnpliqués qui deman- dent tant de science, de soin et d'art (1). Chacun sait jusqu'à quel point de perfection la lutherie fut pous- sée en Allemagne et en Italie, et il faudrait un livre pour retra- cer l'histoire de ces dynasties de luthiers qui se transmirent, de génération en génération, les secrets de leur art. Trop d^ouvrages ont traité à fond cette matière pour que nous y revenions à no- tre tour, mais nous aurions voulu, au moins pour ces deux pays, comme pour la France et les Pays-Bas, donner un rapide aperçu de l'histoire de ces corporations. Faut-il l'avouer ? les documents nous font défaut. Ces nations sont constituées trop nouvelle- ment, pour qu'il ait été encore possible de réunir les documents qui pourraient nous éclairer sur les associations ouvrières en Ita- he et en Allemagne, et force nous est d'attendre avant de pou- voir étudier avec soin cette* partie intéressaii^te de l'histoire ins- trumentale. Pendant le cours de ce travail, nous aurons plusieurs fois à (1)Db Burburb, Recherches sur lesfactewrs de clavecins et les luthiers â^ An- vers ; Bruxelles. In-18, et Bulletins de V Académie royale de Belgique^ 2* série, t. XV, 1863, p. 348. 28 INTRODUCTION. revenir sur les instruments du moyen âge, pour retrouver Fori- gine de quelques agents sonores qui, même encore aujourd'hui, tiennent dans la musique une place importante, mais il était né- cessaire d'esquisser en quelques traits le tableau de l'art musical pendant les siècles qui ont précédé la Renaissance et dont la tra- dition se retrouvera encore longtemps. Dans sa double marche, l'art instrumental suit le même courant que l'ensemble de la musique. Aux premiers siècles du mioyen âge, c'est l'élément re- ligieux qui domine ; l'Église préside aux plaisirs des fidèles et emploie les instruments dans les potopes sacrées et les représen- tations des Mystères ; dans la seconde période, l'élément profane qui, à la vérité, n'a jamais complètement perdu ses droits, fait chaque jour de nouveaux progrès, et lorsque s'ouvre le xvi® siècle, la révolution est définitivement accomplie. C'est là, dans l'art populaire et national, que nous devrons chercher les origines de notre orchestre moderne. Kous avons assisté ainsi à la naissance des familles d'instruments qui sont la base de tout le système ins- trumental des XVI®, XVII® et xvin® siècles et auxquelles, par un retour singulier, nous paraissons revenir aujourd'hui. Forts de ces deux principes, la prédominance de l'art populaire, et l'orga- nisation des familles sonores, établies d'après le registre des voix, nous pourrons nous diriger d'un pas moins incertain dans les chemins encore peu battus de l'histoire instrumentale. PREMIÈRE PARTIE LES INSTRUMENTS CHAPITRE PREMIER. INSTRUMENTS A CORDES. I. INSTEUMENTS A CORDES FROTTÉES. — VIOLES, VIOLONS ET VIELLES. Nous avons vu quel héritage instrumental le moyen âge avait légué à la renaissance. Lorsque s'ouvre le xvi® siècle, les instru- ments sont calqués sur les voix ; familles à cordes et à vent sont formées suivant un système logique, et, jusque vers le milieu du xvm® siècle, c'est d'après ce système que sont réglées toutes les combinaisons sonores. A part le tliéorbe> qui vint former la "basse des luths, peu d'instruments sont inventés pendant cette période, mais c'est dans les cinquante premières aimées du xviii® siècle que se constituera réellement le système instrumental moderne, et les masses d'orchestre aux timbres variés, aux proportions bien pondérées, dont nous nous servons aujourd'hui. Suivons chacun de ces instruments dans son développement maté- riel, tâchons de montrer par quelle filière ils sont parvenus jusqu'à nous, et, lorsque nous saurons quelles ressources les mu- siciens ont eu entre les mains, du xvi® au xix® siècle, nous pour- rons voir quel parti leur génie a su tirer de ces moyens d'action. Dans l'histoire de l'instrumentation, c'est le groupe des cordes que nous rencontrerons dès les premières pages. A peine en sor- tant du moyen âge nous voyons les femilles des violes et violons, ainsi que celle des luths , se former définitivement et tenir dans l'orchestre une place des plus importantes. Les violes surtout et leurs congénères surent résister au temps et à la mode, et nous pouvons suivre, jusqu'au moment même où nous écrivons, l'histori- que de ces instruments qui forment le fond et comme le squelette de nos orchestres ; aussi commencerons-nous l'étude matérielle des différents agents sonores par la description et l'histoire des violes 32 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. ■ et des yiolons, groupes si nombreux et si variés, en essayant, au- tant que possible, de les rapprocher, suivant leurs familles, de les réunir, d'après le principe acoustique qui a présidé à leur fa- brication, de chercher quelles causes ont fait rejeter par les mu- siciens des instruments autrefois très-employés, de voir en un mot comment s'est constitué le quatuor à cordes, véritable base de l'édifice instrumental. Pendant tout le xvi® siècle et jusqu'au milieu du xviii®, les instruments à archet se divisèrent en deux classes, les violons et les violes. Les caractères distinctife de ces deux familles n'ont pas toujours été définis avec une exactitude suffisante ; en eifet, avec peu de changements, les belles violes de Gaspard da Salo sont souvent devenues des violoncelles, et plus d'un violon sorti des^ ateliers de Crémone ou de Modène a dû* feire sa partie de dessus de viole dans les orchestres des xvii® et xviii® siècles, avant de prendre sa place dans la collection de quelque amateur contemporain. Quoi qu'il en soit, plusieurs différences permettent cependant de distinguer les deux sortes d'instruments. La viole , au son doux, au corps large, ainsi que le manche et la touche, tendant continuellement à augmenter le nombre de ses cordes, était bien l'instrument du passé, et ses sonorités molles devaient se marier à merveille avec les chœurs des cordes pincées qui fai- saient le fond des orchestres primitifs. Ses voûtes étaient presque insensibles, ses ouïes, le plus souvent en forme de ce, ou à une époque plus récente, enjQ^ mal dessinées, ses éclisses très-éle- vées, son cheviller qui se ressentait encore des hésitations du moyen âge, tantôt affectant une courbe élégante, tantôt imitant dss têtes d'hommes ou d'animaux, tantôt reproduisant les for- mes géométriques du triangle, de l'hexagone ou de l'ovale; voilà ce qui contribuait encore à distinguer la viole du violon. De plus, les touches marquées sur le manche et destinées à guider la main de l'exécutant inexpérimenté étaient pour elle un signe particulier de sa race. Quelquefois, à la vérité, on pouvait trou- ver quelques violes n'ayant pas de touches, mais pour le violon, la règle n'avait pas d'exception, et aucun, même parmi les plus anciens, n'en porte. Enfin, la différence de son diapason, son éten- due restreinte, " sinon dans la théorie, du moins dans la prati- que, et qui depuis la basse de viole jusqu'au pardessus était si IKBTBUMENTS A OOBBES. 33 favorable à raccompagnement des voix, tout rendait cet instru- ment précieux à des musiciens peu habiles, chez lesquels le be- soin de sonorités accentuées dans l'orchestre des cordes, se fai- sait à peine sentir. Le yiolon au contraire, plus sonore, plus dur peut-être que la Tiole, mais plus puissant, appartient à l'ère nouvelle de la musi- que, ère dans laquelle les compositeurs exigeront des sonorités plus éclatantes et auront besoin de trouver dans les instruments toute l'échelle des sons, du plus grave au plus ai^. Au lieu de tendre à augmenter ses cordes, la famille du violon les dimi- nuera, laissant aux exécutants le soin de se suffire avec un petit nombre dont la sonorité sera en raison directe de l'étendue du registre de chacune. Le chevalet est moins large que celui de la viole, mais plus élevé ; au lieu de se rapprocher du cordier, il tend vigoureusement les cordes à la hauteur de l'âme; le man- che étroit et rond appelle la main et se prête à toutes les diffi- cultés du démancher. Les touches ont disparu pour laisser le champ libre à toutes les fantaisies de l'artiste. Dans les instru- ments anciens, l'archet restait encore semblable à celui de la viole, mais nous le verrons, à partir de Corelli, perdre sa forme recour- bée en arc, pour acquérir la souplesse et la vigueur que nous lui connaissons aujourd'hui. Bref, à voir ainsi le violon svelte, élégant, dégagé, on peut facilement reconnaître l'instrument de combat qui tiendra toujours le premier rang dans les grandes luttes de l'orchestre. Si le violon a fait depuis longtemps négliger la viole, il ne faut pas oublier que c'est à elle que revient le droit de priorité et que son heureux antagoniste est lui-même un dérivé de la &mille des violes. C'est donc sur l'histoire de la viole qu'il convient d'attirer d'abord l'attention du lecteur. Au commencement du xvi® siècle les instruments à cordes du moyen âge existent encore presque sans transformation. Les variétés du genre viole sont infinies et l'historien se perd au milieu de la multitude de noms qui dési- gnent des instruments semblables. Cependant nous pouvons en- core, avec l'aide de M. de Coussemaker, dont l'autorité en matière b. d'histoire musicale est si grande, distinguer deux groupes (1). (1) GOUSSBMAKEB, Essai sur les instruments de musique au moyen âge. An- nales archéologiques, t. III, IV, V, VI, VII, VIII, IX, XVI. 3 34 HISTOIRE DB L'mSTBUMElïTATIOK^ Le premier type, le plus ancien du moyen âge, porte le nom gé- nérique de gigim. Dans ces gigues, le manche n'est autre que le prolongement du corps sonore qui, s'amincissant en forme dé cône allongé, permet au musicien de saisir Tinstrument. Dans le second groupe. Tiennent se placer les violes proprement dites. Leur manche est complètement séparé du corps sonore et n'est plus pour ainsi dire qu'un accessoire de l'instrument. La forme lourde et embarrassée des gigues les condamnait à disparaître aussitôt que les progrès de la musique donneraient à l'exécution instrumentale plus d'agilité et de légèreté. Aussi ne les trouve-t-on dans le xvi® siècle que comme une protestation dU moyen âge contre les innovations de l'ère nouvelle $ cependant^ si les spéoimens que noUs rencontrons dans Agricola sont peu nom- breux, du moins peut-on constater que la famille était complète et que l'on écrivait encore pour la gigue. C'est en Allemagne prin- cipalement qu'elle était m honneur et elle semble avoir tenu le premier rang dahs ce pays, puisqu'elle a donné son nom au violon moderne (Geige) bien après que l'instrument primitif était oublié. » Agricola(l), en 1545, décrit la famille complète de lagigue.Il dis- tingue Id distant' Oeigèy le réchi diècant Oèige, le ténor Geige sem- blable à la viole avec un manche très-court, le bass Geige da broc- cio pareil à un petit violoncelle à manche court aussi. De cette fa- mille, le soprano seul subsista-. Il se fondit avec l'ancien rebec et ne resta plus en usage que pour les maîtres à danser> jusqu'à la fin du XVII* siècle, époque à laquelle ce pauvre et dernier débris d'un instrument qui avait été célèbre Jpendant tout le moj^nâge disparut devant la pochette ou soprano de violon. On l'appelait aussi sourdine, probablement à cause du peu de bruit qu'il produi- sait. Mersenncy en 1636) noustdonne un dessin de la gigue discant nommée par Agricola linterculus à cause de sa forme qui rappelle celle d'une petite barque. L'instrument est ovale et sans échan- crures, comme une grande partie des violes du moyen âge, le corps et le manche ne font qu'un, ce qui est le cai-actère dis- tinctif de la gigue, sa touche est large et exagérée au point de couvrir la moitié de la table; le chevalet posé près du cordier. (1) Agricola (Martin), Musica instrumentons Germanica; Wittemberg, G. Rhaw, 1546, in-8'. (Rare.) INSTRUMENTS A CORDES. 85 les deux ornes principales sont en forme de ce, La gigue d'Agri- cola n'a qu'une ouïe, mais celle de Mersenne qui paraît plus complète en a deux, plus une troisième près de la touche en forme de cœur. Nous n'aurons plus à reparler de la famille des gigues, mais nous ne pouvions omettre une viole dont l'importance historique est très-grande et qui marque si bien la transition des vieux ins- truments du moyen âge à ceux d'une forme plus moderne. De toutes les violes proprement dites, ce sont les graves, dési- gnées en général sous le nom de violes da gamba (de jambe), à cause de la façon dont l'exécutant les tenait, qui sont les plus nombreuses et les plus connues. Ce sont elles aussi qui ont résisté le plus longtemps aux progrès de la famille du violon, mais les soprano, alto et ténor n'ont pas dans l'histoire des instruments une place moins importante. Dans l'étude de cette belle et inté- ressante famille, comme dans tout le cours de ce travail, nous désignerons les différents instruments de l'aigu au grave, contrai- rement aux habitudes musicales. En effet, si dans la musique, il est logique de prendre des parties graves pour base de toute énu- mération d'accords ou d'intervalles, l'histoire d'un autre côté, nous démontre que les instruments aigus, qui devaient le plus souvent doubler les voix, furent les premiers inventés, les plus en usage et les plus nombreux et on ne commença à multiplier les basses que lorsque, grâce aux progrès de la musique, les instruments graves devinrent indispensables à l'harmonie moderne. Lorsque la chifonie à roue prit définitivement le nom de vielle ou vièle, ce mot qui avait désigné en général tous les instruments à cordes frottées, eut son sens spécial et celui de vtoïe s'appliqua particulièrement aux instruments à archet. Longues et sans échancrures, quelquefois même sans chevalet, si j'en crois les représentations figurées, les violes primitives s'étaient peu à peu transformées ; le chevalet avait pris à peu près sa place normale, les touches se dessinaient sur le manche pour faciliter l'exécu- tion et ces touches devaient rester jusqu^au milieu du xviii® siècle. Vers le xiv® siècle les échancrures s'accentuèrent encore davan- tage, l'instrument se tint presque sur l'épaule et souvent les ouïes étaient au nombre de quatre. On peut voir plusieurs curieux modèles de ce genre à la Bibliothèque nationale dans le beau ma- 36 HISTOIRE DE L INSTRUMENTATION. nnscrit des Minnesinger. Enfin^ an xv* siècle, la forme moderne de la viole se laissa voir de plus en plus, les échancrures furent décou- pées, quelquefois jusqu'à l'exagération, modèle dont on voit encore des exemples intéressants au xvi®. Ce n'est qu'à cette époque cependant que sous l'influence des grands maîtres luthiers, la viole perdit ses formes capricieuses pour en prendre de plus propres aux lois de l'acoustique et de la bonne sonorité. Ce ne fut pas sans combat que ce changement s'opéra, etBi nous voyons en 1530 dans la marque de rimprimenr Aporinus à Bâle, une viole qui, à part le cheviller, a une tournure toute moderne, Martin Agricola en 1545 en décrit nue familk coinplète qui se rapproche infiniment plus du moyen âge que de la renaissance. Dans ce groupe l'instrument est extrêmement échancré, il b, un cheviller renversé comme le luth, quatre cordes et trois ouïes, une ronde coinme la rose de la guitare au milieu, et deux dans la par- tie supérieure. Le chevalet manque, ce qui pourrait peut-être s'ex- pliquer par la grande échancrure des côtés, et l'atchet est très- recourbé. Le manche porte six touches pour le discant et la basse, sept pour les autres. Cet exemple est loin d'être unique, et en 1542 Luscinius (1) avait déjà donné la figure d'une cheVifa avec neuf cordes et neuf touches dont les côtés sont très-courbés et qui res- semble beaucoup 4 celles dessinées par Agricola. Nous la retrou- vons encore dans le curieux frontispice de Prœtorius (2) sur lequel nous aurons à revenir plus d'une foià, et une gravure de Martin de Voss (fin du xvi®*) nous montre une viole de ce genre. Ces instruments s'accordaient de la manière suivante : Supériu». ÂMus. in: :ci: -'€*- :ck: xi: Ténor. Bassus. ^ xs: X3: X3 :ci: (1) Luscinius (Ottomarus}, Nachtin^cUl Musurgîa «et* Praxis musicœ; Ar- gentina,.... Schott, 1542. Pet.in-4® obi. (2) Prabtorius (Mich.), Theatrum tn5le et en divise les différâtes espèces d'a- près cet accord, mais au milieu de cette nombreuse nomenclature, il n'est guère facile de définir, avec exactitude,, chacun des objets qu'elle désigne. Dans les familles de violes, il est à remarquer que les dessus varièrent peu de forme ; seul le nombre des cordes et l'accord changea, mais il n'en est pas de même pour les basses. Ces grands instruments, au son doux, mais peu puissant, soutenaient mal la basse de l'harmonie et se.laissaien.t facilement couvrir par la masse de l'orchestre ; la constante préoccupation des musiciens des XVI® et XVII® siècles fut de soutenir les basses que les instru- ments à cordes pincées rendaient peu propres à renforcer avanta- geusement les voix et à appuyer les niasses harmoniques. D^ là ces tâtonnements, ces recherch^s constantes poui: enrichir les basses d'orchestre, de là aussi le grand noijibre de différentes violes grar V€>s dont les congénères aigus n'existent pas. Agricolai divise les violes en trois seri.es;. la première espèce est montée de cinq cordes pour les dessus et la taille, et de six pour la basse ; la seconde, dit-il, est garnie de touches comme les guifs? tares, le dessus en a cinq, la haute-contre et la basse quatre, enfin, dans la troisièiue le dessus et la basse portent ^i^ touches, tandis que la haute-contre n'en a que quatre. Malgré ces distinctions, le théoricien ne paraît pas tenir à ces touches, car il conseille aux musicieiiis de les faire sauter avec un couteau et de jouer d'oreille. L'écrivain ajleinand a négligé de nous donner l'accord de ces di- vers instrument^,, mais u;d, musiciei^ espagnol, Ganassi del Fon- tego (1), a comblé en partie cette lacune et voici, d'après lui^ l'accord des violes italiennes qui avaient sept cordes et. sept sil- lets , ce qui, entre parenthèses, nous donnerait une quatrième (1) G-ANÂ88I DEL FoNTEOO, Regola Eubertim; Venise, 1642 et 1543. In-^*" oblong. 38 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. espèce de viole si nous voulions prendre à la lettre la division d'Agricola : Violettes ou dessus. Ténor et alto. c^ a — ■■ n •.^ ^ r^ ^ ^^ C-fc I ■^ ^-' c^ ' O 1 4^ XSI Basse. 1 • (.V o ■ ' 1 • ^¥ v^ 1 y «.^ 1 é^ Les instruments du registre aigu ou moyen se jouaient en général sur les genoux, Tarcliet renversé. Deux seulement, la viola da spalla et la viola da braccio- semblent, par leurs noms, avoir été destinées à être jouées sur Tépaule. Dans le manuscrit des Minnesinger , les musiciens tiennent leurs instruments tantôt posés sur la poitrine, tantôt sur Tépaule; d'autres monuments, parmi lesquels le manuscrit des Échecs amoureux^ exécuté au com- mencement du XVI®, nous montrent des violes jouées sur les ge- noux, quelques-unes, conime la viola da Iraçcio semblent appar- tenir au registre grave ou au moins intermédiaire puisque Ce- rone (1) dit de \9i,vihuela da braccio, qu'oifrant nxoins de ressource que la viole de gambe pour l'accompagnement des voix, c'était ce dernier instrument qui la remplaçait avantageusement dans les concerts. Au commencement du xvii® siècle , lorsque Ceretto (2) écrivit son traité, les violes étaient accordées : le ténor et l'alto une quinte au-dessus de la basse, et le soprano une quinte au-dessus des deux voix intermédiaires. Elles avaient de trois à six cordes. Bien des musicologues ont écrit que Mauduit, musicien du temps de Henri IV, avait ajouté une sixième corde à la viole, mais je ne puis savoir en quoi consiste l'invention de Mauduit, puisque bien avant lui, nous avons vu les violes grandes et petites montées déjà de six cordes et même plus. (1) CERONEy El Mdopeo y Maestro; Naples, Gargano, 1613. In-fol. (2) Ceretto, Ddla prattica musicale^ vocale e strumerUale ; Napoli, 1601. Iii-4«. INSTBUHENT6 À CORDES. 39 Dessus. Alto e\ ténor. m cr g Basse. & x>: m 3a: CPest dans cet état qne les violes, restèrent jusqu'à la fin da içYii® siècle (1)._ Puis Irientôt, snr le point d'être remplacées par les violons, elles ne servirent pins en générai qne ponr les parties de remplissage. Bnmey noii^. a donné l'accord d,es violes de son tengips : i x:i. Dessus. i X3: s?c I Ténqr ou viole de bras. xi: d Basse. ^ XX xs: De cette nombreuse fanulie^le pardessus de viole fat celui qui disparut le dernier'^ les dames l'avaient pris en affection. En 1757 M"® Levy était célèbre comme virtuose sur le pardessus de viote (2)^ et VAlmanach musical de 1783 indique encore l'adresse d'un maître pour cet instrument. Paxmi les violes graves dont les congénères aigus ne semblent pas avoir existé^ il en est une particulièrement qui doit attirer notre attention. Suivant Prœtorius c'était une sorte de ténor de la basse de gambe ; elle était moins longue que celle-ci et sem- blable au violon, mais plus longue et elle avait trois ouïes. Outre cette viole il faut noter encore la If/ra ou lirone remarquable (1) SiîfPBON (Christophe), Chdys Minuritî composa pour deux trompettes marines trente-six petits morceaux, qui firent partie d'un recueil paru à Augsbourg et intitulé : Musica gênialis latino germanica. Corome nous avons pu le voir dans le cours de ce travail, le violon s'était plus d'une fois confondu avec la viole, mais, avant les grands maîtres luthiers, il n'avait pas eu par lui-même d'exis- tence bien distincte. On connaissait bien un petit instrument qui souvent servait de dessus aux violes, et que les Itahens appelaient rehecchino ; on connaissait bien aussi le rebec en France, mais, sans nul doute, cet instrument, si important de nos jours, serait resté obscurément confondu dans la foule des dessus de violes, s'il ne s'était pas présenté pour lui un phénomène bien rare dans l'his- toire des inventions humaines, mais auquel nous devons le roi de nos orchestres. Des ouvriers de génie surent, avant que personne songeât aux ressources qu'on pouvait tirer du violon, chercher et trouver, dans la pratique comme dans la théorie, les formes les plus favorables aux lois dé l'acoustique. Ils élevèrent la voûte de l'instrument, rapprochèrent le chevalet du centre delà caisse, dé- terminèrent la position et la longueur de la barre, la place de l'âme, rendirent le manche plus mince et plus élancé, fixèrent le nombre des cordes à quatre, enfin, firent sauter les marques d'intervalles qui déshonoraient les petits soprani de violes, et les rebecchini de- vinrent les violons. Mais, chose singulière, par une sorte de pres- cience des destinées futures de la musique, les luthiers avaient produit leurs admirables instruments bien avant qu'on fut capable d'en tirer parti. Du premier coup la lutherie était arrivée à sa perfection; non-seulement aucune amélioration n'a été appor- tée aux violons des vieux maîtres, mais encore, il est peu de fac- teurs, et des meilleurs qui aient pu les égaler ; si quelques-uns , comme Vuillaume ou Gand, par exemple, ont su construire des -sdolons digues des chefs-d'œuvre des maîtres, c'est en reprodui- IlïSl'EÛMENTS A COBDBS. 47 sant exactement leurs modèles et en ne faisant pour ainsi dire que des fac-similé. Les grands luthiers d'Italie et du Tyrol et leurs merveilleux instruments ont été trop étudiés pour que nous revenions sur un sujet tant de fois approfondi ; aussi nous contenterons-nous de ren- voyer le lecteur aux ouvrages qui trwtent de cette partie de l'his- toire de Tart, préférant nous arrêter plus longtemps sur des instru- ments moins connus et sur les particularités qui distinguent les instruments anciens, et surtout sxa les violons du registre grave qui ont .été l'objet d'études moins détaillées et moins connues (1). Malgré la perfection à laquelle les luthiers italiens avaient porté le violon, il fut longtemps avant de prendre sa place dans la musique de concert et dans la musique dramatique. Les musi- ciens du XVI® siècle semblent n'avoir compris ni son importance, ni le parti qu'on pouvait en tirer. Un seul auteur, Martin Agricola, paraît avoir pensé à un instrument se rapprochant du violon mo- derne, mais qui n'avait que trois cordes* Les cordes s'accordaient comme les trois dernières de notre violon ; ill'appelle petit violon sans sillet à trois cordes. Gerone (1613),* dans son bel ouvrage el Melopeo, est le premier qui ait daigné décrire en détail notre violon. Il dit (p. 103) que les rubebes et violons avaient dix-sept notes depuis le^ sol jusqu'au bfa mi (du sol au-dessus de la clef de fa au si de la première ligne supplémentaire de la clef de sol). On peut encore, ajoute-t-il, former d'autres sons, suivant l'ha- bileté du joueur. Nous verrons dans la suite combien les maîtres du XVII® siècle surent user du démanché, auquel l'auteur espagnol fait allusion dans ces lignes ; mais jusqu'ici, rien n'a pu nous faire découvrir que la facilité d'étendre 1^ registre du violon au moyen du démanché ait existé autrement qu'en théorie, avant la seconde moitié du xvii® siècle est le premier qui semble Mersenne avoir connu des virtuoses franchissant les bornes restreintes de la première position, lorsqu'il cite avec admiration, et considère « comme excellents violonistes maîtrisant bien leur instrument, (1) Nous avons déjà cité plus haut, en parlant des luthiers, les ouvrages qui traitent des violons ; nous pouvons indiquer encore, pour la lutherie moderne, les deux rapports de Fétis sur les expositions de 1855 et 1867, et les rapports de M. Gallay à ^exposition de Vienne pour les sections française et autri- chienne. 48 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. ceux qui peuvent feire monter chaque corde à l'octave par le moyen du manche. » Nous l'avons dit, à partir du jour où lés premiers maîtres lu- thiers firent leurs chefs-d'œuvre, le dessus de la famille des vio- lons atteignit sa perfection. Depuis, pltisieurs essais ont été tentés pour changer la forme de l'instrument et son mode de résonnance, mais, jusqu'à ce jour aucun n'a réussi. Nous ne passerons pas en revue toutes ces tentatives, depuis le violon trapézoïde, jusqu'au violon alto sans fond et avec deux tables, qui, par une singulière idée de l'inventeur^ était monté d'un côté en violon et de l'autre en alto; depuis le violon sans âme, jusqu'au violon sans barre; malgré l'intérêt que ce sujet présente, nous ne pouvons donner place ici aux tentatives ingénieuses de luthiers tels que Ohanot, Baud, Vuillaume, de savants tels que Savart. Nous renvoyons le lecteur aux rapports de l'Académie des sciences, au recueil des Brevets cPinvmtion (in*4% 1811»...), aux Rapports ds la Société éCencmiragement pour Vindvsirie naUonaU (in-é**, an XI...), aux comptes rendus des expositions soigneusement rédigés dans des revues spéciales (1). Ces instruments n'ont pas joué de rôle dans nos orchestres et ne peuvent prendre place ici, mais nous ne pouvons omettre de ci- ter deux soprani de violon qui ne laissèrent pas de jouir d'une certaine célébrité. Je veux parler de \b, pochette et du violinoptc- colo. Jusqu'au xviii® siècle, les maîtres de danse se servirent du soprano de gigue que nous avons déjà décrit. Mais vers cette époque, les membres de la famille du violon primèrent les violes et la' sourdine fdt remplacée par le soprano de violon qui lui en- leva jusqu'à son nom de pochette. L'instrument classique des maîtres de danse a depuis longtemps cédé la place au piano, mais peut-être est-il encore quelque vieil amateur qui a gracieusement (1) Voir aussi : Pontécoulant, OrganographU; Paris, 1861. 2 vol. in-S». — Lafagb, Quime visites à V exposition de 1866 ; Paris. Iii-8<*. — Fêtis, Rapport sur les instruments de musique à PExposition universelle de 1866, in-4<* et à celle de 1867. In-8<^. — Baud, Observ€ttions sur les cordes à instruments de musique tant de boyau que de soie ; 1804. In-8<>. -— Savabesse, Mémoire sur la fabrication des cordes d^instruments de musique ; Paris, 1822. — Savart, Mé- moire sur la construction des instruments à cordes et à archet ; Paris, Déterville, 1819. In-8o. ► INSTRUMENTS A CORDES. 49 dessiné des pas au son criard de ce petit violon. Clapisson, le charmant musicien auquel nous devons notre musée instrumen- tal, n'avait eu garde d'oublier la pochette, cette reine du menuet rocaille, et un jour qu'il en rencontra une, il fiit si satisfait de sa trouvaille, qu'il s'empressa d'écrire pour elle un solo dans l'en- tr'acte du 2® au 3® acte des Trois Nicolas qu'il composait en ce moment. Vers 1760, on imagina de faire des violons plus petits que le patron ordinaire, et on les monta une quarte plus haut, en leur donnant ainsi pour accord. w ■^ Cet instrument n'eut qu'une vogue passagère; cependant plusieurs compositeurs allemands, Kraus, Dales, Pfeiffer, Foers- ter écrivirent de la musique de chambre dans laquelle on en- tendit une partie de violino piccolo (1). Si le violon subit peu de transformations, il n'en fut pas de même de l'archet que les grands maîtres avaient laissé dans l'é- tat où ils l'avaiçnt trouvé. Jusqu'au milieu du xviii* siècle, cet auxiliaire indispensable du virtuose conserva sans grands chan- gements la forme d'arc qu'il avait au moyen âge. Ce fut Corelli qui le premier s'aperçut des inconvénients que présentait cette disposition de la baguette, et, à partir de ce grand maître, il est curieux de suivre les différents progrès de l'archet. Peu à peu, la baguette du violon et du violoncelle perdit sa courbe, se redressa, puis dessina une nouvelle courbe dessinée dans le sens contraire à celui de la première, pour donner enfin à l'archet la forme que nous lui connaissons aujourd'hui. Pour resserrer les crins relâ- chés, on avait déjà inventé au xvm® siècle la vis de pression, mais il fallut attendre le commencement de ce siècle pour que l'archet pût arriver à sa perfection. Tourte, qui dans une spécia- lité aussi restreinte que la fabrication des archets, sut acquérir une réputation universelle, acheva les perfectionnements com- mencés. Avant lui, la fantaisie seule réglait la longueur de la (1) n ne faut pas confondre le violino piccolo avec les due violini piccoli alla /rancese marqués dans la partition del'Or/eode Monteverde. Ces instruments paraissent n'être autre chose que les violons. 4 50 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. baguette^ il la fixa entre 74 et 75 centimètres pour le violon, à 74 pour l'alto, à 72 et 73 pour le violoncelle. Voici comment Fé- tis résume les autres perfectionnements de Tourte : « Il empê- < cha le crin de se rouler, au moyen de la vii'ole qui termine la <£ partie supérieure de la hausse, compléta son perfectionne- a ment par la lame de nacre dont il couvrit la partie de crin qui c repose sur la hausse, et qu'il maintint par la virole. On appela « ces archets à recouvrement Grâce à une coupe heureuse de la baguette, il augmenta la fermeté du bois (1). i> L'accord du violon paraît avoir en général subi peu d'altéra- tions. Mersenne, Bonanni, Laborde nous donnent toujours sol, ré, la,mi. Cerone lui-même, dès 1613, indiquera, la, m» pour son vio- lon tricorde. Cependant, sans changer l'instrument et pour avoir de nouveaux timbres, on eut l'idée en Allemagne et en Italie de disposer quelquefois l'accord d'une façon différente à la fin du xvn® siècle et au xviu®. Le violon s'appelait alors discordé^ {versUmmte VioUne), Au commencement du xvni®, un violo- niste nommé Pritsk écrivit trois sonates où la chanterelle était accordée en fa et en mi alternativement. LocateUi employa aussi cet artifice, et pendant 15 ou 20 ans, il fut de mode de discorder le violon. Une méthode pour accorder de différentes manières est indiquée dans un traité anonyme, publié à Augsbourg en 1759, sous le titre de Ritdmmta Panduriatœ. L'auteur indique les moyens d'exécuter les passages en tierces dans l'espace d'une oc- tave ou d'une neuvième sans changer la position, en accordant trois cordes à la tierce l'une de l'autre. On peut voir dans un ar- ticle de Fétis (Gazette mtmcale, 1839, page 267) les titres de quelques morceaux écrits pour violon discordé. Pugnani et Viotti firent disparaître cette mode, mais de nos jours Paganlni, pour obtenir plus d'éclat et de brio et pour varier le timbre, haussait son violon d'un ton et déplaçait ainsi les effets de cordes à vide. Quelquefois aussi, pour faciliter l'exécution dans les tons trop chargés de dièzes et de bémols, il peut arriver que l'artiste hausse pu baisse l'accord général d'un demi-ton. La partition du Pré aux Clercs, présente au 3^ acte (p. 337) un curieux exemple de (1) V. FÉTIS, Biographie^ au mot Tourte, — On peut consulter aussi un bon chapitre sur Tarchet dans le livre de M. A. YidaL tKSTBUMEKTS A CORDES. 51 ohangement d*aocord. Voulant obtenir de l'alto auquel il confiait la mélodie un effet de coloris étrange et sombre^ Hérold fit des- cendre la corde ut au ei bémol. M. Saint Saens, dans la Dame Macabre, partition exécutée eu 1875 , a fait descendre d'un demi- ton, l'accord de la chanterelle du pretiiier violon solo. L'instru- ment est donc accordé en eol, ri, la, mi bémol. Dans ce morceau nous ferons remarquer en passant l'effet étrange et original des deux quintes sur les cordes à vide de l'instrument. Pour les instruments graves de la famille des violons, la dis- tinction fut loin d'être aussi nett^ aussi tranchée que pour les té- nors et les dessus. Laborde et bien d'autres après lui ont dit que c'était le père Tardieu, de Tarascon, qui avait inventé le violon- celle au commencement du xvni® siècle. Mais si celui«€i le per* fectionna et lui donna sa forme définitive, il n'en est pas moins vrai que nous trouvons, avant le père Tardieu, de véritables violoncelles, à quatre cordes, à la voûte] bien accentuée, auxjjT* nettement dessinés. Mersenne, en décrivant le violon et sa fa- mille, nous donne dans ses planches une basse qui semble copiée sur un violoncelle absolument semblable au nôtre. Déjà, vers la fin du XVII® siècle, le mot vioîoncelBe rencontre fréquemment. Ce- pendant ce fiit à partir du xyiii® qu'il se sépara tout à &it des autres basses de violes. Il avait cinq cordes à cette époque, ut bourdon, sol 2% ré 3*, la 4® et ré chanterelle. Une quinzaine d'années plus tard, les virtuoses étant devenus plus habiles, on fit sauter la chanterelle ré que le violon rendait inutile et l'ac- cord du violoncelle ftit définitivement fixé à celui que nous lui connaissons. Le violoncelle vint prendre sa place à l'orchestre de l'Opéra en 1725, entre les mains de Baptistin. Nous verrons en étudiant les progrès de l'orchestre quelles luttes il eut à sou- tenir contre les violes à cordes multiples et à son doux, mais nous ne pouvons passer, sans les citer, ces quelques lignes des Observations écrites en 17ô7 qui sont comme le demior bulletin de victoire de cette longue bataille musicale (1). « La seule « basse de viole, est-il dit, a déclaré la guerre au violoncelle qui a « remporté la victoire et elle a été si complète que l'on craint « maintenant que la fameuse viole, l'incomparable sicilienne, ne (1) Observations sw la Musique, les musiciens et les tn«£r«men<«; Amsterdam, 52 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. « soit vendue à quelque inventaire à un prix médiocre et que « quelque luthier profane ne s'avise d'en faire une enseigne. » Lorsqu'on jette les yeux sur l'ensemble de la famille du vio- lon, une anomalie se présente. La contrebasse, le violoncelle et l'alto par leur accord et leur diapason se correspondent symé- triquement, mais il n'en est pas de même du violon. Aucun ins-- trument dans le quatuor n'est accordé à son octave inférieure, bien des fois on a tenté de remplir cette lacune^ aucun essai n'a réussi. Cependant nous avons dans ce genre quelques instruments à citer qui paraissent avoir été destinés à compléter le système des violons, en théorie du moins, car en pratique le besoin d'un complément ne se fait pas absolument sentir. Au premier rang il faut citer le violoncelle piccolo pour lequel J. S. Bach a écrit souvent des parties importantes. Les contemporains de J. S. Bach parlent peu de cet instrument, mais M. Gevaert (1) suppose que l'accord devait être : ♦ m <^- ce qui ferait du violoncello piccolo un véritable violon à l'octave basse. M. Fétis dit que ces petits violoncelles étaient une quarte plus haut que le violoncelle ordinaire et se trouvaient par consé- quent former l'octave du violonpiccolo, mais la supposition de M. Ge- vaert nous paraît plus probable. Cet instrument fat en vogue, de 1720 à 1770à peu près, mai&à cette époque il disparut des orches- tres. Un article du célèbre musicologue donne la liste des morceaux composés pour le petit violoncelle, mais elle est incomplète et il ne paraît pas avoir eu connaissance des nombreux passages dans lesquels Bach l'employa (Eevm musicale, 18^5, t. xv, p. 152). Plus nous descendons les degrés de l'échelle des instruments à cordes, plus^nous trouvons de variété dans la forme, l'accord, le nombre des cordes, des gros violons contre-graves. La difficulté de l'exécution, la recherche de la sonorité vigoureuse, si nécessai- res aux parties graves de l'orchestre, telles sont les oauses de ces 1757. — Voir aussi Leblanc (H.), Défense de la basse de viole contre les entreprises du violon et les jtrétentions du violoncel; 1740. In- 12. (1) Gevaert, Traité général d'instrumentation ; Gand, Gevaert, 1864. INSTRUMENTS A COEDES. 53 changements. Avec Gaspard de Salo, la contre-basse se dessine déjà nettement à côté des grandes violes que nous avons passées en revue. En 1619, Praetorius cite des grandes violes de jambe, qui ne sont pas sans rapport avec la double basse ou contre- basse proprement dite, et qu'il appelle gross contrabass getg (à cinq cordes). A travers les documents du xvii® siècle, on peut suivre les traces de l'instrument en AUenfiagne et en Italie où il porte le nom de contraviolme. M. de Burbure cite différents ex- traits des comptes des dépenses d'églises à Anvers, dans lesquel- les la contre-basse est signalée : « Ep 1636, Maître Daniel, lu- « thier, construit une contre-basse avec son étui pour la chapelle « du Saint-Sacrement à la cathédrale d'Anvers. — Théodore « Verbruggem, luthier et instrumentiste, construisit en 1641 une « contre-basse pour le grand jubé delà cathédrale. — Pierre Parlon « ou Barlon construisit, en 1747, une contre-basse pour la cathé- « drale d'Anvers (1). » Cependant, ce ne fut qu'au momeAt où les musiciens eurent besoin de sonorités très-puissantes que le rôle de la contre-basse commença réellement. On en entendit d'abord une sonner timide- ment à l'orchestre de l'Opéra dans VAlcyone de Marais, en 1706, et à partir de 1716, elle prit à ce théâtre sa place définitive (2). C'est au nom de Todini que se rattache le souvenir de la contre- basse à quatre cordes. Cet habile artiste en jouait et bientôt on sentit la supériorité de cet instrument sur l'archi-viola et la lyra qui ne soutenaient que mollement le son et ne marquaient pas suffisamment le rhythme qui, s' accentuant de jour en jour, avait besoin d'être nettement indiqué dans .les parties graves de l'or- chestre. La contre-basse fut d'abord accordée en soly ré, la, sol et sol, si, ré, sol. (1) BuRBURB, Recherches sur les facteurs de clavecins et les luthiers cP Anvers depuis le XVI^jusqu^au XIX^ siècle, in-8o et dans les Bulletins de l'Académie royale de Belgique, 2® série, t. XY, 1863, p. 348. (2) M. Th. de Lajarte dans son Catalogue de la Bibliothèque de V Opéra et après lui M. Ad. Jullien ont soutenu que la contrebasse n'avait fait son apparition à l'orchestre de l'Opéra que dans \&q fêtes de Vété de Montéclair en 1716. La petite partition oblongue d'Alcyone dont le privilège porte : achevé d'im- primer le 20 janvier 1706, indique en tête de la tempête : violons, basse de vio- lons, cow^reôïwse, bassons, et basse continue. Le doute n'est donc plus possible. 54 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. 1 lEs: et en XX ^. Bientôt, les violoncellistes, ne trouvant pas toujours d'emploi, se rejetèrent sur la contre-basse, dont ils enlevèrent une corde pour faciliter l'exécution. Il y avait eu aussi, en Italie, des contre- basses à cinq cordes, mais elles furent peu en usage. Ce fut en 1829 que la contre-basse à quatre cordes, dont quelques vieux modèles étaient restés à la chapelle du roi, fut remise en hon- neur en France. Eossini en avait demandé l'emploi pour le S^e de Corinthe et Grouffé acheva la révolution en perfectionnant l'instrument. Cependant, la contre-basse à trois cordes a encore des partisans, et Bottesini (1), dont personne ne peut nier la compétence, semble la préférer de beaucoup à celle à quatre. L'ac- cord a varié de la façon la plus capricieuse. Tantôt on l'accordait de quinte en quinte, comme aujourd'hui, tAtôt de quarte en quarte. S^ basse. m (accord actuel). s* basse. 3 ÏT X5" Quelquefois même on fit descendre la oorde grave jusqu'au mi bémol et au ré. De nos jours, même, l'accord est loin d'être fixe et si on indique : 3t xs: xs: (1) Bottesini, Grande méthode complète de contrebasse in-fol.; Parisk, Es- cudier, 1869. INSTRUMENTS A CORDES. 65 pour la contrebasse à quatre cordes, et pour celle à trois, on en trouve encore en et en m ssr et les partitions de Beethoven, qui font d^cendre cet instrument jusqu'à Yut grave au-dessous de la portée de la clef de fa (par exemple, dans l'orage de la Symphonie pastorale) y peuvent faire supposer qu'à une certaine époque, des contrebasses auraient été montées de manière à donner réeUement ce contre ut grave, hypo- thèse admise par Berlioz dans son Traité d^ instrumentation et, après lui, par quelques écrivains spéciaux, La puissante tension des cordes de cet instrument nécessita un appareil de chevilles spécial. A l'Opéra, le travail de l'accord au moyen de chevilles montées à cliquets, était une opération longue et difficile qui se faisait avant la représentation. Mais lors- que Bachmann (Berlin, 1776.) appliqua la vis sans fin à cet ins- trument, la diffi,culté disparut en partie. L'invention de Bach- mann se répandit rapidement : cependan.t, M. Wekerlin dit avoir vu en Allemagne des contre-basses à simples chevilles. Il n'y a pas ji^qu'à l'archiet de la contre-basse qui ne se soit ressenti de tontes ces variations. Tandis qu'on adoptait pour les autres violons, l'archet moderne, les contre-baissistes se divisèrent en deux camps ; le plus grand nombre prit l'archet droit et court, mais d'autres conservèrent et conservent encore, particulièrement en Angleterre et en Italie,, le vieil archet en forme d'arc de Dra- gonetti ; cet archet paraît en effet plus commode pouf l'attaque ^ du staccato, mais d'après Bottesini, it a le défaut d'étouffer le son, et l'archet moderne, dont se servait cet habile virtuose, pa- raît devoir être préféré définitivement. Cependant il est bon de 56 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. constater que Tarchet à la Dragonetti est encore assez en uÉage en Belgique et en Allemagne (1). Enfin, cet énorme instrument, dont Mattheson a dit en 1713, dans son Orchestre dévoilé : « Ce doit être une besogne de cheval de tenir entre ses mains ce monstre pendant trois ou quatre heu- res, 3> a failli grandir encore. Au xvii® siècle on vit des contre- basses monumentales qu'on traînait avec des chevaux, dans un concert curieux dont nous raconterons les péripéties, et de nos jours plusieurs tentatives ont été faites pour augmenter les pro- portions de la basse. Le plus connu de ces essais, est celui de Vuillaume ; on peut lire dans les Comptes rendus de Lafage que j'ai déjà cités, la description détaillée de l'octo-basse exposée en 1855. Cette double contre-basse était armée (armée est le mot) d'un pédalier pour faire mouvoir l'archet et un système de pattes en fer remplaçait la pression des doigts. L'invention est fort in- génieuse, l'octo-basse, que chacun peut voir au Musée du Con- servatoire, est un objet curieux dont l'utilité pratique est nulle. Les basses de l'orchestre sont assez puissantes pour n'avoir pas besoin d'un registre contre-grave, et tout nous fait supposer que la contre-basse qui a suffi à Beethoven, à Eossini, à Mendelssohn, à Meyerbeer, à Berlioz, à Wagner suffira longtemps encore aux futures générations de compositeurs. Il est encore ime sorte d'instruments dont le mode de vibra- tions est analogue à celui de l'archet. Je veux parler des instru- ments à cordes frottées au moyen d'une roue et dont la vielle est le spécimen le plus connu. Dès le commencement du xvii® siècle, les musiciens et les facteurs cherchèrent à tirer parti de la roue pour construire des instruments nouveaux. En 1610, un nommé Hans Huysen imagina un clavicymbalum , mis en vibration au moyen de six roues recouvertes de parchemin et enduites de co- lophane. Des clavecins à roues de toutes sortes eurent une grande vogue en Allemagne sous les noms de geigen werlc, gei- gen instrunmity geige clavicymbel, etc. Us furent aussi très-ré- (1) Voir pour la contrebasse, Cœcilia, t. ÏV, p. 228. (Ed. 1826.) — Eevue musicale de Fétis, 1827, t. I,p. 468 ; 1827-28, t. II, p. 195 j 1829, t. V, p. 169 et 171. Gazette musicale, 1834, t. I, p. 220 j 1860, t. XVII, p. 116. — Notice sur la contrefasse, publiée par J.-B. Wekerlin (^Bulletin de la société des composi- teurs, n»» 5 à 8, p. 257.) INSTRUMENTS A CORDES. 57 pandus en France, et Mersenne en décrit quelques-uns qui ré- sonnaient au moyen d'une seule roue. Depuis cette époque, les tentatives de ce genre furent nombreuses. UorchesirinOy îe pan^ bon (1810), la viaîa-cemhaîOy de Trentini, le sostenantepianoforte, lepîectro-euphon, le polypUctrmi (1828), etc., etc., sont encore des instruments semblables. Depuis qu'il existe des expositions in- dustrielles, il n'en est pas une qui n'offre au visiteur quelque piano-violon ou quatuor. L'anche libre a seule été l'objet de ten- tatives et d'expériences aussi nombreuses. Dieu me garde de con- damner ces instruments souvent fort ingénieux ; mais en écrivant ce travail , c'est l'orchestre que nous avons eu en vue, et tout ce qui n'y a pas joué un rôle est pour nous d'un intérêt tout à fait secondaire. En revanche, nous nous ferions scrupule de ne pas nous arrêter quelques instants sur la vielle. Au moyen âge comme à l'époque de la renaissance, elle a joué son petit rôle à l'orchestre, elle a joui d'un moment d'éclat et, il y a cent ans à peine, elle fai- sait encore les délices des concerts. Elle est pour nous comme une relique d'un temps qui n'est plus. Aucun instrument ne rappelle mieux que la vielle les plus anciennes traditions du moyen âge. L'emploi de la roue, le bourdon, la trompette semblable à celle de la trompette marine, tout en elle nous ramène au temps de la dia- phonie. Un des plus anciens modèles connus de la vielle se trouve reproduit parGerbert d'après un manuscrit de Saint-Biaise du XI® siècle. Le célèbre chapiteau de Bocherville nous montre comment on jouait de cet instrument qui portait le nom à'Orffa- nistrum. Deux personnages le tiennent sur les genoux ; pendant que l'un tourne la manivelle, l'autre semble appuyer les doigts sur les touches. Mais l'âge glorieux de la vielle ou chifonie sont les xii^ et xin® siècles. Alors elle accompagnait le comte Thibaud de Champagne soupirant les doux lais d'amour aux pieds de la reine Blanche, et les ménestrels de vielle étaient en grand nombre et en grand honneur. L'instrument (Sambuca rotata) était orné avec tout le luxe possible, on y peignait des armoiries et blasons, et la manivelle était de fer poli, d'argent ou même d'or, enrichie de pierreries. Nous lisons dans le roman d'-4fea;ant?re le Grand par Alexandre de Bernay : L'un tient la vielle, l'arçon fut de saphir. 58 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. Cette mode dura jusqu'au xv® siècle, mais, à cette époque^ la chifonie ftit abandoimée aux mendiants. C'est aussi dans ce siè- cle que les mots mêle et chifome eurent chacun un sens défini. Ghifonie désigna la vielle proprement dite, vièîe ftit réservée aux violes. La « lyra mendicorum d ftit ainsi en discrédit jusqu'au mi- lieu du XVI® siècle où ^ elle parut revenir en faveur. On s'en ser- vait pour Mre danser, et aussi pour exécuter des morceaux de concert. Dans ce dernier cas^ on retirait le chevalet mobile ou trompette dont le bourdonnement persistant n'était utile qu'à la danse. Bien que la vieUe soit citée dans Praetorius, il ne semble pas que son succès ait continué pendant longtemps, car le Père Mersenne, en décrivant cet instrument, ajoute : « Si les hommes « de condition touchaient ordinairement de la symphonie ou n vielle, elle ne serait pas aussi méprisée qu'elle est, mais elle « n'est touchée que par les pauvres, et particulièrement par « les aveugles qui gagnent leur vie avec cet instrument........ » Laroze, célèbre chanteur et joueur de menuets, et Janot, sous Louis XIV, la remirent en honneur vers 1701. La vielle de Laroze était à peu près la même que celle des ménestrels du xiii® siècle ; carrée, avec trois cordes et une trompette qui écrasait les sons. Mais dès qu'elle ftit revenue en faveur, les luthiers s'ingénièrent pour la perfectionner et l'embellir. Bâton, luthier à Versailles, fit des vielles avec des corps de guitare [et ajouta au clavier le mi plein et le fa d'en haut en 1716. Puis, en 1720, il monta ses viel- les avec des cordes de luth et de théorbe. Plus tard, Louvet, luthier à Paris, ajouta le sol d'en haut, et alors la vielle fiit con- sidérée comme un instrument de concert, et tellement prisée jus- qu'à la fin du xviii® siècle, que les plus grands personnages ne dédaignèrent pas de s'en servir. Les Baptiste composèrent des trios et des duos pour elle. Danguy et Bâton fils se firent remar- quer comme virtuoses sur la vielle ; enfin Terrasson écrivit une apologie de la vielle dans laquelle il déduit gravement les raisons qui font considérer cet instrument non-seulement comme le plus excellent, mais encore comme le premier qui ait été inventé et le père de tous les autres (1). Tant d'heur et tant de gloire de- (I) « Quoi qu'il en soit, ne croyez pas, Mademoiselle , qu*«n examinant Tori- « gine et les progrès de la vielle chez les Grecs et les Romains, j'aye trouvé a de grands secours dans Hérodote, Thucydide, etc. Ne croyez pas non plus INSTRUMENTS A OOBDES. 59 yaient exciter Tenvle^ aussi voyons-nous quelques discordances malignes se glisser dans ce concert de louanges, c Je me garde- n rai bieu, dit un autre auteur^ de passer sous silence la musette rs c\ — '^ IQIZZCi: .\^. m x-i — n ^w ^ En France on en ajoutait une cinquième ; on se servait de cet instrument pour les courantes, les voltes et autres chansons et danses françaises. Bientôt, pour rapprocher la mandore du luth dont elle était le diminutif, on lui donna treize cordes disposées par paires excepté la chanterelle. En général, le nombre des cordes était de dix pour six. ■^ — ^- __ _ Q Ci ^ ^__ 1 On l'appelait aussi luthé, elle portait sur son manche neuf touches, de demi-ton en demi-ton, elle avait un pied et demi de long, et • même lorsqu'elle n'était montée que de quatre cordes, on y voyait six chevilles pour l'ornement. L'accord que nous avons cité plus haut était dit accord de quinte en quarte ; mais quelquefois aussi on abaissait d'un ton la chanterelle et on appelait cet accord à corde avalUe, Enfin une • autre sorte d'accord, appelé, en tierce, consistait à faire descendre la chanterelle d'une tierce mineure. Il est probable que de tous ces accords l'exécutant choisissait celui qui convenait le mieux à son habileté et au ton du morceau. « Encore, dit Mersenne, que la ce mandore n'avait que quatre cordes, on fait quasi dessus tout ce « que l'on fait sur le luth, dont elle couvre les concerts à raison « de la vivacité et de l'aigu de ses sons qui pénètrent et préoc- <( cupent tellement l'oreille que les luths ont de la peine à se faire « entendre. » La mandoline, plus aiguë encore, était le soprano de la fa- mille. On en distinguait deux espèces, la napolitaine e t la mi- lanaise. C'est la première qui est la plus connue, et celle dont nous nous servons encore. Elle avait quatre rangs de cordes dont la plus élevée était en boyau, les autres en boyau filé d'argent, elle eut une grande vogue pendant le xviii® siècle. Je n'ai pas ÏÎÏSTRUMEirrS A CORDES. 65 biBSoîn àe rappeler quel usage Mozart en a fait dans Don Juan. En 1783, six maîtres de musique enseignaient encore cet instru- ment à Paris. Le nombre de ses cordes n'a pas changé, tel il était au temps de Laborde, tel nous le retrouvons aujourd'hui, monté à l'unisson du violon : i 3Cizz:nL «^> ris '^- ■cr Le théorbe vint au commencement du xvii® siècle cœnpléter la famille des luths. Destiné, comme nous l'avons dit, à renforcer les basses, il ne diffère du luth que par ses dimensions, par quelques cordes de plus et par son double manche. On peut voir dans les planches de Mersenne comment le second manche était accolé au premier. Le théorbe fut inventé à • Kome par un certain Bar- della ; il resta plusieurs années sans sortir de l'Italie. Mais bien- tôt sa réputation se répandit. Nous lisons dans le livre de M. Van- derstraeten, que nous avons déjà cité (1), une curieuse corres- pondance de l'ambassadeur de Brabant à Rome, avec le duc son maître» Ces lettres, que nous sommes heureux de signaler au lec- teur, ne témoignent guère en faveur de la générosité des ducs de Brabant, mais elles prouvent que des pays les plus éloignés on envoyait à Rome de bons musiciens pour étudier l'instrument nouveau sous les meilleurs maîtres. D'Italie, le théorbe passa en Allemagne d'abord, puis en France. « Le théorbe, que les Romains « appellent chittarone, dit Praetorius, est une basse de luth avec « douze ou seize cordes. Les Romains avaient d'abord mis six « paires de cordes, puis les Padouans en ajoutèrent deux et bien- « tôt ce nombre s'augmenta encore; du reste c'était Padoue qui « avait la réputation pour la facture des théorbes. » L'accord de l'archi-luth était : ^ ^F^"^ X 3 O ^^' (1) Van der Straeten, la Musique aux Pays-Bas; Bruxelles, 1867 à 1872. 2 vol. in-8o. 5 6G HISTOIBE DE L'INSTRUMENTATION. Malgré la description détaillée de Mersenne, le théorbe parut ne pas avoir été très-répandu en France avant la seconde moitié du XVII® siècle, car Scarron « ouït toucher les cordes d'un théorbe, « instrument dont le nom n'est pas connu de tout le monde. y> Maugars, dans ses lettres (1), nous dit le sens précis des mots théorbe et archi-luth : « Il n'y a aucune différence de l'archi- ve luth d'avec la thuorbe, sinon qu'eux (les Romains) font monter « la seconde et la chanterelle en haut, se servant de la thuorbe « pour chanter et de l'archi-luth pour toucher avec l'orgue, avec « mille belles variétés et une vitesse de son incroyables. » La famille du luth ainsi complétée dura jusque vers 1730, mais à cette époque elle fiit peu à peu abandonnée et la mandoline seule en- resta en usage ; cependant le monde n'a pas encore tout à fait désespéré du luth. Un facteur en exposa un en 1855, et en 1861 un certain Bannert et Bonnert, virtuose de la chambre du duc Maximilien de Bavière, fit entendre à Paris dés morceaux qu'il avait composés pour cet instrument. Le genre guitare différait du genre luth, par le dos plat de l'instrument, par son cheviller droit ou légèrement incliné en dedans, le nombre de ses cordes et le genre de l'accord. La gui- tare paraît nous être venue d'Espagne par les Maures, et c'est vers le xn* siècle que nous trouvons les premières traces de son usage en Europe. On distinguait au moyen âge la guitare moris- que et la guitore latine. L'époque la pluâ brillante de la guitare ftit le XVI® siècle. Dans la a La manière de iien entoucher les lues et les guiternes » nous voyons qu'à cette époque la guitare, plus fa- cile d'exécution, avait presque supplanté le luth. « Ainsi demeure, « la vielle pour les aveugles, le rebec et la viole pour les méné- « triers, le lue et la guiterne pour sa plus grande perfection ; « duquel on usait en mes premiers ans plus que de la guiterne, « mais depuis 12 ou 15 ans en ça^ tout le monde s'est mis à gui- « temer je ne sais quelle musique et icelle beaucoup plus aisée « que ceUe-là du lue, comme vous diseiit les Grégeois. » On ne s'attendait guères à voir les Grégeois en cette affaire, mais la vé- (1) Maxjgabb, E^xmse faite à un curiettx sur te sentiment de la musique d'Italie, 1'* édit. 1639. In-8®. NouveUe édition. — Maugars, célèbre joueur de viole, par E. Thoinau ; Paris, Claudin, 1866. In-8°. — Maugars, Discours sur la musique d'Italie et des opéras, Lyon, 1698, Paris, 1697. In-8o» INSTRUMENTS A OORDES. 67 rite du fait principal avanoé par Fauteur anonyme est confinnée par Texistence des nombreuses méthodes et publications qui da- tent du milieu du xvi® siècle. Les deux ouvrages les plus anciens sur l'art de jouer la guitare sont écrits en espagnol, ils ont pour titre : Lihro de Muska de vihuela de manoy intitulado El Maes- tro.... Compuestopor don Luys Milan ; Valence, Fr. Diaz Romano, 1535, in-fol., et Libro de Musica de vihtiela, intitulado Silva de Sirenas... Compuesto jpor Enriqusz de Valderràbano ; Valadolid, Fr. Femandez de Cordova, 1547, in-foL Un' autre traité de la guitare se trouve au fol xci de Touvrage aussi rare qu'intéres- sant de J. Bermudo : Declaracion de instrumentas; Osuna, J. de Léon, 1555, in-fol» — Les premières guitares n'avaient d'abord que quatre rangs de cordes et la chanterelle était simple. Au temps de Mersenne, elle en avait cinq et quelquefois la chanterelle était double : CT Dzzxy =1=: ^^^ n y ^ r ^Q ^'^ r i — rs c'fc -n j Dans l'accord de cet instrument la cinquième corde était ac- cordée un ton plus haut que la troisième, genre d'accord particu- lier à la guitare et au cithre. Pour obtenir cet accord on cherchait d'abord le ton de la 3® corde et le troisième degré de cette corde devait être à l'unisson de la cinquième à vide ; on accordait en- suite la quatrième avec le quatrième degré de la deuxième, puis la chanterelle avec le troisième de la quatrième. On voit que nos pères avaient bien raison de dire, en parlant d'un caractère difficile « c'est une guitare, il ne peut jamais s'accorder » ; après une courte apparition dans l'orchestre la guitare était un peu tombée en défaveur au xvii® siècle, mais au commencement du xviii® un maître de guitare, nommé Campion, perfectionna l'instrument et indiqua un grand nombre d'effets nouveaux dan^ sa méthode inti- tulée : Nouvelles découvertes sur la guitare , contenant plusieurs suites de pièces sur ?mit manières d'accorder, Paris, 1705. Bientôt les chanteurs de salon, Jeliotte, Berardet, Lagarde mirent de plus en plus la guitare à la mode. Le luth avait disparu, et les artis- tes ayant « trouyé commode de ne chanter qu'à demi- voix », le 68 HiSTontE DE l'instbumentation. timbre doux et flattenr de la guitare leur avait fait choisir cet instrument de préférence au clavecin. A partir de ce jour la gui- tare jouit pendant près d'un siècle de la plus brillante faveur. La- borde dans sa description (1780) lui donne une étendue de qua- tre octaves^ d'après lui elle a six touches et cinq cordes dont qua- tre doubles. Son accord était : 11 o: En 1801, un luthier de Paris, Maréchal, ajouta la sixième corde mi. Cette corde fut d'abord laissée de côté, parce que pour elle on était obligé de changer le doigter auquel on était habitué, mais on ne tarda pas à trouver un nouveau doigter, et alors l'engouement pour la guitare ne connut plus de bornes. On l'orna, la choya, la transforma. Les Romains et les Grecs étaient à l'ordre du jour, il fallut faire de la guitare un instrument antique, se donnant des airs de lyre. On peut voir au Conservatoire celle qui fat offerte à Fabry Garât, le frère du chanteur et chanteur lui-même. C'est tout simplement une guitare à laquelle on a ajouté les .branches de la lyre. Entre les deux branches passe le manche qui soutient les cordes. Certes, cetînstrument, qui ne manque pas d élégance, devait faire bon effet croisé avec l'épée sur le cœur du galant mé- nestrel, mais il était absolument impraticable. Outre que le son se perdait dans les branches supplémentaires, le doigter de la main gauche était devenu impossible. On ne peut se figurer jusqu'à quel point cet instrument charmant échauffa l'imagination des luthiers. On vit au commencement de ce siècle des guitares à deux ou trois manches, la harpolyre de Salomon (1828) etc., etc., jusqu'à des guitares en papier mâché fabriquées vers 1808, par un certain Eichter (1). Enfin, elle revint à sa forme primitive et on connaît son accord écrit en clef de sol, une octave au-dessus du ton réeL i rw (1) Archives desd€COuveH€S;'Panaj Treuttel et Wurtz, 1809 à 1839îin-8o,t. I, p. 379. INSTRUMENTS A CORDES. 69 On sait quelle vogue elle obtint jusqu'en 1840. Elle consacrait le succès. Un morceau n'avait tout son prix que lorsqu'il avait été arrangé, dérangé, défiguré pour la guitare. Qui sait si en cher- chant bien on ne pourrait pas trouver dans un coin de biblio- thèque quelque réduction pour gi?|tare, de la symphonie en ut mineur ? Il faut dif e, pour être juste, que de brillants virtuoses, Garulli, Moretti, Garcassi, Âguado, Sor, Huerta avaient fait de la guitare un véritable instrument de concert. Cette mode dura jusqu'au moment où, le mal s'aggravant, le pi^o. est veni; dé- trôner la reine de la romance. Mais tréye de plaisanteries, d'au- tant plus que la guitare, comme tous les instruments à cordes pincées, possède des effets charmai^ts,.une étendue considérable, des sons harmoniques d'un timj)^e angélique et qu'on en peut tirer un excellent parti. MaUieureusenjent. la faiblesse de ses sons, le manque de justesse rendent dans l'orchestre l'emploi de cet ins- trimient assez difficile.. Aussi ne le trouvons-nous que pour accompagner les sérénades, comme dans le Barbier de.Sémlh et dans Don Pasquale, Dans la troisième espèce d'instruments à cordes pincées on peut ranger en général ceux d'origine allemande, qjii^ tiennent égale- ment de la guitare, et du luth comme la pap,dore et lecithre. Praetorius réunissant la uia^ndore et la mandore dans i^i seul paragraphe donjae à leur nom ijne étymqlogie un peu naïve. « Elles « appartiennent,^ dijb-il, à la clpse des Mandurischen instrument, *L forte quia manu com'prçhendi et tractari possunt. », L'oi:phearion, la bandore ipventée d'après Hajwjdns, par un Anglais, John Rose, vers la fin du xyi® siècle, étaient à peu près semblables, à la pan- dore. La faniille de celle-ci était con^lète, mp-is elle ne fut jamais très-rép^pdue en France^ C'était une sçrte de li^th à dos plat et festonné, ainsi que la table. Elle avait eu d'aboj'd quatre cordes, puis treize de deu^ en deux, puis eAfin,. du temps de Mersenne, elle était montée et accordée conipae le luth. A cette époque elle n'était déjà pour ainsi dire plus en usage. « Quoique cet instru- « ment soit fort agréable, dit-il, et qu'il ait^,des:résonnapcesplus « longues que celles du luth, à raison des cordes de laiton qui « tremblent plus longtemps. Mais on se blesse plus aisément les « doigts de la main gauche à cause de la dureté des cordes en a laiton ; puis les cordes de boyau ont le son plus doux et plus l 70 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. « charmant, mais elles ne tiennent pas aussi longtemps leur « accord. La touche de cet instrament est un peu échancrée vers « le bas, du côté des cordes de laiton. Le chevalet est collé obli- ge quement, afin que la chanterelle puisse monter plus haut, quoi- « qu'il soit plus à propos de le faire droit, autrement les touches « ne seront pas justes sur toutes les cordes qui sont d'airain. » A partir de Mersenne nous trouvons encore quelques traces de la pandore, mais cet instrument disparut peu à peu et n'était pres- que plus en usage au xviii® siècle. Le cistre ou cithre, ou cithare , ou guitare allemande est plus connu et eut même en France son moment de vogue. Sa famille était riche et nombreuse. Il avait le corps sonore plat , mais imi- tant l'ovale du luth, sans les festons de la pandore. Cerone, en 1613, lui donne sept cordes. M -^ ^^ €> Chacune de ces cordes avait l'étendue d'une douzième. Nous reproduisons avec Praetorius le tableau de la famille des cithares employées au commencement du xvii* siècle. 1** La cithare commune, à quatre paires de cordes. Elle était, c< ilUberabile, mtoribus et sartonbus usitatum instrumentum. » 2^ La cithare à cinq cordes accordées de trois façons. 3° La cithare à six paires de cordes à accord très-variable. 4** La grande cithare à six cordes, double de la troisième. 5" La grande cithare basse à douze cordes « d'une résonnance si vigoureuse qu'on croyait entendre un clavicymbel. A Prague, à cause de la beauté de ses sons, on l'appelait Dominictùs. Elle était presque aussi grande qu'une basse de viole. » Ce dernier instrument portait comme le luth un double man- che d'une forme particulière et chargé de cordes. Kircher dit qu'il ne différait du luth que par ses cordes en métal et parce qu'il se jouait avec une plume. Il était plus usité en Allemagne et en Italie qu'en France et les Italiens, qui lui avaient donné jusqu'à dix rangs de cordes, l'accordaient autrement que les Allemands et les Français. INSTRUMENTS A CORDES. 71 Accord français-allemand. Accord italien (à 6 rangs). 1 o cv ■^ JCC XX ■43- xs: -o- :o: D'après les italiens. Cithre à dix rangs. •rf- •^^ ■"" 1©— ET § XAi— ô- -Gt—^ iaaik^o: La cithare fort répandue, a,u comnvencement du xvii® siècle, tomba tout à fait en défaveur. D'après Hawkins, on ne s'en servait plus que dans les boutiques de barbier ; mais, vers 1760, un certain Pollet la rem.it à la mode en France et écrivit plusieurs morceaux pour cet instrument. Les œuvres de Pollet eurent du succès ; celui qui à cette époque donnait le ton au boA goût, M. de Bouf- fiers, s'en allait, conime dit Kousseau, a: jouaillant du cistre ; » tout cela donna à l'instruni^ent un^ vogue de quelques années, puis il retomba dan^ le domaine de l'archéologie. Pour tous ces instrumerybs on en^ployait un mode de notation qui fut en usage jusqu'au milieu du xviii® siècle,, c'est-à-dire au moment où les instruments à cordes pincées disparurent pour la plupart. Je veux parler de. la tablature dojit la connaissance est absolument indispensable à qui veut bien connaître la musique des xvi^ et xvii® siècles. Le mot tablature semble être à lui seul synonyme de tojates les difficultés mjisicales. Mais il en est des mots conxme des bâtons de la fable, et, vue de près, la théorie de la tablature est loin de' présenter d'insurmontables difficultés. On donna d'abord le nom de tablature au système entier de la musique, et c'est dans cette acception que le mot signifiait la chose la plus embrouillée du monde, puis son sens fut restreint au tableau que présentait l'étendue des instruments, puis plus particulièrement à l'orgue et aux instruments à cordes pincées, mandoline, mandore, luth, théorbe, guitare, pandore et cistre ; parmi les violes , on usait de cette notation pour la lyra. L'or- gue avait aussi, comme les premières épinettes, une tablature spéciale, mai$ ce n'est pas ici le lieu de l'expliquer. Lorsqu'on voulait écrire une pièce de luth ou de guitare en tablature, il fallait d'abord bien connaître le manche de l'instru- 72 HISTOIRE DB L'INSTEUMEKTATION. ment et son accord. On traçait sur le papier autant de lignes qu'il y avait de cordes dans Tinstrument ; sur ces lignes on plaçait des lettres qui correspondaient aux touches du manche sur lesquelles il fallait poser les doigts. A représentait la corde à vide, B la première touche, et ainsi de suite jusqu'à K. Les touches se sui- vaient de ton en ton pour le luth, de demi-ton^en demi-ton pour la guitare. Chacune de ces lettres représentait donc une note. Sur les lignes, à la place de l'armure et des clefs, on mettait le signe indi- quant la mesure, puis au-dessus des lignes, étaient écrites des valeurs rhythmiques , marquant le temps que devait durer cha- que note ou chaque accord. Lorsqu'un seul signe rhythmique se trouvait sur plusieurs lettres ou groupes de lettres, les notes ou les accords devaient être répétés à temps égaux entre eux jusqu'à un nouveau signe. Comme la tablature la plus employée était de sept lignes, et que, comme on l'a vu, le théorbe et même le luth avaient un nombre de cordes supérieur à sept, on obviait à cet in- convénient au moyen d'un certain nombre de petits traits qui, placés au-dessus de la lettre -4, indiquaient quelle corde devait être pincée (presque toutes les cordes, marquées en dehors de la tablature étaient aussi en dehors du manche et par conséquent pincées à vide). Outre ces lettres, on employait aussi des chiffi'es,. des points et des signes pour les traits et les nuances. La lettre traversée d'un trait signifiait souvent des agréments, comme le trembUrmnty martellement , verres cassés et battements, hep mar- quait qu'il fallait exécuter le passage avec le pouce. Le point ou les points servaient aussi au doigter. Cette tablature, qui est celle du plus grand nombre de pièces de luth du XVII® et aussi du xviii® siècle, fut réglée par Adrien Leroy vers 1574 et devint rapidement d'un usage général (1)^ mais elle n'était pas la seule; on distinguait encore les tablatures alleman- des par lettres et par chiffres et de plus on avait appliqué aux batteries de la guitare un procédé d'abréviations dont on faisait fréquemment usage. La vieille tablature allemande, dont Virdung (1511) et Agri- cola nous donnent des exemples, n'avait pas de lignes. La partie de dessus ou chantante était notée sur une portée; pour les cor- (1) Voir aussi Fleui'y, Méthode de théorbe, ia-i.^ obi., 1660.' nrSTHUMENTS A CORDES. 73 des inférieures, rintonation et la durée avaient chacune un signe particulier, une lettre pour l'intonation, et un signe pour la durée. Pour les silences on retranchait la lettre en laissant le signe de durée. Les Allemands conservèrent ce genre de notation assez embrouillée pendant près d'un siècle et en 1552,1558, 1562, 1574 et 1586, on publia encore des recueils de luth ainsi notés. Pour chiffrer la tablature, on employait en Allemagne, les chiffres 1 à 5, et le 1 Surmonté d'une petite barre indiquait la corde à vide ; des signes de mesures semblables à ceux de la^^tablature par lettres marquaient les durées. Dès 1509, les Italiens avaient inventé une tablature par chif- fres assez commode et écrite sur des lignes. Contrairement à la notation française, la première ligne était réservée aux cordes basses et même lorsque, plus tard, ils adoptèrent la tablature de Leroy, ils continuèrent à écrire en un sens contraire au nôtre. Dans les premières années du xvi® siècle, ils avaient écrit sur les lignes supérieures les parties aiguës , mais, cinquante ans après, ils changeaient ce système contre celui que nous venons de mentionner. Voici les noms des six lignes de leur tablature : Bosso Bordone Tenore Sottino Mezsana Canto On écrivait sur ces lignes les chiffres qui indiquaient sur quelles touches il fallait mettre les doigts. L'ordre de ces touches étant fixe et l'accord du luth étant déterminé d'avance , on arrivait fe- cilement à savoir le sens de chaque chiffre. était la corde à vide; 1, le premier demi-ton, etc. Une + indiquait la répéti- tion du même son. Kestait à marquer la durée des sons. Une barre verticale était l'unité de mesure. Traversée de une, de deux, ou trois barres horizontales elle signifiait, comme les queues de nos croches,, doubles croches ou triples croches, la mi- nime la semi-minime, la comma, etc. On se servait aussi des points qui avaient la même valeur que dans la musique ordinaire, et on répétait le même rhythme tant que le signe n'était pas changé. Comme on employait pour la guitare un grand nombre de batte- ries dont les formules étaient connues, on se servait en Espagne et 74 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. en Italie d'un antre genre d'abréviations. Les Italiens indiquaient les accords par leur note initiale au moyen d'une lettre majus- cule depuis A jusqu'à ; les Espagnols usaient des chiffres dans le même but. Une seule ligne de lettres ou de chiffres était toute la tablature. Seulement pour marquer le rhythme des batteries, ils tiraient une ligne, et des traits verticaux indiquaient le genre de batterie. On trouve quelques exemples de cette sorte de tabla- ture ; Pierre Million fit imprimer ainsi un ouvrage à Rome en 1624, dit Mersenne, et Ambroise Colonna usa du même procédé dans son livre qu'il publia à Milan en 1627 (1). « Quoique son al- « phabet harmonique soit un peu plus long et qu'il soit différent « en quelques accords de celui de Million, comme tous les deux « sont fort différents de celui du seigneur Rouys qui a mis la ta- <( blature française sous la sienne, quoiqu'il n'use que de nombres « pour exprimer ses chansons que l'on peut voir dans son livre « imprimé chez Ballard, en 1626. Or, il use de notes pour signi- « fier le temps de chaque accord , comme le fait aussi quelquefois « Colonna. Mais M. Martin, qui touche parfaitement la guitare, it la plus commode. On voit, comme nous l'avons dit, qu'il fallait bien connaître l'ac- cord de l'instrument pour exécuter la tablature. L'accord des ins- truments à cordes pincées et des luths en particulier était varia- ble, et de cette variété naissaient les difficultés pratiques' pré- sentées par la tablature. Vincent Galilée connaissait douze manières d'accorder le luth, qu'il appelle^(?sfe. Mais en France (1) La Bibliothèque nationale possède un curieux livre de guitare imprimé avec cette tablature ; il est intitulé : Marchbtti romano, il Primo Lihro cTitUa' volatura ddla chitarra tpagnola; Rome, 1660. Pet. in-8® obL — On peut voir encore une autre sorte^de tablature abréviative dans Brizeno. — Metodo mui facilisimo para aprender à tailer la quîtarra à la espagnolaj Paris, Ballard, J736.In-4oobl. INSTRUMENTS A CORDES. 75 on trouve quelquefois en tête des morceaux des indications d'ac- cord qui guident pour la tablature. La Bibliothèque nationale possède un livre de tablatures de luth recueillies par Brossard, dans lesquels l'accord est marqué. Tels étaient les principaux systèmes de tablatures employés depuis le xvi® jusqu'à la fin du xviii^ siècle. Que l'instrument fût viole ou luth, le principe était toujours le même. Cependant, la tablature, assez simple en théorie, était difficile à lire, et voici ce que dit à ce sujet Laborde dans ses Essais^ en 1780, au mo- ment à la vérité, où la tablature n'était plus d'un usage général, a: Gomme la tablature change suivant les différents instru- « ments qui ont plus ou moins de cordes et un accord différent, Praetorius cite trois sortes de harpes : 1** La harpe commune, ayant 24 cordes ou plus, et s'étendant du fa grave au la aigu. 1 ^^ 1 2° La grande harpe double avait les demi-tons. Chaque côté de la table d'harmonie portait un rang de cordes. Côté gauche §^ Côté droit m xt: I 3* Là harpe irlandaise, montée de quarante-trois cordes et dont la sonorité était fort agréable m jky. :o: Vincent Galilée (1) décrit en détail la harpe double qui, ré- cemment introduite en Italie de son temps, n'avait pas tardé ^ à jouir d'une grande vogue. Du côté droit, dit-il, étaient les (1) Galilbo (V.), Didlogo dellamusica antiquae délia 7nodernajlbSl, lin-fol, (P. 142.) INSTEUMENTS A CORDES. 77 cordes diatoniques^ à ganche les chromatiqnes. Dans le même pa<- ragraphe, Galilée indique le moyen d'accorder l'instrument et de s'en servir. La harpe de Mersenne avait trois rangs de cordes qu'on serrait avec une clef. Les vingt-neuf cordes du troisième rang étaient à l'unisson de celles du premier, et, comme aujour- d'hui, on se servait des mains pour étouffer le son. Malgré les moyens restreints de cet instrument, il se trouvait encore des mu- siciens pour en jouer, et le père Mersenne cite Fesle comme un excellent virtuose sur la harpe. A mesure que l'art instrumental moderne grandissait, que les instruments à cordes pincées tombaient en désuétude , les musi- ciens sentaient instinctivement de quelle utilité pourrait être la sonorité légère et harmonieuse de la harpe, le jour où elle serait susceptible de modulations. Aussi dès 1720, les efforts des facteurs tendirent-ils à donner à la harpe les intervalles qui lui manquaient. Le seul perfectionnement accompli du temps de Mersenne était d'avoir disposé les boutons qui tenaient les cordes de façon à ne pas altérer les résonnances, et on avait abandonné les harpions ou chevilles crochues qui les faisaient nazarder. Dès 1690, on ima- gina un système bien primitif, bien incommode, il est vrai, mais qui fut le point de départ de tous les perfectionnements qui firent de la harpe un instrument nouveau. Pour obtenir des demi-tons qui ne se trouvaient pas dans des cordes à vide, l'instrumentiste jouait de la main droite seule, et de la gauche attachait la corde à un cro- chet qui la raccourcissait d'un demi-ton. Ce ne fut qu'en 1720 qu'un luthier de Donawert nommé Hocbrucker, eut Tidée d'em^ ployer des pédales. Pour juger de l'effet de son invention, nous ne pouvons mieux faire que de citer un pasage de Van Blankenbourg, au chapitre premier de ses Ekmenta musica (1). « La harpe qui « n'eut point jusqu'à ces derniers temps de tons intermédiaires, « vient de sortir de son infériorité en permettant de rendre tous « les tons chromatiques aussi bien qu'un clavecin. Lorsque j'en- « tendis pour la première fois la harpe ainsi perfectionnée, je fiis « ébahi. M'étant approché du joueur, j'examinai l'instrument avec « des yeux d'aigle, mais sans parvenir à comprendre où gisait ce « mécanisme merveilleux. Enfin je lui demandai s'il était permis (1) Van der Straeten, 1. 1. 78 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. comme nous le prouve le chapiteau de Bocherville. On peut faire remonter l'origine du genre épinette ou clavicorde jusqu'au monocorde de Grùi d* Arezzo. A l'époque de ce théori- cien, les chevalets par lesquels on marquait les diiïérentes divi- sions dti monocorde devinrent fixes et il* fallut naturellement augmenter le nombre des cordes pour pouvoir comparer entre eux les intervalles. Bientôt, on mit les cordes en vibration au moyen de morceaux de bois et de languettes de cuivre, puis on aug- menta le nombre des cordes, et on forma ainsi le ^îavichordium, vers l'an 1300, suivant Fétis. La corde ébranlée par une lan- guette de bois ou de cuivre marque le premier âge du clavecin. A cette époque, le quânon et le psaltérion, dont on jouait avec des baguettes, étaient fort répandus et leur forme se prêtant à la (1) On peut citer dans PhiUmon et Baucis, de Gounod, un curieux emploi de piano, comme effet de coloria pendant la danse des bacchantes. INSTRUMENTS A CORDES. 83 transformation, on leur appliqua le tlavier et le système des lan- guettes. Les auteurs s'accordent à dire que d'après les premiers monuments qui en donnent la figure, le clayicorde était vertical, mais tout nous porte à supposer que la forme horizontale et car- rée, semblable à celle du psaltérion, était la plus répandue, et un splendide manuscrit de la Bibliothèque nationale, du milieu du XV® siècle, nous fait voir un clavicorde fort bien dessiné et qui est, à notre connaissance du moins, la plus ancienne représenta- tion de cet instrument qui existe dans les manuscrits. Il est posé à plat, et aflPecte la forme d'un psaltérion^ooupé par la moitié^ ou d'un demi-quânon, auquel on aurait ajouté un clavier et un jeu de languettes, très-visibles sur la miniature. Il n'y avait qu'une corde pour chaque son et le plectre de cuivre ou de bois était attaché à l'extrémité de la touche (1). Les défauts de ce procédé primitif ne tardèrent pas à le faire abandonner, et c'est alors qu'on eut l'idée de remplacer les lan- guettes de bois par des plumes de corbeau, vers la fin du xv® siècle. La date de l'invention des instruments dapenna, comme disent les Italiens, nous est indiquée à dix ans près par un pas- sage de Scaliger qui, rappelant dans sa Poétique des souvenirs d'enfance, parle d'un instrument qui l'avait beaucoup frappé lors- qu'il était âgé d'une dizaine d'années. « On avait ajouté aux plec- tres des pointes de plumes de corbeau qui tiraient des cordes d'airain une harmonie plus douce. Dans mon enfance on appelait cet instrument clavicymdalum et harpichordium, mais, mainte- nant, il a pris le nom d'épinetie à cause de ces pointes, sembla- bles à des épines (2). » La Eousselière en 1679, dans un curieux petit ouvrage où il expose un nouveau système de sautereau, pré- tend que le nom d'épinette vient de ce qu'en guise de plume, on s'était servi d'abord d'une « épine de plume coupée par la moi- tié (3) 3). Les becs de plumes firent bientôt trouver le système des saute- reaux, qui, à peu de changements près, fut celui qu'on employa pour les instruments à cordes et à clavier, jusqu'au moment (t) Jj Istoire de la conqueste du noble et riche Tkoison d'oTj Bibl. nat., Mes fr. 331, f° CXLV, verso ; in-fo. (2) Scaliger, Poettca, livre I, chap. XLViii. (3) La RoussEnàEE , Traité des languettes impériales pour la perfection du 84 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. OÙ le piano détrôna le clavecin. Voici succinctement en quoi consistait le mécanisme du sautereau. Les morceaux de plumes destinés à faire vibrer les cordes étaient fixés dans la partie su- périeure d'une pièce plate de bois appelée sautereau. Par l'ac- tion de la touche, dont le mouvement de bascule se faisait sur un barre de bois de tilleul, le sautereau s'élevait et s'abaissait en- traînant avec lui la plume qui grattait la corde et dont un petit ressort de soie de porc augmentait la solidité et en même temps l'élasticité; de plus une bande de drap, appliquée de chaque côté du sautereau, avait pour eflTet d'arrêter les vibrations de la corde. Ce système fut d'abord employé pour deux instruments diffé- rents de forme et de nom, mais procédant du même principe, l'é- pinette et le virginal. La caisse de Tépinette avait la forme d'un petit piano rectangulaire, comme si, prenant un des psaltérions du moyen âge, on l'avait mis dans une boîte en lui adaptant un clavier et un jeu de sautereaux. Le virginal ressemblait plutôt à une petite harpe. Employés à peu près indifféremment l'un pour l'autre, ces deux instruments farent très en usage depuis le xvi" siècle jusque vers le milieu du xviii®, mais ils semblent avoir plutôt convenu à la musique vocale et de chambre qu'à l'or- chestre. Pour jouer un rôle au milieu des masses sonores, il fal- Mt un instrument plus grand. On ne tarda pas à l'inventer et c'est alors que le harpsichorde vit le jour. Ce n'était autre chose qu'une amplification de l'épinette ou du virginal, suivant que la caisse était carrée ou affectait la forme d'une harpe, Galilée dans son Dialogo (1), dit en termes très-nets que le harpsichorde n'était qu'une harpe couchée à laquelle on avait appliqué le système de l'épinette^ Ce fut le femeux facteur anversois Hans Euckers qui, vers la fin du XVI® siècle, perfectionna le clavecin. Il le monta de cordes de cuivre pour les sons graves et de fer pour les sons aigus. En 1610 il donna deux claviers à ses instruments, comme dans l'or- gue, afin d'obtenir des nuances en faisant résonner trois cordes clavecin. Nouvelle invention présentée au roy, et à MM, de V Académie royale et à MM, de la musique du roy, Paris, 1679, 1 vol. iii-12. (1) Dialogo de Vicentino Gaiileif nobik Fiorentino, de la musica àntîçiua e delà modemay Fiorenza, 1581, 1 vol. in-f*>, p. U3. INSTRUMENTS A CORDES. 85 avec chaque touche d'un des claviers et une seule avec chaque touche de l'autre; de plus il adapta des genouillères pour chan- ger de ton et porta l'étendue de l'instrument à quatre octaves S!ut en uty en ajoutant quatre sons graves aux quarante-cinq qu'il avait déjà. Les planches de Mersenne nous donnent un davicym." bel à deux cordes par touches, la première 'étant moitié moins longue que la seconde et accordée à son octave. L'invention des deux claviers fut plusieurs fois reprise et notamment en 1824 par un facteur allemand. Blanchet, célèbre artiste français, créateur de la maison qui existe encore aujourd'hui, augmenta de quatre notes à l'aigu et de quatre au grave le clavier de Ruokers. Richard, fac- teur français, remplaça la plume par de petits morceaux de drap et, en 1668, Pascal TasMn se servit d'un , petit morceau de cuir au lieu d'une plume de corbeau. Il y eut aussi des clavecins ou harpsichordes verticaux, dans les- quels une baguette à tête recourbée, ajustée à la touche par une fourchette, allait (frapper les cordes dans le sens de leur position sur la table d'harmonie. Le son était plus fore et {dus plein. Un certain RigaH de Florence passe pour avoir inventé ces instru- ments en 1620, mais si le procédé de résonnancè était une inno- vation, à coup sûr la forme verticale n'était pas nouvelle, Lusci- nius, Praetorius nous en montrent dans leurs planches ; Vincent Galilée (1) en nous donnant un dessin de Yép^onium et du simi- cum, instruments analogues, les attribue aux anciens; dans un manuscrit du xv® siècle de la bibliothèque de Gand, cité par M. Van der Straeten, on trouve un clavicorde vertical à huit cordes. Outre l'épinette, le virginal et le clavecin, il existait aux xvi® et XVII® siècles, un instrument appelé ?»«w*!c(?r^«?netlongu^nent décrit dans Mersenne et dans le Dictionnaire de Trévoux (t. IV, p. 588). Voici cette description : « Cet instrument est fait en forme d'épinette; il a quarante-neuf ou cinquante touches ou marches et soixante-dix cordes qui portent sur cinq chevalets ; le premier est le plus haut, les autres vont en diminuant. Il y a quelques rangs de cordes à l'unisson, parce qu'il y en a plus que de tou- ches. Chaque chevalet en contient divers rangs et a plusieurs pe- tites mortaises pour laisser passer les sautereaux ornés de petits (1) 2>ia%o, pages 40 et 41. 86 HISTOIRE DE L'iNSTRUMENTATIONr. crampons d'airain qaî tonchent et poussent les cordes, an lieu do la plume de corbeau qu'ont ceux des clavecins et des épinettes. Ce qu'il y a de particulier, c'est qu'il y a plusieurs morceaux d'é- carlate ou de drap, qui couvrent les cordes depuis le clavier jusqu'aux mortaises, qui rendent le son plus doux et l'étouffent tellement qu'on ne peut l'entendre^ d'où vient que quelques-una le nomment épinette sourde ou mmiie. Aussi il est particulière- ment en usage chez les religieuses qui apprennent à en jouer et qui craignent de troubler le silence du dortoir. » Les bois de l'ouvrage de Praetorius nous montrent combien rhabitude de subdiviser les instruments pour en former des fa- milles s'était conservée aux xvi* et xvii* siècles ; il semble que le clavecin, dont l'étendue était déjà considérable, n'avait pas besoin d'être divisé en diflPérents registres : graves, moyens et aigus ; cependant le vieux théoricien ne nous laisse aucun doute à cet égard. Après nous avoir donné un grand cîavicymbel, d'une quarte plus bas que ïe ton de chœur (eino quart tieffer als chor*Thon), appelé aussi fliigel (aile), à cause de sa forme, il met sons nos yeux une épinette et un virginal au ton de chœur et une petite épinette octave. La planche suivante nous fait voir un clavicorde ordinaire et un clavicorde octave. Ce sont du jeste ces nombreuses divisions qui ont fait souvent prendre pour des instruments différents les membres d'une m toe famille, et, si Ton voulait absolument spécifier le sens de ces mots qui bien souvent sont employés les uns pour les autres, on pourrait dire sans trop s'éloigner de la vérité que cîavicordion, clcbvicfinbel et manicor-^ dion, désignaient les instruments graves, tandis que les mots vir- ginal et épinettes s'appliquaient aux instruxaents plus aigus. Ces clavecins qui se plaçaient sur des tables faites exprès, ou quelquefois même sur la première table venue, étaient d'un usage général. Les grands clavicordes, chefe-d'œuvre d'élégance et véri^ tables objets d'art, par les garnitures dont ils étaient ornés, étaient réservés aux riches, tandis que les gens de mince condition se contentaient de l'épinette et des petits instruments de ce genre. M. Van der Straeten a publié une pièce curieuse dans laquelle nous voyons Chapples-Quint enfant recevant à huit ans des leçons de manicordion d'un organiste de Lierre appelé Van Viven. Henri VIII possédait un beau virginal. Ce dernier mot ne vient INSTRUMENTS A CORDES. 87 pas^ comme on l'a evu, de la teine Elisabeth qni^ on le sait^ avait des préférences pour cet insfcrmnent, mais .du nom de la Vierge . dont il servait à accompagner les hymnes. En France il n'était pas moins répanda qu'en Angleterre^ et Marot, parlant des dames de son temps, se plaît à voir : Leurs doigts sur les épinettes Chantant sainctes chansonnettes^ Tous ces petits instruments forent à la vérité éclipsés par le grand clavecin ou harpsichorde^ mais ils ne disparurent pas sans combat devant le vainquem*. En 1636^ Mersenne place encore l'é- pinette au second rang dans la hiérarchie instrumentale, immé- diatement après le luth. Le clavecin lui-même fet, on le sait, bien longtemps en faveur, et même après l'invention du piano-forte, il fallut les perfectionnements d'Érard pour le faire oublier com- plètement. Le besoin de sonorité qui avait donné naissance aux instru- ments modernes, comme le violoncelle et la contrebasse, devait amener aussi une révolution dans la construction du clavecin. De plus, ce dernier instrument ne se prêtait en aucune façon aux mille nuances de l'expression et restait toujours froid et sec. Dès le XVII® siècle on avait cherché à donner au clavecin la fa- culté d'enfler ou de diminuer le son, c'est-à-dire d'être capable d'expression. En 1610 nous voyons Jean Haydn ou Hayden, né à Nuremberg dans la seconde moitié du xvi® siècle, inventer une sorte de clavecin à sons prolongés. Il publia une instruction sur la manière de jouer de cet instrument, intitulée Musicale mstrti- mentum reformatum (Nuremberg 1620, in-4:**, très-rare). L'em- pereur Eodolphe II accorda à l'auteur et à ses héritiers le privi- lège exclusif pour la fabrication et la vente de ce clavecin. On s'en servit dans un concert curieux donné à Nuremberg , et que nous décrirons plus tard. Malgré cette première tentative, c'est seulement* du commencement du xviii® siècle qu'il faut faire dater les efforts des facteurs pour chercher un mécanisme plus solide et surtout plus sonore et plus souple que celui des sautereaux. On eut l'idée de faire frapper la corde au moyen d'un marteau au lieu de la pincer ou, pour mieux dire, de la gratter 88 HISTOIEE DE L'INSTRUMENTATION. avec un bec de plume. La priorité de Tinvention des marteaux est encore discutée, et peut-être le marteau en fer du manicor- dion en avait-il donné la première idée. Quoi qu'il en soit, on s'ac- corde à considérer Bartholoméo Cristofori comme le premier qui ait pensé à substituer les marteaux aux sautereaux: Il fit connaître son invention en 1711, sous le nom de Gfravicenidalo col piano-forte, avec un système de marteaux suspendus au-dessus des cordes et poussés vers celles-ci par un pilote (1). En l^lfe^ Marins présenta devant l'Académie des sciences les plans de quatre instruments, qu'il appela clavecins à maillets. Marins dé- crivit lui-même ses procédés avec les plus grands détails (2). Presque en même temps Gottlob Schroeter, un Saxon, inventait un marteau qui se mouvait au moyen d'une S(n*te de goupille et qui était poussé vers la corde par Un pilplje perpendiculaire à la touche. Dans un autre modèle, l'inventeur avait placé les mar*- teaux au-dessus des cordes, mais son moyen ofi^it peu de solidité. Cependant son idée ne fat pas perdue et, en 1785, le facteur Hildebrand l'appliqua, et après lui quelques autres encore, au nombre desquels il faut compter Pope en 1827 et Bemhardt en 1840. Malgré l'ingéniosité de son invention, malgré l'approba- tion de l'électeur de Saxe auquel il avait présenté ses pro j:ets en 1721, Schroeter, manquant des ressources nécessaires,, dut aban* donner ses travaux. Ce ne fiit qu'en 1730 que Godefroy Silbermann, de Freyberg en Saxe, fabriqua les premiers pianos. Ils avaient d'abord la forme . de nos pianos à queue, et ce fut Frédéric, facteur d'orgues à Géra, qui fabriqua les premiers pianos carrés en 1758. En 1760 un ou- vrier de Silbermann, nommé Zumpe, apporta en Angleterre les procédés de son maître. Grâce à Americ Backer, facteur allemand^ grâce aussi à John Broadwood et Standart, la fecture des pianos fit de rapides progrès dans ce pays. Plus tard Stein eut l'idée de l'échappement simple, appelé mécanisme allemand. Dans ce mé- (1) Voir, pour l'invention de Cristofori, Giomale dei tiiterati éPItdlia (Ye- nîse, 1711, page 144) ] Tarticle est de Maffei. (2) Voir, pour l'invention de Marins, le recueil des Instruments et machines ap- prouvées par V Académie royale des sciences, 1716, n^" 172, 173, 174. — Le mé- moire de Marins, accompagné de dessins, se trouve dans les Machines et inven- tions approuvées par V Académie des sciences, t. III, in-4°, pages 83 à 91. _^ INSTRUMENTS A OOEDES. . 89 canisme le marteau retombe aussitôt que le pilote a décrit sa course eUiptiqu€f et laisse les cordes vibrer en liberté. En France, c'est Érard qui est véritablement le créateur de la fecture de pianos. Déjà nous avons vu l'invention de Marins, et l'on avait appliqué au clavecin le système des marteaux en 1770, mais c'est à partir de 1775, époque à laquelle Sébastien Érard vint avec son frère s'établir à Paris, que le piano subit les plus radicales et les plus utiles transformations. Les Érard construi- sirent d'abord des petits pianos à deux cordes et à cinq octaves; ils remplacèrent la baleine, employée en Angleterre pour les res- sorts, par des fils de cuivre. Leur invention n'eut pas un grand succès à l'origine, soit que les facteurs rivaux aient cherché à entraver les effortsjdes deux frères, soit que le goût du public ait été rebelle à cette sorte d'instrument. Ce ne fut qu'en 1786 que la vogue des piano-forte se trouva bien établie. Pendant ce temps Sébastien, ouvrier de génie, n'avait cessé de travailler et, en 1789, il construisit le. piano carré à trois cordes. Le mécanisme ancien était déjà modifié par un faux marteau ou double pilote qui, placé entre la touche et le marteau, rectifiait le mouvement de celui-ci. Les cordes aussi subirent une transforma- tion. En 1786, le comte de Bruhl, ambassadeur de Saxe à Londres, avait remplacé les cordes de fer par des cordes d'acier chauffé au bleu, et vers la même époque Sébastien Érard, s'apercevant que les cordes de clavecin étaient trop faibles pour résister au ^y^- tèmedu^wt?/orfo,'augmenta considérablement leur calibre. Ce fut en 1790 qu'Érard fit voir les premiers grands pianos car- rés et en 1796 les premiers grands pianos à queue de cinq octaves et à trois cordes. Le piano-forte avait fait son entrée officielle dans l'orchestre à Londres en 1767, et son apparition avait été annoncée pompeuse- ment sur l'affiche de Covent-Gràrden. « Après le premier" acte de la pièce, disait cette affiche. M"® Brisker chantera un air favori de Judith, accompagnée par M. Dibdin sur un instrument nou- veau appelé piano-forte, d Cette pièce intéressante est entre les mains de M. Broadwood et a été reproduite en entier par Rim- bault. Du reste c'est en Angleterre que le piano-forte fat le mieux reçu et devint rapidement d'un usage général dans les théâ- tres. Kelly, décrivant la représentation de Lionel et Clarisse à 90 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. • Dublin, en 1779, dit : « Michel Ame tenait le piano-forte à rorches- tre. y> Cependant son triomphe n'était pas complet, ses sons avaient encore trop de sécheresse et de dureté et de plus il ne se prêtait que médiocrement à l'exécution des pièces écrites pour le clavecin ; Bal- bâtre, organiste de Louis XVI, attaché par ses traditions de fa- mille et par son talent à l'école des vieux maîtres clavecinistes, n'hésita pas à condamner tout franc le nouvel in8trument.« Vous aurez beau faire, disait-il à Pascal Taskin, jamais ce nouveau venu ne détrônera le majestueux clavecin. » Voltaire écrivait à M""® du Deffand, en 1774(8 décembre) : « Un piano-forte n'est qu'un instrument de chaudronnier en comparaison du clavecin. » On sait si la postérité a cassé ces jugements qui semblaient sans appel. A partir de 1785, le succès du piano alla toujours gran- dissant. Il ût disparaître peu à peu tous les petits instruments de chambre, et, il faut le dire, s'il s'est prêté à bien des profanations musicales, il n'a pas peu contribué à répandre dans notre pays le goût de la musique, et le culte des grands maîtres. En 1797, Érard avait commencé à appliquer au piano à queue les premiers principes du système d'échappement que Petzoltd dé- veloppa dans ses pianos carrés. Vers 1809, Érard, contruisant un piano pour Dussek, avait fait ses premiers essais du mécanisme répétiteur. Enfin Ignace Pleyel, établi à Paris vers 1805, avait importé le barrage de Broadwood, et l'art de la facture des pia- nos faisait chaque jour de nouveaux progrès, lorsqu'en 1822, une dernière invention de Sébastien Érard permit d'avancer à pas de géant dans la voie des améliorations. Je veux parler du double échappement, inveûtion qui, par son mérite et ses résultats, riva- lise presque avec celle du double mouvement de la harpe. Dans un ouvrage publié en 1834, Pierre Érard explique ce système et nous ne pouvons mieux faire que de reproduire intégralement son résumé. « L'invention consiste en quatre points séparés qui se combi- nent ensuite ensemble. ^ Le premier est un point de contact entre le marteau et un ressort qui lui sert de support après qu'il a frappé la corde. « Le second consiste dans un autre point de contact entre le ressort et le marteau, plus près du centre de celui-ci , pour pré- parer la chute du marteau au moment de l'échappement. INSTRUMENTS A COBDES. 91 « Le troisième est un point d'arrêt du mouyement du pilote monté sur le levier intermédiaire pour opérer l'échappement. « Le quatrième est un point de contact entre le marteau et le levier intermédiairej pour fixer le premier après qu'il a frappé la corde, de manière qu'il ne peut ni ressauter à la corde, ni s'en éloigner (1). » Pour suivre dans tous ses perfectionnements la facture des pia- nos, un livre ne sufiSrait pas ; aussi devons-nous arrêter notre suc- cinct aperçu au double échappement d'Érard qui ouvre comme une ère nouvelle au piano, nous contentant, pour les progrès accom- plis jusqu'à nos jours, par les Souffleté, les Pleyel, les Pape, les Broadwood, les Kriegelstein, les Steinway, etc. (je cite au hasard), de renvoyer le lecteur au second volume de l'ouvrage de Pontécou- lant, aux comptes rendus d'expositions, de Fétis, de Lafage An- ders, etc., insérés dans les journaux spéciaux. Je ne chercherai pas non plus à citer la multitude de pianos exceptionnels, avec ou sans cordes, avec ou sans marteaux, qui ornent les vitrines des facteurs à chaque exposition. Mais nous ne pouvons passer sous silence quelques-uns des essais des théo- riciens du XVI® siècle qui, à force de recherches et d'expériences, finirent par formuler les lois de notre tempérament. Pendant longtemps, les praticiens avaient divisé la gamme en douze demi- tons égaux. Vers le commencement du xvi® siècle, on s'aperçut que la seule manière d'obtenir l'octave juste était d'altérer légère- ment les tierces majeures et mineures. La mode des études grecques fit revenir avec une nouvelle ardeur sur la di vison du tétracorde, et indirectement, les théories qui n'avaient produit, malgré l'opi- nion de quelques musicologues, que pende résultats au sujet de la musique antique, firent trouver une division plus exacte de la gamme. Deux savants surtout prirent une part importante dans cette longue querelle. CefiirentZarlinoet Vicentino, élèves de Wil- laert. Chacun d'eux, pour démontrer matériellement son système, construisit un instrument ingénieux dont nous avons conservé la description et la figure. Celui de Vicentino, construit en 1546, et appelé arcicembaïo, avait deux touches et deux cordes par demi- (1) Perfectionnements apportés dansle mécanisme du piano, par les Èrard, de- puis Vorigine de cet instrument Jusqu^à f exposition de 1834, Paris, Pierre Érard, in-f°, avec planches. 92 HISTOIRE DE L'jHSTStmxirrlTIOB. ton, pour fairefintendre les intervallea plus petite qu'on demi-ton. Anuib&l Meloni , dans nn cnrienx onvr^e objet de controverses de tooa genres, qu'il pnblia en 1590 sons le pseudonyme de Benelli avec le titre de lï desiderio, dit, en mentionnant quelques cnrienx instrumente qui se trouvaient au palais da duc de Ferrare : « Là était un harpsicorde inventé par Don Nicolas Vicentino, surnommé Ârcimusico. II avait six rangs de touches comprenant dans leurs ai viaionsles trois genres harmoniques (1). i> Le clavecin de Zarlino, construit en 1548 par Dominique de Praaro, était analogue ji ■ celui de Vincentino et devait rendre aussi les trois genres harmo- niques des Grecs. En 1770, d'après Bomey, il appartenait 4 une dame Mancini, veuve du compositeur Piratti (2). (1) Voir, au Bojet du livre de Heloni, l'article de Fétia dans WBxograpkitdei (2) On peut voir encore pour les clarecina et pianos ; ' EiMBiCLj, tht Piano-forte, iti origine, progrett and contimetion, Londree, 1860, gr. in-i». MËRBADX (Âmédée), la Clavecioiitei de ITST à 1790. Biitoire du clavecin Portrait! et biographia da célébra daveàmittt, Paris, Hengel, in-f°, 1867. PaitL (Oscar), Gachichte d*s clavieri, Leipzig, 1888,10-8°. M. 0-. Chouquet, dons son intéressant Catalogue da Mtitèedti Conservatoire dt musiqae, Paris, Didot, 1876, in-S", a donné nn résumé trèa-oonrt, mais trÈB-bien fait, de l'histoire des claTecins et pianos. Enfin, & l'occasion des fêtes de Cria- tofori à Florence en 1876, il a été publié d'eicellents trayanx, parmi lesquels noua citerons une brochure de M. César Fomiccbi, intitulée il Piaao-farte, Florence, in-8°, 1876. CHAPITRE IL INSTRUMENTS A VENT. I. INSTRUMENTS A BOUCHE DROITE OU LATÉRALE : FLUTES DROITES ET TRAVERBIÈRES. Les instruments à embouchure et à anche double , tels que les flûtes et les hautbois, tiennent la place occupée à l'orchestre par les violes et le luth dans le groupe des ^cordes. Leur empki est aussi ancien, plus ancien peut-être, el tous deux peuvent se rap- porter aux premiers temps de la musique. Si, à l'époque moderne, la flûte n'avait pas devancé les hautbois dans la voie des perfec- tionnements, il serait difficile de savoir lequel des deux devrait avoir la priorité dans une étude du genrejde la nôtre ; mais grâce à la révolution opérée dans la flûte par Bœhm , révolution dont le hautbois, comme la clarinette, n'ont pas tardé à ressentir les effets, c'est à cet instrument que nous devons donner ici la pre- mière place. A partir des treizième et quatorzième siècles, on peut déjà dis- tinguer deux flûtes bien différentes l'une de l'autre, quoique leur mode de vibration puisse être ramené à un même principe : la flûte à bec et la flûte traversière. Dans l'une comme dans l'autre, le son est produit par la colonne d'air qui s'introduit dans le corps de l'instrument, au moyen d'une embouchure, après s'être brisée sur un obstacle. Dans la flûte à beic cette colonne d'air est brisée au moyen d'un biseau; dans la flûte traversière, c'est la paroi même de l'instrument qui fait office de biseau et qui communique à l'air la force nécessaire pour produire le son. La flûte à bec fat très-employée avec ses dérivés pendant tout le moyen âge ; cependant, si l'onrencontre un grand nombre de re- présentations donnant la figure de ces instruments pour le regis- tre aigu, il n'en est pas de même du registre grave, et encore, dans le petit nombre de monuments que nous pouvons citer, faut-il 94 HISTOIRE DE L'iNSTRUMENTATliON. craindre de confondre les basses de hautbois avec les basses de flûtes. Cependant, un des cinq ménestrels qui se voient sur la co* lonne de l'église de Sainte-Marie à Beverley (1), semble jouer de la flûte basse. Ce n*est qu'au xvi* siècle que nous trouvons, ou- tre des descriptions détaillées delà flûte, du grave à l'aigu, et des détails sur son registre et sa construction, des représentations figurées (Jui nous permettent de savoir ce qu'était au juste un concert de flûtes douces aux xvi*,xvii*et xviii** siècles. Agricola donne un tableau du quatuor des flûtes avec discant, altus, ténor, bassus. Ces flûtes ont huit trous, plus un neuvième pour le sol dièse. La basse seule a une clef renfermée dans une boîte percée. Mais nous ne sommes pas encore arrivés aux grandes basses de flûte de Mersenne de cinq pieds de haut, avec^deux clefs qu'on ou- vrait ou fermait avec le pied. Prsetorius donne à la flûte une fa- mille aussi nombreuse que variée. Depuis Agricola, le registre grave s'est enrichi de deux instruments et le vieux théoricien compte neuf instruments différents, depuis la basse jusqu'au soprano, depuis les grandes basses avec serpentin, jusqu'au petit flageolet à trois trous. Voici comment il les classe : 1** Le petit flûtêt (Klein flottlein), une octave plus haut que le cornet; 2** La flûte discant, une quarte plus bas; â® La flûte discant, une quinte plus bas que la première ; 4** La flûte alto, une octave plus bas que la première ; 5** La flûte-ténor, une quinte plus bas que la quatrième ; 6° La flûte-baryton (basset-flôte), une quinte plus bas : elle a une clef appelée fontanelle; V La flûte-basse, une quinte plus bas que la sixième ; 8** La flûte contre-basse, ime octave plus bas que la sixième. Les flûtes aiguës avaient 20 pouces, le ténor 26 et la basse 30. Le jeu de flûte complet coûtait 80 thalers, en le faisant venir de Venise. A l'époque de Mersenne, si les flûtes du registre aigu avaient peu changé, quelques perfectionnements avaient été apportés dans les basses. Mersenne cite la flûte à trois et à six trous et le (1) Oarteb, Spécimen qfthe ancien sculptures and painting^ éd. Britton, Lon- dres, 1838, 2 vol. in-fol., p. 126, pi. Cil. INSTRUMENTS A VENT. 95 flageolet, mais ces instroments, dont le premier particnlièrement était fort employé avec le tambonrin, ne tinrent jamais une place importante dans rorchestre. Le galoubet et Tarigot, qui étaient aux flûtes droites ce que le flfre était aux flûtes traversières^ furent vite abandonnés, et si nous en trouvons un exemple dans Aline, reine de Golconde , de Berton, du moins le cas est fort rare et ces instruments n'offrent pas un intérêt sufl&sant pour nous arrêter. C'étaient les flûtes douces à neuf trous ou flûtes d'Angleterre qui constituaient la famille du soprano à la basse. Ces flûtes n'avaient en réalité que huit trous, mais, par une attention délicate qu'on retrouve souvent dans la facture des anciens instmiments à vent, on en avaifc pratiqué un neuvième pour les gauchers. Le dessus n'avait pas une seule clef. La haute-contre portait une clef enfer- mée dans une boîte. L'alto, déjà considérable par sa taille, avait, outre deux clefs renfermées dans un manchon, deux autres clefs que cachaient deux petites boîtes percées. Enfln la grande basse, qui pouvait mesurer jusqu'à cinq pieds de long, était armée d'un bec ou serpentin permettant d'emboucher l'instrument. Le jeu des clefs était fort complet; outre les deux clefs renfermées dans une sorte de manchon de buis et dont Mersenne nous donne des détails dans ses planches, les deux boîtes, placées près de l'oriflce inférieur, contenaient chacune des ressorts que l'on peut voir dans la figure et qui se poussaient avec le pied. La haute-contre n'étant pas différente de la quinte et son étendue suffisant aux deux parties de la famille des flûtes, on se contentait, dans la pratique^ de quatre instruments divisés en deux groupes qui se complétaient de telle façon que la basse du petit jeu servait de dessus au grand jeu. Cet instrument était d'un usage général, et les concerts de flûtes étaient, au xvi% au xvii®, au xviii* siècle, le plus galant hommage qu'un amant bien épris pût faire à sa maîtresse. Mer- senne le trouve charmant « et, dit-il, si le concert des anges n'avait pas seul le droit d'être appelé ravissant, la flûte mérite- rait cette épithète superlativement admiratrice. » Non contents de sonner dans leur instrument, les virtuoses du xvii® siècle ajou- taient encore aux sons ravissants de leur flûte le charme de la voix, et cela tout en jouant, c On peut, dit Mersenne, sonner un air « ou une chanson et en même temps chanter .le chant de la basse. 96 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. € sans tontefois articnler les voix^ car le vent qni sort de la basse € en chantant est capable de faire sonner la flûte, de sorte qn'un c seul homme peut faire un duo. » Qu'eyt dit le vieux théoricien qui cite comme une merveille cet effet de mirliton, s'il avait entendu Bayr, qui vers 1800, étonnait les auditeurs en jouant à deux parties sur la flûte, ou si, de nos jours, il écoutait le double cor magique de Vivier I Au commencement du xviii® siècle les flûtes à bec ténor avaient perdu le trou pour les gauchers, mais quelques-unes possédaient près du pavillon un petit trou pour le ré dièse ; lorsque ce trou n'était pas percé l'exécutant faisait le ré J|; en bouchant à moitié le dernier trou. Cet artifice était employé pour produire tous les demi- tons, car la flûte pouvait donner les intervalles chromatiques, mais la richesse de son registre dépendait absolu- ment de l'habileté de l'exécutant. A cette époque les basses étaient déjà un peu tombées en désuétude et la flûte ténor s'étendait du fa au sol : A l'époque où Hottetere écrivit sa méthode (1), la flûte à bec avait encore quelques partisans, mais sa vogue diminuait chaque jour, et vers le milieu du xviii** siècle on ne s'en servait plus en France. Cest, à notre connaissance, dans une cantate d'église que Bach a fait le dernier emploi de cet instrument. La flûte à bec disparaissait devant la flûte traversière au timbre plus doux et plus limpide, en ne laissant de traoes de son existence que dans le flageolet et le galoubet. Là, comme partout, l'élément moderne prenait le dessus. Sans être aussi ancienne que la flûte à bec, la flûte traversière remontait au moyen âge, et il en est maintes fois question dans (l) Principes de îajlâte traversière oufiûte d^AUemagne^ de la flûte à bec ou flûte doucej et du hautbois^ divisés par traités, par le sieur Hottetere le Romain, ordinaire de la musique du roy. Paris^ Ballard, 1707, mA^, INSTRUMENTS A VENT. 97 les textes des poètes dès le xni® siècle. Eustache Deschamps et Guillaume de Machault la citent avec éloges. Au xi® siècle la famille de la flûte traversière était complète et.au xvi" siècle, en 1535, nous trouvons à son sujet de nombreux détails dans Luscinius et plus tard dans Agricola, Ce dernier donne les quatre flûtes traversières composant la famille; toutes sont à six trous, sans clefs ; les dimensions seules diffèrent. L'instrument est cylindrique, le discant, Taltus, le ténor et le bassus sont placés les uns au-dessus des autres, de façon à bien établir la diflérenoe des proportions suivant les registres. Outre les quatre flûtes qu'Agricola nomme schwet^erfldte, il existait encore deux instruments aigus, le fifre et la flûte à six trous» Le fifre qui est parvenu jusqu'à nous avait six trous, mais ne s'employait que pour la guerre et la danse, et ses sons se mariaient à merveille à ceux du tambour. Thoinot Arbeau, dans son Orchésographie, en a donné une longue et minutieuse descrip- tion. La petite flûte à six trous avait la même étendue que le fifre I , mais elle était plus musicale et — Cl~" moins perçante, son tube était plus large et, mise au ton de cha- pelle, elle servait quelquefois de soprano aux flûtes traversières. Le même musicien devait pouvoir jouer des cinq flûtes et on trouve souvent des boîtes à cinq compartiments destinées à con- tenir toute la famille. Un superbe dessin publié par MM. Duplessis et Chevignard, nous montre un soldat musicien armé en guerre. Derrière lui, et à côté de son épée, est suspendu son étui à flûtes qui contient depuis la basse jusqu'au soprano (1). Au temps de Mersenne, la flûte traversière était encore dans le même état, mais les basses semblent avoir été un peu négUgées, du moins en France, dès cette époque, « car, dit le vieux théoricien, on ne peut a: faire des basses assez longues pour descendre assez bas; on use « de la saquebute, ou du serpent, ou de quelque autre basse pour y « suppléer. » Ce ne fat qu'en 1690 qu'on donna à la flûte traver- sière sa première clef, celle qui servait au ré % de l'octave (1) Duplessis et Chevignard, Costumes historiques des XVI^, XVII et XVIII^ siècles^ Paris, A. Levy, 1867, iii-4<». '7 98 HISTOIRE DE L'iNSTEUMEMATION. basse et moyeime(l). Vers 1722, on allongea en France le pied de la flûte (2) pour gagner nn ton de'plos dans le bas et on ajonta la cleti'ut $. Cette nouvelle disposition, qui faisait de la flûte en ré une véritable flûte en ut, devint bientôt générale et est parvenue jusqu'à nous par la patte d!ut, mais elle trouva longtemps des résistances et Devienne, qui écrivait sa méthode en 1795, recon- nait bien l'utilité des cle& dont était armée la flûte, mais il repousse énergiquement la patte à^ut en disant : « Quant aux € flûtes, dites à l'anglaise, auxquelles on a ajouté à la patte deux « clefs, l'une pour Yutj^ et l'autre pour Vut naturel d'en bas, je les le chevalier Babsa^ men, ne voulant pas, malgré ses infirmités, se priver du plaisir de la musique, avait eu l'idée d'inventer pour la flûte un système de correspondances de clefe qui lui permettait de jouer d'une seule main. Par ces inventions, non-seulement Bœhm avait obtenu une- plus grande justesse dans l'instrument, mais encore il avait fii- cilité le doigté, car, du ré au 5», aucun doigt n'avait deux fonc- tions à remplir et il n'était plus, besoin de glisser d'une clef à l'autre ou sur un trou comme avec l'ancienne flûte. Il faut dire que pour faciliter le glissement plusieurs^ tentatives avaient été faites, et particulièrement vers 1824: Jansenn avait inventé des rouleaux mobiles, pour gUsser d'une clef à l'autre, mais ces essais avaient peu réussi. Seul le petit doigt conservait le maniement, des clefs de ré^ A'ui et à! ut $, mais sans gêne pour l'exécutant. De plus Bœhm, qui avait d'abord accepté la pompe de l'an- cienne flûte, l'abandonna, lorsqu'il s'aperçut de l'inégale capacité de vibration du bois et du métîd qui formaient la coulisse de cette pompe. Il ne la rétaUit que plufi tard, lorsque, construisant des flûtes en métal, il eut à sa disposition des instruments d'une ma^ tière complètement homogène (1). Telles furent les principales modifications que Boehm intro- duisit dans la flûte, de 1831 à 1833^ Presque en même temps que lui, un nommé Gordon, ancien officier suisse au service du roi Charles X, avait aussi cherché à appliquer une découverte ana- logue, mais s'il avait eu l'idée, il n'avait pas su en tirer parti, et sa flûte, fort défectueuse malgré la justesse du principe d'après le- quel il l'avait construite, n'eut pas de succès. De 1833 à 1846, Bœhnt interrompit ses travaux. Mais, s'aperce-^ (1) De la fabrication et des derniers perfectionnements des Jlâtes. Notice- traduite de Tallemaiidde Th. Bœhm, Paris, 1848, brochure in-8^, de 46 pages avec planche. 102 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. Tant des dé&uts qai déparaient encore sa flûte, il étudia de plus près les lois de l'acoustique. Il opéra sur des tuyaux en métal. Il rectifia la position du bouchon. De plus il renversa sa première flûte. De cylindrique la tête devint conique^ et la pièce du milieu au contraire fut cylindrique de conique qu'elle était, |ifin d'égaliser le registre de la troisième octave. Tout en conservant l'égalité des trous pour les deux octaves inférieures, il se vit forcé de remon- ter encore les trois derniers au-dessus de leur vraie place et de les rétrécir en proportion ; il sacrifiait^ il est vrai, une de ses idées fa- vorites, mais il trouvait en revanche l'avantage d'égaliser le regis- tre de l'instrument et en même temps de ne pas changer le doigté de la fiûte de 183B. Le système rationnel de Boehm ne tut pas d'abord accepté avec faveur. L'Allemagne le vit avec indifférence et en France, malgré deux artistes éminents^ Dorus et Coche, qui, arrivés à toute la maturité de leur tal^it sur l'ancienne fiûte,^ ne craigni- rent pas d'apprendre un nouveau doigté pour employer le sys- tème Bœhm, il eut de la peine à s'établir. Aujourd'hui même encore, la flûte à huit clefs de Tromlitz et de Tulou compte des partisans. On a reproché à Boehm, en surchargeant l'instrument des clefs, d'avoir changé son timbre. Le timbre a été changé en effet, mais n'est-ce pas au déplacement des vibrations sonores plutôt qu'à l'addition des clefs qu'il faut attribuer cette altéra- tion ? La flûte a perdu à la vérité un peu de son velouté et de sa dopceur, mais ne faut-il compter pour rien les avantages qu'on a pu trouver dans l'égalité du son la puissance du timbre, la facilité de l'instrument à exécuter tous les tons ? A partir de ce moment la flûte ne reçut plus que des perfec- tionnements de détails qui ne changèrent rien au principe de Bœhm. Ooche fit quelques changement^ aux tringles et aux anneaux et ajouta la def de cadence du sol $. Dorus, voulant faciliter l'action des 4® et 6® doigts de la main gauche, rendit indé- pendante la clé àesolt' Enfin on adopta définitivement la perce longitudinale cylindrique. C'est dans cet état à peu de change- ments près que nous possédons aujourd'hui la flûte (1). * (1) Yoir principalement, pour la flûte de Coche, sa méthode de flûte; pour celle de Dorus, la méthode de Lecamus, celle de Dorus, et enfln celle de Duver- gès qui indique les innovations récentes. INSTRUMENTS A VENT. 103 Dans la construction de ses flûtes Bœhm avait pris soin de n'employer que du métal tiré très-dur^ mais la matière dont la flûte doit être faite a souvent été sujette à contestations. Jusqu'à Bœhm, le bois de grenadille, l'ébène, le buis, l'itoire même étaient employés. Après maintes expériences, Boehm s'a- perçut de l'avantage du métal sur le bois pour la justesse du son. L'argent était le plus favorable à la construction des flûtes. Bre- ton construisit le premier la flûte en cristal qui cependant paraît avoir été connue par Mersenne. En 1851 un nommé Pfaff fit des flûtes en gutta-percha, et en 1854 Fonrobert voulut employer le caoutchouc vulcanisé, mais ces essais forent infructueux. Les substances comme le cristal, le caputohouo vulcanisé et la gutta-percha, offrent peu d'avantages dans la construction des instruments, et nous comprenons leur peu de succès; cependant il ne faut pas s'exagérer l'influence qu'exerce sur les sonorités la matière dont est construit l'instrument. Bois dur ou métal ne sont point, malgré l'opinion contraire, d'une importance capitale sur la nature du timbre.  ce sujet nous ne pouvons mieux faire que de reproduire quelques lignes intéressantes de M. Y. Mahil- lon, de Bruxelles (1).. Cet habile facteur, médaillé à plusieurs ex- positions, appuie sa théorie sur des expériences ingénieuses; nous la répétons après lui sans commentaire ; le lecteur appréciera : « Une erreur généralement répandue est celle qui consiste à croire que la matière dont on feit les tuyaux exerce une grande influence sur la qualité du timbre de l'instrument. Cette erreur est partagée par presque tous les artistes qui jouent d'un instrument. Questionnez un clarinettiste, sur le bois à employer pour la cons- truction d'une clarinette, il vous répondra infailliblement que le bois de buis est celui qui réunit les meilleures conditions de so- norité; la même opinion se rencontre chez les artistes jouant du hautbois. Celui qui joue d'im instrument de cuivre vous dira que plus les parois- sont minces, plus le son se produit avec facilité, parce que la matière entre plus aisément en vibration. Le bassoniste est persuadé que toute la vibration de son ins- trument existe dans la qualité de la matière dont le bocal est (1) Éléments éP acoustique musicale et instrumentale ^ comprenant V examen de la construction théorique de tous les instruments de musique en usage dans r orchestration moderne, MaMUon, 1874, iii-8°. 104 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. fait; aussi, ponr lai un bocal en cniTre est-il mille fois meilleur qu'on bocal en argent de Berlin. L'opinion des flûtistes est par- tagée entre les qualités du bois et oelles du métal. Ceux pour qui le bois est la matière préférée vous diront que les flûtes en ar- gent sont trop criardes, que oelles en bois ont le son beaucoup plus doux ; les adversaires vous assurent qu'une flûte en buis a le son coionneuxy tandis que celle en argent a le timbre pur et argentin. Nous n'en finirions pas s'il fallait énumérer ici tous les préjugés enfantés par l'imagination des artistes et par leur iudif- férence pour tout ce qui pourrait déranger une idée préconçue. Des expériences concluantes faites dans ces derniers temps, n'ont pu déraciner ces erreurs.!Qui ne connaît le son éclatant de la trom- pette de cavalerie ? il semblerait que si le même' éclat était pro- duit par un instrument tout entier construit en bois, l'erreur dont nous regrettons l'existence disparaîtrait à jamais. Il n'en est rien. ^ Pendant plus de dix ans, nous avons eu l'occasion de faire entendre presque tous les jours devant un nombre considérable d'artistes un instrument en bois, construit par M. C. Mahillon, pour démontrer l'absurdité d'une idée dont il fat un des pre- miers adversaires. Cet instrument possédant les proportions exactes de la trompette de cavalerie, donne exactement le même éclat que l'instrument en cuivre, au point qu'il serait im- possible de les distinguer l'un de l'autre. Les seules raisons de la différence du timbre des instruments à vent résident : V Dans la proportion des tuyaux, conséquemraent dans la forme du corps vibrant qui n'est autre que l'air. 2° Dans la manière dont l'air est ébranlé dans le tuyau. 2> M. Taffanel, notre excellent flûtiste, partage complètement les idées de M. Mahillon à ce sujet. La beauté des sons de l'octave basse de la flûte fit souvent penser à étendre son registre au grave, mais, si le mi, Wré,Yutt, Yut ont une douceur pleine de charme et en même temps de poé- sie, il n'en est pas de même au-dessous de VuL Dans un article intéressant (1), M. Pellissow Schafhaûlt, auteur de nombreux tra- (1) Pellissow-Schafhaiilt, Théorie GideHeTf cylindriscker und conischer pfeiffeny INSTRUMEITTS A VENT. 105 vaux sur Tacoustique, a démontré que, dans les tuyaux où Tin- Bufflation se faisait par un trou latéral, l'air n'ayait plus une suf- fisante puissance de vibration, si ce tuyau dépassait une certaine longueur. Malgré cette observation plusieurs facteurs ont tenté de triompher de cette difficulté. Vers 1815, Trexler, facteur à Vienne, construisit une grande flûte appelé,e panauïon et des- cendant jusqu'au sol avec dix-sept clefs. Cette flûte eut quelque succès de 1818 à 1830, grâce au virtuose Sedlock qui en jouait admirablement. A l'exposition de 1855, un facteur nommé Eoth présenta une flûte quinte en sol, qu'il appela flûte d'amour, et Bœhm lui-même, en 1867, exposa une flûte en soL II exista aussi une flûte tierce en si, portant également le nom de flûte d'a- mour, et à l'exposition de 1855 on pouvait voir, dans les vitrines de MM. Ziegler de Vienne et Laussmann de Linz, des flûtes descendant au si, au si b et au la. Déjà, au xviii® siècle, Bach avait employé une autre flûte s'étendant de tùt à mû Ces essais n'ont jamais complètement réussi et c'est la flûte en ré avec patte à'ut et à'ut J qui est le plus généralement employée. En dehors de la petite flûte dont les variations suivirent celles de la flûte en ré, on tenta aussi de faire quelques changements dans le registre aigu de la famille; on construisit encore une flûte tierce, une flûte quarte (qui ne paraît être autre chose que la petite flûte en sol employée par Mozart dans Y Enlèvement au sérail), une flûte en mi, une flûte tierce octave qui montait à une dixième au-dessus de la flûte en ré. Ces instruments présentaient tous des avantages plus ou moins grands; mais, comme on le comprendra facilement, la flûte et la petite flûte, dcpinant à elles deux une étendue de quatre octaves de Yut au contre si b, c'est- à-dire atteignant les limites extrêmes de l'acuité dans l'orchestre, il devenait inutile de dépasser cette limite et tous les instruments inventés pour atteindre ce but ne devaient avoir aucune chance de succès (1). On pourrait encore citer les flûtes en mi b et en fa, en usage dans la musique militaire, mais leur emploi étant spécial à l'ar- und der querflôten. Journal for physîck und chemie, LXVIII (pages 28 à 41- S5 à 102), 1833. (1) Voyez les deux rapports de Fétis sur les expositions de 1856 et 1867; POKTÉCOULANT, OrganographiCy etc» 106 HIBTOIBE DE L'DTSTBTniBKTATIOir. mée, ces îastniments tiennent peu de place dans l'esthétique de l'iustmineiitation; aussi n'anronB-nons rien à dire à lenr sujet, d'autant plus, qu'à la différence de ton près, le principe de leur construction est absolument le même que celui des flûteBordiuaires. II. — INSTECMBHTB A ASCHB DOUBLE, EAUTBOIS, BASSONS, CBOMOBtTES, UUSETTEB ET CORITEHUSKS. Comme nous l'aTons dit en parlant de la flûte, k hautbois est de la pins haute antiquité et son principe de résonnance, c'est- it-dire l'ânche vibrant entre les lèvres, sous la pression de l'air, dut être un des premiers trouré aux époques primitires. Légué par l'antiquité au moyen âge, sous sa forme la plus simple, le chalumeau ou haïUbois apparaît maintes fois pendant les xn% XIII', XIV" et ïv* siècles, portant les noms de frestel, fishtU, frestiaux, jt^, pipeaux, ekalemeï, chalemie, etc. Il joua un râle Important dans la musique de cette époque, soit qu'U fût employé comme notre hautbois, soit qu'on lui adapt&t une outre pour évi- ter au musicien les difficultés de l'embouchure, et qu'on en fit la cornemuse. Tel les maanscrite et les monuments nous le montrent an moyen âge, tel, le hautbois nous apparaît au xti* siècle. Aucun instru- ment ne resta plus longtemps arriéré duis sa facture, aucun aussi ne présenta plus de difTormités sons le rapport de l'acoustique. Pour rendre l'embouchure plus facile, on avait imi^iiné une boite appelée^wroueite, qui, ne découvrant que quelques lignes de l'an- che, ne laissait à l'exécutant que la place des lèvres. De plus les instruments bas étaient construits de telle façon que non-seule- ment ils étaient trèa-difBciles à jouer, mais encore fatiguaient horriblement le malheureux qui s'en servait. Pour les remplacer, on inventa les bassons, mais alors les inventions les plus bar- bares apparurent à l'envi; bref, la perce des trous, la disposition de l'anche, la place des clefs, tout rendait le hautbois et ses bas- ses incapables d'acquérir la justesse, et limitait considérablement , pour user d'un terme e faille d'instruments Dyée que celle du haut- INSTBUMENTS A VENT. 107 Luscinins, sans entrer dans de grands détails snr la facture du hautbois, en donne deux figures assez grossières, un ténor et une basse. Le ténor a sept trous et pas de clef, le dernier trou près du pavillon est double comme dans la flûte droite ; la basse a le même nombre de trous, mais le dernier est armé d'une clef ca- chée dans un bariUet, percé de petites ouvertures. Ces hautbois semblaient n'avoir pas depiroitette. Agricola a copié ses planches sur celles de Lusciniug. C'est Praetorius qui le premier nous donne une description détaillée du hautbois et de sa famille au commencement du xviii^ siècle. La famille se composait de six membres. V Le chalumeau sans defe (soprano); 2® Le chalumeau discant, avec huit trous, plus deux doubles; 3** Le hautbois alto, avec six trous ouverts, une clef enfermée dans un barillet, et un double trou près du pavillon ; 4^ Le hautbois ténor (ou hasset pommer)^ à six trous plus quatre clefs dans un barillet; 5® Le hautbois basse, avec six trous et quatre cle&; 6^ La contrebasse de hautbois, haute de six pieds, difS^cile à manier, et fatiguant l'exécutant, avait trois trous découverts, plus cinqcle&; toutes étaient cachées sous des barillets. Au temps de Mersenne, l'emploi des bassons devenu général avait fait disparaître cette contrebasse qui présentait tant de dif- ficultés et dont les sons étaient rauques et durs. Une restait plus que le chalumeau, le dessus^ la taille et la basse. Le dessus était à peu près le même que celui de Praetorius, il avait huit trous sans clefs dont un double, plus un grand double du côté du pa- villon. Ces trous étaient percés obliquement, et, par une étrange monstruosité, le trou du pavillon était double, et pour faire des-, cendre l'instrument plus bas on le fermait avec les genoux. La taille, accordée une quinte plus bas que le dessus, avait sept trous, dont un avec clef cachée dans un barillet et le trou du paviUon, son anche était entée sur une pirouette; enfin la basse avait onze trous et trois cle& et son anche était adaptée à un serpen- tin. Le dessus avait deux pieds de long, la taille deux pieds quatre pouces , la basse cinq pieds. Au commencement du xviii® siècle le hautbois fiit perfectionné. Comme on peut le voir dans la mé- thode de Freillon-Poncein, le double trou près du pavillon qui ! U hl 108 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. devait se boucher avec les genonx avait disparu (1), Les basses furent peu à peu abandonnées; on ajouta au-dessus trois clefs^. deux dans la partie inférieure^ la troisième plus longue pour le^ registre bas ; six trous se fermaient avecles doigts. Le troisième- était divisé en deux demi-trous. Delusse^ habile facteur du xviii* siècle, fdt le premier qui tenta de réformer le hautbois, auquel* il fit quelques perfectionnements, et ses instruments sont encore^ recherchés à cause de leurs beaux sons et.de leur grande justesse. Le hautbois resta dans l'état où Delusse l'avait laissé, jusqu'à npe époque assez rapprochée de la nôtre. La révolution opérée par Bœhm dans la flûte ne tarda pas à se faire sentir pour le haut^ bois, et le facteur Buffet, dont nous aurons à parler plus tard au sujet de la clarinette, tenta de rectifier la perce et d'appliquer des anneaux mobiles au hautbois en 1844. En 1846, Brod,l« cé- lèbre hautboïste, en allongeant l'instrument rendit les sons gra- ves plus beaux et plus pleins; mais, malgré l'intelligence de cet artiste, ses inventions, quoique ingénieuses, n'étaient pas toujours suffisamment pratiques. Ce ne fut que vers 1854 qu'une révolution radicale commença pour cet instrument, et c'est encore à Bœhm que revient l'honneur d'avoir ouvert la route. Nous l'avons- déjà vu, vers 1846, améliorant la flûte de 1832, en appliquant les principes d'acoustique qu'il avait puisés dans l'étude la plus approfondie de cette science et dans les observations du pro- fesseur Schafhaûlt. Il résolut d'appliquer au hautbois ses dé- couvertes. Ici il rencontrait des difficultés nouvelles dans la dis- position conique du tube. Non-seulement il dut placer les trous plus haut que la positio» normale, mais encore, diminuer consi- dérablement leur diamètre, à mesure que ces trous se rappro- chaient de l'ânche. Aidé du hautboïste Lavigne, il arriva à régler les nouvelles proportions et à construire son hautbois percé de quatorze trous donnant douze demi-tons parfaitement justes; de plus, il pratiqua près de l'anche deux petits trous pour octavier. Malgré l'habileté et l'ingéniosité de Boehm, le hautbois était encore bien imparfait ; mais un habile facteur français Triebert, (1) La véritable manière d'apprendre à Jouer en perjèction du hautbois, de lafûte et du flageolet, avec les principes de la musique pour la voix et pour toutes sortes d'instruments, in-8'* obi. Paris, Collombat, 1700. (Préface, signée Freillon- Ponceia.) INSTRUMENTS A VENT. 109 chef d'une des plus anciennes et des meilleures maisons de lutherie de France, apporta de nouveaux perfectionnements. Il reprit les idées de Delusse et de Brod, et y ajoutant ses propres inven- tiond, il améliora considérablement le mécanisme du hautbois. Pour donner plus de rondeur aux notes graves, il reprit l'idée de Brod et fit descendre le hautbois jusqu'au la, de plus il ajouta la clef du demi-trou et disposa d'une façon plus logique et plus simple les clefe de ré Jf, de /a $, de sol J, de si b, à'ut et d'ut Jf. Enfin, pour compléter la famille du hautbois déjà composée du basson, dd cor anglais et du hautbois proprement dit ou soprano, il fit un instrument appelé baryton qui devait tenir le rôle de ténor, et l'exposa en 1855 ; mais il n'est pas encore arrivé à une assez grande perfection de facture pour que cet instrument, dont les compositeurs pourraient tirer parti avec avantage, puisse être d'un usage général. Nous ne nous sommes jusqu'ici occupés que du hautbois ordi- naire; mais aux xvn® et xviii® siècles on connaissait aussi les hautbois des forêts ou Oboë da Cacda, et le hautbois d'amour si souvent employés tous deux par Séb. Bach, enfin le. hautbois de Poitou. D'une époque plus récente que le hautbois proprement dit, les deux premiers instruments n'avaient pas eu de famille régulièrement constituée. Suivant Pétis, les pavillons des haut- bois de chasse et des hautbois d'amour étaient recourbés en de- dans. D'après des spécimens que nous avons eus sous les yeux, le hautbois des forêts semble avoir été une quinte de hautbois. Quelques auteurs prétendent que cet instrument avait une anche de cuivre, mais nous pensons que cette anche, si tant est qu'elle ait existé, ne devait pas $ivoir une flexibilité suffisante. D'après les Essais de Laborde, l'étendue du hautbois d'amour était moindre que celle ; du hautbois, mais le son était' plus anché, c'est-à-dire moins sonore et plus velouté. Sa partie s'écrivait comme on écrit aujourd'hui celle du cor anglais, une quinte au- dessous du ton réel ; il en était de même pour le hautbois d'amour. Ce dernier, fut introduit vers 1720. Il avait une anche dô roseau, et s'étendait jusqu'au ré (au-dessus de la portée clef de sol ). Lorsqu'on fait entendre aujourd'hui les œuvres de l'auteur de la Passion, ce sont les hautbois et les cors anglais qui tiennent la place des hautbois de chasse et des hautbois d'amour ; cepeu- 110 HISTOIRE DE L'INSTRUMEXTATIOX. dant M. Creraert a fait construire à Brozellesy par M. Mahilloiiy des hantboîs d'amour en la qni servent spécialement à exécuter les oratorios dn yienx maître. Le hautbois de Poitou^ dont il est maintes fois parlé chez les anciens auteurs^ était le plus sou- vent employé avec les cornemuses sur lesquelles nous aurons encore à revenir; il avait une &mille complète dont Mersenne donne dans ses dessins le dessus, le ténor et la basse. Les deux premiers de ces instruments étaient armés d'une clef renfeimée dans un barillet. La clef de la basse était à découvert. Du reste cette dernière offrait cette particularité qu'elle était repliée en deux comme le basson, mais la disposition de ses trous n'était pas la même. Le dessus, le ténor et l'alto avaient huit trous et une clef, la basse dix trous et une clef. Le dessus chantait avec les cornemuses, et souvent le chalumeau de ces derniers instru- ments était fait avec un soprano et un ténor de hautbois de Poitou. Le caractère artistique du hautbois et de ses dérivés a tellement changé depuis le xvi* siècle qu'il serait facile de faire sur ce sujet un chapitré entier. Aigre et puissant aux xvi et xvn*, il avait à la vérité une couleur champêtre, mais il servait aussi à la guerre, et ses cris, si je puis parler ainsi, ne le cédaient en rien aux éclats delà trompette. Au xvni* siècle, grâce àquelquesaméliorations de facture, grâce à l'habileté de certains virtuoses comme les Besozzi, qui surent si bien faire valoir cet instrument et son vrai caractère, qu'ils passèrent pour l'avoir inventé, le hautbois prit ce timbre pé- nétrant et un peu douloureux dont les grands maîtres et Gluck le premier tirèrent un si admirable parti. Aujourd'hui, il est juste de dire que les nouveaux perfectionnements lui ont fait faire un grand pas dans la voie du progrès, mais ont nui à son timbre plus qu'ils n'avaient nui à celui de la flûte. En gagnant plus de justesse le hautbois, le cor anglais et le basson ont perdu quelque chose de leur timbre sut generis. La sonorité du hautbois est comme ces teintes délicates que la lumière du jour même suffit à altérer; le moindre changement dans la perce ou dans la longueur de l'ins- trument lui fait perdre ses accents touchants et doucement mé- lancoliques, si précieux dans le coloris instrumental. Aujourd'hui que la justesse devient tous les jours de plus en plus irréprochable, tous les efforts des facteurs doivent tendre à retrouver rancien INSTEUMENTS A VENT. lH timbre. C'est à cela, il faut le dire, que M. Triebert met aujour- d'hui tous ses soins^ et nous espérons que ses patients travaux ne resteront pas inutiles. L'invention delà clarinette, du cor de basset et du cor anglais, firent peu à peu disparaître ces variétés de hautbois. Les hautbois de chasse et les hautbois d'amour, au pavillon recourbé, avaient un timbre spécial dont les compositeurs allemands avaient plus d'une fois tiré parti et qu'il était urgent de ne pas laisser perdre ; d'un autre côté, il devenait diflScile de conserver des instruments dé- fectueux, au moment où l'instrumentation acquérait plus de co- hésion, au moment où l'orchestre moderne se constituait définitive- ment. Un facteur bergamasque, Jean Ferlendis, établi à Salzburg, tenta de remplacer par un instrument unique ces nombreux re- présentants de la famille du hautbois. Il reprit le hautbois de chasse le modifia, tout en, lui laissant ses trous obliques, ajouta deux clefs et en fit l'instrument que nous connaissons sous le nom de cor anglais* On trouve pour la première fois le cor an- glais dans l'^Z^^s^ italienne de Gluck. Les qualités particulières de cet instrument, si mélancolique et d'un timbre si agréable, n'ont été appréciées véritablement que depuis une cinquantaine d'années, grâce à Bossini, Halévy, Mejerbeer et BerUoz ; aussi le cor anglais resta-t-il longtemps dans l'état où l'avait laissé Jean Ferlendis ; mais bientôt le besoin de perfectionnements se fit sen- tir et vers 1854 Triebert appliqua au cor anglais les principes de Bœhm, il en redressa le tube, en rectifia la perce, y mit les clefe à anneaux et rendit juste un instrument qui, à cause de son peu de justesse, était resté d'un emploi restreint et difficile. Comme nous l'avons vu plus haut, les basses de hautbois étaient loin d'être commodes à manier, outre que leur justesse ne pouvait être que fort approximative, outre que les cle& nécessitaient un doigté très-difficile, l'action de souffier dans ces basses de six pieds de long fatiguait les exécutants au point qu'on était obligé de faire exécuter les parties de basses de hautbois par les trombones, les cornets en bois et les cromomes. En 1589, un chanoine de Pavie, nommé Afranio, voulut obvier à ces inconvénients, en inventant un instrument qui prit la place des basses de hautbois. Il réunit deux de ces basses, en les faisant communiquer par leur pavillon, au moyen d'un grossier système de tuyaux de peau ; puis il adapta un 112 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. soufflet à la machine et créa ainsi le premier basson, qui prit le nom àQ fagot, parce que ces basses ainsi réunies semblaient former un fagot. C'est un docteur de Pavîe, Ambroise Thésée, dont Afranîo était le beau-père, qui nous a transmis ces détails sur cette inven- tion; et tout fait croire qu'Afranio est bien réellement Tinventeur du basson, car, malgré le grand nombre de basses à anches doubles alors en usage, aucun texte, aucune représentation ne nous mon- tre, avant 1539, un instrument construit d'après le principe des doubles tuyaux de hautbois reliés entre eux par un canal. Am- broise Thésée donne une longue et obscure description du fagot primitif, qu'il appelle phagotus, tout en donnant à ce nom une éty- mologie des plus compliquées. Il accompagne son texte obscur d'un dessin presque aussi incompréhensible, aussi ne chercherons- nous pas à construire toute une exégèse sur le travail de ce naïf pédant. Qu'il nous sufiflse de dire qu'Afranio chercha longtemps un facteur capable d'exécuter son idée, en Allemagne et jusqu'en Turquie, et que ce fut un certain Jean-Baptiste Baviliusde Fer- rare, qui construisit ce premier et informe basson. Autant qu'on en peut juger par le dessin d' Ambroise Thésée, l'instrument avait dix trous et quatre grandes clefs. Tel qu'il était, il possédait une sonorité bien supérieure à celle des basses de hautbois, et Ambroise Thé- sée lui rend ce naïf témoignage : < HocphagotOy si Marsyas ilh < arrogans adversus ApolUnem usus oîimfuisset, facile credide- c rim musarumignominiamnon sustinuisset (1). i> Une trentaine d'années après Airanio, Sigismond Scheltzer perfectioima le bas- son. Il le débarrassa des peaux qui l'encombraient, et, réunissant les deux tubes de l'instrument, en fit réellement le basson que nous possédons aujourd'hui. Le succès ne se fît pas attendre; non-seulement le basson détrôna les basses de hautbois, mais encore on lui construisit toute une famiUe, de la basse au so- prano. Au commencement du xvii® siècle le fagot portait aussi le nom de àoulcme fagotfo, doïcesuono, doîcinen, par aQusion à la douceur de son timbre. Il avait la même étendue que les haut- bois basses, mais, suivant Prastorius, il était, à cause de sa sonorité plus douce, beaucoup plus fréquemment employé que (1) CTest dans VIrUroductio in ehaldaîcam linguam,',., authore TheseO'Ambro- sioj Papiœ, 1539| ixi-4°, qn' Ambroise Thésée a donné la description détaillée du premier basson. INSTRUMENTS A VENT. 113 ces derniers. Il est bien entendu que cette douceur de timbre n'était que relative, car je gage qu'un médiocre accueil serait fait aujourd'hui aux sons rauques de l'instrument, qui était consi- déré comme céleste au xvii® siècle. La contre-basse avait six trous, plus trois clefs et sonnait le contre ré. Le double fagot, accordé une quinte au-dessus, avait dix trous et deux clefs, le baryton sept trous et deux clefe, ainsi que le ténor ; l'alto et le discant avaient, l'un huit trous sans clefs, l'autre dix. Ce jeu de bassons remplis- sait les intervalles diatoniques depuis le contre ré, jusqu'au 5«, au- dessus dé la première ligne supplémentaire (clef de soi). Les bassons du registre aigu, faisant double emploi avec le hautbois et devant du reste être assez difficiles à jouer, furent promptement mis de côté, si tant est toutefoisque leur usage ait été très-répandu, mais il n'en fut pas de même du registre grave que Mersenne décrit avec le plus grand soin. De son temps la îonne de l'instrument se rapprochait déjà du basson moderne. La contre- basse avait sept trous et quatre cle&, la basse neuf trous et trois clefs, enfin le soprano de cette grave famille avait huit trous et trois clefs. Tous ces instruments servaient de basse aux hautbois. Pendant le xviii® siècle les différentes espèces de bassons disparu- rent et le basson proprement dit resta à peu près stationnaire jus- qu'à la fin du siècle; bien qu'on eût augmenté le nombre de ses clefs en 1751, ce ne fut que vêts 1809 qu'Adler, facteur à Paris, amé- liora le basson d'une manière efficace en y ajoutant plusieurs clefe. Almenrœder en Allemagne, Simiot à Lyon, entreprirent une ré- forme du basson, mais sans trouver de principes fixes pour sa perce et sa construction. Simiot, pourtant, fit faire un grand pas à cet ins- trument dans la voie du progrès. La culasse grossièrement percée permettait difficilement d'établir le courant d'air d'un tube à l'autre, de plus l'écoulement de l'eau ne pouvait se faire. Simiot, par un canal de renvoi en métal, rendit régulière la perce de la culasse, dont il remplaça le bouchon par une petite pompe qui permettait de rejeter l'eau. Enfin il ajouta au basson les coulisses, dites d'accord, et, revenant à la forme primitive de l'instrument, fit le pavillon ovale. Ce fut Ad. Sax qui, en 1840, eut le premier l'idée de construire les bassons d'après des lois fixes et d'en ré- gulariser la perce. Il est vrai de dire que Sax père avait déjà eu en 1830 l'idée de cette réforme, et de plus les travaux de Bœhm 8 114: HISTOIKE DE L'INSTRUMENTATION. sur la flûte ne forent peut-être pas sans influence sur ces premières tentatives du facteur belge. Malgré ce progrès, malgré de nou- velles tentatives faites simultanément par Sax et par Ward, vers 1851, bien des améliorations restent encore à faire et jusqu'à ce jour le basson de Sax est resté presque àl'état de projet comme on peut le voir dans la méthode de Willent Bordogni (1). C'était du reste d'après les idées de cet artiste, qui avait déjà fait fabri- quer des bassons nouveau système, par un facteurnommé Bach- mann (2), que Sax avait pensé à établir ses premiers bassons. M. Triebert a donné au basson plus de justesse et d'ampleur et, sans changer considérablement le doigté, augmenté le registre aigu jusqu'au mi naturel» On peut voir dans la méthode de Jancourt (3) la figure du nou- veau basson, et une note courte mais claire sur ces améliorations. Jancourt avait essayé, avec l'aide de Bufiet, d'appliquer au, basson le système Bœhm , mais il dut y renoncer, ^e crainte de dénatu- rer le] timbre. Vers 1854, l'infatigable Bœhm, aidé de Triebert, voulut faire pour cet instmment ce qu'il avait déjà fait pour la flûte et le hautbois. Il trouva facilement, les proportions de la perce et construisit un instrument juste ; mais il était difficile d'appliquer au basson le système des tringles et des anneaux, la longueur de ces tringles causant un bruit désagi'éable, une sorte de clapotement fort nuisible à l'instrument; de plus ces longues tiges de métal, chargées d'anneaux et de clefs, nécessitaient de fré- quentes réparations; aussi peut- on, de l'avis des meilleurs facteurs, considérer le basson comme n'étant pas encore arrivé à sa per- fection. L'habile Triebert ne cesse d'étudier cet intéressant ins- * (1) Méthode complète pour le hassoriy par Willent Bordogni, Paris, Troupenas, 1844, in-f«. (2) Bachmann, né à Faderbom (Prusse) en 1804, mort à Bruxelles en 1842. Cet artiste est un de ceux qui ont le plus contribué à la bonne construction des instruments en bois. Il était facteur à Bruxelles et professeur de clarinette au conservatoire de cette ville. C'est à lui que les clarinettistes belges doivent la qua- lité de son qui les distingue et il a formé un grand nombre d'excellents élèves. (3) Méthode théorique et pratique de bassoitf par Jancourt, Paris , Rîchault, l»* édit. (vers 1847), 2* (vers 1869). En indiquant le mi naturel comme note extrême du basson, nous nous appuyons sur l'autorité de Jancourt ; mais, dans la pratique, les compositeurs ne font monter le basson à l'orchestre que jus- qu'au si et Berlioz conseille de ne pas abuser des notes aiguës de l'instrument. INSTRUMENTS A VENT. 115 trument et il est hors de doute qu'il pourra obtenir des résultats définitifs. On emploie aussi le basson quinte, le basson quarte et le con- trebasson; mais, dérivés du basson en si b,ces instruments ne pré- sentent que peu d'intérêt au point de vue de la facture. Dès qu'elle eut été transformée par Scheltzer, la doulcine obtint un tel succès que de tous côtés on se mit à l'imiter. Seulement, comme dit Sganarelle, il y a fagot et fagot, et de tous ces instru- ments analogues, qui portent le nom générique de fagotten, le seul qui ait subsisté est le basson que nous avons décrit . plus haut. Parmi les instruments construits d'après le système des tuyaux repliés, il faut compter encore le cervelas que les Allemands appe- laient racket Grâce à certaines inventions modernes, tout fait présumer que le cervelas, avec sa forme singulière, n'obtiendrait aujourd'hui qu'un fort médiocre succès. Supposez un cylindre en bois, de quelques pouces de haut, surmonté d'une anche de haut- bois ou de basson, suivant le diapason de l'instrument. A l'inté- rieur de ce cylindre, ét^-ient disposés plusieurs tuyaux qui corres- pondaient entre eux; sur la partie supérieure huit trous régulière-, ment disposés formaient cercle autour de l'anche; dans la partie inférieure huit autres trous correspondaient àceux-ci, mais étaient bouchés par une bande de parchemin, enfin des trous étaient pratiqués sur le corps même du cylindre. De ces trous, les uns restaient ouverts, les autres, destinés aux gauchers, se bou- chaient avec de la cire. Praetorius donne la famille entière de ces étranges engins musicaux. Ils descendaient aussi bas que le double fagot, et le cervelas bas pouvait même descendre jusqu'à Yut du seize pieds. Il contenait des tuyaux qui, déployés, éga- laient huit fois sa longueur, c'est-à-dire trois pieds .et demi. La vogue de cet instrument ne fiit pas de longue durée, cependant du temps de Mersenne on avait encore conservé la basse de cer- velas. Les hassannelliy les schryar% appelés ainsi du nom de leurs inventeurs, les sourdines comptaient aussi parmi les or- ganes sonores i^us du fagot, et tous ces instruments avaient leur famille complète; mais, trop semblables, faisant double emploi avec les hautbois et les bassons, ils ne tardèrent pas à disparaître, ainsi que le courtaud, instrument bizarrement percé dont Mer- senne donne une description minutieuse. Il avait onze trous per- r 116 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. ces à la façon ordinaire, plus six autres trous auxquels, pour la facilité du doigté, étaient ajoutés des petits morceaux de bois appelés iêtines, entés sur le corps du' courtaud. .De ces tétines, trois étaient à gauche et trois à droite, et on bouchait le côté dont on n'ayait pas besoin, suivant qu'on employait de préférence la main droite ou la main gauche. A côté des hautbois et bassons, il faut compter encore toute une famille d'instruments à anches qui venaient du moyen âge et dont Pusageftit très^répandu auxxvi® etxvii® siècles danslamusiquedes cours et des fêtes. Je veux parler des cromomes dont le pavillon était recourbé en forme de crosse. Les basses de cromomes ser- vaient, comme les fegots, les courtauds et les cervelas, de basse aux hautbois et aux cornemuses. Leur anche était renfermée dans une pirouette et les basses étaient armées de clefs cachées dans un barillet. La basse avait huit trous et une clef, la taille huit trous et quatre clefs, l'alto et le discant huit trous sans clefs. L'étendue des cromomes était : Basse. Baryton. - et elle subit à peu près les mêmes péripéties que la vieille chî- fonie. Devenue fort 4 la mode au temps de Louis XIV, elle était Tornement obligé de tous les ballets de Lulli : « Les représentations pastorales et champêtres ne sauraient s'en passer et nous en voyons presque tous les ans dans les ballets du roy. » Hotte- tere, le père^de celui dont nous avons cité la méthode de flûte, avait perfectionné la musette en lui ajoutant un second chalumeau. Une tablature spéciale et fort simple servait à écrire la musique pour les musettes. Elle consistait dans des chiffres placés sur les lignes et qui répondaient aux différents trous du chalumeau. Des- couteaux, Philidor, Douet, Dubuisson, s'étaient acquis une grande réputation comme joueurs de musette, et Hotteterele vieux, Perrin à Bourg en Bresse, Lissieux à Lyon, étaient considérés comme les meilleurs facteurs de cet instrument. A la fin duxvii® siècle, la vo- gue delà musette s'accrut encore. Borjon, avocat distingué, grave auteur d'un savant ouvrage sur les dignités ecclésiastiques, ne dé- daigna pas d'écrire une méthode de musette : « Les villes, dit-il, « sont pleines de gens qui se divertissent de la musette. Combien « d'excellents hommes, et pour les sciences et pour la conduite des «. grandes affaires, délassent par ce charmant exercice leur esprit « fatigué ! » La province même était tombée dans ce travers^ mais soit que les maîtres manquassent, soit que les amateurs fussent encore trop inhabiles, il était rare d'entendre un bon concert de musettes. « Tout ce que peuvent faire les particuliers qui y « trouvent leur plaisir, c'est d'avoir des musettes à l'octave l'une de « l'autre et d'y mêler quelques cromomes, flûtes et bassons (1). 3> Au XVIII® siècle la musette fut plus que jamais en honneur : « La musette dans sa parure efface tous les autres instruments ; « aucuns ne lui peuvent* disputer l'avantage des pompons,, dès « franges et des rubans, elle est consacrée aux fêtes champêtres et « en couleur de rose. Ainsi que la vielle, elle ne sort jamais des « tons G sol utQi G- ri sol: cette persévérance ne serait-elle pas « l'image de la constance des bergers (2) ? » Charpentier, Chediville (1) BoBJON, Traité de la musette^ avec une nouvelle méthode pour apprendre soi-même à jouer de cet instrument, Lyon, 1672, în-fo. (2) Observations, 1757. 118 HISTOIEB DE L'INSTRUMENTATION, faisaient le bonheur des amateurs^ on accusait même ce dernier d'avoir un peu trop fait sortir la musette de son genre pastoral, en exécutant sur cet instrument borné et monotone des concertos de violon assez difficiles, tels que le Printemps de Vivaldi. On fe- rait une longue bibliographie avec les compositions écrites pour lamusette^ soiten solo ouduo^ soit jointe àd'autresln^ruments; on grossirait démesurément ce travail en voulant citer toutes les suites^ gentillesses^ divertissements, amusements champêtres, etc.^ qui fu- rent composés pour la musette. A partir de la seconde moitié du XVIII® siècle, la musette disparut ftvec les bergers de "Watteau et les bergères de Boucher et comme après le xvii® siècle elle n'est plus employée dans la musique d'ensemble, nous ne croyons pas devoir donner plus de détails sur cet instrument qui a si long-, temps fait prendre des vessies pour de ^a musique (1). De nos jours l'ingénieux et laborieux facteur Gautrot a voulu faire un nouvel emploi de l'anche double, en l'appliquant à des ins-? truments coniques en cuivre, qu'il appela sarrusophones, du nom de l'inventeur M. Sarrus, chef de musique au 13® de ligne. La fa- mille est complète, depuis le sopranino jusqu'aux contrebasses en différents tons, les trous sont bouchés par des clefe, munies de le- viers ou communiquant par des tringles. Les sarrusophones, parus en 1863, n'ont pas été employés jusqu'à ce jour à l'orchestre j aussi ne nous arrêterons-nous pas et nous contenterons-nous de renvoyer à leur sujet le lecteur aux ïnéthodes spéciales (2). III. INSTRUMENTS A ANOHB SIMPLE : CLARINETTES ET SAXOPHONES, Bien qu'on fasse dériver la clarinette du vieux schaîmei aile-, mand, il serait difficile de dire au juste quels instruments réson- (1) Méthode pour la musettej contenant des principes par le moyen desquels on peut apprendre à jouer de cet instrument , de soi-même, à défaut de maîtrey par M. Hottetere, Paris, Ballard, 1738, in-4o (Hottetere, dit Hottetere le Romain, était le fils de Hottetere le vieux). (2) Coton, Méthodes élémcnt(iires de sarrusophones... Paris, Gautrot, 1 867, 2 vol. in-fo. JNSTEUMENTB A VENT. 119 naient au moyen de Tanche simple avant le xviii® siècle et rien ne nous prouve que ce mode de vibration par une seule languette ait été connu avant cette époque ; aussi devqns-nous rapporter le mérite de cette découverte, qui enrichit Torchestre d'un de ses ins- truments les plus beaux et les plus colorés, à Christophe Denner. Ce facteur, né à Leipzig le 13 août 1655, mort le 20 avril 1707, inventa plusieurs instruments connus sous le nom de stoch-fagott^ basson à canne, de racketten-fàgott, basson à fasée ; mais ces in- ventions n'avaient fait que paraître pour être bientôt oubliées et ce fdt en 1690 qu'il eut l'idée de la clarinette, et en 1701 seulement il produisit le premier instrument de ce genre. Cette première clarinette était bien imparfaite, elle avait six trous et seulement les deux clefs de la et de si bémol. Plus tard, dans la seconde moitié du xviii® siècle, on ajouta la clef de «i na- turel donnant le mi grave, plus deux clefs pour Vut dièse et le rm bémol qui servaient aussi pour le fa dièse et le fe b grave. C'est cette clarinette qui fa t si longtemps en usage et qu'on appelala cla- rinette à cinq clefs. En 1791, Lefebvre, élève du célèbre Michel Yost, qui brillait vers 1780, porta le nombre des trous à quatorze et ajouta une sixième clef pour le èol dièse. Ce fut en 1812 qu'Iwan Muller soumit au jury chargé de l'examiner, la clarinette à treize clefs qui fit toute une révolution dans le jeu de l'instrument et qui est. encore aujourd'hui fort en usage,malgré les inventions de Buffet et de Sax. Cette clarinette parut au premier abord trop difficile de doigté pour pouvoir être acceptée] immédiatement par les virtuoses français, mais, après quelques modifications faites à l'instrument prjumitif, ils se familiarisèrent avec les treize clefs, et la clarinette d'Iwan Muller détrôna peu à peu celles àcinq etsix clefe. Voici en quoi consistaient ces améliorations. Opérantsur une clarinette eh si bémol, Iwan Muller avait ajouté les clefs d'wf, de/a, d^/a dièse si bémol, et/ût du chalumeau, celles de sol dièse, si naturel et ut naturel du registre aigu. L'instrument était devenu plus juste, et le nouveau système lui rendait plus faciles certains intervalles et un grand nombre de trilles inaccessibles à la clarinette à cinq et six clefs. Autrefois on avait, d'après les essais de Laborde, la cla- rinette en Za, la plus basse appelée la grande clarinette, ens/b, en si naturel, en ut, en ré, en mi bémol, en mi naturel et en /a. On 120 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. les trouve dans les partitions anciennes, comme celles de Grétry^, et dans Fouverture HÉcho et Narcisse de Gluck. Celle en ^* t| a été employée par Mozart dans Idomeneo et Cosifan tutte. MuUer s'était flatté d'avoir trouvé la clarinette omnitonique; mais il lui fallut revenir sur cette idée^ et tout en restreignant le nombre des tons^ on dut encore conserver à rorchestre les clarinettes d'ut, de si b, de la et quelquefois de si naturel; je ne cite que pour mé- moire les petites clarinettes militaires en mi b et en/a (1). On a accusé la commission du Conservatoire d'avoir trop sé- vèrement jugé les innovations d'Iwan Muller à leur apparition et d'avoir cédé à l'influence envieuse de quelques facteurs et prin-^ cipalement de Lefebvre qui faisait partie du jury. Mais les rai- sons données par le rapport sont loin d'être sans fondement, et Ton comprend facilement qu'une commission ne pouvait pas ac^ cepter sans méfiance un instrument qui exigeait une nouvelle étude et un nouveau doigté et dont les avantages ne devaient se faire sentir que dans un temps éloigné. En formulant leur verdict au nom du coloris instrumental et de la variété des tim- bres, Lefebvre, Eler, Duvemoy, Mehul, Cherubini, Gossec, Barrette et Catelse servaient des arguments qui militent encore aujourd'hui en faveur des anciens instruments, malgré les incontestables pro- grès de la fiacture]: (plus grande que la précédente) est propre < au genre pathétique et majestueux; la clarinette en la (la plus « grande de toutes) est propre au genre pastoral. Il est incontes- « table que la nouvelle clarinette de M. Muller, si elle était exclue « sivement adoptée, priverait les compositeurs de la ressourcé que « leur donne l'emploi de ces caractères très-distincts (2). » Ces avantages étaient, à la vérité, balancés dans la clarinette de Muller par une plus grande justesse et l'amélioration d'un certain nom- bre de sons, mais les arguments de la conmiission avaient leur raison d'être; eUe avait vu aussi un inconvénient dans la dispo- (1) IWAN-MuLL]$R, Méthode povr la nouvelle clarinette et clarinette alto^ iuivie de quelques observations à Vusage des /acteurs de clarinettes, un vol. (2) Voir ce rapport au Moniteur du 81 mai et du 17 décembre 1812. INSTRUMENTS A VENT. 121 « sition de la pompe qui servait à mettre les clarinettes d'accord avec Torchestre, si le besoin s'en faisait sentir pendant le cours d'une représentation. Si Muller en a appelé avec succès devant le pubKc du jugement du Conservatoire, ce ne fiit pas sans qu'on apportât quelques modifications sérieuses à son premier modèle. Parmi ces perfectionnements, un entre autres était indispensable pour rendre le doigté praticable. Janssen, -clarinettiste à l'Opéra, aplanit ces difficultés. Francœur le fils a longuement apprécié les inventions de cet artiste dans un rapport publié par la Société d'encouragement (tome XXI, page 40). a: L'ancienne clarinette, « dit-il, est coupée en trois endroits, les deux parties qu'on « nomme chalumeau et clarii^ette sont partagées par deux clefs oc du la au si, de si à ut % et de ut à mi\> i il en résulte que « certains passages ne peuvent se faire parce qu'il faut à la « fois, et avec le même doigt, déboucher un trou et en boucher « un autre, ce qui est physiquement impossible. M. Janssen « imagina de garnir deux des clefs de pièces cylindriques, mo- « biles sur leurs axes, qu'il nomma des rouleaux et au moyen « desquelles il était assez facile d'attaquer successivement ces « deux pièces en roulant le petit doigt de l'une sur l'autre. » Ces rouleaux, qui dataient de 1804, forent perfectionnés^pour la clarinette Muller. Ils présentaient l'inconvénient de pouvoir échapper sous les doigts, dans les tenues, mais avec de l'atten- tion un artiste expérimenté pouvait aisément remédier à ce dé- faut. Nous avons vu que les rouleaux de Janssen furent appli- qués à la flûte,! avant l'invention du système Bœhm, et aussi au basson. En 1827 Simiot, de Lyon, produisit sa clarinette à 19 clefs, qui eut un certain succès. Déjà vers 1808, cet habile facteur avait fait des tentatives. Il avait ajouté une septième clef et poussé le registre aigu jusqu'au sol. Simiot a consigné lui-même ses premières innovations dans un tableau publié en 1808 (1), mais les inventions de 1827 sont plus importantes et méri- tent de nous arrêter un instant. Portant le nombre de clefs à 19, il améliora et déplaça le trou de si bémol, déplaça le trou de (1) Tableau explicatif des innovations faites à la clarinette^ par Simiot, facteur j ^ue feuille in-f, 1808, 122 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. sol et lui substitua une clef, ajouta une autre clef pour triller le ia sur le si bémol, améliora la clef de si naturel au chalumeau, pour triller le la naturel, et la clef d'ut bémol au si naturel, pour faciliter le trille du si bémol au la dièse. En 1836 Adolphe Sax voulut faire pour la clarinette une réyolutipn radicale, ana- logue à celle que Bœhm ayait opérée dans la flûte. Sans y réussir aussi complètement, le facteur belge, en changeant la division de la perce, en plaçaiUt ses cle& d'une façon plus rationnelle, en adoptant le système des tringles, fit faire de grands progrès à cet instrument. Malgré ses beaux travaux, il restait encore bien à faire, et, en 1844, BufPet, s'inspirant de Bœhm, construisit une excellente clarinette qui devint celle dont on se sert aujourd'hui le plus ordinairement dans nos orchestres. En inventant la clari- nette à anneaux. Buffet avait ajouté trois trous qui permettaient de supprimer les fourches de si bémol et fa naturel, sans chan- ger notablement le doigté, et d'égaliser les sons entre eux. Klosé fut le virtuose qui contribua le plus au succès de la clarinette, dite de Bœhm. Sa méthode de 1842 a été traduite en anglais en 1873. Malgré ces inventions, l'ancienne clarinette à treize clefs n'esjb 'pas encore complètement abandonnée, et un grand i;Lombre d'ins- trumentistes continuent à en faire usage, ne croyant pas devoir sacrifier le beau timbre de l'ancien instrument aux avantages que les nouvelles clarinettes présentent à l'exécutant. A l'exposition de 1867, MM. Romero, de Madrid (1) et Albert, de Bruxelles, présentèrent en même temps une clarinette perfec- tionnée qui obtint l'approbation du jury ; mais, si la clarinette de MM. Albert et Romero offrait en effet quelques améliorations, auxquelles le rapporteur a largement rendu justice, un autre fac- teur belge, M. Mahillon, avait exposé un instrument identique- ment semblable à celui de Romero, sans que ces trois artistes aient eu connaissance de leurs travaux. Déjà Sax père avait fabriqué des clarinettes, dites à long tenon, dans lesquelles il avait pu don- ner sa vraie place à la clef w^ dièze et solâibze. MM. Albert Ro- mero et Mahillon reprirent ce procédé, et de plus appliquèrent un système qui permettait d'améliorer les notes sol dièze, la bémol. (1) Espïicacion y ejercicios practicos por d clarinetto Romero, in-4° oblong, 1868. INSTRUMENTS A VENT. 1*23 la naturel, sol dièze, si bémol, et de les produire par les trois doigts de la main droite au moyen de tringles qui agissaient sur Touver-^ ture de ces trous. Jusqu'ici, dans ce paragraphe, nous n'avons fixé notre atten* tion que sur la clarinette ténor. Comme tous les autres instru- ments la clarinette a vu augmenter sa famille, tant au grave qu'à -l'aigu. Les. petites clarinettes en mi bémol et en /a, employées dans les musiques militaires, la clarinette soprano en si bémol dfe Sax, qui n'était autre chose que la clarinette en si b avec plus d'étendue, enfin la clarinette soprano ou sopranino en la \> aigu (1840), poussent cette famille jusqu'aux dernières notes élevées de l'échelle musicale. Le registre moyen est rempli par la clari- nette ordinaire d'orchestre, avec ses tons de si bémol, si naturel, à'ut et de la. En 1777, un facteur nommé Hom inventa à Passau un instrument qui devait être à la clarinette ce que le cor an- glais était au hautbois. Cette sorte d'alto prit le nom de son in- venteur et, par une singulière traduction, le basset Horn devint le cor de basset français et le corna de bassetto italien. Malgré ijuelques perfectionnements apportés par Lotz en 1782, cet ins- trument, surtout dans le registre grave, était des plus imparfaits. Cependant le besoin d'un beau timbre plein au-dessous de celui de la clarinette se faisait tellement sentir que le cor de basset eut l'honneur d'être employé par Mozart dans la Flûte enchantée, dans la Clémence de Titus et dans le Requiem, par Vogel, et par plusieurs autres musiciens allemands, mais il ne fdt admis en France que très-tard, lorsque, sous le nom de clarinette alto, il fdt complètement transformé. Ce fut Iwan Muller qui, en même temps qu'il perfectionnait la clarinette, reprit le cor de basset et en fit la clarinette alto. Dans le rapport que nous avons déjà cité, cet instrument reçut de grands éloges et l'inventeur en a donné les principes à la suite de sa méthode de clarinette. Il rectifia la perce et il donna aux clefs une disposition analogue à celle de la clarinette ordinaire. Simiot adapta à la clarinette alto les changements déjà appliqués au basson et dont nous avons parlé dans le paragraphe précédent. Enfin Ad. Sax, dirigeant toujours ses efforts vers le perfectionnement de la famille des cla- rinettes, améliora la clarinette alto. Non contents d'avoir inventé un baryton de clarinette, les fac- 124 HISTOIfiB DE l'instrumentation. tenrs cherchèrent encore à augmenter le registre graye et fabri- quèrent des clarinettes basses. Le premier essai de ce genre fut fait par Grenser, de Dresde, en 1793. Puis, en 1807, un nommé Dumas, ancien chef de Torfévrerie de l'empereur, inventa une clarinette basse»à treize clefs,^^qui fut agréée par le Conservatoire ; mais sa clarinette était peu juste et difficile à jouer, de plus le nombre des clefs qui devait retarder dans notre pays le succès d'Iwan Muller, fut aussi une cause de défaveur pour la clarinette basse. Le pauvre Dumas, ruiné par les événements de 1815, moir- rut à l'hôpital en 1832, en confiant son invention à Dacosta.. Celui-ci ne tarda pas à livrer au public cette clarinette qui était munie d'un serpentin semblable à celui du basson. Avant lui, en 1828, Streitwolf de Gottingue avait inventé une clarinette basse, une octave plus bas que la clarinette en ut Elle avait la forme du cor de basset et dix-sept clefs. Son timbre ressemblait à celui do ce dernier instrument, mais il était plils plein et plus nourri. En 1836, Buffet reprit cette invention et produisit la clarinette basse sonnant l'octave de la clarinette en uU Ce fut cette clarinette que Meyerbeer employa dans les Huguenots. La clarinette basse, attendait encore des améliorations et ce fut Ad. Sax qui les ac- complit. Il changea la perce et fit près de l'embouchure un petit trou, gros comme la tête d'une épingle, qui permit de donner au chalumeau une égalité irréprochable et y adapta une clef ou- verte qui ne changeait rien au doigté. A partir de cette époque la clarinette basse n'avait plus guère de progrès à faire et, bien qu'on puisse citer encore une maladroite contrefaçon sous le nom grotesque de batyphon, par le Prussien Wieprecht, dont le nom reviendrait souvent sous ma plume si je faisais l'histoire des: contrefacteurs, et une clarinette basse de Muller descendant à Yut (1844), une bonne clarinette descendant une tierce plus bas que la clarinette basse et exposée en 1867 par Lauss Schmidt, d'Olmûtz^ on peut réellement faire dater de 1838 le dernier per- fectionnement apporté à la clarinette basse. Pour compléter la famille, il manquait une clarinette contre- basse et c'est encore à Ad. Sax que nous en sommes redevables. En 1830, Streitwolf, de Gottingue, construisit une clarinette con- tre-basse qui avait deux octaves et demie depuis le contre /ûj jus- qu'au si b d'en haut. Pour la forme et le doigté, cette clari- INSTRUMENTS A VENT. 125 nette différait peu de la clarinette basse. Elle n'était pas pins grande que le basson et avait quatre notes de plus. Sax cons- truisit sa clarinette contre-basse en cuivre ; ce n'était pas la pre- mière fois que ce métal était employé pour les clarinettes et déjà, en 1818, Alary avait fait de ces instruments en cuivre. Nous avons eu déjà l'occasion de dire notre opinion sur l'emploi du métal à la place du bois, aussi ne reviendrons-nous pas sur ce sujet. Pont donner de l'égalité à toute l'étendue de l'instrument, Ad. Sax fit le tuyau large dans la partie supérieure et se rétrécissant jus- qu'au pavillon, point où se trouve placé le trou de sol et de ré. Au moyen de cette clarinette contre-basse, la famille était consti- tuée. Je ne sache pas qu'elle ait été employée toute entière à l'or- chestre, mais elle permit d'établir ainsi l'échelle : Clarinettes aiguës, en la byfa, mi b, ré; Clarinettes soprano, ut, si D, ou la ; Clarinettes alto, /a ou mib ; Clarinettes basses, ut ou sib ; Clarinettes contre-basses, fa ou mi b. . M. Kastner, dans son Traité d'instrumentation (1), cite encore une clarinette-lourdon, plus basse que la clarinette basse; nous ne connaissons pas cet instrument, et nous pensons que dans de pareilles régions il n'est plus question de timbre ou de sono- rité, mais plutôt d'un grondement dont l'effet ne doit pas être des plus satisfaisants. Pour compléter l'histoire matérielle de la clarinette, nous avons dû citer des instruments comme la clarinette soprano , la clari- nette contre-basse et la clarinette bourdon qui ne sont pas en usage; mais, si ces inventions sont ingénieuses et prouvent une louable tendance vers la reconstitution des familles instrumenta- les, nous pouvons, sans trop de hardiesse, prédire que les deux extrémités du registre des clarinettes, à l'aigu comme au contre- grave, ne pourront jamais être d'une bien grande utilité dans la composition. On sait combien le son de l'instrument est aigre et désagréable à partir de Yut au-dessus des portées et combien son emploi est dangereux et difficile à l'orchestre. Au registre contre- (1) Kastner, Traité général d' instrumentation j comprenant les propriétés et Vusage de chaque instrument, précédé d'un résumé sur les voix, in-fo, Paris, Prilipp, avec lui supplément concernant les nouveaux instruments de Sax. 126 HISTOIRE DE L'INSTRUHENTATION. grave, un autre inconvénient se présente ; outre que rinstrument est très-fatigant à jouer, la sonorité molle et flasque des contre-bas- ses de clarinette ne pourra produire un bon effet que dans des cas excessivement rares et encore doit-elle forcément se fondre avec celle des «instruments graves en cuivre. Maië c'est sur le re- gistre le plus beau et le plus nécessaire de la clarinette que les facteurs fixent surtout leur attention. Malgré tous leurs efforts, le passage du chalumeau à la clarinette est encore défec- tueux et leg trois notes «oZJ, Za et sib, placées au centre même de réchelle musicale, dans le registre» le plus usité, laissent encore beaucoup à désirer sous le rapport du timbre, à cause du voisinage de Tanche. Tout bien considéré, tout en applaudissant aux efforts des facteurs qui ont tenté de perfectionner l'instrument , nous sommes forcé d'avouer que notre clarinette, quelle que soit l'in- géniosité de son système, n'est pas de beaucoup supérieure aux vieilles clarinettes à treize, quatorze et quinze clefs. Cela est si vrai que M. Gevaert, en arrivant au Conservatoire de Bruxelles dont il est directeur, et voulant introduire officiellement la cla- rinette Bœhm dans cette école, l'abandonna, paraît-il, sur le con- seil des meilleurs clarinettistes. Bien des choses sont encore à faire, mais que les inventeurs ne perdent point de vue qu'aucun timbre n'est plus nécessaire au compositeur que celui de la clarinette dans toute son étendue ; qu'il faut bien se garder surtout de fon- dre en un seul les deux registres de chalumeau et de clarinette, si distincts l'un de l'autre ; que, si la justesse absolue de ces ins- truments devait être acquise au prix de ces inestimables qualités, mieux vaudrait cent fois laisser .aux virtuoses le soin de pallier eux-mêmes, grâce à leur habileté, les défauts de leur instrument, que sacrifier une des voix les plus belles et les plus colorées de notre orchestre (1). En groupant les instruments d'après leurs embouchures , c'est à côté des clarinettes que nous devons placer le saxophone , mais l'anche est le seul rapport qui existe entre ces deux instruments. (1) Voir sur les' difiEérentes clarinettes, outre le rapport des Expositions de 1865 et 1867, par Fétis, et V Organographie de Pontécoulant, un excellent article de God.Weber dans la Cœciliay t. II, p. 36, 1827 ; deux articles de Fétis, Revue musicale^ 1827-28, pages 217, 495 et 516; Revue et Gazette mîisicaley 1841, pages 9, 19 et 169. INSTRUMENTS A VENT. 127 Le tuyau du saxophone affecte la fonne conique, au lieu de la forme cylindrique ; son accord se fait par octave comme celui de la flûte, et non par douzième; le saxophone octavie et la clari- nette quintoie. Il est vrai de dire que c'est probablement en cher- chant à faire octavier la clarinette, que M. Ad. Sax a trouTé le saxophone. Mais, quelle que soit l'origine de cet instrument, il n'en faut pas moins reconnaître qu*en inventant le saxophone, le facteur belge a doté l'orchestre d'une voix nouvelle et absolument sui generis. Le système des clefs et des palettes n'a aucun rap- port avec celui des anneaux et des clefs de la clarinette ; Tanche elle-même, tout en procédant du même principe, diffère cepen- dant en quelques points de celle de la clarinette, la' languette est plus forte et plus large et légèrement bombée au centre, et le bec n'a pas la même forme. Il n'est donc point permis, après la plus légère inspection, de prétendre, comme on l'a fait souvent, que le saxophone n'est qu'une clarinette en cuivre. C'est un instrument absolument nouveau qu'Ad. Sax créa en 1840. Il construisit d'a- bord un individu du registre grave, puis, après son arrivée à Pa- ris, il compléta la famille. Du grave à l'aigu le système des clefs et du doigté est à peu près le même pour tous les saxophones, ((ai forment un groupe instrumental, s'étendant du si grave au/a au- dessus de la 3® ligne supplémentaire de la clef de sol, et se parta- geant ainsi l'échelle musicale : 1** Saxophone aigu en mi b (peu usité) ; 2** Saxophone soprano en ut ou sib ; 3*^ Saxophone alto en fa ou mi b ; 4® Saxophone ténor enutousib', 5** Saxophone baryton en fa ou mi b; 6"* Saxophone basse en ut ou si b ; 7® Saxophone contre-basse en fa ou mi\? (peu usité) ; 8® Saxophone contre-basse en ut ou si b (peu usité). Ces instruments ont dq 18 à 22 clefs et, en guise d'anneaux, des palettes pour boucher les trous en facihtant le doigté. Le saxo- phone est encore trop neuf pour avoir une histoire, mais on peut dire sans crainte qu'en l'inventant, M. Sax a ajouté une nou- velle voix à l'orchestre. En 1844, M. G. Eastner, dans le Der- nier Roi de Juda, fit faire à cet instrument ses débuts dans la musique instrumentale; M. Limnander, en 1851, employa, 128 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. dans Tentr'acte du premier au second acte de Barhe Bleue, un saxophone alto en mi\>^ et on a entendu dans V Africaine ce bel instrument; dernièrement enfin M. Ambroise Thomas, dans ffamïet, a prouvé quel magnifique parti on pouvait tirer du saxophone au théâtre. Moins beau que celui de la clarinette, son timbre est plein et doux, avec une couleur particulière de tristesse et de résignation qui, dans certains cas, peut être d'une grande utilité aux compositeurs, et sa justesse est irrépro- chable. C'est une teinte de plus sur la riche palette des maîtres instrumentistes, mais, jusqu'à ce jour, c'est encore dans la musi- que militaire 'qu'il a rendu les plus grands services, depuis qu'en 1846 son emploi est devenu réglementaire dans les régiments. Il relie entre eux les registres aigus et graves des cuivres; joint aux clarinettes, il joue à peu près dans l'harmonie le rôle des instru- ments à cordes dans l'orchestre, de plus, et ceci n'est pas son moindre mérite, il tranche par sa sonorité moelleuse sur les tons crus et monochromes de la masse des cuivres. «. IV. INSTRUMENTS A EMBOUCHURE. — 1"* INSTRUMENTS A EMBOUCHURE EN BOIS : CORNETS A BOUQUIN ET SERPENTS* Un des caractères distinctifsdè l'instrumentation, aux xvi® et XVII® siècles, est l'emploi des cornets en bois auxquels on ajou- tait un bocal ou bouquin en bois ou en ivoire, qui communi- quait avec le tuyau de l'instrument, au moyen d'un trou fort étroit de quelques lignes de diamètre. C'est ce bocal qui fit don- ner à toute la famille des cornets le nom de cornets à bouquin. Dès le moyen âge nous trouvons ces instruments, et au xvi® siè- cle leur famille est régulièrement constituée. Il y avait deux sortes de cornets : les droits et les courbés ; on les appelait aussi cornets blancs, et cornets noirs. Les premiers étaient en bois ou en ivoire, leur son était fort doux (lieblich zu hôren), et c'est pourquoi on les nommait aussi cornets muets {stille zincke ou cornetti muti). Leur embouchure pouvait se séparer du corps de l'instrument. Leur étendue était la même que celle des cornets courbés, à l'embouchure adhérente, qui leur survécurent et parvinrent jusqu'à nous, puisque Gluck les employa et qu'il y INSTEÎTMENTS A VENT. 129 a peu d'années on ponyaît encore en entendre au fond de quel- ques églises d'Allemagne. La famille avait pour basse le comon , une quinte plus bas que le baryton. Ces instruments, dont les soprani et ténors servaient de dessus aux trombones, subirent peu d'altération pendant les xvi% xvii*, xviii* siècles. Les dessus avaient sept trous sans clefs. Leur son était fort éclatant, d'après ce passage de Mersenne : voulut auïéliorer le serpent par une nouvelle perce de l'instrument et par l'addition de plusieurs clçfs et le rendit plus portatif en le divisant en trois morceaux. Il donna ainsi naissance au basson russe qui fiit assez répandu au commencement! de ce siècle dans les musiques militaires. A l'é- poque de Laborde> en 1783, lé serpent était en tout semblable à celui de Mersenne. Mais au commencement de ce siècle, au mo- ment où cet instrument prit place dans l'harmonie militaire, on songea sérieusement à lui donner plus de justesse et à faciliter l'émission des intervalles chromatiques et aussi à le rendre plus portatif pour des soldats en marche. La méthode de serpent, ré digée par Rose, pour la collection de méthodes de Conservatoire (1) Lebœup, Mémoire concernant V histoire eccîésiastiqus et civile cPAuxerrey Paris, Durand, 1743, 2 vol. iii-4<», 1. 1, p. 643. Voir aussi dans l'éd. d'Auierre, m-i.^, 1848 & 1856, t. II, p. 189, une note intéressante, mais que les dimensions de ce travail ne nous permettent ni d'approfondir, ni de vérifier. INSTRUMENTS A VENT. 131 donne la figure du serpent construit par le facteur Piffaut. Cet instrument, qui n'était pas recouvert d'une envelcfppe de cuir, avait aussi les sons plus éclatants. Vers 1804, Frichot présenta au Conservatoire un serpent en laiton, appelé basse-cor, instru- ment compliqué qui tenait du serpent et de la trompette (1). En 1813, Sautenneister imagina un instrument analogue appelébasse- orgue. Vers 1822 on vit paraître le serpent Forvielle, avec dix trous et quatre clefs, pour lequel Hermenge a écrit une méthode, et Feidhart, potier d'étain à Leipzig, fabriqua avec ce métal des serpents dont le son était, disait-il, très-beau et très-harmo- nieux. Au-dessus du troisième trou il avait appliqué une clef. La collection des brevets de 1828 (t. IL p. 81) donne la fi^e d'un serpent appelé, par Bon inventeur Cœffet, ophymonocUide, dans lequel une seule clef servait à exécuter les dièses et les bémols. De plus, une pompe, placée près de l'embouchure/ permettait de mettre l'instrument aux tons d'opéra ou de cathédrale, un tiers de ton plus bas. Enfin, en 1840, Bachmann produisit son ophy- baryton en bois, qui n'était qu'une variété des espèces précéden- tes. A partir de cette époque les grandes basses de cuivre ont rendu inutiles les basses de bois dans les orchestres militaires; l'ophi- cléide, comme nous l'avons dit, a été préféré pour soutenir la voix des chantres, et le serpent, tombé en désuétude, n'a plus été l'ob- jet des travaux d'aucun facteur. Cet instrument peu juste et au timbre désagréable, malgré quelques belles notes caverneuses qui pourraient servir pour des effets sombres et terribles, fatiguait horriblement l'exécutant et n'est guère à regretter (2). 2° INSTRUMENTS A BOCAL EN CTTIVRE : CORS, TROMPETTES ET TROMBONES. LES FAMILLES MODERNES, LJSS TIMBRES. Si, pendant les xvi' et xvii" siècles, il paraît difficile d'ex- poser clairement l'histoire des instruments, à cause du grand (1) Voir planches et description. Brevets d^inventionj t. V, p. 364, pi. 16. (2) Voir aussi snr le serpent un bon article dans la Correspondance despro/eS' seurs et amateurs de musique (par Cooatrix), 2® année, 1804, p. 331 ,339, 346. 132 HISTOIBE DE L'INSTRUMENTATION. nombre de noms qui les désignent, les enivres^ depnîs cinquante an£f, semblent se mnltipUer poor embarrasser Thistorien, pour rendre impossible toute classification. Cependant^ en remontant d'abord an principe de résonnance des tuyaux simples, en mon- trant d'après quelles théories ces tujraux ont tu augmenter le nombre de leurs harmoniques, il devient plus facile d'esquisser rapidement leur histoire. Tout instrument de cuivre cylindrique ou conique, dont la note fondamentale est ut, par exemple, donne naturellement, dans la première octave, ut, sol, dans la seconde, ut, mi, sol, si b, dans la troisième ut, ri, mi, fa (1), sol, la, si, ut. De plus l'exécutant, en bouchant avec la main le pavillon de l'instrument, quand sa forme le permet, fait descendre d'un demi-ton toutes les harmo- niques naturelles ; enfin , au moyen des lèvres, un habile artiste peut altérer quelques-unes des notes de l'échelle primitive. Les sons naturels, dont les derniers sont généralement d'une émissicm difficile, ne suffisent pas aux compositeurs, malgré la beauté et la sonorité de leur timbre. H faut donc enrichir ces instruments de nouvelles séries d'harmoniques qui viennent com- pléter l'étendue primitive. Pour atteindre ce but, il n'y a que deux moyens : ou allonger le tuyau, en y adaptant des tubes additionnels, et donner naissance à de nouvelles harmoniques, ou percer l'instrument de trous qui, fermés ou ouverts à la volonté de l'exécutant, changent l'étendue normale de l'instrument De ces deux artifices, le premier est celui qui a donné nais- sance au plus grand nombre de modifications. Pour ajouter ces tubes supplémentaires on trouva successivement deux moyens. Le premier, le plus simple, mais aussi le moins commode, consiste à ajouter de nouveaux tubes à l'instrument à mesure qu'on a besoin d'une nouvelle série d'harmoniques; dans le second, les tubes sont à demeure, et on les ouvre ou ferme à volonté, par des soupapes, pistons, cylindres, etc., qui les mettent en communica- tion avec le tuyau principal Enfin, on a aussi le procédé des coulisses mobiles qui, raccourcies (1) Nous ferons remarquer an lectenr qne le /a de la troisième octave n'est pas absolument juste. Bans être tout à fait xm/a dièze, il est plus haut qne le fa natureL (Le fa i. naturel est de 1,365,33 vibrations, le /a 1 dièze 1,422,22, le/a de la trompette donne seulement 1,408.) \ \ INSTEUMBIÎTS A VENT. 133 on rallongées avec la main, donnent différentes séries d'harmo- niqaçs ; maîs^ ontre que la conlisse ne peut s'adapter qn'à des instruments droits, comme la trompette et le trombone, elle est, par sa nature même, susceptible de peu de changements. . A chacune des familles d'instruments que nous allons étudier, cors, trompettes, ou trombones, les divers systèmes ont été adaptés. Dès le XVI® siècle, nous trouvons la coulisse mobile et les tubes additionnels ou tons de rechange. Au xviii*^ siècle, on décou- vre les sons bouchés du cor, on fait à la trompette et au bugle l'application des clefs, enfin dans les premières années de ce siècte, on voit apparaître les pistons, les soupapes, les cylindres et leurs nombreuses variétés. Il est à remarquer que le plus souvenb^ces diverses inventions étaient appliquées sknultanément aux instru- ments comme le cor, la trompette ou le bugle, aussi nous côn- tenterons-nous, pour donner plus de ckrté à notre récit, de signaler chacune de ces découvertes sans revenir sur le détail de son appropriation aux différents instrmnents. Bien que les cornets et les cors soient classés dans la même famille et que leurs tubes affectent également la forme conique, nous ne pouvons nous résoudre à placer à Côté l'un de l'autre deux instruments si différents de timbre et de caractère. Nous # décrirons donc le cornet avec les bugles et les clairons chroma- tiques dont il s'est rapproché, surtout dans ces derniers temps, par sa sonorité et sa construction, et nous esquisserons en peu de mots l'histoire des diverses sortes de cors. Considéré comme instrument de chasse, le cor en bois, en rvoire ou en métal remonte, on le sait, aux premiers temps du moyen âge. Presque droit d'abord, puis cintré, puis enfin ployé en 'rond, au commen- cement du XVI® siècle, il devint la trompe, qui ne servit- au théâtre que lorsqu'on représentait quelque épisode de chasse, mais qui donna naissance au cor allemand ou cor d'harmonie. Celui-ci est une des plus précieuses conquêtes de l'art moderne et par la poésie de son timbre et par la beauté de ses sons. Connu et employé en Allemagne et en Italie, dès le commencement du xviii° siècle, où il servait de basse aux trompettes, il fut intro- duit en France vers 1765 et Rodolphe le fit le premier entendre à Paris en accompagnant un air concertant chanté par Legros, Amour dans ce riant bocage, écrit par Bojer, et qui obtint un très- 134 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. grand succès (1). C'est en Allemagne qu'on appliqua à cefc instru- ment les tons de rechange, pour le rendre plus propre aux diverses modulations de la musique d'orchestre.. En 1760, Hampl décou- vrait les sons bouchés. Il semble pourtant que cet artifice n'ait pas été répandu en France et en Italie, car on sait que pour pro- duire le terrible appel des cuivres dans l'air de Caron d'Alceste, Gluck dut aboucher les pavillons de ses cors, et Berlioz (2) raconte comment, en changeant le ton des cors et en employant les sons bouchés, il est arrivé à faire produire l'effet cherché pf^r le grand maître. Vers 1760 aussi un facteur nommé Haltenhof inventait la pompe à coulisse et permettait de rectifier la justesse de l'intonation. A l'époque de Laborde, en 1788, le cor simple était à peu près ce qu'il est aujourd'hui, mais son emploi était fort restreint, et ce ne fut qu'avec Méhul et Cherubini que les com- positeurs commencèrent en France à tirer de ce bel instrument tous les effets dont il est susceptible. Bientôt on sentit le besoin d'augmenter l'étendue du cor; Bluhmel, en 1813, avait imaginé d'allonger ou de raccourcir la colonne d'air au moyen de ventiles ou pistons, et ce fut au cor qu'il appliqua d'abord son invention (3), qu'il vendit à Stolzel, de Breslau, qui, à son tour, l'appliqua aux instruments aigus et passa pour l'inventeur des pistons. En 1821, Schmittschneider inventa un cor avec 23 tons de rechange, et voulut appliquer le même système à la trompette, mais ce procédé était trop compliqué pour réussir. En 1824 Sax fit paraître son cor omnitonique. Dans cet instrument, les tubes additionnels étaient mis en communication avec le tuyau principal au moyen d'un piston qu'on faisait avancer ou reculer d'environ 13 milli- mètres, sur une échelle graduée. Sur une branche séparée, on avait établi une sorte de registre mobile que l'instrumentiste tirait ou poussait à volonté, pour indiquer le nouveau ton, puis, lorsque le cor était mis au ton cherché, le musicien exécutait comme sur un instrument ordinaire. On peut lire dans les Brevets français la description détaillée d'un cor analogue importé en France, au nom de Sax, par Stuckens, de Lille, en 1826 (4). A partir de ce jour (1) Castil-Blazb , Frante musicale.- (2) A travers chants, p. 185. (3) V. Kastner, Manuel de musique militaire, in-4o, 1848. (4) V. Brevets français, t. XXII, p. 809, pi. 2. INSTRUMENTS A VENT. 135 les inventions de ce genre se multiplièrent à l'infini ^ mais notre intention n'est pas de les décrire toutes, aussi nous contenterons- nous de citer les principales, renvoyant le lecteur aux rapports de Fétis sur les expositions de 1855 et 1867, à l'ouvrage de M. de Pontécoulant, que nous avons déjà souvent cité et surtout aux brevets d'invention. En 1826 le célèbre corniste Meifredç^ trouvant excellente l'iU- yention de Stôlzel» fijb contnyre par Labbaye un cor à troisipistons dont les tubes pouyaient se raccourcir ou se rallonger à volonté. Un habile facteur,^ Antoine Halary,^ apprécia toute la valeur du' système de Meifred ^t donna à la disposition des tubes le dessin et la grâce qui leur manquaient. En 1834, le facteur Desliayes, voulant rendre plus juste Téchell^ générale ^ adapta au cor deux tubes additionnels qui se fermaient par des valvules, maintenues par des ressorts, mais ce procédé ingénieux demandait trop de temps pour être appliqué pendant l'exécution d'un morceau. Non content de ses premiers travaux, Halary chercha à remplacer les pistons par un système de plaques tournant sur leurs â^es au moyen d'une clef et faisant entrer l'air dans les tubes addition- nels (2). Pelito, îServeny, Muller, d'autres facteurs encore tentè- rent de perfectionner le cor omnitonique et Jules Halary fils apporta à Tinstrument ses dernières modifications, en lui appli-. quant les tubes ascendants et descendants, en raccourcissant les tubes de rechange pour les notes hautes. Dans ces dernières années Alphonse S^z, frère du &cteur dont nous avons fréquemment parlé, appliqua au cor un perfectionne- ment qui mérite d'être signalé et qui ne sera pas certainement sans exercer une heureuse influence sur la facture des instruments de cuivre. Ayant remarqué que les tubes additionnels dn cor étaient cylindriques, pendajit que le tuyau principal était conique, il com- prit que cette différence de perce devait altérer lés vibration^ de la colonne d'air; il s'efforça de donner aux tubes communiquant avec les pistons la perce conique. Je n'ai point entendu ces ins-. (1) Kapport de l'Académie çles Beaux- Arts sur la méthode de cor chroma- tique. (2) MlEiFRED, Méthode pour h cor chromatique ou à pistons j Paris^ Bichault, in-fo, l'« éd., 1840 ; 2«, 1869. 186 HISTOIBB DS L'INSTBUMENTATION. . troments^ mais je sais persuadé que cette découverte aura pour la facture les meilleml^ résultats. L'invention des pistons et des tubes indépendants^ dont nous parlerons plus en détail au sujet du trombone^ changea la facture du cor. Avec ce système qui a été recommandé par le corniste Mohr^ on a pour ainsi dire quatre instruments^ celui du ton^ plus ceux de/a^ de mi et de ré, sans prendre de tons de rechange; en ajoutant un piston on obtient le tonde réb, enfin un cinquième ouvre le tuyau d'uL La grande étendue du cor avec ses différents tons, l'habitude de partager à l'orchestre ces instruments en premiers et seconds, ce qui. constitue en réalité deux instruments différents, a rendu inutile le cor basse proprement dit, d'autant plus que la longueur du tube rendait son emploi très-fittigant ; cependant, à l'exposition de 1855^ un facteur, Czerweny, de Eônigsgratz, a exposé un cor en fa grave, appelé eomone» On attribue à Maurin, musicien du temps de Louis XII, l'art déployer les anciennes trompettes droites ; il serait &cile de prouver qu'avant le xvi* siècle on avait replié les tubes métalliques, mais cette discussion nous' entraînerait trop loin (1) ; contentons-nous donc d'étudier la grande trompette ou trompette de guerre, telle que nous la voyons dans les bois de Lusdnius. Pendant le xvi® siè- cle, elle subit peu de changements ; cependant, au commencement du XVII*, nous trouvons dans les planches de Praetorius l'adjonc- tion d'un ton de rechange, abaissant tout le diapason de l'instru- ment. Tout nous prouve que les dessus de trompettes, tels que le clairon, étaient connus, mais ni Prastorius, ni Mersenne, ne nous donnent de modèles. L'orchestre de Monteverde, que nous étu- dierons dans la seconde partie de ce travail, contient deux clarini (trompettes aiguës) et trois trombe con sordinù Ces trompettes avec sourdines, étaient, à notre avis, des trompettes ordinaires auxquelles on adaptait des sourdines dont Mersenne nous mon- tre l'usage et la figure. Mersenne dit aussi que les tons de rechange étaient appliqués à la trompette, c Elle est merveilleu- (1) Voyez la planche 98 de Carter, Monuments, éd. Brîtton. Montfaucon, Mo- numents de la monarchie françaieef t. II, p. 68 pour le xiv^ siècle. — Dusomme- rard;chap, YIII, pi. XVII pour le xv«. INSTRUMENTS A VENT. 137 a sèment grande, dit-il, lorsque Ton en sonne en perfection, et « que Ton prend tous ses tons elle descend encore d'une « octave entière, quoique plusieurs trompettes ne le croient pas, € parce qu'ils sont incapables de le faire. y> Lorsqu'on voit l'éten- due que Mersenne donne à cet instrument et qu'on lit ce qu'il dit de l'habileté des trompettistes qu'il a entendus, on est moins étonné des difficultés que Haëndel, Bach et les compositeurs de la première moitié du xviii® siècle 'ont écrites pour les artistes de leur temps. Les partitions de Bach et d'Haendel ne sont pas les seules qui présentent des difficultés aujourd'hui insurmontables pour nos trompettistes modernes ; les compositeurs qui ont précédé ces deux maîtres et dont nous analyserons les œuvres dans la seconde partie de ce mémoire, ne se sont pas privés d'employer la troi- sièriie octave de la trompette tout entière, et nous pourrions en citer de nombreux exemples. Même en France, on a vu des compositeurs donnera la trompette simple des partiesd'une exécu- tion aussi difficile que celle des grands oratorios allemands. Pour n'en citer qu'un exemple, Martini, dans la brillante ouverture de Henri IVy n'a pas craint de confier aux trompettes, dans la troi- sième octave, les notes soï^ïa, si, ut, au-dessus des portées, inexé- cutables aujourd'hui. Ces maîtres possédaient-ils des instru- ments différents de ceux que nous connaissons ; les virtuoses, par une étude patiente, arrivaient-ils à des résultats que nous ne pou- vons obtenir ? c'est un point sur lequel discutent tous les musico- logues. Castil-Blaze, s'appuyant sur un soi-disant texte de Mer- senne, prétendait qu'il existait des trompettes à clefs , mais le texte de Mersenne ne contient rien de semblable. Une intéres- sante discussion, soulevée par une découverte récente, semblait de- voir jeter un jour nouveau sur cette partie de l'histoire de la trom- pette. M. Otto Lessmann, de Berlin, rendant compte dans le Neue Berîiner MusiçJczeifung {oct6bTelS7 2) d'une découverte faite par M. Kasleck, musicien de la chambre royale, décrit une trom- pette droite de quatre pieds en si b, à laquelle on ajoutait un ton de rechange droit aussi, de quatre pieds, mettant, dit-il, la trom- pette enr^. Voilà, prétend-il, l'instrument de Bach etd'Haendel, c'est par lui qu'on peut expliquer les jparties'de trompettes con- tenues dans leurs œuvres. En découvrant des trompettes à tons 138 HISTOIRE DE L'INSTEXTMBNTATION. de rechange, M. Easleck n'a rien découvert du. tout, puisque» ' comme nou^ Tayons vu, Praetorius et Mersenne constatent la présence des tubes additionnels de la trompette. Que l'instrument soit droit ou courbé^ cela influe peu sur l'émission des dernières harmoniques de l'instrument. Du reste M. MahiUon ,. l'habile fac- teur de Bruxelles (1)^ a fût justice de cette découverte qui ne jette aucun jour bien nouveau sur l'histoire de la trompette. En effets non-seulement on connaît parfaitement l'existence d'anciennes trompettes droites, mais, de plus, nous savons par des textes parfaitement clairs et des dessins fidèles, que les vieux musiciens usaient de tons de rechange. Nous en sommes donc toujours réduits aux conjectures pour expliquer les parties con- fiées aux trompettes dans les oeuvres dont nous avons parlé^^ Le 9i naturel de la trompette en ut (8® ligne clef ^l) ét^it certainement obtenu, par la pression des lèvres, d'autant plus qu'il n'est ja^mais qu'une note très-rapide et de passage, dont la justesse n'était peut- être pas absolue. Enfin, nous pouvons faire remarquer que ce n'é- taient pas les tubœ, ougrandes trompettes, qui donnaient les notes ^igiies et presque inaccessibles, dans les œuvres des vieux maî. très qui ont précédé Bach et Haendel, mais bien les clarini ou dessus de trompettes. Un Te Deum de Rauch, que nous étudie- rons dans la seconde partie, prouve ce que nous avançons. Dans ce Te Deum de 1648, cinq parties de trompettes sont jointes aux trombones et aux voix. Elles sont ainsi désignées : Clarini. • •lo' /l. Tubffi ... 2. (3. Ainsi disposés, ces cinq instruments constituent une famille com- plète, comme on peut le voir dans cette importante composition dont la Bibliothèque nationale possède un exemplaire. Quoi qu'il en soit, vers la fin du xviii® siècle, les grands virtuo- ses de trompettes avaient disparu. Mozart s'était vu forcé de retoucher certaines œuvres de Bach et d'Haendel, et de rempla- (1) Voir dans VÉcho musical^ n"* 11 de 1871 et 1 de 1872, la traduction de Tarticle de M. Lessmajin, et la polémique de M. MahiUon. INSTRUMENTS A YEÎïT^ 189 cer, dans beaucoup de passages^ les trompettes par les elarinettes et hautbois. De plus^ la musique deyenait chaque jour plus mo- dulante, les anciennes trompettes ne suffisaient plus ; d'un autre coté^ rinvention de la clarinette avait donné à la musique de se* rénade une importance qu'elle n'avait point eue jusqu'à ce jour. Il fallut compléter l'étendue de la trompette et des instruments de cuivre. On voulut d'abord adapter des clefs à la trompette et on oréa ainsi le bugle-hom, qu'il ne faut pas confondre avec le bugle» tel que nous le connaissons aujourd'hui. On appliqua dès le prin- cipe à la trompette des trous latéraux et des clefs. En 1770 Eœl- bel, à Saint-Pétersbourg, inventa le cor (1) ou pour mieux dire le bugle à clefs. Ce fut probablement cet instrument qui fut apporté en France par les frères Bralin, habiles trompettistes hanovriens, attachés à l'Académie royale de musique. De plus le musicien de chambre Michaël Vogel, à Carlsrûhe, inventa, en 1780, Vinven- tions'trompetê avec deux coulisses à rallonges (2). D'autres écri- vains attribuent à Haltenhoff l'idée d'appliquer à la trompette des coulisses analogues à celles du trombone, tout en conservant les tons de rechange en fa, en ré, en ut, en si bémol. Enfin ce fat entre 1801 et 1803 que parut véritablement la trompette à clefs. L'idée en revient au musicien de cour Weidinger, deVienne, qui se fit faire une trompette à clefs, sur laquelle il pouvait exécuter avec justesse tous les demi-tons de deux octaves, Weidinger joua de sou instrument en public pour la première fois à Leipzig en 1802 ; l'étonnement produit par cette trompette fat immense et le succès unanime (3). Asté, dit Halary (4), dont les cors sont fort estimés, créa toute une famille du genre trompette, dans laquelle il employait simultanément les clefs et les coulisses d'accord, vers 1821 (5). En 1823 Legrain, chef de musique au 7® régiment d'in- fanterie de la garde royale, reprit le système des coulisses à ressort d'Haltenhoff, avec tons de rechange en ré, en mi, en ut, en s» b, plus (1) Fribd. Zammenbr, Die musickj und mtuikaîischen irutrumentSy Çrieszen, 1856, m-80. (2) Hbinrich Welckbr von Gontershausbn, Magtizm musikaîùcher ton- toerkzeuge; Francfort sur le Main, 1866, un vol, in-4°. (3) Dictionnaire de Grerber, art. Weidinger. (4) Voyez, Brevets (1821), t. XXI, page 203, planche 29. (6) C'est dans GuUlaume-Tell, à l'entrée de Gessler au 3® acte, que la trom- pette à clefs fit ses débuts À l'Opéra. 140 HISTOIRE DB L'INSTEUMKÎÏTATIOK. tard en sol aigu, enréb, en si fcf, en to l;, et en la grave pour fabri- quer une trompette diatonique (1). David Buhl en joua en public, mais les ressorts étaient trop durs à la main et l'instrument eut d'abord peu de succès. Depuis, grâce à de nombreux perfection- nements, la trompette à coulisse^ a pris une place honorable parmi les instruments de cuivre. Ges coulisses ne donnaient que le ton et le demi-ton ; notre excellent trompettiste Dauvemé, en inventant une position de plus leur fit donner un ton et-demi(2). Pendant ce temps, il s'était accompli en Allemagne une grande révolution qm devait influer sur tout^ la facture des instruments de cuivre. Bluhmel dont nous avons déjà parlé au sujet du cor, avait inventé le' système des pistons que Stoelzel lui disputa. En 1827, Labbaye, profitant de cette découverte, imagina la trompette d'harmonie diatonique à ventilateurs et à pistons (d). En 1833, Pertus eut l'idée d'abandonner le tuyau rond et de le remplacer par le rectangulaire ovale ou carré qui présentait l'a- vantage de diminuer la course du piston (4). En 1838 Piat et Benoît voulurent remplacer les pistons par des soupapes qui s'ou- vraient et se fermaient à volonté (5). A partir de cette époque, le système des pistons et des cylindres l'emporta définitivement et ce fut sur cette partie de l'instrument que se porta l'effort des facteurs. Pour détailler toutes ces inventions un livre serait né-, cessaire, et si nous en citions une, il faudrait les citer toutes ; aussi arrêterons-nous là notre énumération, en rappelant que c'est dans Macbeth de Ohelard qu'on trouve en France le premier emploi des trompettes à pistons. Dans sa méthode de trompette, Buhl donne les règles pour jouer de la trompette d'harmonie, et il indique l'emploi des sons bouchés avec la main. Avec la trompette telle que nous la connaissons, pareille opération serait certainement impos- sible, et l'abaissement des harmoniques, par le moyen des sons bouchés, ne pourrait s'obtenir qu'avec une sourdine sem- • (1) Leorain, Tablature dressée pour la trompette à coulisse mécanique, in-f^'. (2) DauvernÉ; Màhodepour la trompettej précédée (f «» précis historique pour cet instrumenty Paris, Brandns et Dufonr, 1857, in-f<^. (3) Brevets, t. XXIV, p. 7, pi. 2, fig. 1. (4) Id., t. XXXIV, p. 162, pi. 25, (5) Td., t. XXXIX, p. 158, pi. 16. INSTRUMENTS A VENT. 141 blable à celle décrite par Mersenne. Mais il est bon de savoir qu'au commencement du siècle on faisait fort usage d'une trom- pette en ré, recourbée, nommée trompette d*harmonie, dont la forme rappelait un peu celle du cor et dans le pavillon de la- quelle on pouvait introduire la main. Il existe encore dans plu- sieurs collections et, en particulier dans celle de M. Mahiilon^ quelques spécimens de ce genre de trompette. Quelques écrivains regardent le cornet comme un membre de la famille des cors, dont il est le dessus. C'est même de cette ma- nière qu'il est quelquefois traité par les compositeurs. Tout en admettant parfaitement ce principe établi d'après la forme des tuyaux du cornet, nous préférons, pour la clarté du récit, le classer parmi les dessus de trompettes. C'est en effet le clairon ou soprano de trompette (cïaronceau,gresle au moyen âge, clarino .aux XVII® et xviii* siècles) qui, à notre époque, se fondit avec l'ancien post-hiom, véritable soprano de cor, et donna naissance aux différentes espèces de cornets à pistons. Au commencement du siècle, avec les trombones, avec l'ophicléïde, qui était venu se joindre au serpent et à ses dérivés, on avait constitué à l'orches- tre de cuivre des basses sufUsantes, mais on manquait encore d'ins- truments du même genre qui fussent capables d'exécuter les par- ties aiguës et auxquels on pût confier le chant. Les flûtes, les clarinettes et les hautbois remplissaient seuls cet office. On usait bien dans quelques musiques militaires du cornet simple, mais les imperfections de cet instrument le rendaient difficile à em- ployer. On eut l'idée d'appliquer au post-hom allemand le sys- tème des pistons nouvellement inventés, et on créa de la sorte un nouvel instrument, le cornet à pistons, qui eut un tel succès en France vers 1832, malgré la vulgarité de son timbre, que des compositeurs, et Bellini le premier, ne craignirent pas de lui confier des parties mélodiques importantes. Halary construisit en France le premier cornet à pistons d'après les principes du cor Meifred. Les cornets primitifs eurent d'abord deux pis- tons, puis Perinet, en 1829, en ajouta un troisième et compléta ainsi le cornet à pistons que nous connaissons. Depuis cette épo- que, le cornet a subi bien des transformations, dont voici les principales. En 1836 Guichard construisit un cornet à pistons qui, étant en mi b au ton fondamental, pouvait, au moyen d'un 142 HISTOIRE DM L'INSTRUMENTATION. mécanisme, être mis en ut et sib, et pâ* lequel on évitait ainsi des tons de rechange (1). Pour arriver au même résultat, Courtois, en 1838, ajouta quatre coulisses qui mettaient l'instrument de si b (le ton primitif) en la, en la b, en fa et en mi. Enfin, en 1854, M. Ar- ban, l'habile comettiste, mit en lumière un dernier perfectionne- ment dû au facteur Lecomte, et grâce auquel l'instrument pouvait aborder un plus grand nombre de notes autrefois mauvaises ou difficiles. M. Legendre a, dans ces dernières années, appliqué un système transpositeur qui, par une simple pression d'un des doigts de la main gauche, permet de baisser d'un demi-ton toute l'échelle du cornet. Sax appliqua des clefs au cornet à pistons, pour facili* ter les traits. Considéré au point de vue historique, le trombone a eu autre- fois une famille complète, et a mêmp été pendant longtemps le plus parfait des instruments de cuivre. Aujourd'hui, réunis par grou- pes de trois ou quatre en comptant le trombone-basse, ces instru- ments peuvent être considérés à la rigueur comme formant une famille , mais c'est surtout comme une sorte de trompette basse que nous devons l'étudier. En parlant du cor nous avons cons- taté seulement la présence des tons de rechange sans mentionner leur invention. En effet, ce qui a été considéré comme découverte n'est simplement que l'application au cor d'un procédé employé, depuis le xvi® siècle, pour la trompette, comme nous l'avons déjà vu, et pour le trombone, comme le disent en termes très-expli- cites Praetorius et Mef senne. Le trombone, avec sa coulisse, per- mettant de produire un grand nombre d'harmoniques, était connu sous le nom à'estivemesnahleou de sacg'i^e^fe, pendant le moyen âge. Les trombones au xvi® siècle étaient regardés, avec les vio- lons, comme les plus souples et les plus parfaits des instruments, lorsqu'un bon instrumentiste savait bien en tirer parti. Ils pou- vaient donner également les intervalles chromatiques et diatoni- ques, et, de plus, se mariaient parfaitement à la voix humaine (2). (1) Ce fut Adam qui fit ajouter le ton d*îUj dont U avait besoin pour son ballet de la FUle du Danube, en 1836. (Gbrson, Méthode de cornet à trois pistons, Paris, 1840, Catelin, in-f®.) (2) Artusi, Imperfettione délia moderna musica, in-fol. Venise, 1600. Botrigari, ilDesiderio, Bologne, 1690, in-4°. Martini, Storia délia musica, Bologne, 1757, in-fol., t. Il, p. 430. INSTRUMENTS A VENT. 143 Ils servaient autrefois, ei%)riiicipalement dans les églises d'Al- lemagne^ à doubler les voix de la basse au contralto; les dessus étaient exécutés par les cornets à bouquin aigus. Soit pour faci- Jiter Texécution, soit pour avoir des basses sufiSsantes, lorsque le trombone marchait avec des instruments plus graves que les voix^ on eut Tidée de faire des tubes additionnels^ ou tons de rechange, qui présentaient l'avantage de faciliter l'exécution en diminuant le nombre des positions des coulisses, et aussi de donner à l'instrument l'étendue nécessaire. Voici l'état du trombone en 1620, tel que Praetorius nous le décrit : 1** le trom- bone discant, peu en usage parce qu'il était trop petit pour avoir une bonne sonorité (ce soprano de trombone n'est pas sans ana- logie avec la moderne trompette à coulisse) ; 2^ le trombone or- ^ dinaire ou ténor, semblable au nôtre ; 3° le trombone quarte ou baryton, 4® le trombone double, à l'octave du trombone discant. Ce dernier, au temps de Praetorius> était d'invention récente ; il y en avait de deux sortes : l'un, employé dans les chapelles, était le plus ancien ; l'autre, inventé vers 1616 , par un facteur nommé Hanz Schreiber, était le trombone le plus grave ; il sonnait le con- tre mi^ quelquefois même, on lefaîsaitdescendre jusqu'au contre ut L'embouchure de ces divers trombones se détachait de l'ins- trument, ce qui permettait d'adapter des tons de rechange mobiles, appelés krtimmbugel (étriers), placés comme on met aujourd'hui les tons du cor, de la trompette ou du cornet. Le trombone du père Mersenne diflPérait en quelques points de celui de Praetorius, mais était construit d'après les mêmes principes. Le vieux théo- ricien ne dit pas si la famille était employée tout entière en France, mais il vient à son tour constater l'existence du tonde rechange qu'il appelle tortil. Ce tortil n'était pas placé près de l'embouchure, mais bien au milieu même de l'instrument, ce qui devait rendre son emploi des plus compliqués. « On se sert rare- « ment du tortil, dit-il, excepté pour la musique instrumentale, « mais l'expérience démontre que le tortil fait descendre la sac- « quebute une quarte plus bas que le ton naturel. » Il avait deux pieds neuf pouces de longueur. De tous les instruments de cuivre, le trombone, par sa construction, est le plus complet : aussi a-t-il subi peu de changements, et ces changements ne lui ont-ils pas été, en général, favorables. Les facteurs ont créé des timbres 144 HISTOIBE DE L'INSTRUMENTATION. nonyeanz, m^is malgré leurs efforts, ifcn n'a pu faire rejeter le vieux trombone à èoolisse, qui, jar la vigueur et la rondeur de ses sons, la sonorité cuivrée de son timbre, est pour les compositeurs d'une utilité qui le rend indispensable à l'orchestre. Lorsque le^ pistons eurent été inventés, ce fut le facteur Jahn qui eut le premier l'idée de les appliquer au trombone, qui en eut d'abord deux (1). Labbaje, en 1836, en ajouta un troisième, tandis que Jahn, à la même époque, faisait quelques perfectionnements à l'instrument. En 1846, Deretti améliora encore la constructionet trois ans après le iacteur Michaud de Lyon avait l'idée de disposer les pistons du trombone ensens inverse pour rendre plus libre la colonne d'air (2). En 1852 M. Sax, en inventant les tuyaux indépendants chan- gea la facture du trombone à piston en même temps que celle des instruments similaires de toute l'échelle. Le facteur belge ayant remarqué, et avecjuste raison, que les tuyaux simples, résonnant à vide, avaient la plus belle sonorité, chercha le moyen d'appliquer à chaque instrument toutes les notes naturelles de l'échelle musi- cale; pour résoudre le problème, il eut l'idée de superposer les tuyaux, sans qu'aucun d'eux commandât l'autre, et de les faire ouvrir ou fermer par un piston dont les fonctions étaient com- plètement indépendantes de celles du piston avoisinant, de telle sorte, qu'en superposant sept instruments les uns au-dessus des autres, il obtint sept échelles différentes qui permettaient de pro- duire par des tubes à vide les aliquotes naturelles ; ces har- moniques, habilement combinées, formaient la suite complète de la gamme diatonique et chromatique de plusieurs octaves. Ce sys* tème ingénieux, sur lequel nous aurons à revenir, a été jusqu'à ce jour appliqué surtout au trombone et jouit d'une grande vogue, . particulièrement dans l'armée. .Je ne répéterai pas ce que j'ai déjà dit pendant ce paragraphe de la supériorité du trombone à coulisse sur les trombones à pistons; cependant, il serait injuste de ne pas constater que le trombone à six pistons et à tubes in- dépendants est appelé à rendre de grands services aux composi- teurs (3). Halaiy a construit des trombones contre-basses à double (1) Carnaud, Méthode complète de trombone àpistoru, Paris, 1868, in-f^ (2) Brevets. nouveUe série, t. XIY, p. 327, pi. 46. (3) FoREsriEB Monographie des instruments à six pistons et à tvbes indépen- dants, Paris, Ad. Sax, xm toI. in-4®. INSTRUMENTS A VENT. 145 conlisse descendant jusqu'au contre fa. On fait grand usage du trombone basse dans les orchestres allemands. Il est à regretter qu'en France nous ne l'ayons admis que par exception. Outre que de nombreuses compositions des maîtres allemands exigent absolument son emploi, on pourrait compléter avec lui le qua- tuor des trombones et éviter ainsi de leur donner pour basse des instruments d'une sonorité différente qui font perdre à cette masse sonore une grande partie de sa vigueur et de son timbre sut generïs. A mesure que la musique militaire se perfectionnait, on sentait de plus en plus le besoin de renforcer les basses de cuivre et de remplacer le serpent et les bassons qui devenaient insuffisants. Déjà Dumas avait cherché à combler cette lacune en inventant la basse et la contre-basse guerrières (1). En 1817 on vit s'introduire en France l'ophicléide, qui n'est qu'une basse de trompette à clefs. Malgré ses sons lourds et flasques, malgré son peu de justesse, l'ophicléide ne tarda pas à passer de la musique militaire dans l'orchestre, où il double ordinairement le troisième trombone à la basse (2). Employé jusqu'à nos jours, il tend à disparaître devant les basses nouvelles, plus justes et plus sonores. M. Ambroise Thomas, dans ffamlet, a donné l'exemple en le remplaçant sou- vent par le sax-hom basse, au timbre plus franc et plus accusé. En 1820, Labbaye voulut perfectionner l'ophicléide et lui donna un timbre étrange tenant du cor, du basson et du serpent (3). On construisit aussi des ophicléides-altos. En 1844 Sommer inventa le sommerophone ou baryton à bocal, espèce d'ophicléide avec ventiles ou pistons. Enfin, en 1852, Couturier de Lyon améliora l'ophicléide, et remplaçant les quatre dernières clefs par un piston, rendit plus égal le registre de l'instrument (4). Les défauts de l'ophicléide n'avaient échappé ni aux facteurs ni (1) Voir la description de ces instraments dans les Archives de» découverte» et inventions nouvelles^ t. I, p. 879 ; t. III, p. 222. (2) C'est dans VOÏympie de Spontini, en 1817, qu'on entendit pour la première fois l'ophicléide à l'orchestre de l'Opéra. (3) Bulletins de la Société d'encouragejnentj 1821, t. XX, p. 145. — Brevets, t. XIV, page 265, pi. 22. (4) Brevets, nouvelle série, t. XXIV, page 367. On avait déjà construit des ophicléides à trois pistons, dont nous trouvons une méthode en 1844. Il existe aussi un ophicléide contre-basse d'Halary, mais cet instrument ne paraît pas avoir eu de succès. 10 146 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. aux compositeurs ; aussi essaya-t-on plusieurs fois de le remplacer par d'autres basses de cuivi-e. En 1820 Stratwolf inventa le bass- horii à neuf clefs. En 1838, Danays remplaça avantageusement Tophicléide alto pat le clavicor, instrument plus juste, dont Tannée fait grand usage, mais qui n'a point pris place à l'orchestre. En 1840, Wieprecht inventale bass-tuba, connu en France sous le nom de basse chromatique. En 1841, on construisit dans le même but le cor à pistons-basse. La perce des quatre pistons était nouvelle et ils étai'ent disposés de telle façon que l'instrumentiste en jouait deux' de chaque main. Enfin citons aussi l'hélicon, basse inven- tée par Stowasser de Vienne et le trombotonar de Besson, basse monstre, dont le nom seul fait reculer d'effroi et que M. Fétis a traité si sévèreinent dans son rapport àe 185ô. Mais ces instru- ments sont des essais isolés, et c'est dans les basses des grandes familles modernes de la masse des cuivres qu'il faut chercher le remplaçant de l'ophicléide. C'est à la famille des sax-homs, ainsi que l'a déjà fait M. Am- broise Thomas^ et à celle àes tubas, que les compositeurs deman- dent l'instrument qui doit prendre la place de l'ophicléide, La famille des tubas est complète, depuis le ténor jusqu'à la basse, mais R. Wagner, dans les Niehelungen, est le seul qui ait utilisé le groupe tout entier. Les basses de tubas ont été beaucoup plus employées que les dessus, et servent à nourrir dans le registre grave les parties cuivrées de l'orchestre. Les partitions de Richard "Wagner nous donnent, ainsi que nous le verrons plus tard, de nombreux exemples de l'emploi des tubas basses et M. Gounod, dans le finale du second acte de Ginq-Mars, a traité le tuba comme basse des trombones. Un fait rapporté par Richard Wagner plaide éloquemment en faveur du bass-tuba. L'auteur de Lohengrin^ dans un article des plus intéressants, raconte, qu'étant chef d'or- chestre à Vienne, il avait monté la Vestale. Pour rendre hommage à Spontini, Wagner le fit inviter à assister aux dernières répéti- tions générales. Le vieux maître écouta son œuvre, puis dit àTÇ^-- gner : « J'ai entendu dans votre Rienzimi instrument appelé bass- tuba ; je ne veux pas bannir cet instrument de l'orchestre, faites- m'en une partie pour la Vestale (1). » ' (1) Ménestreïy 1874. Traduction d'un article de Richard Wagner intitulé : Souvenirs de Spontinû INSTRUMENTS A VENT. 147 Le caractère particulier de la facture instrumentale à notre époque est la tendance vers la constitution de familles complètes de même timbre et de mêmeespèce. Déjà nous avons vu cette ten- dance s'accentuer pour les clarinettes et les hautbois. Peu à peu, et par des chemins différents, nous revenons au système instrumental du XVI® siècle ; mais c'est surtout dans les instruments de cui- vre que ce fait devient chaque jour plus évident. Le besoin de donner à l'orchestre militaire plus d'homogénéité et de vigueur, l'application rigoureuse des lois de l'acoustique ont amené les facteurs à créer de nouvelles familles d'instruments de cuivre. Asté, dit Halary, dont nous avons déjà parlé, étabUt de 1817 à 1821 toute une série de bugles à clefs qui eurent un certain succès ; d'autres tentatives du même genre furent faites encore, mais c'est surtout à Sax, père et fils, que sont dues les inventions tendant à constituer des familles complètes d'instruments de même timbre et de même espèce, depuis la basse jusqu'au soprano. Les instruments de Sax, père et fils, sont remarquables, non- seulement par la beauté de leurs sons et par leur justesse, mais encore par ce qu'ils révèlent une patiente-et intelligente recherche des lois de la vibration de l'air ; de plus, en cherchant toujours à rendre le doigté uniforme pour tous les individus de chaque fa- mille, les Sax ont prouvé qu'ils travaillaient, non au hasard et par empirisme, mais d'après un système rationnel, sans lequel il ^'est pas de résultat satisfaisant. Ce fut en 1843 que Sax, faisant du vieux fligel-hom (cor de signal) un bugle perfectionné, avec une perce nouvelle, créa la famille des sax-homs, depuis le soprano jusqu'à la basse et la contre-basse. En 1845, s'étant aperçu que la direction uniforme des pavillons donnait plus de vigueur à l'orchestre militaire, et sentant en même temps que l'emploi de fanfares dans la cavalerie nécessitait l'usage d'instruments pins portatifs, il inventa le saxo-tromba, participant du bugle et de la trompette, mais qui peut être assimilé au sax-hom, dont il ne diffère que par. la forme du pavillon. En 1849 il eut l'idée d'ap- pliquçr au clairon d'ordonnance tout un système s'adaptantà l'instrument réglementaire et fournissant ainsi, sans changer .d'instrument, une fanfare complète de la basse au soprano (1). (1) Voir description et figurée de ces instruments, 1821, t. XXI, p. 19, pi. 29, Brevets d'invention. 148 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. Enfin, en 1852, parât l6 système des tuyaux et pistons indé- pendants dont noas ayons parlé au sujet des trombones. Sax ajouta aux instruments aigus de la famille des clefs qui facili- taient les trilles et donnaient un timbre suigmeris à la sonorité. Ces instruments semblent aujourd'hui devoir remplacer dans les musiques civiles et militaires les bugles et les sax-hoiAs à com- pensateurs, qui sont loin d'ofiîir les avantages des instruments à tuyaux et à pistons indépendants. Nous avons résumé bien brièvement les principales inventions des -Sax, mais dans le livre de M. de Pontécoulant, dans les rap- ports de Fétis, le lecteur trouvera des détails plus circonstanciés, et M. Commettant, un ami dévoué du facteur belge, a raconté de point en point toutes les luttes que M. Sax soutint au sujet de ses inventions. Nous n'attachons qu'une médiocre importance aux nombreuses polémiques du processif facteur, aussi nous conten- tons^nous seulement d'indiquer les pièces du procès. En même temps que Sax, Wieprecht, directeur des musiques militaires prus- siennes, complétait de son côté les familles instrumentales et inventait en 1833 la ventile qui porte son nom et qui eut une grande vogue en Allemagne ; mais la description de ces instru- ments et le récit des vives discussions qui se sont élevées à leur sujet et au sujet des sax-horns n'est point de notre ressort (2). Aujourd'hui la lutte soutenue par M. Sat est terminée ; ses instruments sont entrés pour la plupart dans le domaine pu- blic, et il devient facile de se tenir également éloigné et de l'a- nimosité^ née de la lutte de puissants intérêts en jeu, et de la partialité des amis de M. Sax, qui n'ont pas toujours été 'assez adroits pour dissimuler derrière leurs éloges la réclame plus nuisible au facteur belge que les attaques de ses ennemis les plus acharnés. La création des familles des cuivres a donné aux or- chestres mihtaires plus de souplesse, de sonorité et de vigueur, et les a rendus capables en même temps, et de se faire entendre de loin en plein air, et d'exécuter les répertoires les plus variés. Mais ces avantages sont balancés par de graves inconvénients. (1) 0. Commettant, Histoire d'un inventeur y un vol. in-S®. (2) Pour les instruments employés dans la musique d'harmonie et de fanfa- res, voyez Clodomib, Traité théorique et pratique de Vorganisation des sociétés musicales, harmonies et /an/ares Un vol. in-8<^; Paris, Alph. Leduc, 1873. INSTEUMENTS A VENT. 149 C'est au prix dtt coloris et des timbres qu'on a acquis la justesse et la sonorité ; la variété des anciens orchestres militaires a dis- paru. Les basses, il est vrai^ ont aujourd'hui plus d'ampleur que jamais ; mais est-^il rien de plus monotone et de plds lourd que ces grosses basses et contre-basses de cuivre frappant les temps forts de la mesure au point de couvrir les dessus, divisant ainsi l'har- monie, malgré les instruments intermédiaires que l'on tente d'in- tercaler ? Les facteurs rejettent la faute sur les chefii de musique qui, disent-ils, ne savent pas employer ces instruments ; il est fort possible, en effet, que les chefs de musique soient souvent incapa- bles de pondérer leur orchestre dans une juste mesure ; mais il ne faut pas oublier que l'uniformité des timbres est en grande partie cause de cette lourdeur et que, dans une famille de même espèce, les basses écrasent toujours les dessus de leur poids sur- tout si on les entend à distance. N'est-il pas nécessaire, dira- t-on, d'établir tout l'édifice harmonique sur des basses vigoureu- ses ? soit, mais nous ne retirerons les véritables avantages de nos instruments graves qu'en les mélangeant avec des indivi- dus de familles différentes et avec des sonorités variées. Jusqu'à ce jour l'emploi de ces familles a toujours été restreint, soit à l'armée, soit aux orchestres sur h théâtre, lorsqu'il fallait re- présenter des pompes et des cérémonies. Habilement mélangées avec les instruments à vent et à cordes, il n'est pas impossible qu'elles puissent rendre des services çt produire des effets nou- veaux, mais leur emploi exigera de la part des compositeurs beaucoup de tact et de goût. Ces réserves faites, nous ne pouvons qu'applaudir aux efforts constants des facteurs et particulière- ment de MM. Ad. Sax, père et fils. Plusieurs écrivains dont le nom fait autorité, et Fétis en parti- culier, soutiennent que les instruments à clefs ou à pistons ne le cèdent en rien aux instruments naturels. Il est facile de prétendre que les compositeurs français ne savent pq,s écrire pour la trom- pette et le cor, et que nos facteurs sont incapables de construire de bons instruments ; mais il est moins commode de prouver que le son ne sort pas plus pur, plus coloré et plus franc sortant d'un tube simple que de plusieurs tubes superposés et contournés dans lesquels la colonne d'air rencontre mille obstacles qui inter- rompent ou retardent sa course. Certes il est fort utile aux com- 150 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. positeurs de retrouYcr dans la masse des cuivres des intervalles et des notes qui leur étaient interdits autrefois ; on ne peut nier non plus que les difficultés d'exécution ne soient aplanies, que l'ap- plication dés pistons, que la diminution du nombre de tons de rechange, n'aient donné plus de justesse aux nouveaux engins so-. nores; mais quels inconvénients balanceraient ces avantages, si on abandonnait les instruments naturels ! Que deviendra le timbre dans cette confusion de sonorités monochromes ? On peut s'en ren- dre facilement compte à l'audition des orchestres militaires, dont tout le registre, de la contre-basse au soprano, est d'une désolante uniformité, à peine rompue par les accentsplus colorés des petites et des grandes clarinettes et des saxophones. Autrefois l'artiste faisait lui-même son instrument par l'étude, et de cette lutte avec les difficultés naissaient de merveilleux effets dans l'exécution des grandes œuvres. On a trouvé des timbres nouveaux, il est vrai ; profitons de ces découvertes, mais n'abandonnons pas les anciens. Qui nous rendrait les poétiques effets des sons du cor, la voix puis- sante et saccadée du trombone, les vibrations vigoureuses et écla- tantes de la trompette ? Avons-nous le droit de profaner les œu- vres des maîtres en remplaçant par d'autres timbres ceux qu'ils ont employés et à bon escient? Gluck dans Alceste, Mozart dans Bon Juan, Weber dans le FreyschUiz, Ohèron^ Euryanthe, cette merveilleuse trilogie de la couleur instrumentale, ont usé des instruments simples, qu'ils avaient à leur disposition, mais, qu'on ne s'y trompe pas, ce sont encore ces mêmes instruments qui seuls peuvent rendre les effets .cherchés par ces grands maîtres. . Rossini, Meyerbeer,. Ambr. Thomas, Gounod, n'ont point abandonné les vieux instruments, imitons-les ; faisons place aux nouveaux venus et demandons-leur les services qu'ils peuvent nous rendre, mais ne laissons pas la variété du timbre, si essen- tielle au coloris musical, se perdre dans la monotonie; ne laissons ■ pas s'établir sans combat le règne de l'égalité devant le piston. INSTRUMENTS A VENT. 1^1 V. INSTRUMENTS A VENT ET A CLAVIER : l'ORGUE, l'anche libre. Le rô]^ de Torgue, pendant les xvi* et xvii® siècles, est trop important pour qu'il nous soit permis de le passer sous silence; aussi essayerons-nous dans la seconde partie de ce travail, de donner à ce bel instrument la place qui lui est due Sans This- toire de Tinstrumentation. Nous le verrons tour à tour soutenir les chanteurs et la basse continue dans la musique religieuse, mê- ler sa puissante voix au dialogue des instruments, relier par ses accords majestueux les combinaisons harmoniques si variées et si grandioses des compositions sacrées de Bach et d'Haendel et se prêter aux illusions de la scène dans les œuvres dramatiques des compositeurs contemporains. Mais nous ne saurions, sans dé- passer les bornes que nous nous sommes fixées, résumer, même succinctement, l'histoire de la facture d'orgue depuis le commen- cement du XVI® siècle. Nous aurions voulu pouvoir rendre hom- mage à ces artistes qui, se transmettant leurs traditions, ont su amener les grandes orgues, au point de perfection où nous les voyons aujourd'hui. Nous aurions voulu suivre dans ses détails la facture de l'orgue, depuis le temps où les touches avaient près d'un mètre, comme nous le voyons dans les planchas de Praetprius, jusqu'à nos jours, où des meubles, ingénieusement disposés autour de l'artiste, lui permettent de trouver soiis sa main sans difficulté les claviers et les registres, rendus faciles au moyen de plus de six cents moteurs ou machines pneumatiques; depuis ces souffle- ries grossières, dans lesquelles soixante soufflets étaient à peine suffisants pour alimenter les tuyaux, jusqu'à ces souffleries à diverses pressions, grâce auxquelles on peut dispenser à chaque jeu de tuyaux la masse d'air dont il a besoin. Jetons donc un œil de regret sur cette étude si intéressante et si instructive et contentons-nous de renvoyer le lecteur à quelques-uns des nom- breux ouvrages qui traitent de l'histoire de l'orgue et de sa facture (1). (1) Outre les chapitres de Prœtorîus^de Mersenneet ô^jirtusU sur l'orgue, le lecteur pourra consulter les savants ouvrages de G. Kastner qui tous contien- 152 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. A mesure que rharmonie se perfectionnait, le goût de la musi- que se répandait chaque jour de plus en plus chez les prêtres comme .chez les laïques. Les uns voulaient augmenter la pompe du service divin par la magie des accords de l'orgue, les autres tenaient à exécuter chez eux la musique qu'ils avaient entendue à l'église, mais lés grandes orgues étaient rares et leur prix ex- cessif ; on inventa, dès les premiers temps du moyen âge, une sorte d'orgue à courts tuyaux et à clavier, qu'on pouvait porter dans les bras 9a poser sur un meuble. Aucpin instrument, sans en ex- cepter le luth, n'eut un plus grand succès que ces orgues portati- ves, dont on retrouve des représentations sur tous les monuments tant religieux que profanes. Elles servaient surtout à soutenir les voix et leur étendue ne dépassait pas, en général, le registre de l'échelle vocale. Manuscrits de missels ou de romans d'amour, bas-reliefs et vitraux d'églises ou d'abbayes, tout montre la figure de ces instruments, qui paraissent avoir joué chez les dilettanti du moyen âge le rôle que le piano remplit aujourd'hui. Les mo- dèles en étaient variés à l'infini, mais il ne paraît pas que la fac- ture de ces orgues portatives ait fait de grands progrès depuis leur invention. C'est à partir du xiii® siècle que ces représenta- tions se montrent plus nombreuses à mesure que nous appro- chons de la renaissance, et la vogue des orgues portatives est si grande qu'elles deviennent l'attribut obligé des personnages qui dans l'imagerie du moyen âge représentent la musique (1). Un ou deux rangs de tuyaux, posés sur un sommier, qu'un, deux ou trois soulïïets alimentaient d'air ;^ un clavier de quatre ou cinq oc- nent des détails intéressants. — Topfer ( J. G.), Die Orgelzwech und Bercha- fenheit ikrer TheilCy Erfurt, 1848, in-8°. — Hamel, Manuel du facteur d^orgue... 3 vol. in-12 et atlas, Paris, 1849. (Encylopédie Roret). Cet ouvrage contient, outre une excellente notice historique, une bibliographie des ouvrages relatifs & l'orgue. — Rbgnier (l'abbé), Uorgue^ sa connaissance^ son administration et son jeu, Nancy, Vaguer, l'«éd. 1851, 2« 1862. Un vol. in-8o. — Lamazou, Étude sur V orgue monumental de Saint-Sulpice et la facture d^ orgues moderne ; Paris, Be- pos, 8. d., in-8<*. — Voir aussi : les tables des Breveta d'invention, les tables de la Société d'encouragement, les rapports de Lafage sur l'orgue de Saint-Denis, de Fétis sur les expositions de 1855 et 1867. -«• Schmitt, Nouveau manuel de Vorganiste praticien, l**" vol. (Encyclopédie Roret), Paris, 1855. (1) Lavoix fils, La Musique dans V imagerie du moyen âge, un vol. in-4'* avec planches. Voir les planches de Willemin, Seroux d' Agincourt, etc. INSTRUMENTS A VENT. 15 o taves, voilà de quoi se composaient ces positifs, ces régales, ces portatife, auxquels les textes du moyen âge font continuellement allusion. Ces instruments étaient de différentes grandeurs : les uns se portaient facilement sur le bras, et l'exécutant jouait de la main droite, tandis que de la gauche il maniait le soufflet, qui était placé tantôt derrière l'instrument, tantôt au-dessous ; d'au- tres se portaient sur les genoux (1); d'autres, plus grands, étaient portés par un homme chargé de faire marcher les soufflets tandis que l'artiste tenait le clavier. Le nombre, la disposition, la ma- tière des tuyaux étaient aussi variés que la forme même des ins- truments. On en faisait en or, en argent, en albâtre. Tantôt on en comptait huit, quelquefois seize ; ici ils étaient disposés de droite à gauche, là de gauche à droite. Certaines orgues avaient leurs tuyaux placés les uns à côté des autres, dans certaines au- tres ils formaient une élégante spirale. On peut voir dans le bel ouvrage de Heffner (2) un curieux orgue de 1527 dont les tuyaux sont ainsi disposés, et le portatif de Luscinius paraît être cons- truit d'un façon analogue. La régale, si j'en crois Luscinius et Praetorius, qui donnent deux modèles différents de cet instrument, n'avait pas de tuyaux. Elle consistait en un simple jeu d'anches, mis en vibration par l'air du sommier. On comprend com- bien devait être dur le son d'un pareil engin musical. Cependant il avait une grande vogue dans les couvents et les châteaux, et faisait l'ornement de toutes les fêtes publiques et privées au com- mencement du XVII® siècle. Ces orgues barbares commençaient à disparaître, remplacées par le clavecin et déjà, verg la fin du xviii® siècle, leur nom même était presque oublié, lorsqu'une découverte vint remettre en honneur les petits instruments à vent avec clavier. Je veux parler de l'application de l'anche libre. Si les compositeurs n'a- vaient pas quelquefois cherché à tirer parti de l'anche libre, nous ne donnerions même pas place dans cette étude à cet agent sonore. Les documents sont incertains sur l'origine de Tanche libre, cepen- (1) V. Heffner, Costumes du moi/en âge chrétien, é^ après Us monuments contemporains, Francfort, 1840-64, t. II, p. 167, 3 volumes in-i®. (2) Kuntswtrke und geratschajlen des Mittelalters und der Renaissance, lierausge" gehen von Iloff'ner und Bêcher , Francfort am Main, 1852-53, in-4°. 154 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. dant nous croyons qu'il n'y aurait pas témérité à supposer que les jeux d'anches Hbres aient été trouvés et peut-être employés ^ans les régales, bien avant que leur application par Grenier donnât naissance à cette foule d'instruments asthmatiques dont le public s'est épris depuis quelques années. Peut-être un jour les facteurs trouveront-ils le moyen de faire disparaître les intolé- rables défauts de tous les instruments issus du principe de l'anche libre, tels qu'harmonium, mélodium, mélophone, poékilorgue, etc., mais, jusqu'à ce moment, ils n'ont pu véritablement leur faire prendre place dans l'orchestre. Leur timbre est monotone, leur sonorité, pour ainsi dire essouflée, devient littéralement insuppor- table au bout de quelques minutes. Qu'un grand maître comme Halévy, toujours curieux d'effets nouveaux et amoureux de son art, ait employé le mélophone, que les compositeurs comme Hérold, Meyerbeer, etc., se soient servis de l'harmonium pour soutenir l'intonation des voix dans la coulisse, que l'harmonium remplace jusqu'à un certain point l'orgue dans les églises ou les chapelles trop pauvres pour posséder de grandes orgues, rien de mieux, et loin de nous la pensée de nier l'utilité pratique de ce genre d'instrument, mais de là à le considérer comme pouvant mêler aux masses de l'orchestre sa voix sans timbre, qui, même dans sa plus grande perfection, ne fait qu'imiter celle des instruments à vent, il faudra, je le répète, que les facteurs aient trouvé le moyen de transformer complètement ces instruments, qui, à tout pren- dre, ne sont, quel que soit leur nom, que de grands accordéons. A partir du jour où Grenier trouva ou pour mieux dire retrouva l'anche libre, et l'appliqua à l'orgue qu'il appela l'orgue expres- sif (1820) , il ne se passa pas d'année sans que quelque facteur perfectionnât les instruments issus de l'anche libre. Séb. Erard, Grucker et Ochalt, Fourneaux, Merklin-Schultze, MuUer, etc., tous apportèrent le contingent de leur intelligence et de leurs travaux à l'amélioration de l'anche libre et de ses applicationp. Martin de Provins, en inventant le système dit à percussion, donna à l'harmonium plus de brillant, de netteté et de vigueur dans l'émission du son , sans cependant parvenir à faire disparaître tous les défauts de l'instrument. Aujourd'hui Debain, Alexandre, Miistel font chaque jour de laborieuses recherches sans arriver à un résultat complètement satisfaisant. Harmonium, mélodium, INSTRUMENTS A VENT. 155 orgue expressif, et autres instruments du même genre mérite- raient tous une mention s'ils avaient réellement joué un rôle dm^ Torchestre; le mélophone lui-môme, qui, grâce à Halévy, eut son heure de gloire, nous fournirait ample matière à déreloppe- ment et à anecdotes , mais les compositeurs n'ayant pas jusqu'à ce jour donné place importante à ces instruments dans leurs œu- rres, nous ne pouvons nous y arrêter (1). (1) Voir pour lea orgues expressives et les instruments à anches libres, PoHTÉcouLAKT, OrganographUy t. II, les rapports des expositions et les cinq volumes de tables des Brevets français. Pour le mélophone , les méthodes de Dbssaknb , Méthode complète de mélophone, Paris, Leclerc, in-fol. — Jacquet, Méthode de mélophone. Un vol. in-fol. — Gazette musicale^ 1841, pages 218 et 601. — Guido et Ginevra d'Ha- lévy^ballet du 2« acte. Cet instrument , qui affectait la forme d'une guitare , avait , paraît-il , quelque chose du timbre du hautbois j il n'était pas à cla- vier, mais les lames étaient mises en communication avec le sommier au moyen de boutons qui , placés sur le manche , servaient à ouvrir et à fermer les boîtes des anches. M. Jacquet, propriétaire du brevet de Leclerc, a exposé en 1855 un mélophone perfectionné, et on peut voir encore aujourd'hui des modèles de cet instrument dans les vitrines des marchands de musique et de curiosités. CHAPITRE TROISIEME. INSTRUMENTS A PERCUSSION. TIMBALES, TAMBOUfiS, TRIANGLE, CYMBALES, CLOCHES, TAM-TAM, TIMBRES A CLAVIER. Les instruments à percussion dont nous nous servons aujour- d'hui ont été, tous sans exception, employés au moyen âge et pen- dant la renaissance, et Ton pourrait même dire que la profusion de ces sortes d'agents sonores est un des caractères distinctifs de rinstrumentation primitive, depuis le xvi® jusqu'au milieu du xvii° siècle. Mais, tels qu'ils avaient été abandonnés, vers le. temps où l'instrumentation moderne commençait à se former, tels les compositeurs les retrouvèrent, lorsqu'ils voulurent les introduire de nouveau dans leur orchestre, pour en varier les sonorités. Les tambours et tambourins, les triangles et les tim- bres, tous ces instruments bruyants et primitifs étaient peu sus- ceptibles de perfectionnement. Quelques tentatives ont été faites pour faciliter l'accord des timbales, quelques modifications ont été apportées dans les jeux de timbres à clavier, et dans lés instru- ments de verre, ou à lames vibrantes comme l'hannonica, mais ces changements sont de peu d'importance et un très-rapide coup d'œil suffira pour passer en revue ces agents sonores, qui, aux timbales près, sont rarement employées et qu'on pourrait appeler les hors d'oeuvre de la musique. Les timbales, que les anciens peuples de l'Orient avaient con- nues, paraissent avoir été introduites en Occident en même temps que le luth à l'époque des croisades. Elles portèrent le nom de nacaires petites et grandes. Elles furent très-employées pendant tout le moyen âge. Les monuments et les manuscrits nous en donnent de nombreux exemples. On s'en servait dans les tournois, J INSTRUMENTS A PERCUSSION* 157 dans les fêtes et à Tarinée (1). Devenues instruments d'honneur pour la cavalerie, elles formaient avec les trompettes la plus grande partie de Torchestre des cérémonies funèbres et militaires» Les 'descriptions détaillées des funérailles princières nous en montrent quelquefois jusqu'à vingt-cinq ou trente paires réunies* Enfin les timbaliers avaient tant d'importance qu'à Strasbourg, un nommé Willig, réputé pour blouser supérieurement les tim- bales, avait une pension et un costume d'honneur. Il n'est donc pas étonnant que, dans les grands ballets dramatiques de la fin du XV® et du xvi® siècle elles aient trouvé tout naturellement leur place. En France elles forent abandonnées aux bandes militaires, jusqu'à Lulli, qui les emprunta pour ses opéras à la gravide Écurie, et, à partir de ce moment, elles ne quittèrent plus l'orchestre. Mais en Allemagne elles forent employées sans inter- ruption, dans les fêtes comme à la guerre, depuis le xvi* siècle, jusqu'à nos jours, ainsi que nous le verrons dans la suite de ce tra- vail. Ce ne fut qu'au commencement de ce siècle qu'on tenta de perfectionner le mécanisme de l'accord, soit par une pédale, soit par une seule cheville comme Gautrot soit, comme Sax, au moyeu de plusieurs timbales sans chxiudrons, mais ces différents pro- cédés ont peu réussi jusqu'à ce jour et lorsque des compositeurs comme Reicha, Berlioz, Meyerbeer, ont eu besoin de donner aux timbales une certaine importance mélodique, ils se sont contentés de se servir de quatre, six, huit ou seize de ces instruments, suivant les exigences de leur orchestration. C'est Berlioz qui a, dans ses compositions, donné le plus d'importance aux timbales et exigé les baguettes à tête d'épongé (2). On connaît de reste le tambour, la caisse claire, la caisse roulante, le tambourin, le tambour de basque, et je n'ai pas besoin de les dé- crire. Leur introduction dans l'orchestre est moderne, mais leur existence date des temps les plus reculés du moyen âge, sans que de notables changements aient été introduits dans leur fabrication. On sait que ce fut au siège de Calais, le 3 août 1347 d'après Frois- sait, que les Anglais firent connaître le tambour en France, et que (1) Voy. Carter, cité plus haut. (2) Eastnsr, Méthode complète et rationnée des timbales j Paris, Brandua, in- fol. 158 HISTOIRE BE L'INSTRUMENTATION. ce fut à Marignan que pour la première fois les Français connu- rent le gros tambour ou Colin tampon des Suisses. Le tambour à baguettes, ou caisse claire, fut ingénieusement employé par Ma- rais dans la tempête à'Alcyone^ et Gluck a fait entendre pour la première fois les sons sourds de la caisse roulante dans le chœur des Scythes àUphigénie en Tauride» Quant à la grosse caisse pro- prement dite, on la rencontre au moyen âge sous le nom de Be- dondaine. Les stalles de la cathédrale de Rouen, exécutées en 1467, nous en fournissent un exemple curieux. L'instrument est porté sur le dos d'un homme, tandis qu'un autre frappe avec un tampon sur la caisse à laquelle on a adapté des grelots pour augmenter sa sonorité (1). Gluck s'était déjà servi de la grosse caisse, mais ce fat Spontini qui le premier à l'Opéra employa cet instrun^ent avec toute la batterie dans la marche triomphale de la Vestale. Déjà Beethoven avait fait usage de la grosse caisse avec deux tampons. Le tambour de basque faisait l'ornement du théâtre du sieur Nicolet, si j'en crois ce passage. « Je ne vois rien d'extraor- dinaire à ce théâtre que l'introduction dans l'orchestre d'un tam- bour de basque. j> Il eut même sous l'Empire et la Eestauration la gloire de devenir un instrument de salon, mais son succès fut pas- sager, et depuis il n'a servi qu'à marquer de son frémissement sonore le rhythme de la danse et des ballets, comme, par exemple, dans la ronde bohémienne de V Étoile du Nord (2). Le tambourin, dont le rhythme sonore se marie si bien au timbre du galoubet et de la flûte, est encore aujourd'hui, dans le Midi, tel qu'il était au moyen âge; Gluck dans Iphigénie, Mondonville dans ses opéras provençaux, Berton dans Aline reine de Golconde, s'en sont servi pour donner plus de couleur lo- cale à leurs œuvres, et pendant le xviii® siècle, un tambourineur était attaché à l'orchestre de l'Opéra (3). Le triangle, dont Grétry, dans la Fausse Magie, fit le premier usage en France, se retrouve aussi dans les premiers temps du (1) Langlois, Stalles de la cathédrale de Rouen ; Rouen, 1838. Un toI. în-8® (p. 135, pi. 8). (2)Étrenne8 aux dames j ou Méthode de tambour de hasquej par Frey, în-4^ obi. (3) Vidal (F.), Lou TanUtourinj Istori de Vestroum^eth prouvençaUj seguido de la metodo dou dou tambourin et galoubet {d,yeG trad, en regard). In-8°, Avignon, 1864. i 1 J ï INSTRUMENTS A PERCUSSION. 15^ moyeiir âge, et le manuscrit de Saint-Emerau, dont Gerbert donné des dessins, en est la preuve (1). Autrefois il avait, comme dans l'antiquité, des anneaux sonores dont le tintement accompagnait joyeusement la danse. Ces anneaux ont disparu. Il en est de même des cymbales, dont de nombreux manuscrits nous donnent différents modèles. Du temps de Molière, dit Castil-Blaze, il était fort à la mode dans les salons de s'accompagner avec des cymbales. (Molière musicien, 2 vol. in-8**.) Elles ont été introduites à l'Opéra par Gluck (Iphigénie en Tavride, chœur des Scythes). Le seul changement apporté à ces instruments est l'invention des petites cymbales antiques que Berlioz fit construire et qu'on entendit dans Roméo et Juliette {2). M. Massenet, dans la musique des ^n>i7i^65, les a employées aussi. Les castagnettes, si utiles aux compo- siteurs amoureux de la couleur locale espagnole, se retrouvent dans les cliquettes anciennes, que nous voyons dès le ix® siècle, sur les miniatures delà splendide bible de Charles le Chauve (3). Il est un autre instrument, le canon, dont la voix fait taire toutes les autres; mais, quoiqu'il ait servi plus d'une fois, quoique nous le trouvions chef de pupitre de la mousqueterie dans de curieux morceaux analysés à la suite de ce travail, quoique Sarti, Eossini n'aient pas dédaigné de s'en servir, ne répétons pas après tant d'autres les nombreuses anecdotes racontées à son sujet et lais- sons aux historiens de l'artillerie les soins de narrer ses hauts faits. C'est à la fin du siècle dernier que les cloches ont été introduites au théâtre (4), ainsi que le tam-tam (5). Mais les timbres de dif- férentes grandeurs, dont les clochettes étaient disposées diatoni- quement et mises en vibration au moyen d'un marteau, étaient connus dès le xii® siècle, comme nous le, prouve le chapiteau de (1) Gerbert, de Cantu et musica sacra. — Coussemakeb, Essai sur les ins- truments de musique, (2) Scherzo de la Reine Mab, deux paires accordées à la quinte Tune de l'antre ; la plus grave donne le si et la plus haute le fa,\ (3) V. Lavoix, Imagerie, pi. 1. — Voir aussi , par curiosité, le traité de Flo- rencio, intitulé : Crotalogia o sciencia de las castaiiuelas ; Madrid, 5* éd., 1792. Un vol. in-8°. (4) Dalatrao, Camille. (5) Spontini, la Vestale, 160 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. Saint-Georges de Bocherville, et il est peu de manuscrits à minia- tures dans lesquels on ne puisse en voir des spécimens. Cet instru- ment primitif fdt bientôt remplacé par les carillons à clavier, si répandus en Flandreet en Belgique. Ce fiit vers 1786 qu'on inventa en Allemagne le jeu de timbres ou gîockenspiel, dont Mozart fit usage dans la Flûte enchantée. Lorsqu'on monta à l'Opéra l'infâme pasticcio connu sous le nom des Mystères cTIsis, on remplaça les timbres par des barres d'acier. Après Mozart, plusieurs composi- teurs, entre autres Meyerbeer, Halévy, Auber, etc., ont trouvé dans les tintements de clochettes séparées et de timbres à cla- vier de jolis eflPets de coloris, et nous verrons dans les œuvres d'Haendel un emploi de ce genre. Enfin l'harmonica, auquel Auber dans V Enfant prodigue^ Ha- lévy dans le Juif Errant, donnèrent place, doit être cité pour mé- moire, mais l'emploi de ces instruments à lames de verre est trop exceptionnel pour qu'il soit nécessaire de nous arrêter à les décrire et à raconter leur histoire. Il en est de même du xylophone, dont M. Saint-Saens a fait un usage si pittoresque et si original dans la Danse macabre. Cet instrument, fait de lames de bois, est connu depuis longtemps en Allemagne, et son origine remonte à l'époque la plus reculée du moyen âge. Comme détail, nous pouvons faire remarquer qile sur les plus anciennes représentations des danses macabres, la mort souvent figurée menant la funèbre ronde au son du xylophone (1). (1) Voyez G. Kastner, la Danse des morts. Un toI. grand m-4°, 1851, ^ FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE. DEUXIÈME PARTIE L'INSTRUMENTATION 11 k 1 PREMIERE ÉPOQUE. DEPUIS LE XVP SIÈCLE JUSQU'A HAYDN CHAPITRE PREMIER. LA MUSIQUE INSTRUMENTALE DE DANSE ET DE BALLETS EN ITALIE, EN FRANCE, EN ALLEMAGNE, JUSQU% LINVENTION DE LA BASSE! CONTINUE (1600 A 1600). Dès le XV* siècle la révolution harmonique se faisait s^tir et la musique commençait à prendre? son essor, se dépouillant bien timidement, il est vrai, des fonnes hiératiques, mais acquérant plus de franchise et de liberté. Tout se transformait dans l'art , depuis la mélodie et Tharmonie, jusqu'aux procédés matériels de la notation et de l'impression, et lorsque s'ouvrit le xvi* siècle, les musiciens n'avaient plus qu'à recueillir un héritage déjà riche. Les écoles françaises et belges brillaient de leur plus vif éclat , formant partout des élèves ; les maîtres se pressaient en foule. C'étaient Josquin desPrez, Carpentras, Jean Mouton, Dujardin, bientôt suivjs de Goudimel, Clément Jannequin , Ar- cadelt, etc., enfin, et à leur tête, les surpassant tous en gloire et en è^nie, Palestrina, l'élève du Français Goudimel. Les œuvres ne manquent pas dans cette période. Mais si de nombreux docu- ments permettent 4© suivre les transformations successives de l'harmonie et les progrès de la mélodie moderne, il n'en est pas de même pour l'histoire de l'orchestre. Excepté dans la musique de danse, dans les grandes fêtes qu'on pourrait appeler officiel- les, les instruments ne tenaient qu'une place secondaire. 164 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. Ponr les vieux maîtres mosaïstes de la musique, violes et haut- bois, flûtes et trombones ne se pliaient pas assez facilement à tous les sinueux méandres d'un contre-point compliqué. La voix humaine seule, le plus pur, le plus souple et le plus juste des ins- truments, leur permettait de se livrer à ce savant jeu de patience qui avait nom composition à cette é^que. Ce n'était pas sans peines et sans tâtonnements que les musiciens cherchaient une voie nouvelle ^ et le moyen de marier agréablement les parties d'un madrigal, de ciseler amoureusement un canon renversé ou en écrevisse, de suivre délicatement la marche d'un contre-point compliqué avec des instrumentistes inhabiles, avec des instru- ments dont les registres se trouvaient rarement complets ! De plus, les traditions religieuses étaient encore toutes-puissantes dans l'art savant, et malgré les nouvelles tendances, c'était tou- jours pour l'église qu'étaient écrites les plus belles et les plus grandes œuvres et les compositeurs n'étaient pas sans considé- lj:er jusqu'à un certain point les instruments comme profanes et truands. C'était aux danseries, anx somptueuses fêtes princières qu'étaient réservés les instruments, et l'usage des symphonies et concerts était des plus fréquents pendant tout le xvi® siècle. Malheureusement peu de ces compositions instrumentales ont survécu au temps. Ces diver^s pièces d'orchesti*e étaient pu- bliées en parties séparées comme toutes celles que nous avons du XVII® siècle ; souvent même on ne les imprimait pas, se conten- tant de distribuer les copies manuscrites nécessaires aux exécu- tants, et aussitôt après la cérémonie qui avait donné lieu à la com- position du morceau, ces différents cahiers étaient dispersés et perdus. Aussi est-ce à grand peine qu'on en retrouve quelques- uns et encore est-il rare qu'il ne manque pas quelques parties» à ces ouvrages précieusement conservés dans nos bibhothèques publiques. Il paraît donc impossible, au premier abord, de reconstituer l'orchestre du xvi® siècle, qui cependant devait être bien riche et bien varié, à en juger par le nombre des instruments ; mais nous avons conservé un grand nombre de compositions vocales et c'est grâce à elles que nous pouvons, jusqu'à un certain point, rétablir l'orchestre, tel qu'il devait être au temps des Clément Jannequin et des Palestrina. l'orchestre au xvi° siècle. 165 Les familles instrumentales étaient calquées sur les divisions de la voix humaine. Aussi lorsque nous savons par des docu- ments contemporains qu'une pièce vocale était accompagnée par des instruments on peut toujours supposer, sans trop de har- diesse, qu'une famille d'instruments, de même timbre marchait à l'unisson des voix, ou que des instruments d'espèces diverses, mais toujours correspondant aux différentes parties des chœurs, sonnaient avec elles. Pour les compositions purement instra- mentales, on peut s'appuyer sur les mêmes principes et avancer que ces pièces étaient d'une forme plus simple à la vérité, mais imitées de celles de la musique vocale. A mesure que les documents deviennent plus nombreux, à partir du milieu du xvi^ siècle, non-seulement nous trouvons les traces de ces habitudes de style, mais encore les artifices du contre-point, familiers à la musique vocale, comme le canon, les imitations canoniques, la forme dia- loguée du double chœur qui s'est conservée jusqu'à nous, sont en usage pour les instruments. Le caractère particulier de la période musicale qui s'étend jus- qu'aux premières années du xvii® siècle est, d'abord la multipli- cité des agents sonores et des timbres, employés suivant le genre de voix' qu'ils devaient accompagner, puis le peu de cohésion dans les parties, provenant d'une harmonie encore flottante et mal assurée sur ses basses. C'est par ces caractères que l'orches- tre du XVI* siècle se rattache encore au moyen âge et il faudra l'invention de la basse continue pour le faire entrer dans une voie nouvelle, en permettant de fixer définitivement le quatuor à cordes. Du reste, la création d'une véritable musique de. chambre con- tribua considérablement aux progrès de l'instrumentation. A côté des grands chœurs de l'Eglise, les compositeurs s'étaient plu à écrire des ricercari, des madrigaux, de proportions moindres et sur des paroles profanes. Ainsi réduite, la musique était devenue plus accessible à tous. On composait des chansons , des canzoni, des canzonetteda auonare e da cantare* Les parties instrumentales étaient .les mêmes que les vocales; le pardessus de viole, la mandore ou la flûte exécutaient l'unisson du soprano;. lé luth, la viole doublaient l'alto et le ténor; le luth encore, la basse de viole, les basses de flûte et de hautbois, plus tard le basson, 166 HISTOIKB DE L'INSTRUMENTATION. marchaient avec la basse ; toute cette musique, on le comprend, était simple et facile à lire, aussi chacun à l'heure du concert pouvait-il faire sa partie dans l'ensemble. Grâce ^ ces petites com- positions le goût de la musique s'était d'autant phift répandu que le répertoire était plus varié. Le XVI® siècle vit fleurir pendant une cinquantaine d'années un genre singulier de musique instrumentale inventé à l'inutation du style vocal. Je veux parler dq contrepoint alla mmte. Cette sorte de contrepoint consistait dans des improvisations faites par les. chantres sur les notes du rituel^ Son OTÎgine^ d'aprèa Doni^ remonte aux XII* et XIII* siècles^ On lui donnait le nom d'alîa mmU^ parceque cette improvisation était fi^te pour ain» dire de mé- moire. Pendant tout le xvi* siècle jusqu'aux premières annéea du XVII* les chantres et surtout ceux de la chapelle Sixt^ne, qu< tous étaient compositeur et savants musiciens, luttaient d'im£^n gination et d'habileté dans l'improvisation de ce contre point. Plusieurs d'entre eux nous ont laissé des ej^emples de contrepoint alla mente qu'ils avaient conservés, et dans un de ces intéressants recueib que possède la Bibliothèque nationale, l'auteur, Fr. Severi^ dit, dans sa préface, qu'il a transcrit ces chants improvisés, aÛA que les générations futures puissent savoir comment on chianta,ife et on improvisait à »oi^ époque à la chapelle papale (1). Les musiciens instrumentistes incitèrent bientôt les chantres. Étant donnée la basse du morceau à aiccompagn^ ou à exécuter, ils s'ingéniaient à qui mieux mieux pour improviser soit un élégant fleurtis, soit un accompagnement figuré. I^a chosjs en vint à ce point qu'Agostino Agazzari écrivait, au ^vii® siècl,^ ; « 8'iï fallait placer et classer toutes les oeuvres qui se chantent dans une seule église de Rome, ou on fait profession à,e concerter, ox\ n'aurait pas as8e2^ de la bibliothèque d'un légiste, » Les abus ne tardèrent pas à s'introduire dans c^s improvisa^ tions qui donnaient libre carrière aux fantaisies les plus incor-. rectes, et à la fin du xvi* siècle^i les compositeurs pr^reut le parti non-seulement d'écrire toute la musique, qui devait être exécutée^^ mais encore de chiffrer les basses de telle façon qu'il .n'y et^t plus de -doute possible sur les accords dout elles, fÉ^isMwt par^ (1) Severi (Franc), Salmi passegiatii Rome, 1615. In-S" obi. l'orchestre au XVI® SIECLE. 167 tie. Lie capricieux contrepoint alla mente prit fin vër» 1625. Cependant on en retrouve encore quelques traces en 1674, dans les Inni vsspertini de Gn^iani « Si rinstrumentisfce, dit l'au- teur, veut ajouter quelques accompagnements à ces hymnes, il lui sera facile de les tirer de la basse continue. » Cette sorte d'ins- trumentation improvisée a disparu depuis longtemps, mais elle a été une des curiosités musicales du xvi^ siècle et il était impos- sible de ne point la signaler ici en quelques lignes (2). En dehors d'un très-grand nombre de compositions voca- les de chambre on a conservé aussi quelques pièces instrumen- tales qui suffisent à peu près pour donner une idée de ce genre de musique. I^orsque les violes et les luths étaient seuls emi^oyés, ils formaient particulièrement, ce qu'on appelait la mu- sique de chambre ; y adjoignaît-qn d'autres instruments, le con- cert était dit de cour qu de salle. La France, l'Allemagne, l'Italie l'Angleterre cultivèrent ces deux espaces de musique qui, quel- quefois, arrivaient à se confondre. Les pièces imitatives de Gra- nier, de Sublet, de Claude le jeune, dé Clément Jannequin, comme la Bataille de Martgnan, h Siège de Boulogne, le Chant des oiseaux , etc., écrites primitivement pour les voix, étaient souvent exécutées par les instruments ainsi que nous l^montrp ce passage si connu des Galanteries des rois de France, attribuées à Sauvai, dans lequel nous voyons mademoiselle de Limeuil se faisant sonner aux violons la Bataille de Marigmn, pour s'encourager elle-même à la mort. A une époque plus rapprochée de nous une particularité analogue s'est reproduite lorsque Michel Haydn a ajouté des voix aux Sept paroles, composées pour les instruments par son illustre frère. Bumey prétend que le premier musicien. allemand qui ait com- posé des pièces vocales, avec accompagnement d'instruments, est un nommé Kn0fal, qui écrivait vers 1560, mais nous avons des pièces antérieures à ce compositeur. M. Anton. Schmid (1), dans • (\) Voir, pour le contrepoii^t cfWa mente, le bel ouvrage de Giusbppb Baine intitulé : Memorie storic(MTitiçhe délia vita e délie opère di G, Pierluigi da Pales- trina. Borna, 1828. 2 vol. in-:4°., t. I®*", page 121. Voir aussi le Dictionnaire de Plain-chant de d'ORTiGUB ; Paris, 1853, grand in-8o. (2) Ant. ScHMiD, OUaviano dei Petruçci da Fossomhrone ; Vienne, 1845. In-' 8'>, p. 188-213. 168 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. son ourrage sur Petrucci, décrit en détail un livre curieux de Han» Judenkûnig, luthiste de Vienne, avec un texte latin et allemand, ^ livre publié à Vienne, en 1523, petit in-4^, par Hans Syngriner. C'est de la musique de chant, de luth et de violon, écrite soit en tablature, soit en parties séparées. L'ouvrage est composé de petites symphonies, de lieder et de danses. Il est intitulé : Ain schone K%cn»tliche Underweisung in diesem BiteçhUin, leych- tîich zu hegreyffen, den rechtm Orundzu lernen auff der Lcmtten und Geygeny etc. On voit, par le simple énoncé du titre, que l'ouvrage était aussi écrit pour les instruments et, dans une in- téressante petite préface, l'auteur a pris la peine d'annoncer que son livre était non-seulement un recueil de musique, mai& encore une sorte de méthode pour simplifier la lecture des ndtes^ des Hgatures, des proportions , des altérations , bref, pour dimi- nuer les difficultés que les musiciens avaient accumulées dans la notation. Un autre recueil nous donne encore des spécimens de musique instrumentale au xvi* siècle. C'est une belle édition des HariThoniœ pœticœ de Paul Hofheimer (Nuremberg,. 1539. Petit in-8°), un des premiers harmonistes de l'Allemagne. L'on- "^ vrage est une espèce de Tombeau à la mémoire de ce musicien.. On y trouve des épîtres, des distiques, de la prose, des vers, des acrostiches, de tout enfin et même de la musique instrumentale» En Italie, on comptait aussi beaucoup de compositions pour instruments. On peut citer, entre autres, les : Crnizoni da suonar» a 4: a S di Francesco Rovigio e Ruggieri TruffiOy organisti eccel- ïentissim (Milan, 6 volumes) ; les Concerti musicali, con le sue sinfonie, a otto voci, commodi per concerfare con ogni sorte d^.es- trumentiy di Giovanni Oiacomo Oastoldi (Venise, 9 volumes) ; les. , canzoni et sonate des Gabrielli à 3, 5, 6, 7, 8, 10, 12,14 et 22 voix pour toutes sortes d'instruments dans la fameuse collection des deux Gabrielli André et Jean, imprimée à Venise par Gar- dane, en 1587. L'Angleterre, qui garda si longtemps la suprématie pour les instruments à cordes, et principalement pour la viole, possède ^ aussi des documents d'une grande importance, et en 1599, Mor- \ ley imprima un ouvrq,ge uniquement instrumental, le premier i •livre « of consort lessons » pour luth-ténor, pandore, cithare, flûte, viole-ténor et basse. Hawkins nous donne, dans son histoire. l'orchestre au XVI* SIECLE. 169 une lamentation de Dowlànd (1562-1626) écrite pour lés voix, avec accompagnement de dessus de viole, de pandore et de basse de viole (1). C'était dans les fêtes privées et dans les festins que ces orches- tres prenaient place. Nous avons déjà vu de nombreux exemples de ce genre au moyen âge et cette coutume de faire' faire de la musique pendant les repas était aussi répandue chez les particu- liers que chez les princes. Elle s'est perpétuée jusqu'à nous, dans les couplets à boire et de table. En 1502, une société musicale de Louvain allait sonnant partout aux repas pour Vesgaudissement des nobles et des bourgeois; son orchestre était composé d'une flûte, d'une harpe, d'une viole et d'une trompette. Dans le Pega- sydespUyn du poëte flamand Hansaert, on chante à un festin, avec accompagnement de luths, hautbois , cornets, flûtes, cithares et harpes (2). Une trèa-curieuse planche de Strutt nous donne le des- sin d'un concert de chambre au xvi® siècle (3). Cette représentation est tirée d'une grande peinture sur bois qui contient, d'un côté le portrait de sir Henry Huttpn, de l'autre, les plus remarquables épisodes de sa vie. On voit, entre autres choses, six musiciens avec leurs morceaux de musique devant eux i^l'un joue de la flûte traversière ; son voisin, armé d'un archet, frotte les quatre cordes d'un dessus de violon ; le suivant, qui tourne le dos au spectateur, joue d'un luth, dont on ne voit |que le manche ; enfin, les deux derniers pincent les cordes d'une mandore et d'un luth ténor. La réforme eut aussi une grande part dans les progrès de la musique : on sait quels succès obtinrent les translations en langue vulgaire des psaumes par Marot et Théodore de Bèze. Les calvi- nistes, tout en rejetant avec mépris ce qui faisait l'éclat et la pompe de notre religion catholique, avaient cependant compris de quel secours pouvait être la musique pour populariier leurs nouveaux dogmes. Bientôt les musiciens français Bourgeois, Gou- dimel, Philibert Jambe de Fer, se mirent à l'œuvre et ornèrent de (1) FoRSTER (Fr.), Shakespeare und die Tonkunst dans Jahrbuch der devZschen Shakespeare Gesellschafîy t. II, 167, p. 155. Cet article contient quelques bons renseignements sur la musique du temps de la reine Elisabeth. (2) Van der Strabten, la Musique aux Pays-Bas (déjà cité). (3) Strutt (Jos.), Horda Angelcynnany or a complète view of the manmrs.,., ofEngland; Londres, 1774-7t). 3 vol. in-4o, pi. 11, pages 143 et 191. 170 mSTOîRip ÇB L'II^STRUMBNTATION. leurs compositions les textes sacrés. Ces chants, composés en France et pour \sk France, se répandirent à profusion et ne tar- dèrent pas à devenir le sign,e de ralliement des huguenots. Tandis que les profanes modulaient galamment les amours et les sonnets de Ronsard, les huguenots ri^des, ennemis de la Grande Prostir tuée y chantaient la gloire de Dieu dans les vers de Marot, ayec la musique de GQudimel et de Bourgeois. Cet antagonisme fut des plus £s^yorable à la musique instrumentale , car ces psamnes étaient 9onTseulemen^ écrits pour les voix , mais aussi pour les instruments. On en trouve la preuve dans ce titre d'un ouvrage de Bourgeois : Quatr^virtgt'lrois psaumes de David fort convenables aux instrumsnts, à quatre, cinq et six parties tant à voix pareilles qu'autrement..,.^ Paris, 1561. In-8®. Il en était de même en An- gleterre, où Ton imprima en 15991 des psaumes de David « pour être joués sur le luth^ la, cithare et la basse de viole (1). » Dans une histoire de l'i^^^^^^^^A^^^îon, la danse tient une place importante ; c'est pour elle que les instruments sont le plus souvent employés et c'est dans les pavanes, branles et tordions que nous trouvons les plus nombreux spécimens de musique ins- trumentale. A la ville, comme à la cour, on dansait ; ce sont les rhythmes de ces différents pas qui, transportés dans l'art drama- tique et symphonique , nous ont donné la majeure partie de nos mouvements modernes. C'est à la danse et aux ballets que nous devons nos premiers essaisi de musique scénique. Arrêtons-nous donc quelques instants devant ces orchestres spéciaux , devant ces compositions instrumentales destinées aux bals publics et pri- vés. Arbeau Thoinot (1) nous a laissé un curieux tableau d'un orchestre de danse à son époque, l^es instruments qu'on y em- ployait étaient moins harmonieux que les luths et les violes, mais plus sonores et plus propres à marquer le rhythme. On y voyait en général un ou deux hautbois, quatre au plus, un tambourin, une flûte longue, une vielle et quelquefois, en Allemagne, un (1) Voyez sur lamuâlque de chambre et les chants calvmistes au xvie siè- cle, un article de la Revue et Gazette mtisicaîe des 28 septembre et 5 octobre 1873. (2) Orch^sographie et traidtè en forme de, dialogue, par lequel toutes personnes peu- vent /acilement apprendre et practiqtier Vhonneste exercice des dances^ par Thoinot Arbeau ( Jehan Tabourot) demeurant à Lengres ; imprimé audit Lengres par Jehan Des I*reyz (1588). In-4o. (Très-rare.) ii'ORGHBSTEB AU XVl" SIECLE. 171 trombone. C'était aux danseries vulgaires qu'étaient réservés ces instruments; pour des danses plus nobles, la musique était exécu- tée par des cordes pincées et frottées ; or il advint de ces pièces ce qui arriva pour \d8 menuets du XYiii* siècle. On les dansait, il est vrai> mais on les jouait souvent aussi comme de véritables morceaux de boncert. On a conservé quelques-uns de ces livres de danseries pour instruments à cordes à quatre ou cinq parties : les uns ne contiennent que pavanes, branleSj^ tordions, etc., d'au- treâ renferment aussi des diansons populaires, nuises en parties pour les instruments. Citons parmi les plus rares : Dix-huit bas- ses'dances garnies (h recoupes et tordions avec dix-neuf branles , quatre sauterelles, quinze' gaÀUardes et nevf pavanes; Paris, At- taingant, 1538. Nous avons sous les yeux un curieux ouvrage de Claude Gervaise, le Livre^ de viole, imprimé chez Attaingant et sa veuve (de 1547 à 1555) et qui appartient à la Bibliothèque nationale ; l'ouvrage est divisé en sept livres, écrits ppur les vio- 1^ à quatre et à cinq parties. Le premier est perdu ^ mais les ciuq suivants sont complets et il ne manque que peu de chose au septième, Gaillardes, pavanes, branles simples et doubles de Champagne, de Poitou et de Bourgogne, tout se trouve dans ce livre de viole. Le troisième livre semble composé de chansons^ populaires dont on lit le titre à la table et que Gervaise a trans-, crites à quatre parties pour violes. En 1599, Antony Holbom publia aussi en Angleten*e une collection de pavanes, gaillar- des, allemandes pour violes et autres instruments. C'est dans les cours princières que les orchestres de danse étaient au complet et brillaient de tout leur éclat ; pour ajouter plus de pompe à la réception des princes étrangers ou de leun ambassadeurs, pour augmenter la splendeur des fêtes et des tournois, les souverains avaient attaché à leurs cours de nombreux corps de musiciens ; les instruments qui composaient ces orches- tres étaient le plus souvent des flûtes, des hautbois, des trom- bones et des cromornes. En France, cette musique fut attachée à celle des écuries royales, de là le nom de grande et petite Ecurie donné à l'orchestre des fêtes de la maison du roi jusqu'à sa dissolution en 1785. On a attribué à François I*' la bréation de l'Écurie, mais il est évident que les princes qui l'ont précédé possédaient aussi des orchestres officielB. Dans un superbe psau- t 172 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. tier de René d'Anjou, dont ce prince a peint lui-même les miniatures et que nous avons décrit dans notre introduction on voit un orchestre de cour à la fin du quinzième siècle. Ce fut à ces troupes de musiciens qu'on emprunta des instrumen- tistes pour les grands ballets qui précédèrent la musique drama- tique et, plus tard, lorsque Lnlli eut besoin de faire quelques additions à la masse des violons, des hautbois et des flûtes, ce fut encore à TÉcurie qu'il s'adressa. Ce corps de musique fournissait aussi les trompettes et les timbales de la maison 'du roi. On ferait avec l'histoire de la grande et de la petite Ecurie un livre intéressant dans lequel on ne serait pas sans relever plus d'un fait important pour l'instriimentation et la musique militaire. En Angleterre un orchestre analogue existait, mais beaucoup plus complet et brillant. Les livres des comptes d'Edouard IV d'Henri VIII, d'Elisabeth contiennent de nombreuses listes de musiciens attachés à la cour : ce sont de véritables bandes musicales, dignes du moyen âge; aucune pondération ne se laisse apercevoir dans ces* masses sonores et on aurait peine à com- prendre comment ces instruments pouvaient être employés ensemble, si on ne savait que déjà, au xvi® 'siècle, l'habitude d'écrire dans, la forme dialoguée permettait de mêler les différents timbres. Quatorze trompettes, trois luths, trois rebecs, trois tambourins, une harpe, deux violes, quatre tambours, une cor- nemuse et dix trombones composaient la bande de Henri VIII. Edouard IV possédait à sa cour des trompettistes, des joueurs de luth, de harpe, de rebec, de trombone, de viole, de cornemuse, de flûte, de virginelles et de tambours. Un manuscrit, conservé au British Muséum, compte au nombre des officiers de la cou- ronne à la cour d'Elisabeth, en 1587 : Dix trompettes, Luths, harpes, chanteurs, Un chef des luthistes , Un chef des harpistes, Une cornemuse , Siz trombones, Un rebec. Huit violes , Trois joueurs de virginelles ( l'instrument favori de la reine ). l'orchestre au XVI'' SIÈCLE. 173 Trois tambours, Deux joueurs de fltftea, tJn luthier, Un facteur d'orgues, tJn facteur de régale. Les princes italiens aussi entretenaient de brillants orches^ très, Florence, Vérone avaient des concerts de ce genre, mais le plus célèbre était celui du duc de Ferrare sur lequel Hercule Bottrigaro (l) nous a laissé de curieux détails. Ce prince payait de nombreux musiciens, tant italiens qu'ultramontains, choisis parmi les meilleurs de Tltalie, de la France et de l'Allemagne. Outre d'excellents et habiles chanteurs, on comptait des joueurs de cornet, de trombone, de doulcine, de flûte, de viole, de violon, de luth, de cithare, de harpe et de clavecimbalum ; de plus, chose curieuse, il possédait une sorte de musée instrumental, où il gardait les instruments anciens devenus hors d'usage, ou ceux qui présentaient de l'intérêt scientifique, sans cependant pouvoir servir à l'exécution, comme le clavecin omni-tonique de N. Vicen- tino ; le prince voulait que les instruments fussent d'accord et en bon état. Toute cette musique était dirigée par Fiorino, maître de chapelle de Son Altesse, auquel était adjoint un certain Luzzasco. La plus grande discipline régnait dans cette nombreuse troupe ; les répétitions étaient fréquentes et soignées et le duc ne dédaignait pas de venir lui-même les diriger et donner des conseils; il avait aussi formé ce que nous appellerions aujourd'hui un centre musical, où se réunissaient les plus grands compositeurs et les plus habiles virtuoses, et de ces réunions, de ces commu- nions d'idées entre tant d'artistes de talent, devaient résulter de grands avantages pour les progrès de la musique. La duchesse partageait aussi les goûts artistiques de son mari ; elle avait sa musique particulière, dont l'orchestre était composé de dames ; le jour du concert on préparait dans la salle une longue table sur un des bouts de laquelle était placé un grand clavecimbalum ; les musiciennes entraient une à une, en silence, tenant chacune leur instrument à cordes ou à vent à la main, elles les posaient . (l) Il Desiderio, overo dei coiicerti di varii strunierUi musicali. Dialogo ; Bolo- gne, G. B. Bellagamba, 1699. In-4o. 174 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. sur la table et restaient à leur place , sans faire le moindre brait. Alors entrait la directrice du concert qui s'asseyait à l'autre bout de la table, en face du clavecimbalum, et là, année d'une baguette, ïoù^e, flexible et polie, préparée devant ellp à Farance, elle jetait les yeux sur son orchestre, donnait le signal sans bruit et les musiciennes de sonner et de chanter, à son ordre, ayec un ensemble admirable et le narrateur de s'écrier dans son enthousias- me : « A ce moment on pourrait dire, avec le poëte de Mantoue : « Pandite nnnc Helicona, deœ, cantosque movete. j> On peut remarquer^ en passant, qu'en effet la discipline musi- cale du duché de Ferrare était bien sévère, puisqu'on pouvait obtenir un pareil silence d'un orchestre féminin. Notre auteur, parlant des excellentes troupes concertantes des religieuses, dit qu'elles exécutaient avec tant de charme, de grâce, de justesse, que les meilleurs musiciens confessaient ne pas pouvoir le croire avant de l'avoir entendu. Il paraît cependant qu'il n'en était pas de même dans toute l'Italie, car Luigi Dentice, qui écrivit deux dialogues sur la musique, publiés en 1554, décrit un concert donné dans le palais de Jeanne d'Arragon, avec orchestre et voix, mais l'exécution en était, paraît-il, fort mauvaise et chan- teurs et instrumentistes semblaient prendre plaisir à violer tous à la fois le ton et la mesure. Nous l'avons dit, c'était dans les grandes fêtes, dans les repas royaux qu'on entendait ces instruments ; une belle pierre tombale du xv" siècle nous avait déjà permis de voir un orchestre sem- blable, pendant un festin; les tapisseries de Nancy nous avaient donné un spécimen de ce genre, et tel nous trouvons l'orchestre au moyen âge, tel nous le revoyons au xvi® siècle; il semble même qu'en Angleterre ces orchestres aient aussi servi dans les églises, car le service de la chapelle royale était fait, non-seule- ment par les orgues, mais encore par les cornets et les sacque- butes; cette coutume d'écrire pour les trombones et leurs dessus avec les voix et à leur unisson fiit répandue aussi dans toute l'Allemagne et nous reverrons cette forme d'instrumentation jusque dans les œuvres de Bach, où les chorals sont généralement accompagnés par les trombones, dont les cornets chantent la partie sui)érieure. l'orchestre au XVI^ BièCLÉi 175 En France, Torcbestre destiné an service divin avait toujours été séparé de l'orchestre de fête^ quand toutefois il avait existé. L'emploi des instruments dans l'église ôt son histoire serait matière à un long chapitre, que nous ne pouvons aborder ; tantôt banni par les papes, tantôt autorisé par eux, l'orchestre apparatt par intermittences dans le lieu saint pour disparaître de nouveaù> jusqu'au XVII® siècle, époque à laquelle il prend définitivement sa place à côté des voix. La chapelle royale elle-même se ressentit de ' ces fluctuations et il fallut la volonté de Louis XIV pouf faire entendre un orchestre pendant les offices, malgré la résis- tance des vieux musiciens (1), qui ne voyaient pas sans horreur souiller le saint lieu par des instruments profanes* Louis XI, Charles YIII, Louis XII avaient eu des chapelles attachées à la maison du roi, ce fiit François 1^ qui créa la chapelle-musi- que; elle dura jusqu'au. 10 août. Kétablie par l'Empereur, con- servée à la Restauration, elle fut comprise dans les petites éco- nomies du gouvernement de Juillet (2). Pendant le xvi® siècle, de nombreuses fêtes en Italie, en France, en Allemagne permirent d'utiliser les grands orchestres. Tantôt c'étaient des entrées triomphales, tantôt des balssomp- tueux, plus tard, de véritables ballets, bâtis sur un canevas où se dessinait déjà une action dramatique et qui ne tardèrent pas à donner naissance à l'opéra-ballet. Parmi les plus remarquables fêtes du xvi® siècle, dans lesquelles les instruments eurent une part importante, il faut citer celles qui furent célébrées à l'occasion des noces du premier grand duc de Toscane, Cosme I®^ de Médicis, avec Éléonore de Tolède. La biblio- thèque de Saint-Marc à Venise et celle de Vienne possèdent l'ouvrage qui contient la musique exécutée dans ces cérémonies, il est intitulé : Musiche faite mile nozze delV illustrissimo duca di Firenze^ il signor Gosimo de Medicis, e delC tllustrissima con- sorte sua, mad. Leonora da Tolletto; Venezia, Ant. Gardane MDXXXIX. Net mese di Agosto. Petit in-4^ Les différents mor- (1) Dumont, l'auteur de la Messe royale, passe pour avoir demandé sa retraite plutôt que de laisser employer les instruments à l'église. 2) Oastil-Blaze, Chapdh'Timsique des Rois de France; Paris, Paulin, 1832. In-8. — Archon (Louis), Histoire de la chapelle des rois de France; Paris, Lecferc [puis Lemercier], 1704-11, 2 vol. in-4<*. 176 HISTOIRE DE L'iNSTRUMiafTATIOlî. ceaux qui composaient ce recueil étaient exécutés à Feutrée de la duchesse à Florence; vingt-quatre chanteurs d'une bande, quatre trombones et quatre cornets d'une autre, saluèrent la princesse à son arrivée dans la ville. Dans la seconde partie de la cérémonie on vit une sorte de comédie d'après l'antique par Francesco Corteccia ; cet intermède était un ballet de Bacchus et des nymphes, il commençait par un chœur et une symphonie pour un clavicymbel et des petites orgues à différents registres ; à la fin du second acte, on entendait une cantate à six voix de trois sirènes et de trois monstres marins , accompagnés de trois flûtes traversières, plus trois nymphes marines avec trois luths, le tout ensemble ; le troisième acte, celui de sirènes, était terminé par un chœur à quatre voix, avec un violon-basse sonnant toutes les parties et chantant le soprano {con un violone sonando imite le partite e cantando il soprano). Venait ensuite un chœur à cinq voix, chanté à la fin du cinquième acte et soutenu par quatre trombones ; un grand final terminait la fête. Voici en quels termes la rubrique décrit ce morceau, qui est une invocation à Bacchus : Baccho evoe^ a quattro vocci, cantata e hallata da quattro bacchante e quattro satiri, con varii strumenti, tutti ad un tempo y laquale subito dopo la notte,fu la fine delta comedia. On ne voit pas encore, il est vrai, dans cette pièce d'action dramatique suivie, et la part de la musique se réduit à des chœurs et à des morceaux d'ensemble, mais il est impossible de ne pas reconnaître, dans cette pantomime figurée, l'essai d'un opéra-ballet. Citerai-je encore dans ce genre la fête donnée au sujet de noces de Ferdinand de Médicis et de Christine de Lorraine et les somptueux spectacles que Don Garin de Tolède donnait à la noblesse italienne ? Dans la première c'était le combat d'Apollon et du serpent Python qui servait de sujet au ballet; dans la seconde, on entendait Aminta du Tasse, à laquelle le jésuite Maratta avait ajouté des chœurs; de toutes parts cet exemple était suivi, partout on s'appliquait à traduire en musique les fables de la vieille mythologie ou les inventions ingénieuses -de la moderne poésie italienne; vers 1550, à Ferrare, une pastorale C'est U déduction du sumptoeuz ordre , pUisantz spectacles et magnifiqneg tbéfttreadreaiiB eteihibés par lea dtaiens de Rcuen ft Heniy second.»., et k Eatliarine deUédicis-... lors de leortriumphont, joyeux et nouvel advènoment en ioelle ville, qui fot èg jours de meroredy et jeudy premier et second jours d'octobre mil cinq cent cinquante, et pour plus eipresfle intelligence :, — .._^. ii._.._: belles figareeetpcurtraictz des principaus lomcmenta Onlevendà EouenchezRobeit LeHoy et Jehim dicta ouTellement imprimé par Jean Le Pcost, 1661, tn-4'' I le texte , attribni^B b. Jean Cousin. — S" LeS Pour l'orchestre au XVr SIÈCLEw 179 Sans être aussi somptueuses, les fêtes données par la ville de Bayonne à Catherine de Médicis et à son fils Charles IX, en 1565, et racontées par Marguerite de Valois dans ses Mémoires, furent peut-être plus curieuses encore. On ne nous a malheureu- sement pas conservé la relation détaillée de ces fêtes, mais nous savons que les organisateurs avaient eu Tingénieuse idée de mon- trer à la reine mère et au jeune roi un spécimen des danses de France, où chaque province était représentée, non-seulement avec ses danses, mais encore avec ses instruments, c Les Poitevins Les fêtes allemandes ne le cédaient en rien à^celles qu'on célé- brait en France et en Italie, et là aussi les instruments avaient une place importante. Une sorte d'opéra-ballet, daté de 1501 et dont la Bibliothèque nationale possède un précieux exemplaire, nous fait voir quelle place la musique, et principalement la musique ins- trumentale, tenait dans ces fêtes princières dont on était si prodigue dans les cours d'Allemagne aux xv® et xvi® siècles. Cette pièce curieuse et rare est intitulée : Ludus Diane. Malgré la longueur du titre, je ne crois pas sans importance de le reproduire tex- tuellement : le voici : Lvdus Diane in modum comédie coram Maximiîiano Rhomanorum rege, KaUndis Martiis et ludia satur- nalibus in arce Linsiana Danubii actus : Gîementissimo rege et regina, ducibusque illustribus Mediolani, totaqtie regia curia spec- taioribus : p. Petrum Bonomum Régi : Cancel, Joseph. Grunpe- Mum. Reg. secret. Gonradum Celten : reg.'poet. UlseniumPhrisium, VincentivmLonginumin hoc ludoîaureâ donatumJceUciteretjucun- dissimerepresentatus. C'est une plaquette in-4% de six feuillets, très et figures dn somptueux et plaisant spectacle et magnifique théâtre Pa- ris, Jean du Gord, 1667, in-4', pièce — 4° L'entrée de Henri II, roi de France, à Rouen, au mois d'octobre 1560, imprimée pour la première fois d'après un manus- crit de la bibliothèque de Bouen, ornée de 10 pi. gravées à l'eau-forte par L. de Merval, et accompagnée de notes bibliographiques et historiques par S. de Mer- val ; Bouen, Boissael, 1869, in-4o oblong. (Publication de la Société des biblio- philes normands. — ôo Bévue de Bouen, t. 5, 1835, p. 24 à 43, 84 à 108. 180 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. imprimée en caractères gothiques et portant trois signatures. On lit à la fin : Impressum Nuremhsrge àb Hieronymo Hoelcelio, cive Nuremhergcnsiy anno Mccccc et primo novi seculi, Idib, Maiis. Ce mince opuscule, d'une grande valeur, est d'autant plus intéres- sant au point de vue bibliographique, qu'il contient derimpression de musique contemporaine des incunables musicaux de Petrucci. Voici, en quelques mots, le sujet du ballet et la description de la musique qu'il contient. Le tout se divise en cinq pièces, scènes ou morceaux que l'auteur appelle actes. Dans le premier, c'est Diane, annoncée par Mercure, qui vient avec sa troupe de nymphes, de satyres et de faunes, chanter les louanges de l'em- pereur et déposer à ses pieds son arc, ses flèches et son carquois; puis les nymphes et les faunes, chantant et dansant autour de la déesse, entonnant un chant à quatre parties pour soprano alto, ténor et basse et intitulé : Armonia carminis elegiaci quatuor vo- cum. C'est un chœur à quatre parties d'une harmonie encore flot- tante, lourde et embarrassée. Au second acte, Sylvain, Bacchuset leurs compagnons dansent au son de la flûte et du luth. Autroisièmeacte onassiste au couronnement d'un poëte lauréat. Lorsque* l'empereur a imposé les mains et accordé au candidat le laurier désiré, le chœur entonne un chant à trois voix accompa- gné d'instruments et dont nous avons la musique. Ce chœur est beaucoup plus mouvementé et intéressant que le premier. La basse est ferme et correcte et le ténor fait entendre une partie d'un bon dessin, sous la mélodie du soprano. Remarquons en passant que cette partie de soprano est écrite alternativement en clef d'w/ et en clef de S0I9 et que le copiste n'a cru devoir mettre que trois lignes par portée, là où l'étendue du chant n'en exigeait pas davantage. Le quatrième tableau est beaucoup moins important; c'est une scène comique de Silène sur son âne, scène après laquelle l'empe- reur prend des rafraîchissements, le tout au son des trompettes et des timbales. Au cinquième et dernier acte, tous les personnages du jeu sont réunis et Diane entonne un chant dialogué avec le chœur, mais dont la musique ne nous a malheureusement pas été conservée (1 ). (1) Pourles opéras madrigaleaques du XVI® siècle, voyez deux articles de l'au- teur de ce travail dans la G azeUe musicale de Paris (septembre et octobre 1877). l'orchestre au'xvi^ siècle. 181 Un superbe tapis de table avec figures, dont Becker et Hef- ner (1) ont donné une reproduction, nous montre une intéres- sante représentation d'un grand bal de cour en Allemagne au sei- zième siècle. Ce tapis fiit dessiné entre 1560 et 1568 et représente, soit le mariage du comte Poppo de Henneberg, avec Sophie de Brunswick (1562) ou, plus vraisemblablement, celui de son frère Georges avec Elisabeth de Wurtemberg, en 1558. Au centre du tapis on voit le prince et sa femme, encadrés dans la musique du choral de Luther « eine fest burg y> (2). Les quatre parties, le discant, Taltus, le ténor et le bassus forment une sorte de bordure notée sur quatre rangs; au-dessous, entouré pair une au- tre composition à quatre parties aussi, mais instrumentale cette fois, et beaucoup plus considérable que la première, se trouve un orchestre complet. Il est composé d'un concert-meister armé de son bâton de mesure, de six femmes et de quatre hommes. Les femmes jouent du trombone, de la viole de gambe, de la harpe, de la mandore, du luth et du triangle. Un des quatre hommes tient un dessus de viole, ou viola da spalla, l'autre un cornet, le troisième un dessus de hautbois et le quatrième un hautbois-alto ou quart-pommer; enfin, au-dessous du cadre qui contient Tor- chestre, défile la longue troupe des danseurs richement vêtus. En tête de cette troupe marchent un timbalier et un trompette ; ils semblent ne pas faire partie intégrante de l'orchestre, mais bien avoir été appelés là pour augmenter la solennité de la cérémonie. Nous voici arrivés, avec la fin du xvi® siècle, à l'époque des grands ballets de cour et aux premiers essais d'opéra régulier ; c'est un grand événement dans l'art musical que l'apparition du drame lyrique et la naissance du sentiment dramatique : l'ex- pression va se développer d'une manière plus accentuée, l'art vo- cal va prendre des proportions jusqu'alors inconnues; mais qu'on ne s'y trompe point, l'orchestre n'eut que très-peu de part à ce premier mouvement : tels les créateurs de la musique dramatique l'avaient trouvé, tels ils l'employèrent sans y changer grand chose, du moins dans le& premières années. Comme les musiciens (1) C. Becker et J. H. von 'K'E¥FïfBiR,Kunstwerke and Gerathschqften des Mit' tthiUers undder Renaissance; Francfurt-am-Main, 1852-63, 3 vol. in-4''; 1. 1, pi. 86. (2) C'est le choral employé par M Viadana comptait peu, comme on le voit, sur les interprètes, et ses conseils minutieux ne prouvent pas en faveur des organistes de son temps ; mais dans cette (préface la théorie de la basse continue soutenant les chœurs est bien établie, sans qu'il soit question de chiffres. Bientôt mis en pratique en Italie, ce système ne tarda pas à se répandre dans le reste de l'Europe; l'Allema- gne l'admit d'abord. Stadelmayer, le père de la grande école d'orgue allemande, fut le premier à s'en servir dans ce pays. Déjà, en 1611, il avait écrit ^esModuH symphoniaci à cinq, six et sept voix. Ces pièces étaient à la vérité sans basse continue, mais la basse vocale pouvait être remplacée, ad libitum, par le luth, le théorbe ou la viole. En 1614, il publia son Magnificat (^^Ini- ponti. Dan. Agricola, 1614, in-4°) à deux chœurs, avec une double basse continue d'orgue. Fétis, d'après un recueil de motets qu'il n'a pas vu, dit-il, pré- tend que c'est un musicien anglais, Richard Deering, qui intro- duisit la basse continue dans les Pays-Bas. L'ouvrage était intitulé : Cantiones sacrœ quinque vocum cum hasso ad organum, Anvers, 5. Phalèse, 1597. Il est singulier que ce Deering, qui avait à la vérité vécu longtemps en Italie, ait employé l'invention de Viadana l'année même où le moine en avait la première idée ; aussi; jusqu'à plus amples renseignements, nous'en tiendrons-nous à la note du catalogue de Brossard, qui est à la bibliothèque na- tionale, et qui, en mentionnant les Cantiones sacrœ 5 vocibus cum Jmsso{Kui\QV\)\dd, apud Phalesium, 1619, in-d'') de l'organiste Pe- LA BASSE CONTINUE. 189 trus Swelingius, cite cette œuvre, que nous avons lue dans notre bibliothèque, comme la première publiée aux Pays-Bas, avec la basse continue. Le même catalogue manuscrit de Brossard dit aussi que c'est vers la même époque que la basse continue fut introduite en France. Il n'est pas impossible en effet que les musiciens français aient mis de bonne heure en pratique cette invention ingénieuse ; mais nous n'avons pas trouvé en France de musique avec basse continue avant 1652, et quelques mots d'Henri Dumont, le célèbre auteur de la Messe royale, nous apprennent que le nouveau pro- cédé avait fait bien peu de progrès en France. Henri Dumont publia en 1652 les Cantica sacra II, ///, IV, cum voctbus, tum instrummiis, modulata cum basso continua (Parisiis, Rob. Bal- lard, in-é**) et voici ce qu'il dit dans l'avertissement de cet ouvrage : a Amy lecteur, quoy que l'on compose et que l'on entende à « Paris d'aussi excellente musique qu'en aucuns lieux du monde, « néanmoins, voyant que peu de personnes faisoient imprimer et « même qu'on n'avoit pas encore imprimé en France de cette « sorte de musique, aveo la basse continue et que cette composi- « tion est plus avantageuse pour ceux qui font profession de bien « chanter, j'ai pensé obliger le public et particulièrement les « dames religieuses (qui aiment les motets à peu de voix, aisez « à chanter avec la partie pour l'orgue ou pour une basse de « viole) en faisant mettre en lumière quelques motets de ma « composition. » Pour qui connaît l'histoire de l'harmonie, pour qui a suivi avec attention les révolutions qui ont banni de la musique les tonalités ondoyantes du moyen âge et les ont remplacées par notre tonalité moderne , exigeant impérieusement des basses fermement dessi- nées, d'après l'enchaînement successif des tons, il est évident que l'invention de Viadana n'est que la conséquence naturelle des efforts et des travaux des musiciens des xv® et xvi® siècles. Le sentiment de la tonalité était né, on sentait que c'était là le principe et la base de toute la science harmonique de l'avenir, il fallait à tout prix conserver cette nouvelle conquête; on la confia à la basse continue, qui, pareille à une vigilante sentinelle, exécu- tait lentement sa marche monotone au pied de l'édifice harmo- nique. Au-dessus d'elle les chœurs dialoguaient, se taisaient pour 190 HISTOIEE DE L'INSTRUMENTATION. reprendre de nouyean, mariaient lenrs accords dans une riche et nombreuse harmonie, les instruments mélangeaient leur tim- bre^ la basse continne persistait, sans repos ni trêve, à marquer imperturbablement les notes principales du ton. Les résultats de l'invention nouvelle ne tardèrent pas à se faire sentir ; c'est à da- ter de ce moment que commence Faccompagnement, c'est-à-dire l'art de soutenir les voix par des dessins rhythmiques et harmoni- ques, appropriés à la mélodie ; c'est aussi à la même date qu'il faut rattacher la première période de notre instrumentation moderne. La basse continue pouvait suffire à la rigueur, mais dans les doubles chœurs, dans les morceaux où les voix dialoguaient avec les instruments, cette basse était impuissante à remplir l'harmonie principalement pour les premiers chœurs et les parties les plus élevées ; il £Eillut en inventer une seconde, qui, marchant paral- lèlement à la première et s'accordant avec elle, formât bonne basse pour les parties supérieures. C'est ce qu'on appela la double lasse. Elle fut inventée dès les premières aimées du xvii* siècle. Je n'ai pas besoin de rappeler combien elle fut usitée dans la musique religieuse et la grande musique chorale des xvii^ et XVIII® siècles. Nous l'avons conservé pour les morceaux d'église écrits dans le style sévère, mais si on ne l'emploie plus ni au théâtre ni au concert, du moins en a-t-on gardé la tradition. On sait que, malgré la basse des cordes qui soutient généralement l'édifice harmonique, les compositeurs sont obligés d'écrire sous chaque groupe instrumental une basse correcte, concurremment avec celle des cordes, et c'est au principe de la double basse qu'il &ut, à notre avis, rapporter l'origine de ce procédé. On donnait particulièrement le nom de lasse générale à la basse continue sur laquelle se réglait tout l'ensemble et celui de continue à la seconde : toutes les deux étaient exécutées soit par l'orgue, soit par les violes ou le luth. Dans les morceaux à quatre, six, huit chœurs et même plus, on trouve quelquefois même une basse continue pour chaque chœur. C'est à l'époque de l'invention de cette basse qu'on peut déjà rapporter l'origine des deux écoles instrumentales italienne et allemande qui se partagèrent pendant tant d'années l'empire de la musique ; l'une donna naissance à l'orchestre dramatique, l'autre à l'orchestre symphonique. LA BASSE CONTINUE. 191 Les Italiens venaient d'inventer le drame lyrique; nourris des traditions de l'antiquité^ saturés des textes grecs et latins^ ils avaient cru devoir retrouver dans la mélopée la récitation des grandes tragédies de Sophocle et d'Eschyle et la musique n'avait été pour eux qu'un moyen de se rapprocher des modèles qu'ils vénéraient^ mais en voulant ressusciter un art mort^ ils en avaient^ pour ainsi dire^ fait naître un autre à leur insu. Leur génie mu- sical, essentiellement scénique et expressif, l'avait emporté sur les vaines spéculations archéologiques : au lieu de tragédies et pastorales d'après l'antique, ils avaient trouvé le drame lyrique et avec lui la vérité d'expression et l'accent passionné, sans le- quel il n'est pas à proprement parler d'opéra. Qu'ils se soient laissés entraîner à l'amour de la virtuosité, à la recherche de cô doux gazouillement de notes, dont le sens n'est pas toujours bien défini et qu'on a trop souvent décoré du nom de mélodie, qu'ils aient créé, pour le plus grand mal de la musique, ce qu'on ap- pelle le dilettantisme, c'est ce qu'il ne nous appartient pas d'exa- miner; mais il n'en est pas moins vrai que c'est à eux que nous devons la vérité d'expression et le sentiment de la ligne mélo- dique, sentiment qn'ils ont possédé de tout temps 'à un très-haut degré. Pour exprimer la passion, il n'est^ il faut bien le dire, qu'un seul instrument, la Voix humaine : c'est ce que les Italiens comprirent les premiers, et, en musiciens de génie, ils allèrent en cela même jusqu'à l'excès : dans leur amour pour la voix hu- maine, ils prirent la cause pour l'effet, laissèrent la virtuosité usurper la place de l'expression et l'art du chant, qui ne devait être qu'accessoire> supplanter la musique. Chez un tel peuple les instruments ne devaient jouer qu'un rôle bien secondaire. Ce rôle, Doni le définit clairement, lorsqu'il dit que l'orchestre doit être suffisant pour soutenir les voix, sans être assez intéressant pour distraire l'auditeur et l'empêcher de prêter toute son attention au chanteur. Dans de telles conditions, l'instrumentation devait être bien peu de choses bien plus on ne la souffrait que comme un mal nécessaire. Soutenir la voix, l'accompagner en humble servante, lui servir de repoussoir, tel était le modeste rôle qui lui était réservé. Étant donné ce système, la basse continue présen- tait d'inappréciables avantages : aussi les musiciens italiens s'en emparèrent-ils avec empressement ; ils abandonnèrent peu à peu 192 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. tous les instruments qui pouvaient porter ombrage au favori, ils ne gardèrent que la basse continue et le quatuor à cordes qui sou- tenait les voix sans les couvrir. Ce ne fut qu'avec le temps qu'ils réintroduisirent dans leurs orchestres des engins sonores qu'ils avaient mis de côté, et il fallut plus d'un siècle pour qu'ils com- prissent quelle force ajoutait à l'expression la variété des timbres, et encore ne surent-ils que rarement tirer parti de cet art qu'ils avaient emprunté aux Allemands. Le génie de ces derniers les entraîna vers les rêves de la mu- sique pure plutôt que vers le réalisme du drame : pour se Hvrer à l'inspiration de leur génie, pour pouvoir suivre jusqu'à l'infini le développement de la pensée musicale, ils sentirent qu'il fallait conserver le plus d'instruments possible et, par une sorte de pres- cience, ils surent, dès le xvii® siècle, garder les timbres multi- ples que la Renaissance leur avait légués; A l'heure où l'Italien créait le drame lyrique, l'Allemand jetait les fondements du style symphonique, à l'église, dans les motets avec grands chœurs et orchestre ; au concert, dans les airs de danse et les pièces instru- mentales. Il n'est pas à dire pour cela qu'ils aient complètement abandonné la voix humaine, mais, tout en lui laissant une belle place dans l'art, ils surent la subordonner aux nécessités de la musique. A rencontre des Italiens, ils la traitèrent comme un instrument d'une merveilleuse souplesse, à la vérité, mais jouant simplement sa partie dans le grand concert. Chez les Italiens la voix humaine régnait seule en souveraine, chez les Allemands elle était le premier des instruments, mais parmi ses égaux, pri- mus inter pares. Dans de telles conditions la basse continue fut comme le lien qui unissait entre eux les timbres de l'orchestre, en permettant au musicien de les asseoir sur une base solide (1). (1) Au moment où nous publions ce travail, un article développé sur la basse continue et sur Viadana vient de paraître récemment, en 1877, dans Allgemtine musikalische Zeitung^ de Leipzig. CHAPITRE IIL L'OKCHESTKE DANS L'ÉCOLE ITALIENNE PENDANT LES XVII« ET XVIIP SIÈCLES JUSQU'A PERGOLÈSE. — SIM- PLIFICATION . DE L'INSTRUMENTATION. — NAISSANCE ET PROGRÈS DE L'ACCOMPAGNEMENT. — MONTEVERDE , PERI, CACCINI, LANDI, CAVALLI, SCARLATTI. — LES ÉCOLES DE VIOLON ITALIENNES. Il est généralement admis que rinstmmentation n'existe pas dans l'école italienne. L'orchestre pour les musiciens de ce pays est un instrument aux sonorités douces et discrètes , au timbre faible et sans éclat , une vaste'guitare bonne tout au plus à soute- nir de ses accords la voix des chanteurs. Il en fiit ainsi en effet pendant longtemps, et à partir des premières années du XVIII® siècle jusqu'à nos jours, où l'orchestre italien est de- venu plus bruyant, sans être pour cela plus symphonique, le style instrumental des maîtres ultramontains n'offre qu'un inté- rêt des plus secondaires. Mais il n'en est pas de même pour la musique écrite par les premiers fondateurs de l'opéra moderne et, sous ce rapport, le xvii® siècle est une des périodes histori- ques les plus intéressantes de notre art. En Allemagne, nous verrons l'orchestre grandir chaque jour, s'asseoir sur des bases solides, se moderniser, en un mot, sans pour cela rien perdre des forces instrumentales que le xvi® siè- cle- a léguées aux âges qui l'ont suivi. En Italie , au contraire , l'orchestre, riche d'abord de sonorités multiples, acquerra, à la vérité plus ^de cohésion, mais au détriment de la couleur et de la variété. Le quatuor à cordes va se former, vrai quatuor d'accompagnement, merveilleusement propre à soutenir les voix, mais tous les instruments, trombones, cornets, flûtas, heut- bois , trompettes , seront retranchés un à un de cette masse so- nore que nous avons entendue résonner au xvi® siècle. Comment 13 194 HISTOIBÈ DE l'instrumentation. les Italiens avaient-ils consenti à abandonner ce luxe instrumen- tal dont ils semblaient si fiers. C'est qu'un art était né dans Tart même; plus ils s'étaient éloignés du temps où la recherche de l'expression était leur seul souci, plus, guidés par leur génie, ils avaient donné dans la musique la première place à Fart vocal. La voix humainfe est un tyran et un tyran jaloux, à mesure que sa puissanbe devenait prépondérante, les instruments qui lui por- taient ombrage étaient bannis tour à tour, et lorsque vint le XVIII® siècle, l'âge d'or de la virtuosité, l'orchestre s'était tu, pour ne laisser entendre que la voix pure, éclatante et fraîche d'un soprano. Ce ne fiit pas sans lutte que cette révolution s'opéra. Les vieilles traditions instrumentales du moyen âge et du xvi® siè- cle persistèrent longtemps. Dans la partie dramatique de la tragédie lyrique l'instrumentation fut réduite d'assez bonne heure (vers 1625) à l'orchestre à cordes, mais, pendant longues années et surtout au moment où les fêtes musicales étaient encore don- nées par les riches particuliers ou par des villes, on vit un somp- tueux déploiement de forces instrumentales, dans les ballets, dans les représentations de fêtes ou de triomphes et cela dura jusque dans la dernière période du xvii® siècle. C'est ainsi qu'en 1680, on cite un pompeux cortège dans lequel figu- raient un chœur de cent femmes^ cent soldats , cent hommes à cheval, quarante joueurs de cornets à cheval, six trom- pettes à cheval, six tambours, six joueurs de sacquebute, six ménestrels jouant des instruments turcs, six autres jouant de la flûte octave, six cymbaliers , six cochers pour le triom- phe ; mais, dans ces opéras que Castil-Blaze eut à bon droit traités à^ opéras /rancûni, la partie dramiatique de la musique était traitée de la manière la plus simple. Il en était à ce moment, pour les instruments à vent , ce qu'il en est encore aujourd'hui pour lés instruments nouveaux^ ou inusités ; le compositeur ne les employait plus que dans les occasions rares, pour ajouter à la pompe décorative des marches ou des cortèges, et sur la scène sans les mêler à l'orchestre. L'analyse de quelques œuvres de cette période nous permettra de suivre de plus près l'histoire de la révolution instrumentale en Italie. Nous passerons rapidement sur les premières années du l'oechestre italien au xvii^ siècle. 195 XVII® siècle. Un grand progrès s'était accompli dans l'expression, dans la mélodie, dans la forme du drame lyrique, mais, au résumé l'orchestre des créateurs de l'opéra diffère bien peu de celui des vieux maîtres du xvi® siècle. Est-il besoin de reproduire après tant d'autres la liste des instruments employés par Monteverde pour son Orfeof Est-il besoin de montrer au lecteur, après MM. Fétis, Chouquet, Gautier, etc., Orphée soupirant au son de deux contrebasses de viole, le chœur des esprits infernaux ré- pondant par ses deux 'régales de bois aux quatre trombones de Pluton r Glissons sur ces détails maintenant trop connus et arri- vons au moment où l'orchestre moderne italien se prépare à prendre naissance. De 1620 à 1630, les morceaux écrits pour cordes seules de- viennent plus nombreux , à l'église comme au théâtre. Grandi , dont la Bibliothèque Nationale possède plusieurs partitions, et qui mourut en 1630, semble avoir le premier donné l'exemple de la modération dans l'emploi des timbres variés. Ses missœ concertatœ, à quatre voix, ouvrage posthume, publié en 1637, sont écrites pour premier et second violons , violone ou théorbe, • et basse continue d'orgue; ses motets à une et deux voix (Ve- nise, 1626) sont composés dans le même système ; déjà la forme du vieux contrepoint est changée, pour donner plus de relief à la mélodie; peut-être faut-il reprocher à Grandi d'avoir été un des premiers à imprimer à l'art religieux ce cachet trop mondain qui est souvent le défaut de la musique sacrée italienne, jusqu'à notre époque, sans exception, mais il n'en est pas moins vrai que nous devons le compter parmi les novateurs de l'or- chestre. J ^, Le San Alessio de Landi (1634) marque une date dans l'his- fZ^t f^- ^■^'' j toire de l'instrumentation en Italie. Cette partition précieuse, dont la Bibliothèque nationale possède un exemplaire, est inti- tulée : San Alessio, Dr amma musicale delT,. Cardinale Barteriniy Musica de Stefano Landi; Roma, Paolo Masatti, 1634, in-fol. Les instruments à vent, en cuivre et en bois, sont bannis de l'orchestre de Landi, mais les familles des cordes'y sont encore richement re- présentées. Le prologue est précéd d'une ouverture écrite dans le style madrigalesque, et dont lé ^^'iiicipal effet consiste dans les oppositions de piano et de forte ; à la fin une sorte de coup 196 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. de fouet d'un mouvement plus vif, semble placé là pour réveil- le? l'auditeur. Voici en quels termes Landi énumère lui-même les instruments qui sonnent dans son ouverture et qui forment son orchestre pendant le reste de l'opéra : « Sinfoniaper infro- duzione del prologo, a tre violini, arpe, lauti, gravicemlali , tiorhe^ voloni et lyra, d Ces instruments sont ainsi disposés sur la partition : 1° violino. 2* violino. 3® violino. Arpe. Liuti. Tiorbe. Violoni. Lyra. Basso continuo per gravicembali. Le chœur d'introduction, écrit en style madrigalesque et assez bien développé, est soutenu parle luth, le théorbe, la harpe et la basse continue. Les différents morceaux de cet opéra ne manquent pas de variété. On y trouve des duos comiques, comme la scène des deux pages au premier acte, des airs d'expression comme les plaintes de la mère d'Alexis au commencement du second. Des ritournelles de violons coupent les différents fragments de la mélopée. Un trio est accompagné par le clavecin, la harpe et le luth, un chœur dansé, à six voix, a pour orchestre les clavecins seuls. Au troisième acte, un trio pour deux soprani et un ténor est écrit sans accompagnement. Le finale de cette œuvre intéres- sante offre le déploiement de toutes les forces musicales de l'é- poque. Les anges, dans les nuages, chantent la gloire de saint Alexis. Le chceur est à quatre parties et à voix égales,' les trois violons marchent à l'unisson des trois soprani, les luths, théorbes, harpes, chantent avec l'alto ou font la basse. San AUssio fut joué à Rome, sous les auspices du cardinal Barberini, à l'occasion d'un voyage du prince Alexandre-Charles de Pologne en Italie. Un ouvrage curieux décrit longuement ces fêtes et dans les planches de cette description, on voit un ballet l'obchestre italien au xvii^ siècle. 197 pastoral ; pendant que les bergers dansent , cinq autres chantent, accompagnés par un harpsichorde, une basse de viole à quatre cordes, et un théorbe. Plus loin, un navire, aux armes des Colonna et des Barberini, porte un groupe de musiciens., une viole, une harpe et un luth, accompagnant une chanteuse. La nef est sui- vie d'une petite barque où Ton voit une régale avec son soufl&eur, une basse de viole, une viole de bras et un théorbe. La régale nous paraît faire, dans cette occasion, une de ses dernières ap- paritions (1). C'est ainsi vers cette époque que nous voyons former l'accom- pagnement et le récitatif obligé. Ce n'était pas tout d'avoir rendu l'orchestre plus propre à ac- compagner et à faire ressortir les voix, il fallait encore trouver les formules d'accompagnement pour enrichir le chant. Les vio- lons doublant les parties vocales, ou plaquant les accords, étaient d'une insupportable lourdeur, qui ne tardait pas à engen- drer la monotonie ; il fallait les séparer des voix, leur donner un dessin spécial, qui permît de les varier sans nuire au chanteur, en un mot créer des formules d'accompagnement. Antonio Naldi dit le Bardello, au commencement du xvii* siècle fut un des pre- miers dans l'art d'accompagner. Il savait, avec un goût exquis, choi- sir les parties intermédiaires, si utiles à l'harmonie, aussi passa-t-il pour le plus habile accompagnateur de son temps. En 1640, le théoricien Doni (nous dirions aujourd'hui le critique) posa les règles de l'art de l'accompagnement, et, en discutant de l'emploi des instruments dans la musique dramatique indiqua clairement la voie à suivre. Jl conseillait d'écrire d'abord sous le chant la basse continue, puis de broder dans la partie de violon un dessin assez varié, pour éviter la monotonie, pas assez cependant pour attirer l'attention de l'auditeur. Ces variations n'étaient autre chose que les diminutions, dont on fit tant -usage dans la musi- que vocale et instrumentale , mais l'appHcation de ces diminu- tions aux parties de ripieni était déjà un pas vers une forme nouvelle de l'accompagnement des voix. Doni appuyait sa démons- (1) Festafattain Roma alli 25 di fehraio 1634, e data in htce da Vitale Mas- CAiiDi î Roma (1635). In-4, fig. 198 HISTOIBB DE L'INSTRUMENTATION. tratîon, sur un exemple dans lequel il décomposait pour ainsi dire le chant (favella) et l'accompagnement (1). En effet le mot favella était bien le mot propre; à ce moment encore le chant était la traduction musicale de la parole^ c'était la mélopée, c'était le récitatif. L'air s'est formé, la mélodie s'est développée, le récitatif est resté. Nous raconterons dans un autre travail, par quelles suites de péripéties l'art du chant passa, pendant les XVII" et XVIII* siècles, mais il est bon de voir en quelques li- gnes ce que fut le récitatif obligé et quelle fut la part de l'orchestre dans cette partie importante de là déclamation lyrique. Le réci- tatif, sous quelque forme qu'il se présente à nous, nous vient direc- tement des créateurs primitifs de l'opéra. C'était à la mélopée qu'ils avaient donné la première place dans le drame lyrique. C'est elle, au résumé, que nous retrouvons encore dans les grandes œuvres réellement expressives des vrais maîtres de l'art mu- sical. Lully, Scarlatti, Rameau, Haendel, Gluck, l'enrichiront en lui donnant plus de mouvement, plus de rhythme et de variété, mais elle se ressentira toujours de sa première origine. A côté de l'ancienne mélopée, on avait créé une sorte de récitatif à l'ambition moins haute, et qui tenait place entre la parole et le chant, dans les moments où la musique n'avait pas besoin d'employer toutes ses forces et tout son prestige. Ce récitatif, accompagné d'une sim- ple basse, est venu jusqu'à nous, dans les partitions italiennes ; c'est ce que nous appelons le recitativo secco. Suivant les besoins de l'expression, il se combina avec la mélopée dramatique, il devint plus incisif, plus mélodique, et bientôt on sentit la nécessité de lui donner plus de force et plus d'importance, en lui prêtant le con- cours de l'orchestre. Le récitatif ainsi accompagné, et qui peut si souvent se confondre avec la mélopée, fit sa première apparition dans le San Alessio. Ce début était timide il est vrai , mais nous le retrouvons plus développé dans VArmide de Lulli et, à partir de cette époque, son importance grandira chaque jour. Predericoi contribua puissamment à donner à la déclamation plus de variété, et à la couper par des ritournelles d'orchestre. Dans son oratorio (1) DONi, Annotazioni topra il compendio dei génère e dei modi délia musica; Koma, 1640, in-4*^, page 876 : Discorso 6, Bopra il recitare in scena, con Tac- compagnamento d'istrumenti musicali. L'OBOHEfiTTRE ITALIEN AU XVH** SIÈCLE. 199 de Santa GrisUna (1676) l'orchestre se compose de deux violons ténors et une basse, les violons ne chantent pas toujours avec là voix, mais interrompent le chant en répétant quelques fragments de la mélodie vocale, l^a même année, dans son oratorio de Saint Jean-Baptiste^ Fredericci fit entendre un air à huit parties, dans lequel l'accompagnement était ingénieuseineut disposé pour vio- lon et violoncelle del concertino^ devx violons ténors et basses du concerto grosso, Aodtte époque déjà, comme on peut le voir, on dis- tinguait, ainsi que le faisaient encore les Italiens, il y a quelques an> nées, le petit orchestre d'accompagnement (concertino) de la masse symphonique (concerto grosso), Scarlatti (1649-1725), donna l'im- pulsion la plus forte à cette partie de la n^usique et créa défini- tivement le récitatif obligé. C'est dans squ oratorio de Thêodosia qu'il introduisit les nouveai^x récitatifs, et au lieu de l'harmonie simplement plaquée sous le chant par les instruments, chercha à varier les accompagnements, çn brodant à l'orchestre des dessins distincts, el des mouvements différei^ts dans la marche des parties. A partir de 1Ç,34, l'élan donné à la musique par les Italiens devient plus grand et les œuvres se pressent chaque jour plus nombreuses. C'est aussi à cette époque que se forma l'orchestre de Carissimi qui fiit aussi celui de LuUi et de Charpentier. Lisez le fameux motet de Carissimi : Turbabuntur impii ; voy^ ces cinq parties dé violes et de violons, dessus, quintes, ténors et basses, vous retrouverez l'orchestre de Cavalli, l'orchestre en un mot sur lequel les musiciens de l'avenir asseoiront définitivement leur instrumentation. Lorsque Maugars voyageait à Eome en 1639, ce furent les symphonies écrites de la sorte qui le ravirent en extase. « Dans les antiennes, dit-il, ils firent de si bonnes sym- phonies, d'un, de deux ou de trois violons, avec l'orgue et de quel- ques archiluths, jouant de certains airs de mesures de ballet, en se répondant les u,nsa,ux autres que j'en fus émerveillé. » Ce que les Italiens de cette époque pensaient de la rpiusique instrumen- tale est assez curieux à noter. « Vous ne sauriez croire, Monsieur, dit Maugars, l'estime que les Italiens font de ceux qui excellent sur les instruments, et combien ils prisent plus la musique ins- trumentale que la vocale, disant qu'un homme seul peut produire de plus belles inventions que quatre voix ensemble et qu'elle a des charmes et des licences que la vocale n'a pas. » 200 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. Quelques opéras, pris ^parmi le grand nombre de ceux qui furent composés de 1640 à 1700, nous permettront d'étudier de près rinstrumentation de cette école italienne qui commence à Landi et Cavalli, pour finir à Scarlatti. La partition de Serse, de Cavalli, offre pour nous d'autant plus d'intérêt, que joué à Paris, par ordre de Mazarin en 1660, cet opéra marque la troisième tentative faite par les chanteurs italiens pour importer leur art dans notre pays. »0n sait que déjà, en 1645 , ils avaient fait entendre IdiFinta Pazza, et en 1647, un Orfeo. Au point de vue des voix cette partition, dont LuUi écrivit les ballets, offre un grand intérêt, mais il faut l'avouer, l'orchestre y est déjà moins varié que dansle/Sb/i Aïessio; il est réduit au quatuor et à la basse continue, et si, au second acte, nous trouvons un air de ténor (Gia la tromla), accompagné par les fanfares de trompettes, nous n'avons que peu de choses à signaler dans le reste de l'œu- vre. Cependant les compositeurs se montraient déjà d'une cer- taine hardiesse dans la manière d'écrire pour des violons et ce même Cavalli avait, dans VEritrea, écrite deux ans avant Serse, en 1652,''confié à ses violonistes des passages qui exigeaient déjà unecertaine habileté. Melani (Jacopo), en 1651 , com-posa. Ercoîe in Tebe, opéra de cir- constance, dans lequel le compositeur, tout en donnant la première place aux voix, n'avait pas craint d'écrire des airs de ballet et des pièces instrumentales, où se retrouve encore quelque chose des traditions du seizième siècle; c'est ainsi que pendant la scène de l'enfer, un chœur de démons est accompagné d'une façon pittores- que par les cornets et les trombones. En 1662, Bontempi fit représenter à Dresde un opéra qui eut du succès et fut imprimé. Il en avait écrit en même temps les paroles et la musique. Bontempi était, pour son époque, ce que nous appelons un savant et connaissait bien les secrets de son art. De plus il écrivait pour des Allemands qui, jusqu'à l'ivasion de l'italianisme au xviii'' siècle, exigeaient une musique relati- vement riche et nourrie. Bontempi, dans sa préface, a rédigé une sorte de poétique dans laquelle il déclare qu'il abandonne tout à fait le style madrigalesque, tant pour les voix que pour les ins- truments, a. Pour ne pas confondre, dit-il, la scène avec l'ora- torio et le théâtre avec l'église et la chambre, je n'emploie pas l'orchestre italien au XVII*' SIÈCLE. 201 certaines modulations, d'après lesquelles se forme la tessitura des imitations, ou des mouvements contraires dans les sujets. » Quelques pages de cette partition sont assez réussies, comme le qua- tuor du jugement de Paris, la rencontre de Paris et d'Hélène, mais l'orchestre se simplifie de plus en plus et,' outre que nous ne trou- vons plus d'ouverture, l'orchestre est réduit à son état le plus rudimentaire. Du reste, en mars 1681, le correspondant du Mer- cure de France écrivait : « La symphonie des opéras de Venise est composée de plusieurs clavecins, épinettes, théorbes et violons, qui accompagnent les voix d'une justesse merveilleuse. » C'était en eflPet ces instruments qui à cette époque formaient l'orchestre d'accompagnement. Sous ce rapport, la Partenope de Mangi (1699) est assez curieuse. Un air de soprano est accom- pagné par le violoncelle et le luth du concertino. Plus loin , la même voix est accompagnée par trois violoncelles. Enfin, sôus un trio, le théorbe solo brode un accompagnement d'un joli dessin. Constatons toutefois dans quelques passages de cette œuvre la présence des trompettes et des hautbois et notons un air de so- prano soutenu par les flûtes , les hautbois, les premier et second luths, les violons en arpèges et les altos. Je passe rapidement sur VOlimpia de Freschi, sur Vldalma de Pasquini, sur le Muzio Scœvola (1696), sur la Semiramide d'Aldo- vrandini. Tous ces opéras, littéralement bondés de vocalises, ne diffèrent entre eux que par l'importance donnée à certains rôles, suivant le chanteur ou la cantatrice que le compositeur avait sous la main et ne présentent guère d'intérêt au point de vue de Torchestre. Un autre opéra d'Aldovrandini, Gesare in Alessandria (Naples, 1700), est écrit à la vérité dans le même style, mais il offre une certaine variété dans les accompagnements et mérite de nous arrêter un instant. C'était l'époque des grandes virtuoses du violon, comme des grands virtuoses du chant. Corelli avait créé la nouvelle école italienne de violon et on peut juger, en lisant la partition d'Aldovrandini, avec quelle hardiesse les violonistes de cette époque attaquaient des difficultés qui feraient peut-être hésiter des virtuoses contemporains. Un air de soprano est sou- tenu par la basse continue et un violon solo, dont le dessin d'ac- compagnement nous paraît curieux pour l'époque. Outre qu'il monte jusqu'au 2^ la au-dessus de la portée, il n'arrive à cette 202 histoire; de l'instbumentatiûn. cime qu'en enjambant les intervalles les plus disjoints, en s'ap- pnyant à la yérité sur la corde la à vide, ce qui diminue considé- rablement la difficulté , mais il n'en est pas moins bon à signaler. Voici ce passage : ^^^^ Dans la même partition, on trouve les contre-basses employées sans clavecin (contrabassi sema cembalo). Du reste, si les Italiens avaient abandonné une partie des instruments du xvi* siècle, du moins ils se livraient, avec les violons, aux fantaisies pittoresques les plus singulières. C'est ainsi que Raguenet cite avec admiration, dans son Parallèle, un air qu'il entendit dans une église. Sur ces paroles Mille saette (mille flèches) le compositeur avait trouvé bon d'écrire un grand nombre de traits rapides de violon, qui représentaient la grêle de flèches acérées, dont parlait le poëte. Les œuvres de Scarlatti présentent encore de la variété dans l'instrumentation, mais, à partir de ce maître, l'orchestre perd tout son coloris, pour devenir uniquement accompagnant. Dans les Nozze coV nemico^ un violoncelle solo, un violon et un luth soutiennent le soprano. Un air de facture à fioritures, intitulé le Rossignol, le premier modèle des airs de rossignol, est écrit avec un violon et un luth et la ritournelle exécutée par tout l'orchestre. Le violon lutte avec la voix, par ses trilles, ses traits, ses vocalises, et semble représenter le rossignol répondant aux notes perlées de la chahuteuse. Dans Laodicea e Bérénice, Scarlatti écrivit un accompagnement de violon obligé, tellement difficile, que Corelli, dit Fétis, manqua le passage à la répétition générale. l'oechestre italien au xyii** siècle. 208 La Bibliothèque nationale possède cette partition de Ldodicea. En effet on y trouve accompagnant un air, un dessin de violon, montant en trilles rapides, jusqu'au contre-£s Solo. _- ^ ijJSriTfrrrfi?!^ mm De plus il est surchargé d'effets pour triples et quadruples cordes. A partir de ce moment, l'opéra italien cesse de nous intéres- ser, c'est une longue cantate écrite uniquement en vue d'un vir- tuose, ou pour mieux dire c'est un véritable pastiche, dans lequel la musique est sans importance. Raguenet, malgré sa partialité en faveur des Italiens, nous montre comment ceux-ci le plus sou- vent montaient un opéra, et il faut avouer que les choses sont 204 . HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. restées longtemps dans l'état où l'auteur du Parallèle les avait trouvées : « Quand l'entrepreneur d'un opéra a rassemblé sa troupe dans quelque ville, il choisit pour sujet de son opéra la pièce qui lui plaît, comme Camille, Themistocle, Xerces ; mais cette pièce n'est qu'un canevas qu'il étoffe des plus beaux airs que savent les musiciens de sa troupe, car ces beaux airs sont des selles à tous chevaux... . et il n'y a point de scène à la fin de laquelle les Italiens ne sachent trouver place pour quelqu'un de ces airs. » On comprend qu'avec un pareil système de composition, l'instru- mentation de ces opéras ne devait être ni bien expressive , ni bien- pittoresque. A partir de Scarlatti, jusqu'au milieu du xviii^ siècle, nous aurons peu de chose à noter sur l'instrumentation en Italie, la grande école du chant va tout absorber, les maîtres virtuoses se presseront en foule : Legrenzi, Lotti, le maître de Galuppi, Buononcini, Logroscino, Vivaldi, Porta, Porpora, Léo, rem- pliront de leurs œuvres les théâtres de l'Italie et verront leur musique portée aux nues, mais c'est en grande partie au style vocal et aux chanteurs que seront dus ces succès. L'harmonie des maîtres de la fin du xvii® siècle et du xviii'' est, à la vérité, correcte, fine et d'une extrême distinction, mais, sauf plus de liberté dans les formes d'accompagnement, les progrès de l'ins- trumentation sont peu sensibles et nous devrons arriver jusqu'à Pergolèse, Majo, Jomelli pour entrer dans une voie nouvelle et marquer un véritable progrès dans l'art de traiter l'orchestre à l'italienne et par rapport aux voix. Il faut le dire , les maîtres avaient trouvé de puissants auxi- liaires dans les. virtuoses contemporains et jamais Scarlatti n'eût osé écrire les difiicultés dont sont hérissées ses parties de violon si la grande école de violon italienne, dont Corelli est le plus célèbre représentant et qui avait pris naissance au milieu du xvii*' siècle, ne lui avait donné des symphonistes capables d'exécuter ses œuvres. Il n'appartient pas à notre sujet de traiter de la sonate et de la musique de chambre ; cependant , nous ne pouvons nous dispenser de rappeler en quelques mots les noms et les travaux des premiers maîtres italiens qui créèrent le style de violon et dont les œuvres ne furent pas sans influence sur l'instrumenta- tion, sur les progrès de l'art d'accompagner à l'orchestre et sur l'orchestre italien au XVII® SIÈCLE. 205 la symphonie. Tels nous avons vu les Italiens dans la musique vocale et dramatique,- tels nous les retrouvons encore dans leurs compositions pour le violon. Laissant aux Allemands la recherche du son simultané, ils ne tardèrent pas à dégager la ligne mélo- dique des limbes du vieux contre-point, sans pour cela négliger la pureté et Télégance des formes harmoniques, car il est à remar- quer que toute leur musique de chambre est écrite avec la plus grande finesse de style. C'est à la musique de danse que furent empruntées les pre- mières compositions pour le violon : c'est de là que devait naître le rhythme sans lequel il n'est pas de mélodie, puis, l'expression fai- sant chaque jour plus de progrès, les violonistes empruntèrent à la musique vocale nombre de formules qu'ils appliquèrent à leur instrument. Réservant les compositions sérieuses à la pompe du service divin, ils créèrent ainsi la musica di chiesa, différente d'abord de la musica di caméra, mais, vers la fin du xvii® siècle, ils réunirent les deux genres, mariant habilement les tours de l'expression mélodique, aux légèretés et aux élégances des formes de la danse et donnèrent ainsi naissance à la musique de chambre en même temps qu'ils préparaient les voies à la sym- phonie (1). Gabrielli et Monteverde restèrent encore attachés aux vieilles traditions du xvi® siècle, et chez eux la musique de violon ne fut en réalité autre chose que la transcription des pièces vocales sans dessin mélodique bien arrêté. Biaggio Marini commença le premier à dégager le violon du style madrigalesque ; il était né à Brescia à la fin du xvi* siècle; il jouait de plusieurs instruments, mais c'est pour le violon qu'il écrivit plus spécialement ; il mou- rut en 1660. C'est dans son troisième œuvre (2) qu'on trouve pour la première fois les traces de la naissance du style de violon. (1) Voyez les histoires de la musique de Bumey et de Hawkins. — FÉtis, No- tice biographique sur N. Paganinij suivie de V analyse de ses ouvrages et précédée d^une esguisse de V histoire du violon ; Paris. In-8<*. — Voir surtout, au sujet des écoles de violon, les récents ouvrages de M. Wasielewski, les plus complets sur la matière : Die Violine und ihre Meister; Leipzig, 1869, in- 8° ; Die Violine im XVII^ Jahrhundert und die Anfànge der Instrumentaîcomposition ; Bonn, 1874. In- 8°, avec atlas in-fol. oblong. (2) AriCf madrigali e correntia 1, 2, 3 ; Venise, Gardane, 1620. 206 HISTOIEB DE L'INSTRUMENTATION. Oe recueil contient, outre six pièces purement instrumentales, des airs de danse comme la MarUagay la Gourante^ YAvogra- dina^ la GMzzoîa^ la Gagliarda et une Romanesca. Oe dernier morceau est des plus intéressants ; il se compose de quatre parties différentes, offi*ant un certain développement ; dans la Oagliarda, on lit une yariation du thème principal, et tout ce petit morceau semble indiquer de réelles tendances vers la création d'un style mélodique plus dégagé des lourdes formules du xvi* siècle. La Sfera armoniosa de Quagliati (Eome, 1623) marque un nouveau progrès, quoique le style madrigalesque y domine encore. C'est surtout dans la Toccata, avec accompagnement de théorbe, qu'on peut deviner le rôle que jouera plus tard le violon comme ins- trument solo. Carlo Farina de Mantoue, violoniste au service du prince de Saxe, contribua aussi à perfectionner le style de violon ; mais, plus amoureux de l'étrangeté que de la pureté de la forme, il a laissé des œuvres qui furent plus propres à former d'habiles exécutants qu'à servir de modèles aux compositeurs. Une singulière recherche du genre imitatif se remarque dans ses pièces; une entre autres est intitulée : Ander th&il nemrga- gliarden, couranten, franzosischein arien qùodlibet.... mit vier strummte (Dresde, 1627) ; elle renferme un curieux morceau qui a pour titre : Gapricio stravagante. Il est peu de compositions qui méritent à meilleur droit le nom d'extravagante ; doubles cordes, imitations de la flûte, du fifre, aboiements de chien, miaulements de chat, cris de coq, tout se trouve dans cette singulière débauche de musique imitative. Nous sommes loin du goût qui a guidé si sûrement les Italiens du xvi® siècle jusqu'à Corelli et ses élèves et quelque chose de la baroque fantaisie allemande a glissé sous la plume de ce Mantouan, qui écrivait pour un prince saxon, mais cette page prouve que les virtuoses de cette époque ne man- quaient pas d'habileté à défaut de goût. Oiam-Batista, Fontana de Brescia, qui fut malheureusement enlevé fort jeune parla peste, enl631,e t sur lequel Righino a publié une note intéressante en 1641, a laissé un œuvre contenant 18 sonates, dont les six pre- mières sont pour violon-solo et basse continue. Les sonates de Fontana indiquent un nouveau progrès. A l'andante succède un allegro qui, divisant la composition en deux mouvements, lui donne une certaine variété .; les traits sont nombreux et difficiles, l'oechestue italien au xvii^ siècle. 207 à la yérîtéy mais bien écrits et se rattachent tous à Tidée mère du morceau; enfin on peut déjà entrevoir dans ces pièces l'ori- gine du concerto ou solo instrumental avec accompagnement d'or- chestre. Après ce maître, les compositeurs de musique de violon se pressent en foule, et le titre seul de leurs œuvres formerait un chapitre ; citons parmi les principaux : Bartolomeo Montalbano de Bologne (1), Tarquinio Merula qui fut un des premiers à écrire dans le goût nouveau de la ftigue moderne et du contre- point conventionnel (2), Massimiliano Neri, le plus intéressant de tous (8), dans son œuvre 2 (4), nous trouvons une sonate, véritable concerto écrit à douze parties, pour deux cornets, quatre trombones, un basson, deux violons, deux violes et un théorbe dans lesquels les violons ont la partie principale. Jusqu'au milieu du xvii® siècle la musique spéciale de violon était presque exclusivement composée d'airs de danse, comme les courantes, gaillardes, pavanes et autres, et de ces origines de la musique instrumentale pure nous avons gardé les termes de me- nuet, gavotte, etc., qui, sans avoir grand rapport avec les danses qu'ils désignaient autrefois, rappellent cependant les premiers temps de la symphonie. Ces compositions portaient indifférem- ment les noms de simfoniay capricio, fantasia, toccata, canzone ou ricercari; les cinq premiers mots étaient particuliers aux compositions instrumentales, les deux derniers désignaient des morceaux écrits pour voix et instruments, quelquefois même pour tous les deux à la fois. Eicercare disparut bientôt ainsi que canzone et le nom de toccaUi ne tarda pas à être réservé aux pièces de clavecin; enfin, vers la seconde moitié du xvi* siècle, mmfonia désigna soit une ritournelle inslrumentale, soit une ou- verture. O'est vers 1650 que le mot sonate prit son sens spé^- (1) Op. 1. Simfonie aduno e duoi violini e trombont conpartimeniiper VorgaanOy con cdcune a quattro vide; Païenne, 1629. (2) Op. 1. Libro ddle camone da suonare a duo e tre vioîini e bcuso, del cava- lière Tarquinio Merula ; Venise , 1639. (3) Op. 1. Sonate e carbone a quatro da sonarsi con diversi strumetUi, in chiesa e caméra^ con cUcun correnti pure a quatrOy que se pove sonarte a tre e a due lasciando fuori le parte di mezza. Opéra prima di Maafiimiliano Neri; Venise, 1644. (4) Sonate a sonarsi con varii a dodici strumenti; Venise, 1651. 208 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION* cial de pièce instrumentale avec accompagnement d'orgue on de clavecin et même de plusieurs autres instruments. Voici com- ment Brossard définit la sonate de chambre : « Les sonates de « chambre sont proprement des suites de plusieurs petites piè- « ces propres à faire danser et composées sur le même ton ; ces er caméra a riolino t ri--icncfUc: 169^. op. 4. CHAPITRE IV. L'INSTRUMENTATION EN FRANCE PENDANT LES XVII» ET XVIIP SIÈCLES. — CAMBERT, CHARPENTIER, LULLI, CAMPRA, LALANDE, MARAIS , MONTÉCLAIR. — LES VIO- LONISTES. — RAMEAU. Tandis que l'Italie et aussi rAllemagne voyaient naître Part instrumental moderne, que faisait la France qui pendant les XV* et XVI® siècles avait briUé au premier rang, la France, qui, avec Baïf, avait été la première à organiser l'opéra, la France qui, à la fin du xvi® siècle, n'était pas restée la dernière et pou- vait opposer aux grandes fêtes italiennes ces somptueuses repré- sentations musicales de Girck et du lallet de la Royne'^ Victime des sanglantes guerres de religion, notre pays était resté station- naire et nous avions même abandonné les conquêtes que les maî- tres français du xvi* siècle avaient faites dans le domaine de Part. Lorsque la paix fut rétablie, lorsqu'on put penser de nou- veau aux douces jouissances artistiques, ce ne fut point vers la musique que se tourna notre génie, ce ne fut ni en Italie ni en Allemagne que nous prîmes nos modèles , ce fut en Espa- gne ; et à cette époque, la magnifique école Espagnole qui pendant les XV® et XVI® siècles avait donné tant de maîtres à l'Italie et au monde entier était à peu près disparue. Aussi vit-on la musi- que faire peu de progrès pendant tout le temps que dura l'in- fluence espagnole. Livrés à eux-mêmes, sans guides et sans modèles, les musiciens français, fidèles en cela au goût de notre pays, toujours amoureux du flonflon, préférèrent un gai refrain, une mélodie agréable et facile, aux plus belles com- binaisons de l'harmonie ou de l'instrumentation. S'ils employè- rent les instruments , ils changèrent peu de chose aux procédés en usage au xvi^ siècle, et, à la lecture des quelques pièces 212 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. instmmentales qu'ils nons ont laissées, on se douterait peu qu'une révolution musicale s'est accomplie et que l'orchestre est né. Nous ne trouvons rien d'intéressant pour notre sujet en dehors des ballets de cour et de sérénades pour voix et instru- ments qui diffèrent peu des compositions du siècle précédent. M. Ghouquet a étudié en détail les ballets des règnes de Louis XIII et de Louis XIY, il a donné le tableau de leurs orchestres; aussi ne reviendrons-nous pas sur cç sujets que M. Ad. jullieïi a traité à son tour^ mais à un autre point de vue, avec la conscience et l'exactitude qui distinguent tous ses travaux (1). Les œuvres les plus nombreuses de cette époque sont des chansons à boire^ à chasser et à aimer^ des messes et motetç sans accompagnement. Quelques noms ont été tirés de l'obscu- rité, tels que ceux de Ducaurroy, Boesset^ Jacques Mauduit, Lambert, mais> malgré les éloges pompeux de leurs contempo- rains, aucun de ces compositeurs n'a laissé trace durable de son passage dans l'histoire de l'instrumentation. La venue des Italiens, appelés en France par Mazarin en 1647, fut le signal du réveil de nos musiciens. Leur influence ne tarda pas à se faire sentir dans le sacré, comme dans le profane ; nous avons déjà vu Dumont, en 1652, appliquer à ses motets la basse continue ; bientôt nous verrons dans le ballet et au théâtre Cam- bert et Lulli donner l'exemple et créer définitivement dans notre pays l'orchestre dramatique. Certes, ces maîtres n'inventèrent pas les instruments dont ils se servirent, ils ne furent même pas les premiers à les employer, mais ils furent les premiers, à l'imitation des Italiens, à appuyer la masse instrumentale sur le groupe des cordes, à lui donner une cohésion qu'elle n'avait point eue en France jusqu'à ce jour, enfin à lui confier, en face de la masse vocale, un rôle qui, prenant chaque jour plus d'importance devait successi- vement , en passant par Charpentier, Marais, Montéclair donner naissance à l'orchestre de Rameau ; il est même juste de dire que si, au point de vue de l'instrumentation, nous avons été devancés par l'Italie, nous avons pris sur elle une revanche éclatante et (1) Gazette musiccde^n'^ 11, l'2, 13, 14, 17 et 18, de 1876. Les articles ^titulés le Ballet de cour (IÔ8I7I68I). 4 i CAMBBRT, LULLI, RAMEAU. 213 que moins d'un siècle a suffi pour que l'orchestre français dépas- sât l'italien en puissance, en coloris et en accent dramatique. Ce sont les violons qui constituent principalement l'orchestre de Cambert. Divisés généralement en quatre parties ils dessi- nent un lourd contre-point; quelques passages de flûte viennent éclairer un peu cette *brume monotone et jeter quelques rehauts de couleur plus vive sur cette grisarlle, mais il est évident que nous sommes encore à l'enfance de l'orchestre et le seul progrès accompli est d'avoir donné à la masse des cordes une cohésion suf- fisante. Il faut rendre cette justice à Cambert que, dans la forme de ses compositions purement instrumentales, il essaya de trou- ver un certain développement et de varier ses effets. Pour ne citer qu'un exemple, la première ouverture de Fomone, commencée par un canon à quatre parties, se continue par un allegro assez ' franc, suivi d'un passage en écho dont l'effet dut être grand. La ritournelle de trois flûtes, dont parle Saint- Évremond, et qui excita l'enthou^asme des contemporains de Cambert, est gracieuse à la vérité mais nous lui préférons de beaucoup, pour notre part, l'entrée des bouviers avec les violons, qui a une couleur plus originale que ce trio. Saiut-Évremond a dit « qu'on voyait les machines avec surprise, les danses avec plaisir, qu'on écoutait la musique avec agrément, les paroles avec dégoût. » Pour nous, qui relisons aujourd'hui ces œuvres deux fois centenaires, nous n'avons rien à changer au jugement de Saint-Evremond. Fomone est d'un musicien doué d'un réel sentiment mélodique, mais encore inhabile à manier le petit orchestre qu'il avait entre les mains. La gloire de Cambert est d'avoir, dans ses deux partitions, établi pour la- première fois en France l'orchestre sur des bases solides et ouvert toutes grandes les portes à Lulli. Pour donner à Cambert la place qui lui est due dans l'histoire de la musique instrumentale, nous nous sommes reportés au temps où il écrivait, nous lui avons tenu compte de la nouveauté de son œuvre, nous l'avons fait bénéficier des indulgences de / l'histoire, mais il n'en est pas de même pour LuHi. Ici nous som- mes en face d'un véritable musicien, d'un de ceux dont l'œuvre tient et tiendra toujours une place honorable dans l'art. Je viens d'étudier plus de vingt partitions du maître florentin, opé- ras, ballets, idylles, divertissements et il n'en est pas une dans ! dans laquelle les violons avec sourdines donnent une étonnante vigueur à la puis- sante imprécation de Médée ; cette belle page est digne des plus grands maîtres de l'école française et derrière la musique de Charpentier on peut pressentir le génie de Rameau. Je n'ai pas besoin de dire que le talent du compositeur fut payé à sa valeur et que le public, peu habitué à ces nouveautés, se montra froid et indifférent. Ce n'est pas au théâtre qu'il faut étudier Michel Lalande (1), (1) On peut lire sur Michel Lalande une étude de Favenot intitulée : Discours sur la vie et Us ouvrages de M. de Lalande ^ et Imprimée en tête du premier li- vre des motets de ce compositeur ; Paris, 1729. In-8°. ^^0 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. c'est à Féglise. La musique religieuse française eut à la fin du XVII® siècle une période assez brillante ; Henri Dumont dont nous avons déjà parlé et qui a laissé les meilleurs modèles du plain-chant moderne, Dumont, le successeur des Ducaurroy, des Mauduit, des Boesset, avait suivi les traditions de ses prédé- cesseurs et n'avait pas voulu faire usage des instruments dans le temple. Lorsque le roi Louis XIV désira faire entendre des violons à sa chapelle, ce fut Robert qui écrivit les motets à grands chœurs du service royal. J'ai lu la collection de ces nombreux mo- tets conservés à la Bibhothèque nationale. Il était bien inexpéri- menté le pauvre abbé Robert ; il se contentait de faire simple- ment doubler les voix par les violons, hasardant timidement de temps en temps une faible ritournelle, mais il fut bientôt rem- placé par Lulli qui apporta à l'église l'instrumentation dont il se servait dans ses opéras. Malgré quelques belles pages et particulièrement un Te Deum, pour violons, trompettes et voix, dont le début est plein de majesté et d'ampleur, Lulli ne rem- porta pas la palme comme musicien religieux, parmi ses contem- porains. Ces quelques vers que Brossard, plus critique que poëte, a mis dans son catalogue, en sont la preuve : ce Par tes bruyantes voix , injuste Renommée , H En faveur de Lully prévenant les esprits a De ces faibles motets ne v£tnte pas le prix ; ce Sur les autres auteurs signalant sa victoire, « a Au théâtre à ton gré va célébrer sa gloire, L'orchestre de la tempête dans Alcyone se compose de bassons, violons, haute-contre, tailles, basses et contre-basse de violon, plus une caisse roulante; la contre-basse soutient l'édifice musical avec la basse-contre par un trémolo en croches et en tri^ pies croches ; la basse de viole suit le mouvement harmonique de la basse à l'octave ou à la double octave, dans un rhythme sac- cadé dont l'efifet est des plus vigoureux. De temps en temps, elle est chargée d'un dessin d'harmonie oblique, comme de rapides gammes descendantes, exécutées sur un trémolo du deuxième ren- versement de l'accord de septième dominante. La taille, dans la partie qui lui est propre, dessine obstinément le même rhythme saccadé ; la haute-contre des violons, tantôt marche à la tierce su- périeure de la taille, tantôt à la tierce inférieure des dessus, tan- dis que les premiers violons, dans la région aigûe, simulent les sif- flements de la tempête. Un beau chœur de matelots, toujours souteiHi par la même instrumentation, complète ce tableau. Pen- dant toute cette page un tambour, dont la peau peu tendue rend un son sourd, exécute un roulement non interrompu ; quant à l'harmonie, elle est des plus simples et c'est à son instrumenta- tion que la tempête d*Alcyone doit toute sa valeur. Notre intention n'est point de reprendre l'histoire de la mu- sique dramatique en France au xviii® siècle ; aussi glisserons- nous rapidement sur les opéras de Campra, le meilleur imitateur de Lulli, de Destouches à l'expression touchante et vraie, de Mou- ret le musicien des grâces, de CoUin de Blamont,de Lacoste, etc. Notons en passant que c'est Campra qui introduisit à l'Opéra dans sa partition d'Achille et Deldamie les cors de chasse, que Lulli avait déjà employés à la vérité, ainsi que ses successeurs, mais seulement dans les divertissements de cour. Chez tous ces musiciens nous avons peu de progrès à signaler au point de vue de l'instrumentation, à part quelques détails insignifiants, comme l'emploi de deux petites flûtes à la tierce dans la tempête du bal- let des Éléments de Destouches et Lalande. Un seul parmi eux donna de l'importance à l'orchestre, c'est Montéclair ; c'est ce musicien^ auteur de Jephté, exécuté le 20 février 1732, qui sert d'intermédiaire entre Rameau et les compositeurs qui l'ont pré- CAMBERT, LULLI, RAMEAU. 223 cédé dans Fart d'écrire pour l'orchestre ; ce fut, dit-on, après avoir entendu Jephti que Rameau eut l'idée d'écrire pour le théâtre. Outre des passages d'une grande beauté et d'une tou- chante vérité de déclamation, cette partition nous montre un véritable sentiment de l'expression et de la couleur instrumen- tale. Le beau chœur du 1" acte « La terre, l'enfer » traité en contrepoint et soutenu par un orchestre dans lequel un beau dessin harmonique à la basse, prouve la profonde habileté de Montéclair; la marche du 1"^ acte écrite pour hautbois, violons, trompettes, basses et bassons est éclatante et majestueuse ; cet acte est terminé par le plus remarquable morceau de la partition « Viens, répands le trouble et l'effroi » que Rameau eut été heureux d'avoir trouvé et la prière « Dieu d'Israël », d'une inspiration large, est accompagnée par un superbe mouvement des premiers violons. Chez Montéclair, la science n'excluait ni la richesse ni la grâce dans la mélodie , et la petite marche avec tambourin du 3® acte est d'une élégance et d'une finesse que MoUret n'eût certainement pas reniées. Nous devons citer comme curiosité un morceau de Brossard, le savant musicien auquel la Bibliothèque Nationale doit la meil- leure partie de ses admirables collections et un catalogue des tré- sors qu'elle possédait à cette époque. Ce catalogue, fort bien fait, est rempli de notes curieuses dans lesquelles nous avons puisé plus d'une fois. Le morceau dont nous ' parlons est une cantate (la quatrième) ; elle a pour sujet les trois enfants dans la four- naise de Babylone. EUe est écrite pour une voix de haute-contre et l'orchestre qui accompagne le chant se compose de flûtes, de violons, de hautbois, de trompettes, de timbales, de bassons, de basse continue, et de plus, on y trouve une harpe» C'est pour tra- duire les paroles de son poëme dans lesquelles il est fait allusion « aux sons pétillants des harpes » que Brossard a cru devoir employer la harpe. Ici pour la première fois nous rencontrons une harpe dans l'orchestre français, depuis le commencement du XVII® siècle. C'est par la vigueur de leur instrumentation que les prédéces- seurs de Rameau se font surtout remarquer ; mais ce n'était pas sans combat qu'ils arrivaient à réaliser de véritables pro- grès. Les violonistes surtout et même les flûtistes refusèrent main- 224: HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. tes fois à Lulli à Charpentier, à Montéclair, d'exécuter des pas- sages de leurs opéras ; mais peu à peu une école de violon grandit en France et si Bameau dut former ses symphonistes, du moins put-il feire jouer ses œuvres qui eussent paru inexécutables du temps de Lulli; mais, depuis le Florentin, une révolution s'était accomplie dans le violon et la France était sur le point de pren- dre en Europe le rang qu'elle ne quitta plus depuis. Pendant que l'Italie et l'Allemagne possédaient à la fin du XVII* siècle d'excellents virtuoses et de bons compositeurs de violon, la France à cet égard était restée bien en arrière. C'est en vain qu'on avait vu, en 1682, Westhoflf montrer à la cour de Louis XIV jusqu'à quel point était poussée l'habileté des violonis- tes allemands, c'est en vain que l'Angleterre, imitant les Baltzar, les Biber, possédait une remarquable école de violon; en France nous nous traînions toujours péniblement dans la même ornière .^ malgré Constantin et Dumanoir, malgré Lulli lui-même (1). Du- val M le premier violoniste français qui voulut imiter la ma- nière de Corelli, aussi peut-il être regardé comme le créateur de notre école de violon; après lui vint Senaillé, fort supérieur à Du- val dans la composition de ses pièces : elles étaient élégantes et mélodiques et quelques-unes encore ne seraient pas déplacées dans nos concerts. Nous voici arrivés aux trois hommes les plus remarquables de cette période : Baptiste, Leclerc et Guignon. Les compositions de Baptiste sont médiocres, mais, si j'en crois ses contemporains, son jeu était simple en même temps qu'expressif. Voici ce qu'en dit l'abbé Pluche, dans son SpectacU de lu nature : « Il appliqua à la musique ce qu'on a dit de la poésie, que c'est « peu de chose de causer la surprise à quelques amateurs par une « vivacité brillante, mais que le grand art est de plaire à la mul- « titude par des émotions douces et variées ; il avait l'expression, Comme on le voit, la richesse du (1) Voyez Chronique miiticcUe, 1*^ vol., p. 169, un article intitulé Un Virtt^>se en 1682. Dans ce travail, Tauteùr a reproduit, d'après le Mercure galant, une suite de violon de Westhoff sans basse continue, qui fut exécutée devant le roi en décembre 1682. GAMBEBTy LULLI^ RAMEAU. 225 son et la vérité d'expression^ ces deux grandes qualités de nos violonistes français, se trouvaient déjà -chez Baptiste. Lorsqu'il alla à Rome, il joua devant Corelli et celui-ci fut si content qu'il lui donna son archet. L'école de Leclerc était tout autre que celle de Baptiste ; il recherchait surtout l'agilité et les difScultés n'é- taient pour lui qu'un jeu. Son habileté sur les doubles, triples et même quadruples cordes é£ait si grande que, bien qu'elles eussent été fort employées avant lui, il passa pour en avoir fait usage le premier. « Il publia en 1720, est-il dit dans les Lettres sur Us Ces citations nous prouvent que dans toutes les branches de l'art, à l'époque qui nous occupe, de hardis novateurs, précédant leur temps, préparaient les voies à Rameau. Nous ne pouvons abandonner les violonistes sans citer Guignon, le dernier roi des violons; s'il ne sut pas garder sa couronne, il avait su du moins la mériter : « Le jeu de cet habile artiste, dit Pluche, est d'une lé- € gèreté admirable; il prétend que l'agilité de son archet rend au « public un double service qui est dé tirer les auditeurs de l'as- « soupissement par son jeu et de former par le travail de l'exé- « cution des concertants qu'aucune difficulté n'arrête. » Ce der- nier résultat que Guignon voulait obtenir fat peut-être pas aussi complet qu'il le pensait. On raconte qu'un jour le régent, ayant reçu d'Italie des trio qu'il voulait faire exécuter, ne trouva pas dans l'orchestre de la cour trois violons capables de les lire à pre- mière vue. Cependant, en comparant les parties de violon écrites par Rameau à celles du maître florentin, on voit que, si les ar- tistes de l'Académie de musique n'étaient pas tous des Leclerc, des Baptiste ou des Guignon, du moins les efforts de ces derniers virtuoses avaient porté leurs fruits. Deux faits nous sont une preuve évidente des progrès de l'art du violon depuis Lulli : c'est vers 1711, ou 1712, que nous voyons paraître la première méthode 15 226 HISTOIRE DE L'INSTBUMEIïTATION. en français ponr cet instrument; cet ouvrage de Montéclair^ bien modeste^ il est vrai, dans ses proportions, à côté des grandes mé- thodes de Baillot ou de Kreutzer (il avait 24 pages), fut bientôt suivi, en 1718, d'un autre travail plus important de Dupont Or il est évident que, dans tous les arts, les traités théoriques ne font que fixer des lois qu'une pratique habile et une longue expé- rience ont permis de découvrir. Depuis Lulli, l'air du premier acte d^Atya était resté comme morceau de concours pour les candi- dats aux pupitres de violon à l'Opéra, mais lorsque Marais eut écrit Akyone, ce fut la tempête de cette dernière" partition qui servit de critérium ; il suffit de jeter les yeux sur ces deux pages pour juger de la différence d^ difficultés. Avant de disparaître de nos orchestres, vaincue par le violon- celle, la viole jetait un dernier éclat. Sous Louis XIV, Sainte-Co- lombe s'était ac(^uis une grande réputation, mais il fut bientôt surpassé par son élève Marais, dont nous avons maintes fois parlé. Craignant la. supériorité du jeune musicien, Sainte-Colombe se retirait dans son jardin, pour étudier certains traits dont il vou- lait garder le monopole, mais il comptait sans l'indiscrète ardeur de son élève, et Titon du TiUet raconte dans son Parnasse, que le jeune Marais, monté sur un arbre, forçait son maître à lui li- vrer à son insu ses procédés. L'auteur d* Alcyons resta fidèle à la musique française et à ses traditions, mais il n'en fiit pas de même de Forqueray. Celui-ci, lorsque la musique instrumentale italienne fut introdtdte en France, « tenta de faire sur la viole nullement les savants, puisqu'il y en a beaucoup de ceuz-là « et^ presque point de ceux-ci. » Rameau a cherché dans l'ouverture de Nais à peindre la lutte des Titans contre le père des dieux. Son tableau est, on le com- prend, tout de convention, mais cette intention descriptive a conduit le compositeur à dessiner de main de maître la première ouverture, vraiment digne de ce nom peut-être qui qit été écrite. La disposition symétrique des masses spnores, les proportions du morceau, le développement des idées musicales , tout contri- bue à faire de cette ouverture une des pages les plus remarquables de l'époque. J'aime beaucoup moins la préface instrumentale à! Acanthe, et Céphise. Malgré la précaution du compositeur d'indiquer lui-même ce que voulait dire sa musique, cette our verture est hachée, médiocrement composée et obscure; la péro? raison seule avec les fanfares imitant les cris de c Vive le Bpi !» a du feu et de l'ampleur. Voici les indications de Rameau qui marquent les divisions de son ouverture : 1® Vœu de la Kation (prière pour violons, flûtes, cors et basses) ; 2® Canon et feu d'artifice ; 3® Fanfare et Vive le Roi ! Si Rameau n'avait pris soin d'expliquer sa pensée je me doute bien qu'on aurait eu beaucoup de peine à distinguer son feu d'artifice d'une tempête. La parti- tion gravée de cette partition héroïque contient des clarinettes et des cors qui, selon toute apparence, ont été écrits par Rameau. Ce fut à l'occasion de la naissance du duc de Bourgogne que cette pastorale fut composée en 1751 ; or elle n'a pas été reprise, et, par conséquent, il n'est pas impossible que la partition qui nous est parvenue, sans date d'impression à la vérité, soit la reproduction fidèle de l'œuvre sortie de la plume de Rameau. Le maître a été souvent plus heureux en descriptions musicales; parmi ses plus beaux effets de musique pittoresque, citons : le Lever de Soleil de Zaî9, d'une forme absolument mpdeme, le Sommeil d'Endymion, d'une grâce voluptueuse, et l'Orage du même opéra, dans lequel deux flûtes à la. tierce produisent le meilleur effet ; il faut relever dans les Indes galantes l'air de Borée , où les tenues de flûte , succédant aux gammes rapides des violons, représentent le déchaînement des Autans, tandis qu'un élégant passage de petite flûte simule le souffle des Zé- phyrs. 232 HISTOIRE DE L'INSTRUMEIH^ATION. Nous avons parlé de la disposition et du coloris de l'orchestre de fiameau; mais nous ne pourrions rester dans les bornes d'nn chapitre^ si nons prenions à tâche de noter tons les passages de ses œuvres dans lesquels les instruments sont intimement liés à l'action et à l'expression. Dans le nombre et au premier rang, il faut citer l'admirable ritournelle des violons du trio des Parques {Hippoh/te et Aride) le prélude chromatique du chœur — 2 flanti, 2 tromboni, fagotto. Gometti, 4 trombonL Outre cela le cantus, le ténor ou l'alto devaient être doublés par l'orgue , avec le registre de voix humaine. Ces dispositions pour l'accompagnement du chant choral furent longtemps con- servées en Allemagne, et dans les œuvres de J.-S. Bach on re- trouve à chaque page des combinaisons analogues. Souvent ces instruments doublaient les voix et, dans ce cas, leurs parties ne se trouvaient pas toujours écrites dans les livres de motets, mais souvent ils dessinaient sur l'h^monie du chœur un contre-point plus ou moins compliqué, qui, s'enrichissant chaque jour, finit par donner naissance au style savant et majestueux de l'auteur de la Passion, Pour les parties élevées des chœurs, il valait mieux employer les violons que les cornets ; avec ces derniers on courait risque LES PBÉDÉCBeSEUBS DE BAOH ET DE HAENDEL. ^^Sd de couYiir les voix des chanteurs^ à moins de trouyer des comet- tistes assez habiles pour pouvoir modérer leur son à Volonté; du reste Prœtorius, dans ses observations^ tient toujours compte de l'habileté des exécutants et des forces musicales que le compositeur peut avoir à sa disposition. Il était bon, pour éviter la monotonie , de ne pas employer constamment les cor- nets ou les violons^ mais de les faire alterner ou de mêler, soit un violon avec deux cornets, soit un cornet avec deux violons, en éclairant ces parties supérieures au moyen d'une flûte tra- versière ou à bec ; dans ce cas il était permis de faire soutenir la voix d'alto par un trombone ou un basson. Un chœur pouvait aussi être accompagné par trois flûtes traversières, avec un basson ou une bombarde ou un trombone à la basse ; mais cette dispo* sition n'était pas sans inconvénient^ car, si, à la vérité, la flûte chantait également en bécarre ou en bémol, son registre était trop incomplet pour qu'il luitfût possible de suivre le mouvement des voix dans tous les tons et dans tous les modes. Youlait-on faire doubler les parties vocales par des flûtes, il était bon de se servir pour la basse d'un trombone alto ou d'un basson et de sou- tenir le ténor par un trombone ou un violon ténor, car, outre que les basses de flûte étaient trop faibles, elles se mariaient mal à la voix de ténor. Le quintette des flûtes, seules sans autre ins- trument, soit dans une canzone, un motet ou un concert avec chœur, pouvait être employé avantageusement malgré les sons un peu criards du soprano de flûte, et cet ensemble produisait une harmonie fort agréable, particulièrement dans les chambres et les appartements; mais à l'église les sons de la gitode basse de flûte n'avaient pas assez de vigueur et il valait mieux la rem- placer par le trombone ou* le basson. Au chœur des trombones, qui jouent un si grand rôle dans toute l'instrumentation allemande jusqu'à nos jours, on pouvait ajouter aussi les bassons ou les grands hautbois : dans ce cas on permettait de doubler l'alto par des flûtes alto, des violons ou des cornets. Le chœur des bassons et dés hautbois était plus délicat à ma- nier que celui des flûtes et des trombones ; le registre de ces ins- truments était fort incomplet, et les premiers surtout ne pou- vaient doubler que les voix graves; aussi devait-on veiller à 240 HISTOIRE DE l'instrumentation. ce que le chœur ne dépassât pas le ri (au-dessus de la clef d'w^ l'"* ligne), dernière limite du basson de chœur (choristfagjott) ; pour monter plus haut il fallait se servir du corthol et du basson discant, dont la sonorité était très-défectueuse. Par exemple, dans cette combinaison, le nombre des basses était immense et le com- positeur avait à sa disposition le double basson, le double haut^ bois (bass doppel pommer), le trombone (qtùart posaune) et le trombone octave basse; il devait éviter les violes contre-basses dont le son lourd et flou se perdait au milieu de ces sonorités vigoureuses ; remarquons en passant que les hautbois et les cro- momes étaient des instruments transpositeurs, qui s'écrivaient à la quarte ou à la quinte du ton réel, et que les grandes basses, comme le double hautbois basse et le trombone octave basse, étaient notés une octave au-dessus du son réeL Les instruments à cordes pincées pouvaient aussi former un corps d'orchestre séparé; Kircher nous fournit un exemple de la façon dont on les disposait^ on pouvait encore réunir les épinet- tes, les théorbep, luths, pandores, orphéarions, cithares, plus une grosse IjTG pour la basse, et cet asfe^nblage de sonorités simi- laires produisait un effet charmant. « J'ai une fois entendu, dit « Praetorius, une belle composition de ce genre dans un motet « du célèbre compositeur Jachese Dewerth « Egressus Jésus » à « sept voix, avec deux théorbes, trois luths, deux cythares, quatre « clavicymbels et épinettes, sept violes de gambe et une viole a basse, le tout sans orgue ni régale, et dans réghse toutes ces € cordes produisaient une admirable résonnance. i» C'est cet orchestre ainsi constitué qui servira aux composi- teurs allemands jusqu'au milieu du xviii® siècle, et avec Bach et Haendel, dans les œuvres de musique purement instrumentale, les agents sonores seront encore disposés d'après les mêmes prin- cipes ; il faudra Haydn et Mozart pour créer un orchestre nou- veau, pour donner aux instruments plus de liberté, à la masse plus dé solidité, aux timbres un accent plus marqué. Le vieux sys- tème d'orchestration nous paraît aujourd'hui bien lourd et bien primitif; mais n'oublions pas que c'est à lui que les Allemands doivent les dispositions architecturales de. leur instrumentation et la grandeur pompeuse des effets que nous admirons dans les œuvres de maîtres, tels que l'auteur du Messie et de la Passion. LES PRÉDÉCESSEURS DE BACH ET D*HAENDEL. 241 Leur profonde connaissance du contre-point leur permettait de varier àTinfini l'iiarmonie instrumentale : « Ayez soin avant tout, « me disait un maître, de bien écrire pour les quatre voix et le « quatuor. Si votre harmonie est élégante, riche, nombreuse et so- « nore, vous trouverez toujours assez d'instruments pour la co- Nons avons lu encore le commencement d'une messe de Benoît de Saint- Joseph, dit le Gra^d Carme, qui permet d'exposer comme sur un tableau toutes les richesses musicales employées à la fin du XVII** siècle (1680) (1). Du reste Taisance du style, la re- cherche des oppositions de masses se laissent voir chaque jour do plus en plus et, dès 1671, on peut reconnaître, dans les motets de Georges Schmeltzer, une réelle habileté de main. Jusqu'ici nous ne nous sommes occupé que de l'Église, mais le théâtre avait eti aussi sa part dans les progrès de l'instrumenta* tion. En Allemagne,, comme en Italie,, comme en France,, c'étaient les fêtes de cour qui devaient donner naissance à la musique dra- matique. Pour plaire à des princes passionnés de musique ita- lienne, les premiers compositeurs germaniques qui écrivirent pour le théâtre imitèrent, et de très-près, les musiciens ultramontains, mais il est dans le génie allemand une tendance mystique et phi- losophique qui marqua toujours d'un cachet indélébile l'art vrai- ment national de ce pays. Ils conservèrent longtemps les mystè- res, les entourèrent de toute la pompe musicale possible et c'est là que nous devons chercher l'orchestre allemand, pendant la première moitié du xvii° siècle. Nous avons entre les mains une partition des plus anciennes, un véritable opéra sacré, intitulé Fhiîlfthea (2) exécuté pour la première fois à Munich^ en 1643. (1) Voici comment est diaposée la partition, de Benoît de Saint- Joseph. : Canto, Alto, Tenore, Basso, Tenore !<> et 2o, Violino lo, Violino 2o, Viola 1« et 2% Trombone !<> et 2o, Trombone o 3<* fagottO) Organo. (2) Phtîothea, id est anima Deo chara ; comedia sacra, anno 1643 et 1658 Mo- nachii , ac deînde in variis theatHs saepius decantata, nunc typis excusa, atque sic aptata ut etiam in templis, aut pro honesta . anlmi relaxatione , et pietatis incitamento, tam in scena, quam sine] scena, cantari possit ; Monacbii , anno 1669. 18 cahiers in-4o. 248 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. Malgré son titre modeste, Oomicaactiuncula, donné parla préface, c'est un oratorio de grande dimension. Cet opéra sacré est divisé en cinq actes dont chacun met en scène un des états de Tamour divin, depuis le péché jusqu'au plus parfait amour; le fond du sujet est en résumé la lutte du bien et du mal dont la légende, différemment transformée , a toujours souri aux musiciens alle- mands , depuis Philoihea jusqu'à Loher^rin. L'auteur de cette œuvre philosophico-religieuse n'a pas cru devoir se nommer, et l'ouvrage est anonyme. Tout ce qu'on sait de lui c'est qu'il était religieux, ainsi qu'il est dit expressément dans la préface. Cette préface en latin, et fort bien faite du reste, nous apprend que ce musicien avait encore écrit un autre ouvrage dans le même genre, intitulé Théophile ; ms^& le sujet, comme l'indique le titre, devait ressembler beaucoup à celui de Fhihthea. Au premier acte, Philoihea, placée dès le début de la vie entre le chemin du vice et celui de la vertu, cède aux tentations du mauvais esprit. Pervertie par les conseils de Mundus, Caro et Orcus, l'infernale trinité, elle rejette les conseils de son ange tuté- laire, de la Providence, de l'Amour de Dieu, et poussée par ses complices, elle crucifie Jésus. Après l'avoir jetée dans le crime, les trois démons veulent l'entraîner en Enfer. Au second acte Fhilothea revient à résipiscence, elle pleure ses fautes, reconnaît ses crimes ; Miséricorde, Justice et Pardon implorent la clémence du fils de Dieu, mais il n'est point temps encore et Fhilothea pen- dant tout le 3® acte cherche le divin maître sans pouvoir le trou- ver. Les filles de Sion, conduites par David, la consolent dans sa douleur. Enfin son remords a touché le Christ qui lui permet de cueillir le fruit de l'arbre de la Passion. Elle le rencontre au jar- din d'Eucharistie, et, brûlant d'un saint amourpour sonépouxmys- tique , Fhilothea prend sa place sur la croix; alors Jésus l'emporte au ciel entre ses bras, pendant que les âmes bienheureuses célèbrent la beauté de Fhilothea et l'inépuisable miséricorde du Sauveur. La cinquième partie est remplie uniquement par l'image de la Béati- tude céleste, et Amour divin termine le mystère en montrant que tout n'est que vanité là où n'est pas l'amour de Dieu. Voici le tableau des personnages de ce drame sacré, dont le exte est une sorte de centon des livres saints : • LES PRÉDÉCESSEURS DE BACH ET D'H.AENDEL. 249 Necessaria. Adjuncta. Vox 1. unnsLus-caiiTOs. D il. Phîlothea-cantus. D x> III. Angélus tutelaris-ca i V . Providentia-cantus. V. Amor divinus-mez. ntus Angelua I. » II. Bop. D VI. Misericordia-altua. • • • Idem potest in necessîtate cantareeaqusehabet . . . Ecclesîa. » YII. Clementia-cantus. J> VIII. Justitia-tenor. J> IX. Pax-altus. X. Bonitas-tenor. . . . Longanimîtas. XI. David-bassus. . . . Veritas. MunduB-cantns Clementia. Caro-tenor Potest esse simul 1 , , , , Jnstîtia. Orcus-bassus David. Filiœ Jérusalem, quœ sunt ecedempersanœ, cum adjunctis, veî cum Tutdari, Providentiaf Pace, Misericordia, Jmtitia, BonitcUef Davide, NECESSARIA. Violino I. » II. Viola I. » II. » III. B IV. INSTRUMENTA ADJUNOTA. Eadem chelys in necessitate potest instrumente opposi- to servire. Cometto I. » I. Trombone I. » . II. » III. » IV. Violino III. 3) IV. Cometto III. » IV. Ad libitum. I Organo. | Violone. | Theorba. Ces trois derniers instruments servaient pour la basse continue. Ce tableau est suivi d'observations à l'adresse de celui qui con- duit la représentation. « Le Christ a toujours avec lui Amour divin et deux anges « dans le premier et le second acte; Philothée chante au 1" acte « avec Ange gardien et Providence, au 2® acte avec Clémence, « Bonté et Longanimité, aux 8* et 4° avec les^fiUes de Jérusalem; « Paix accompagne Miséricorde, et Vérité, Justice. « Les violons doivent marcher avec le Christ et les anges. La « violetta avec Miséricorde, Clémence, Espoir et Philothée, dans 250 HISTOIRE DR L'iNfiTBUHENTATION. En effet le texte, imprimé dans le cahier de la basse continue indique avec les plus grands détails, non-seule- ment les costumes, mais encore les moindres gestes des acteurs, leur place en scène, leurs sorties, leurs entrées, les reprises de chœurs ou de symphonies. Ce mystère, d'un mysticisme quintessencié, eut un grand succès en Allemagne puisque, joué pour la première fois à Munich en 1643, il fut repris dans la même ville en 1658 et ensuite chanté différentes fois : il s'exécutait.avec ou sans mise en scène, comme l'indique le titre. Si j'en crois la préface écrite par l'auteur ano- nyme, en latin assez élégant, cette œuvre fut imitée et contre- faite plusieurs fois et le poëte musicien dut remanier sa partition. « Le premier manuscrit fut volé et déchiré par un homme trop « emporté {a pétulante homine subîatum laceratumque fuit), aussi « ai-je cru nécessaire d'écrire pour le public une seconde Philo- Nous nous arrêterons ici pour ne pas étendre démesurément cette fastidieuse liste de noms et de titres et nous demanderons au lecteur de lui faire voir jusqu'à quel point le génie aflemand spéculatif et mystique avait m toujours trouver sa place, même dans la musique instrumentale pure. Rien n'est inventé dans mon récit et tout est fidèlement rapporté d'après les documents ori- ginaux. Un concert, donné en 1643 par Dihler et dont nous avons conservé le programme, nous montre les tendances des musiciens vers les œuvres dans lesquelles l'esprit philosophique historique et pédant avait plus d'importance que l'art lui-même. Il n'est pas besoin de discuter cette question qui nous entraînerait dans (1) Druokenmullern , Musikalisches taffel confect (Confitures musicales pour la table) ; Hall, 1668. (2) Encomiœ mutices, seu opuê primum sonatarurn; 1695. (3) Dans le Musikdliachenfurstenlust de John Fischer, 1706 , ouvrage qui doit prendre place aussi parmi les morceaux du même genre, on trouve une singu- lière application de la politique d'actualité à la musique instrumentale* Le re- cueil contient à la fin une symphonie intitulée, la bataille cPHochstettj et dans cette pièce le premier hautbois représente Marlborough et le deuxième violon Tallard; l'auteor, parle jeu ingénieux des deux instruments, a cherché à rendre la lutte des deux généraux. L*auteur de ce mémoire a lu à la Bibliothèque nationale toutes les composi- tions dont il est parlé dans ce chapitre. 17 258 HIBTOIEB DE L'INSTEUMENTATIOIT. des considérations aussi vaineis que peu concluantes sur l'esthé- tique allemande et le symbolisme musical, si cher à nos nuageux voisins d'outre-Khin ; mais le fait est curieux à constater, lorsque aous le rencontrons dans la musique instrumentale. Le programme du concert de Dihler se trouve également dans les Curiositaeten et dans Touvrage de Sonntag, intitulé : TituU psalmorum, mais avec de notables différences; nous ne pouvon» donner en entier les deux programmes , aussi nous conten- terons-nous de résumer ce que ces documents peuvent présenter d'intéressant pour notre sujet. Ceconcert-monstre, véritable festival, fut exécuté à Nuremberg, le 1? mai 1643, d'après les Curiosiiaeten, 1644, suivant Sonn- tag, peut-être même à ces deux dates, c'est ce que nous n'avons pu découvrir. Il était intitulé : l\07ngme, les progrès, Vusage et les alus de la noble musique. Dans cette séance Dihler voulut faire entendre à ses concitoyens de la musique hébraïque et grecque, de la musique comme on en faisait à son époque, de la musique comme on n'aurait pas dû en faire, de la musique comme on n'en avait jamais fait, de la musique angélique et diabolique, du passé, du présent et de l'avenir, bref de tous les mondes, de tous les genres et de tous les temps. Pour arriver à ce beau résultat, il s'associa l'organiste de la ville Staden, qui, non-seulement lui fit des sonates à l'instar des Hébreux et des Grecs, mais lui com- posa encore des morceaux où les anges et les sphères célestes discouraient harmonieusement ensemble. Ce concert eut le plus grand succès, aussi fiit-il regardé par les contemporains comme un événement digne d'être inscrit sur, des tables de cèdre; il avait seize numéros, et un long programme fut publié en latin à cette occasion, mais il a été perdu et nous n'avons que des ré- sumés en allemand. La fête commençait par la musique biblique sur le texte de la Genèse : 1^071 est bonum hominem, chantée par un soprano et un contralto, avec accompagnement de deux violes de gambe et d'une mandore. Ensuite venait un concert de hautbois et de violons « tels que Jubal les a inventés après la chute des hommes », dit le programme, puis on entendait les juifs ]célébrer Dieu et sacrifier selon leur culte, sur le chant du troisième psaume « Con- fitehor tibi Domine », exécuté par six voix de ténor et deux basses. LES PBÉDÉCESSEUBS DE BACH ET D'HAENBEL. 259 avec accompagnement de théorbe, harpe, cymbales, trombone, plus mi psaltérion, d'après Sonntag. Un psaume psalmodié avec l'accent hébreu et une composition du temps de Salomon, à huit voix, avec harpe et trombone, précédait la musique ftmèbre des Juifs, qui terminait dans le programme les spécimens de Fart israélite, consciencieusement écrits par Staden. On n'a pas donné le détail des instruments du funèbre concert ; tout ce que nous savons, c'est qu'ils étaient « vieux, inusités et tristes ». Les Grecs n'étaient représentés que par un seul morceau, mais il n'était pas le moins curieux de la séance, c'était la marche militaire par laquelle Alexandre le Grand excitait ses soldats au combat ; un ténor et une basse chantaient le texte xara^aXe duTouç fofjicpaia (tuez-les avec l'épée) et deux orchestres les .ac- compagnaient; le premier, composé d'instruments militaires (martialischen instrumenta), le second, d'instruments musicaux (musicalischen instrumenta); les tambours, timbales, trompettes, petits hautbois de guerre, formaient la bande martiale, trois bas- sons, un basson-quarte, deux bombardes représentaient l'orches- tre musical. Je ne sais si ces deux groupes sonnaient ensemble ou séparément, mais à coup sûr le mélange de ces sonorités de- vait produire un singulier effet. La musique figurée d'après les progrès de l'art à l'époque d'Orlando, de Lassus était un motet d'Orlande, à cinq voix avec instruments à vent. Dans la a: musique contemporaine y> on entendait des pièces de Gabrielli et de Staden, avec accompa- gnement de mandore, de luth, dé vidles, plus une musique, dite à la française, avec des luths et des violes de gambe. Enfin, pour suprême félicité, les auditeurs devaient jouir de l'ineffable plaisir d'entendre et de voir le nouveau clavecin de leur compatriote Jean Heyden. Ce clavecin, inventé en 1610, avait la faculté de prolonger les sons. Le numéro seize était spécialement destiné à montrer les abus de la noble musique, aussi cette partie, appelée « musica irregu- laris » dans le progranmie, était-elle exécutée par des.instruments devenus trop vulgaires ( car on sait qu'ils se divisaient en no- bles et en truands) ou tombés en désuétude à l'époque de ce concert. On y trouvait la vielle, la guimbarde, la musette, le tympanon, les castagnettes, le triangle, le violon octave, trois 260 HISTOIEB DE L'INSTBUMBNTATION. • chalumeaux^ des cromomes, des sonnettes, en un mot un véri- table orchestre de charivari. On peut remarquer d'après ce pas- sage que plusieurs instruments restés très en honneur en France au xvn® siècle, comme les cromomes et la musette, commençaient à disparaître en Allemagne. Du reste, les Allemands avaient toujours été grs^nds partisans des concerts-monstres, et sans avoir les prétentions archéologi- ques et philosophiques de celui deDihler, l'organisation du concert donné en 1615 à Dresde, par les ordres de l'Électeur de Saxe, nous offre un singulier spécimen du goût tudesque en musique et de cette aimable gaieté agrémentée de grosse bière qui s'appelle esprit de l'autre côté du Khin. Ce concert représentait l'épisode de Ju- dith ; les paroles étaient de Mattl^eseus Pfaumencker, la musi- que, du chantre de la cour, Hilaire Grundmaus. On y vit les ins- truments les plus étranges ; un certain Eaposki, de Cracovie,^ fit venir sur un chariot traîné par huit mules, une contre-basse qui avait sept aunes des Pays-Bas de hauteur (8°*40 cent.). On y avait adapté une petite échelle qui permettait d'atteindre le man- che de l'instrument et sur les cordes, de cette contre-basse mons- tre on promenait à grands renforts de bras un énorme archet. Mais un si bel engin ne devait pas suffire et Grundmaus eut l'idée aussi grandiose qu'ingénieuse d'improviser une contre- basse au moyen d'un moulin à vent sur lequel il fit tendre de gros câbles que quatre hommes se chargèrent de faire ronfler, au moyen d'une forte pièce de bois dentelée. Sur un des côtés de l'orchestre il y avait un grand orgue sur lequel le père Sérapioji disait rage des pieds et des mains ; quelques bombardes en bat- terie tenaient lieu de timbales. L'exécution fiit digne de ces beaux préparati&; la prima donna Bigozzi de -Milan chanta tant, si bien et si longtemps qu'elle en mourut trois jours après. G. Scoppio de Crémone, un des plus habiles violonistes du temps, exécuta, en tenant son violon derrière son dos, les morceaux les plus difficiles de son répertoire. Ce fiit l'étudiant Rumpler, basse-taille resplendissante, qui chanta avec accompagnement de moulin à vent obligé. Le succès de la journée ftit pour une double fngue représentant la bataille des Assyriens contre les Israélites; elle fat exécutée avec une telle ardeur que les chanteurs étrangers, qui jouaient les Assyriens, se prirent de LES FBiDÉGESSSUBS DE BACH ET D'HAENDEL. 261 querelle ayec les choriâtes de Dresde qui faisaient les juifs, et le chœur finit par une yraie bataille à coups de mottes de terre qui fit bien rire l'Électeur. H fallut arrêter le combat, tant à cause du dan- ger des projectiles, que. pour empêcher le prince de mourir d'une hilarité trop prolongée. Mais quittons cette musique plus qu'excentrique et rabelai- sienne, et revenons à l'art véritable. Les partitions que nous avons citées, les œuvres que nous avons étudiées, indiquent un réel progrès dans la forme de l'instrumentation; elle prouve aussi que l'école de violon allemande brillait d'un vif éclat dès les commencements du xvii® siècle. Ici encore on peut remar- quer la différence qui distingue .l'art allemand de l'italien. Dans leurs compositions ces derniers cherchent avant tout la ligne mélodique, ils l'épurent, ils la font ressortir, ils n'évitent pas les difficultés, mais ils ne les écrivent que lorsqu'elles sont nécessitées par le développement de la phrase mélodique ; dans l'exécution, les virtuoses étaient prêts à affronter les passages les plus ardus, mais ils mettaient particulièrement tous leurs soins à chanter l'œuvre qui leur était confiée. Violonistes et compositeurs allemands, au contraire, recherchaient la difficulté, la regardaient comme un régal fin et succulent à offrir à leurs auditeurs et sacrifiaient souvent l'idée mélodique à ces préoccu- pations secondaires. Ce n'étaient pas seulement les 'artistes qui affichaient ces préférences, mais aussi le public, car les composi- teurs italiens eux-mêmes, qui ont écrit en Allemagne et pour des Allemands, se sont crus forcés de tourmenter leur style pour sa- tisfaire le goût général ; les passages du Capriccio siravagante de Farina, publiés par M, Wasliewski (1), en sont la preuve, mais les Allemands dépassèrent de beaucoup ce luxe de difficultés et pous- sèrent mêmell'étendue de l'instrument jusqu'à ses limites extrêmes, à en juger par les fragments de Kelz dont nous avons parlé. Les ré, les mi, les/a, au-dessus de la première position, abondent dans toutes les œuvres de l'école au xvn® siècle. Leur amour pour les sons multiples et le contre-point amenèrent les Allemands à (1) Wasilbwski (Jas. Wilh.) , Instrumentahaize, vom Ende des XVI bit Ende des XVII Jahrhunderis (ais muaUAeUagen zu a: die Violine im XVII Jahr- hundertî>) ; Bonn, 1874, in-é» obi. 262 HISTOIKB DB L'ilTBTRiniXNT&TION. écrire plnsears parties pour le Tiolon, c'est-à-dire à se servii- des doubles et triples cordes, non point pour un passage rapide mais poardes morceaux entiers. Dès 1658, Baltzar, de Lubeck setaît fait entendre à Oxford et avait excité l'admiration des plus savants docteurs de musique. Bnmey, en citant les mémoires du temps, nous donne une idée de l'effet produit par ce Tirtuoee : a Alors, dit- < il, on le vit foire courir ses doigts jusqu'à l'extrémité du manche « et les ramener insensiblement en arrière, le tout rapidement et s arec une grande justesse, ceque j^nais on n'avait tu en Angle- « terre. » Son doigter,la sûreté et la rapidité de son exécution, tout parut merveilleux, et une des plus grandes autorités musicales de l'époque, "Wilson, professeur de musique à l'Université, se baissa en plaisantant, pendant que Baltzar jouait, pour voir s'il n'avait pas le pied fourchu. A en jugerpar ses compositions, Walther, quipnblia ses Schersi âaviolino solo am basso continua, etc., en 1676, parait plus remarquable encore; ses pièces renferment des doubles cordes, des accorda, des arpèges de la plus difBcile exécution et on j voit le violon monter, comme dans les plus difficfles compositions de Kelz, jusqu'au contre soL L'Horiulus Chelieus, du même auteur, renferme aussi des morceauï curieux et, entre autres l'Imi- tation du Coucou (Imifaiione deî Oucu) où Walther semble avoir accumulé toutes les difficultés imaginables (1). Henri Bi- ber semble avoir encore été plus hardi que Walther. A une époque où l'emploi des doubles, triples et quadruples coi-des était si à la mode, il exagéra encore ce genre d'effet. Pour faciliter la lecture de sa musique, il avait imaginé de l'écrire sur deux ou trois portées de telle sorte qu'un morceau de violon seul était disposé graphi- quement comme un trio (2). Un ouvrage de ce musicien, intitulé : Fididnum aacro-prophanum, consiste en douze sonates, à quatre et à cinq parties qui doivent être jouées par deux violons et une basse ; son treizième œuvre, qui a pour titre Rarmonia ar- lificiosa, publié à Nuremberg, est tout entier composé de pièces à six parties écrites pour trois instrumenta à cordes. On appelait ce "'' ' nre dapifer, dit Bumey, c'est-à-dire porte-drapeau. Bi- ait son violon en : bi CMiciU, 4aa i(( wohlg^anger molonùtitchm luttffarttn, 1694. de nos jouis, a appliqué ce procédé nu piaoo. LES PBÉDÉOESSEUBS DE BACH ET D'HAENDEL. 26S I ^ — g OU en ^ -^ :i3: ■^- • cet exemple a été souvent suivi depuis ; mais nous avons parlé déjà de cette particularité dans la première partie, au sujet du violon discordé, point n'est besoin d'y revenir. A côté de Biber, un autre violoniste, Finger, né vers 1660, tenait en Alle- magne un rang distingué. H passa en 1685 en Angleterre où sa réputation égala presque celle de Baltzar ; ses compositions de- mandaient une moins grande habileté d'exécution que celles de Baltzar et de Biber, mais elles étaient plus mélodiques et se rap- prochaient davantage de celles de Corelli et de Bassani. Le Mer- cure de 1682 (janvier) contient deux suites curieuses d'un autre vio- loniste, Westhoff, dont la renommée fut grande à cette époque (1). Cet artiste se fit entendre devant le roi Louis XIV en décembre 1682. Son succès fat immense, le roi le félicita vivement et daigna même donner le nom de la Guerra à un passage de sa sonate en la {la Guerra cosi nominata da ma maesta) (2). Il faut le dire, ces deux morceaux auraient été bien reçus même dans un pays où la musique de violon eût été plus avancée qu'en France. La sonate écrite avec basse chiffrée est d'un très-bon style et d'un excellent sentiment mélodique ; la basse est ferme, empreinte d'une cer- taine majesté, l'harmonie variée et nombreuse. La partie de violon, développée avec science : renferme des variations ingénieuses et des traits d'un effet charmant ; la suite sans basse est presque entièrement écrite à quatre parties. En dehors de quelques licen- ces nécessitées par l'exécution, le style est pur et correct. Ces exemples suffisent pour donner une idée de ce qu'étaient les écoles de violon au xvii® siècle ; à partir dé ce moment, nous abandonnerons cette branche de l'art pour ne nous occuper que de la musique d'ensemble; mais nous ne pouvions, sans laisser dans notre travail une lacune regrettable, omettre les premiers violo- (1) Une de ces suites a été reproduite d'après le Mercure dans la Chronique musicalej 1'* année, 1. 1, 1873, p. 177. (2) Voyez Mercure de'France, décembre 1682, page 386 j — janvier 1683, page 147. 264 HISTOIBE DE L'XNSTBUMEHTATIOK. nistes italiens, français et allemands, dont les travaux ont tant contribué à la formation du quatuor à cordes, et qui ont su fEÔre des élèves dignes d'interpréter les grandes œuvres instrumentales des Haendel, des Bach, des Haydn, des Mozart. CHAPITRE VI. GEORGES FRIEDERICH HAENDEL ET JOHANN SEBASTIAN BACH. Pour Tamateur jouissant sans les discuter des douces sen- sations de Tart, le choix est facile entre Haendel et Bach; mais il n'en est pas de même de Thistorien, et si la prodigieuse richesse de Haendel, sa chaleur dramatique, la majesté de son style, majesté sans froideur, poussée jusqu'au lyrisme le plus sublime, nous entraîne vers lui, la sévérité, la perfection de la forme de Bach, la hardiesse de son harmonie, l'originalité de son orchestre, l'indicible grandeur qui caractérise toutes ses œuvres nous obligent à nous arrêter devant lui et à le contempler avec admiration. L'un et l'autre ont recueilli l'héritage des Schùtz, et des Keyser et l'ont enrichi au point de le rendre méconnais- sable; mais Bach est resté purement allemand; Haendel en étu- diant les Italiens a rendu son style plus souple et plus varié. L'un a plus de dessous, dirait un peintre, l'autre a plus de ligne. Lisez la vie de ces deux artistes, Bach, continuant les traditions d'une vieille famille de musiciens, coule dans le calme et le travail une existence dont aucune secousse, aucune inquiétude ne vient trou- bler le cours. Haendel, au contraire, passionné, violent, jeté dans les grandes et dangereuses entreprises, subit tous les déboires de la lutte, tous les découragements de la défaite, comme aussi tous les enivrements des victoires éclatantes. Il semble que ces diffé- rences dans leur vie se retrouvent encore dans leur& œuvres, mais il est un point qui les rapproche tous deux, c'est le caractère de grandeur etde majesté dont chacune de leurs pages est profon- dément empreinte. Ces deux sublimes qualités, ils les doivent à leur puissant génie ; mais comme nous l'avons fait remarquer plu- sieurs fois dans le cours de ce travail, nous les voyons déjà en germe chez les maîtres qui ont précédé. L'orchestre des deux 266 HIBIOIBE DE l'instrumentation. compositeurs présente les mêmes différences que leur mélodie et leur harmonie; celui de Bach est plus riche de timbre, plus varié par le nombre et la diversité des instruments, plus ferme peut- être dans sa masse sonore; celui deHaendel a plus de souplesse et de grâce, il emprunte au style dramatique une plus grande légè- reté et on y trouve plus d'une fois des traits de coloris et d'ex- pression que le maître sévère qui a écrit Isk Passion n'a pas voulu* ou peut-être, n'a pas pu mettre dans le sien. Dès 'ses premières études avec son maître Zachau, Haendel avait étudié de très-près l'art d'instrumenter à l'allemande par petites masses d'instruments de même famille, suivant le système des doubles chœurs et M. Chrysander (1), dans son beau travail sur ce maître, nous donne de curieux détails au sujet de l'épo- que où le futur auteur du Messie essayait ses forces sous la di- recJ;ion de son vieux maître. Le style instrumental de Haendel se divise en deux manières bien distinctes, celle des opéras et celle des oratorios^ Dans la première, il subit l'influence de Keyser en même temps qu'il cherche à se rapprocher des formes italiennes, si favorables au style vocal ; aussi son instrumentation est-elle plus variée de timbres, plus légère que dans la seconde ; comme tous les grands maîtres il a été accusé d'avoir abusé des forces de l'orchestre, d'avoir exagéré les proportions du piédestal de la statue. Quantz écrivait dans ses Mémoires que l'orchestre d'Haen- del était d'une puissance insupportable; qu'aurait-il dit s'il avait entendu les orchestres monstres du xvii® siècle, que nous avons cités ou même celui de 1744, dont M. Schœlcher (2) nous a donné le détail ? On joua à Lincoln's Inn Theater une sérénade et un intermède intitulés Amour et Folie. Le morceau se termi- nait par un concerto de violoncelle, accompagné par vingt-quatre bassons, le tout agrémenté d'une flûte, de violons, de hautbois, de trombones, de cors, de trompettes, de timbales et de tambours. Je ne sais si le- chant exprimait l'amour, mais il est évident que pareil orchestre convenait peut-être à la folie. Nous sommes au- jourd'hui trop habitués à voir faire ces banales récriminations aux plus grands maîtres, à Gluck, à Mozart, à Eossini, à Meyerbeer, (1) Chrysander (F.) 5aen(fe7, Breitkopf und Hârtel. 3vol.iii-8°, 1858-67. (2) ScHOELCHBR, Life o/EaendeL Un vol. in-8°, 1867. HAENDEL ET BACH. 267 4 pour tenir compte de ces critiques qui se renouyellent chaque fois qu'une nouvelle œuvre paraît dans le monde musical. Avec le puissant génie dramatique dont il était doué^ Haen- del comprit combien il était nécessaire de relever par des teintes éclatantes le coloris de Torchestre ; il savait aussi que les parties vocales avaient besoin d'être soutenues par une instrumentation plus légère, propre à les mettre en valeur ; ce ne fat que par degrés et successivement qu'il forma cette partie importante de son style ; ses premiers opéras italiens et anglais indiquent une grande modération dans l'emploi des forces de l'orchestre. Lors- qu'il écrivit les oratorios, au contraire, il vit qu'une forme plus sévère devait être réservée à ces œuvres sacrées et il ne crai- gnit pas d'alourdir un peu son orchestre pour donner à l'ensem- ble plus de gravité et de majesté. L'emploi des instruments est merveilleusement approprié aux chœttrs du MessieeidQ Judas MacMbée, aussi Mozart ne voulut-il retoucher que les airs, tant les morceaux d'ensemble étaient écrits avec une merveilleuse en- tente de l'effet à produire. L'orchestre d'Haendel se compose de violons, V% 2^^ et quel- quefois 3™®*, des violes, des violette marine, des violes de gambe, des violoncelles, des contre-basses, pour la famille des cordes fix>ttées, du luth, du théorbe et des harpes, pour les cordes pin- cées. Les cuivres sont représentés par les trompettes , les cors, les trombones, les bois par les cornets, les flûtes droites et tra- versières grandes et petites, les hautbois, les bassons, les contre- bassons; la percussion par les timbales et les tambours; l'orgue et le clavecin tenaient la basse. Dans l'oratorio de Dehorah les violons et les violettes doublent la basse à l'octave supérieure; la violette semble. avoir été le soprano de viole. C'est dans l'air d^Or- lando (1732) « Gia l'Ebro » qu'on trouve les violettes marines ; cet instrument qui, d'après Bumey, était un soprano de la famille des violes d'amour avait été inventé et importé en Angleterre par le compositeur italien Castrucci, qui fdt longtemps premier vio- lon à l'orchestre de Haendel. L'accompagnement de l'air que nous avons cité est écrit avec les violoncelles en pizzicato. Dans // Pensiero ed il moderato, nous trouvons deux violoncelles mariés à deux bassons; quelquefois les parties de violons étaient fort dif- ficiles et prouvent qu'on rencontrait en Angleterre d'habiles 268 HtSTOIBB DE L'INSTBUMENTATION. symphonistes. En Italie Haendel avait en ponr premier yiolon Corelli et dans la sonate qui sert d'onvertnre an Tricmfo del Tiempo (1708) (1)^ le violon monte jnsqn'an la au-dessus de la quatrième ligne supplémentaire. Haendel se servit jusqu'à la fin de sa carrière des archi-luths et des théorbes {2\ mais sans leur donner de rôle important ; ils entraient dans la masse des instruments composant la basse continue, Haendel est avec Bach le dernier qui ait donné à ces instruments une place dans l'orchestre. Malgré les moyens bien restreints de la harpe^ Haendel en fit quelquefois usage et toujours sa présence est motivée par une intention de coloris bien marquée. Dès sa première jeunesse, quand il travaillait en- core avec Zachau, il avait écrit un morceau religieux avec accom- pagnement de harpe, qu'on peut lire dans l'ouvrage deChrysander; nous retrouvons encore la harpe, dans/wKws César, dans le Goncer- io-grosso VI et surtout dans Saùl, où un air de David est accom- pagné par la harpe, le théorbe, les violons et les basses en pizzi- cato; ici nous voyons clairement chez Haendel l'intention de rapprocher son instrumentation des vieilles traditions musicales relatives au roi psalmiste (3). Haendel fit moins usage, des trombones que Bach, et ne les employa pas comme lui uniquement à doubler les voix dans les chorals; ils étaient fondus dans la masse de l'orchestre (4). Pen- dant la seconde période de sa carrière H|aendel, écrivit des par- ties importantes de cor, il en employa même jusqu'à quatre, comme dans Juîtus César, mais ce ne fut qu'en 1720, pour Eha- damisto, qu'il s'en servit pour la première fois dans ses opéras italiens et anglais. On sait quelle importance ont les trom- pettes dans l'orchestre de Haendel et quelle vigueur leur sonorité éclatante donne à son instrumentation ; il les employait en sol, en ré et en ut, et ne craignait pas de leur confier dans leur troi- (1) Voyez t. XXTTT de la grande collection des œuvres d'Haendel publiée à Leipzig. (2) Remrrezzione, Borne, 1708 ; JuUva Ce»ar, 1723 ; Parthenopey Athalia, 1783, t. V de l'édition allemande. Said, 1738, t. XIII. (3) T. XIII de l'édition allemande, Concerto grosso, t. XXVIII. (4) Saul'y Israël en Egypte^ t. XXY, édition allemande, De^ft'f^en Te Deum, HASNDEL ET BACH. 269 BÎème octave les parties les plus difficiles. Les trompettes étaient à cette époqne fort à la mode dans les écoles allemande et ita- lienne, et on a vn un trompettiste lutter de virtuosité avec un brillsoit castrat italien. Les parties de trompettes de Haendel et de Bach étaient fort difficiles sans être cependant injouables. Nous avons dit, dans la première partie de ce travail, ce que nous pen- sions des parties de trompettes écnfes par Bach et Haendel. Nous n'avons donc plus à revenir sur ce sujet, Haendel écrivait à deux ou trois parties les trompettes, dans les régions les plus aiguës, et c'étaient les timbales qui leur servaient généralement de basse. L'instrument favori d'Haêndel était le hautbois, pour lequel il a écrit des parties importantes dans ses grandes œuvres et de nombreux concertos. M. Schœchler lui a reproché d'avoir fait accompagner par le hautbois l'air martial de Roderigo « Gia grida la tromba ». D'après les conventions reçues, d'après le texte lui-même, c'était la trompette en eflfet qui devait traduire la pensée du librettiste; mais en se servant du hautbois, Haendel ne s'éloignait pas autant qu'on le croirait dès traditions. Non- seulement le hautbois était pastoral, mais encore il était guerrier; sa sonorité aigre et éclatante le rendait propre . à la musique militaire; les vieilles bandes musicales de France, d'Angleterre et d'Allemagne se composaient presque uniquement de haut- bois, et la marche des mousquetaires de Lulli est écrite pour ces ins- truments. Haendel s'en servait aussi pour ses symphonies en plein air avec les trompettes et les bassons, et il a fallu les inven- tions récentes pour chasser à peu près le hautbois des orchestres militaires, où les cuivres modernes l'auraient écrasé. Haendel écri- vait deuxoutrois parties de hautbois, et quelquefois quatre, comme dans la cantate de la Pentecôte tf Friêde Freuds ». Excepté dans l'accompagnement vocal, le basson joue généralement un rôle fort modeste, soit qu'il rentre dans la basse continue, soit qu'il serve de basse aux hautbois ou aux flûtes. C'est dans V Hymne du cou- ronnement {1121) qu'on trouve le double basson. Bumey prétend qu'il avait seize pieds, ce qui est exagéré ; mais, bien que le bas- son double basse fût connu et que nous l'ayons déjà vu en Allema- gne, il n'était pas parvenu en Angleterre, et en cette occasion Haendel dut en faire construire un par le facteur Stamby. Personne mieux que l'auteur du Messie ne comprit le rôle gra- 1 270 HISTOIBC: DE L'iirSTBUMENTATIOir. deux et charmant de la flûte ; les élégantes arabesques qu'A confie à cet instroment sont souvent d'une grâce et d'une finesse inimi- tables ; c'est dans les sonates pour flûte et clavecin qu'il a donné libre carrière à ses plus adorables caprices ; mêlée avec les voix et souvent à trois parties, la flûte est chez Haendel d'un effet plein d'originaUté et de charme. Le rôle des timbales consiste le plus souvent à doubler la basse des trompettes; mais quelquefois elles entrent d'une façon plus active dans la partie artistique de l'œuvre. Le grand chœur de Joma (1747), dont la mélodie n'est autre que le chœur triomphal de Judas Maehabée, emprunte à leurs roulements une vigueur extra- ordinaire. D'après M. Schœlcher, c'est dans Jostui et Giustino qu'il s'est servi des tambours, mais nous ne les avons pas trouvés dans la grande édition allemande de Jostm, et nous n'avons pu nous procurer la partition de Giustino. Peut-être les parties de tambours étaient-elles exécutées sans être écrites dans la partition. L'orgue et le clavecin, qui sont le fondement de la basse conti- nue et qui, à ce titre, se rencontrent dans toutes les œuvres ins- trumentalesde Haendel, n'ont généralement pas, àproprement par- ler, de rôle séparé, mais cependant les jeux de l'instrument sacré prennent part à l'instrumentation d'une manière spéciale, comme dans le DetUngen Te Dmniy où les sons pleins du principal contri- buent beaucoup à la sonorité générale du morceau. Haendel avait, comme le montrent des indications manuscrites, deux clavecins dans son orchestre, pour lesquels il écrivait fréquemment deux basses différentes; mais il arrivait aussi qu'il leur donnait une partie importante, comme au second acte de Einaldo. Haendel s'est servi du carillon à clavier (1) dans la symphonie de Saûl qui précède le chœur triomphal, ce timbre argentin se mêle aux voix des femmes dans le tutti du triomphe de David. Lorsque Meyerbeer fit accompagner par le carillon le magnifique chœur des enfants dans le Prophète, il retrouva un effet analogue. En Angleterre l'oratorio de Saûl est toujours exécuté avec sa partie de carillon. Sans avoir à proprement parler de coloris instrumental, Haen- del ne manquait pas de varier son orchestre par un habile mé- (1) Yayez éditiçn allemande, t. XIII, pages 76 et siÛTantes. i HAENDEL BT BACH. 271 lange des timbres,, et il est souyent arrivé à des eflfëts d'instru- mentation d'une prodigieuse puissance. Quelquefois, comme dans la Eésurrection, il se privait complètement des premiers violons et des violes, ne gardant que deux flûtes, deux bassons, deux trom- pettes, les violes de gambe, le théorbe, rarchiluth et le violon- celle ; souvent aussi c'étaient les instruments à vent qui dispa- raissaient', comme dans l'air de David que nous avons cité ; quelquefois le petit chœur des hautbois faisait bande à part, ayant sa basse particulière indépendante de la basse générale, tout en s'accordant avec elle. Il tirait de puissants effets du dialo- gue des masses instrumentales et rien n'est plus solennel que les passages où trompettes et trombones, alternant avec l'orchestre, répondent aux lamentations du hautbois. Dans le chœur de Saûï How excellent d les sonneries de trompettes, interrompant l'ac- compagnement des violons sont d'un étonnant éclat. Sans pous- ser aussi loin que Eameau l'amour de la musique imitative, Haen- del ne la rejetait pas complètement et l'appelait quelquefois à son aide pour rendre son idée avec plus de vérité ; c'est ainsi que dans la Fête d'Alexandre, au moment où ce prince, rendu furieux par l'orgie, met le feu à Persépolis, l'orchestre et les chœurs rendent d'une manière saisissante le tumulte d'un peuple effrayé. Participant de l'école allemande qui l'avait précédé, Haendel variait à l'infini l'instrumentation dans l'accompagnement des voix. Tantôt dans l'air d'Orlando « Gial'ebro » il soutenait la voix par deux violettes marines et le violoncelle en pizzicato, tantôt un brillant accompagnement de quatre trompettes et tim- bales relevait le chantdu ténor, comme dans Rinaldo, Au 2® acte diAthalie, c'est le violoncelle solo qui dessine un élégant contre- point sur le chant de Mathan (ténor) pendant que la contrebasse, le clavecin et l'archiluth remplissent l'harmonie; plus loin, au se- cond acte, le trio des deux hautbois et basson marche avec le contralto. Dans l'opéra de Parthenope (1730), écrit en Italie, un air de haute-contre au premier acte « lo signo sol » efet accompa- gné par deux cors, deux hautbois, deux violons, violette et basse ; ainsi instrumenté, cet air très-éclatant produisait un grand effet. D'après une tradition qui s'est conservée jusqu'à nous, la voix de basse est souvent doublée par le basson, ainsi qu'on peut le voir dans l'air de Samml, à deux bassons et basse, mais quelque- 272 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. fois anssi cet instniment se faisait entendre. avec le ténor. Le trombone jouait un rôle analogue. Il n'était pas rare, surtout dans les œuvres sacrées, de trouver un accompagnement spécial approprié à certains rôles ; c'est ainsi que dans la Besurrezzione le personnage de Jean a pour orchestre particulier une flûte, une viole, un théorbe. Généralement Haendel soutenait les masses chorales par l'orches- tre tout entier, tantôt en dessinant un riche contre-point autour des voix, tantôt en faisant alterner les instruments avec les chœurs, tantôt en doublant les solistes, au moyen de ripieni, destinés à augmenter la sonorité, et en les réunissant aux chanteurs dans un formidable tutti, comme dans les grandes compositions sacrées à deux chœurs du Messie, de Judas MacJiahée, de Samuel, de Saîo- mon, de Déloràh ; mais il ne se contentait pas de ces puissants effets et souvent il éclairait son orchestre par les plus ingénieux contrastes. Avec quel éclat les deux parties de trompettes viennent reprendre le chant triomphal des jeunes gens, dans Judas Ma- chahée, mais quel charme ne donnent pas à la même mélodie les flûtes lorsque les jeunes filles célèbrent à leur tour le vainqueur ? Il a tiré encore un effet non moins suave du simple quatuor, dans Rinaldo, en faisant soutenir par les violons le chœur des sirènes, chanté à l'unisson par les soprani. Je suis loin d'être partisan des changements apportés dans l'orchestration des maîtres sous prétexte de la rajeunir. Les pro- grès de la facture instrumentale permettent aujourd'hui d'écrire avec plus d'aisance certains passages où le compositeur avait dû limiter ses effets, faute de moyens matériels pour rendre toute sa pensée, mais je préfère encore voir subsister ces lacunes et retrou- ver l'orchestre des maîtres, tel qu'ils l'ont écrit dans les propor- tions justes de l'effet à produire. M. E. Wagner veut faire sur les symphonies de Beethoven le travail de retouche auquel Mozart s'est livré sur le Messie, la Fête d^ Alexandre, Acis et GaJutée. Mal- gré toute l'habileté du maître allemand, malgré son génie nova- teur même, je doute que quelques améliorations de détail ne nuisent pas à l'effet général, heureux encore s'il s'en tient aux détails. L'arrangement de la Fête d'Alexandre par Mozart fut exécuté à liondres, dit M. Schœlcher, sous la direction de M. Benedict, ^ HAENDEL ET BACH. 273 en 1853. Dans la grande fête commémorative dont Bnmey nous a donné la description, leZ>e^%ew 5^5 Z>ewmfdt exécuté telqueHaen- del rayait écrit ; seulement on employa, dans la martiale intro- duction instrumentale de ce magnifique morceau, quatorze trom- pettes, deux paires de timbales, deux paires de doubles timbales et une paire de timbales doubles basses, faites exprès pour la circons- tance. L'orchestre de Bach ne passa pas par les réfblutions que subit celui de Haendel ; ce qu'il était lorsqu'il publia sa première œuvre (1708) nous le retrouvons encore dans ses dernières cantates. Un des côtés remarquables du génie de Bach, c'est l'amour avec le- quel il manie chacune des parties instrumentales ou vocales. Chez lui le contre-point n'est pas un artifice de style, un moule banal dans lequel il jette sa pensée, c'est un art véritable où il est maî- tre ; il se plaît à conduire à travers mille méandres la phrase mélo- dique, à la transfonner,àla développer ; elle ne se présente chez lui que sous la forme de l'imitation, et, par un prodige de son génie, chaque nouvelle reprise déploie de nouvelles richesses. Son orches- tre devait se ressentir de ce mode de création. Loin de chercher à diminuer les parties, aies grouper autour des voix, il se fait un jeu d'en multiplier les mouvements, d'en entrelacer les dessins. Il écrit par petits groupes d'instruments de même famille, se ré- pondant les uns aux autres et se réunissant rarement en un tutti. Nous avons vu dans les maîtres allemands du xvii® siècle des exemples remarquables de cette sorte de style; mais Bach le poussa jusqu'à sa dernière perfection. Tantôt c'est entre les vio- lons et les trompettes que le dialogue s'établit, tantôt ce sont les trompettes qui -répondent aux voix ou les hautbois qui des- sinent sur la masse des chœursun curieux contre-point ; cherchant continuellement à développer sa pensée, à l'exposer sous toutes les formes dont elle était susceptible, Bach arriva nécessairement à trouver le développement instnimental, en faisai^t passer successi- vement la mélodie d'un instrument dans un autre, avec toutes les souplesses d'une science absolument parfaite. L'orchestre de Bach n'est point synthétique, il est analytique, si l'on peut employer de pareils termes à propos de musique ; c'est en ce sens que les maî- tres de la grande époque symphonique moderne, Haydn, Mozart, Beethoven, Mendelssohn, procèdent de lui. Pour eux, non-seule- 18 274 HISTOIRE DE L*INSTEUMBNTATION. ^ ment l'orchestre sera une riche palette anx mille teintes diverses^ mais chaque voix aura un rôle à part^ chaque partie saura être intéressante^ tout en contribuant à l'ensemble. Sans observer la sévérité du vieux fuguiste^ ces grands génies marcheront sur ses traces, varieront l'instrumentation par une harmonie habile- ment mouvementée et curieusement fouillée. Bach se servit des violons, violes d'amour, violes de gambe et contrebasses pour les instruments à cordes frottées; on trouve de plus dans ses œuvres le vioUno et le violonceUo-piccolo. Le deuxième morceau des concerii dédiés au margrave de Brandebourg est écrit pour « due comi di caccia, tre oboë e fagotti, un violino piccolo-concertato, due violini, una viola e violoncelle col basso- continuo. » Le violoncello-piccolo se rencontre plus souvent que le violino piccolo ; dans la cantate Feriall PaschaliSy il est chargé d'une longue ritournelle et brode un accompagnement fleuri sur le chant du soprano. Il est probable, comme nous l'avons déjà vu;- que ce petit violoncelle était accordé à l'octave du violon. Dans la cantate Jem nun sei gehreiset (1) , cet instrument soutient le ténor avec la basse continue. Marié à l'orgue et au hautbois d'amour dans la cantat^ Dominica XXpost Trinitatis diemy il ac- compagne le soprano ; il a pour basse, dans la cantate i^i^MS // Pmtecoêtis (2), une partie de trombone. C'est dans la cantate dra- matique Aeolus que Bach s'est servi de la viole d'amour et nous trouvons deux parties de violes de gambe dans VOdefUnèbrepour la Reine de Pologne (3). On sait aussi qu'il fit construire la viola pomposa décrite dans notre première partie ; mais je n'en ai point trouvé d'exemple dans ses œuvres. Le luth est le seul des instruments à cordes pincées qu'il ait employé; généralement deux de ces instruments marchaient avec la basse (4) ; mais quelquefois aussi ils avaient une partie très^ importante et dessinaient d'élégants arpèges. (1) Voyez 10« année, p. 53, de la belle collection publiée par la société des œuvres de Bach. <2) T. XVI de la même collection. (3) T. XIII. (4) T. XIII. Ode funèbre. (6) T. XII, p. 65. En 1740 Bach inventa le clavecin-luth, dont il donna l'i- dée à Silbermànn, mais dont il ne fit pas usage. HAENDEL ET BACfi. 275 De longnes ritonmelles^ dM accompagnements soigneusement écrits sont fréquemment confiés à la flûte et au hautbois. Comme Haendel, Bach se servit des flûtes avec une habileté que nul n*a su surpasser. Ici il leur donne une toute charmante et gra- cieuse partie concertant avec le hautbois (Cantate, Dommica XVI poat Trinitatis diem) ; ici son timbre doux se marie avec le haut- bois, d'amour, et avec les voix de soprano et d'alto. Dans la ri- tournelle delà cantate que nous venons de citer, c'est la flûte qui fait la réponse au hautbois, par une combinaison de timbre très-ori- ginale. Bach en employait jusqu'à trois (Cantate, i>. Il arrive aussi que ces trois hautbois, avec un basson et la basse continue, forment tout l'accompagnement vocal (1); c'est un re- tour aux anciens concerts d'instruments de même famille. On peut poser en règle générale que Bach se servait le plus souvent du hautbois ordinaire dans les grands tutti, tandis qu'il réser- vait les hautbois d'amour et de chasse pour des eflfets particuliers de coloris ou d'accompagnement. A part un air en écho dans la cantate pour la Circoncision, où le hautbois ordinaire établit un charmant dialogue avec le soprano, Bach emploie ordinairement les hautbois d'amoui^ét de chasse pour broder une partie instru- mentale sur le chant du soliste. La part du basson n'est pas très- grande dans son œuvre, etcette basse des hautbois ne sert le plus souvent qu'à doubler la basse continue ; cependant nous ne pou- Ci) T. XII, partie II. 276 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. YOiiB laisser de faire remarquer ici une combinaison sonore dont il semble d'être servi le premier et dont les compositeurs, et parti- culièrement Meyerbeer, ont tiré de magnifiques effets, je veux parler du maïiage du violoncelle et du basson à l'unisson, dans lequel, par le mélange des timbres, le basson tempère ce que le violoncelle pourrait avoir de trop mordant, tandis que le vio- loncelle donne au basson plus de rondeur et de puissance. On peut trouver une foule d'exemples de ce genre dans l'œuvre de Bach, mais il faut particulièrement remarquer cet effet dans la cantate Ber Himmel lacht die Erde et surtout dans la cantate a Dominica quasimodo geniti (1), où le violoncelle et le basson à l'unisson ^ accompagnent un choral pour soprano et ténor. Le cornetto, qui a bien perdu de son antique splendeur, ne sert plus chez Bach qu'à doubler le soprano dans les chorals. Les parties de trompettes de Bach ne sont ni moins dif&ciles, ni moins éclatantes que celles de Haendel; souvent il en écrit trois (Cantates, Feria Ascensionis Ghristi. — Festo Michaëlis, — Per ogniUmpo. — Bei der Rathwahh — Festo saiiêti Johannis Bapis- tœ. — Feria I Nativitatis Ghristi, — Der Himmel lacht die Erde). — La seconde cantate, F&iia I Nativitatis (2) contient quatre trompettes. Tantôt ces instruments rentraient* dans la masse de l'orchestre comme dans la cantate Wo soll ich flie- hen hin, tantôt, ainsi que dans les anciens motets du xvii® siècle dont nous avons cité des exemples, les trompettes coupent, par de brillantes ritournelles, le chant des violons et des voix (3) ; d'autres fois encore trois de ces instruments, avec les timbales, constituent tout l'orchestre d'accompagnement (4). Bach se sert souvent de la tromla da tirarsi, sorte de trompette dans laquelle des coulisses permettaient d'obtenir des intervalles chromatiques. Les cors n'étaient pas comme aujourd'hui destinés à compléter dans l'économie générale de l'orchestre l'harmonie de s bois; ils se mariaient aux cuivres et remplaçaient même les trompettes. (1) T. X, p. 82. (2) T. xvi. (3) Voyez la splendide cantate Feria I paschaîisj véritable chant triomphal. (4) Voyez la cantate Gott ist mein Konigy t. XVII (rair de contralto Durch macktige Kraft ). HAENDEL ET BACH. 277 On trouve quelquefois une partie importante de cor^ comme dans le choral de la cantate Festo Annunctationis Mariœ (t. l), où le 2® cor brode sur le thème^ tandis que les autres parties doublent les voix, mais ce bel instrument n*est point encore mis en valeur ; incomplet^ difficile pour Texécutant qui ne connaît pas à cette époque les sons bouchfe, il devra attendre plus d'un demi- siècle avant que les compositeurs puissent tirer parti de son admirable et poétique sonorité. Il en est de même du trombone qui reste toujours enchaîné aux voix, sans que rien fasse pressen- tir la place brillante que son timbre puissant prendra dans le coloris instrumental moderne. Les timbales n'offrent rien de re- marquable ; mais parmi les instruments de percussion nous de- vons noter le timbre (Campanella) (1). Les clochettes en la, mi marquent à diverses reprises* les temps forts de la mesure, et leurs notes argentines jettent une teinte gaie et lumineuse sur toute la composition. Avec Sameau peut-être, Bach est de tous les compositeurs que nous avons étudiés jusqu'ici celui qui a donné le plus de place au coloris dans son instrumentation ; il n'est pas rare qu'un long prélude descriptif dispose l'esprit de l'auditeur à compren- dre la pensée que le compositeur a voulu rendre en musique La symphonie qui précède la cantate Gîeich taie der Regen und Schnee vom HimmelfàlU (comme la pluie et la neige tombent du ciel) est un véritable morceau imitatif. Dans l'orchestre com- posé de deux flûtes, quatre violes, un violoncelle et l'orgue, Bach a cherché à imiter le bruissement de la pluie. La cantate Wir denken dir, Goit (nous te rendons grâces, ô Seigneur) est un véritable chant triomphal où trois trompettes et timbales, deux hautbois et le quatuor à cordes, auxquels se joignent les sons de l'orgue, est d'un effet puissant et tout moderne que nous retrouvons encore dans l'instrumentation pompeuse de Ferial paschalis, dont la seconde partie débute par les deux trompettes, l'orgue, les timbales et les voix. A côté de ces éclatants chants de victoire, on lit de douces élégies instrumentales comme le long prélude qui précède la cantate Am Abendessen Toges dans lequel les hautbois, bassons et le quatuor dessinent un chant (1) Cantate Schlag dock , t. XII, n^ 53. 278 msTOiBE DE l'instrumentation, qui respire la paix et la douceur. Il est peu de maîtres d'ailleurs dont les combinaisons sonores soient plus variées que celles de Bach. Fétis^ M. Bitter (1) ont fait remarquer et avec raison, quelle richesse son orchestre empruntait aux artifices du contre- pointy mais pour l'emploi des timbres Bach ne suivait que le caprice de son génie. Tantôt il retranchait complètement les violons, tantôt il ne se servait d'aucun instrument à vent. Une autre fois^ divisant les violes en quatre (Dominica sexageaima) il laissait de côté les violons et dans l'ouverture de cette can» tate, morceau largement développé, écrit pour deux flûtes, quatre violes et continue, il trouvait moyen de mélanger les timbres de la façon la plus curieuse. La symphonie qui précède la Feria II Nativitatis se compose de deux flûtes, quatre hautbois, deux violes et continuo et sur l'harmonie pleine des instruments à cordes, le quatuor à vent brode les plus charmants dessins. Dans la Passion selon saint Jean, il retranche tous les instruments de cuivre et ne gardant que les flûtes, les violons, les hautbois, il obtient la couleur sévère qui convient à une œuvre de ce genre. C'est dans l'accompagnement des voix et des solistes que sa fantaisie ne connaît plus de bornes ; le plus singulier assemblage instrumental forme son orchestre ; quelquefois la basse continue lui suifit pour tout le rôle de l'évangéliste de la Passion selon saint Jean. Ici le ténor est accompagné par le quatuor à cordes ; là une fugue à deux parties de violons dessine ses méandres autour du chant principal. Plus loin c'est un duetto d'alto et de ténor avec deux hautbois et une trompette {Fma Nativitatis Marice) . autre part c'est une trompette seule qui chante avec le ténor {Dominica II post Epiphanie^ diem); ici la basse a pour accom- pagnement trois hautbois et le continuo. Dans la Feria II Na- tivitatis Ghristi, c'est le ténor qui dialogue avec la flûte. Dans la cantate pour la Circoncision, c'est le hautbois qui répond en écho au soprano. Quel charmant et gracieux trio que celui qui est tonné dans la cantate Brich den Hnngriyen, par le violon solo, le hautbois et le contralto! Plus loin {Dominica Xpost Trinitatis diem) (1) ce sont deux flûtes et deux hautbois de chasse qui (1) Johann' Sébastian Bach, par Bitter j 2 vol. in-S®, Berlin, 1865, (2) T, X, HABNDEL ET BACH. 279 font ressortir le contralto. Il faudrait citer tous les soli^ car il n'en est pas un qui ne contienne quelque passage intéressant ; mais ces exemples suffisent pour donner une idée de Tindépen» dance avec laquelle Bach usait des instruments pour raccompa" gnement des voix. Les chœurs et les chorals avaient de leur côté une instrumen- tation spéciale ; souvent les instruments doublaient les voix; mais souvent aussi ils brodaient des variations sur le chant. La variété dans Torchestre qui distingue Taccompagnement des soli, nous la retrouvons encore dans les chœurs, comme le prouve le superbe ensemble triomphal de l'oratorio de Noêl^ accômpagué par trois trompettes et timbales, mais à un moins haut degré. Pour ces imposantes compositions, qui ont permis, à juste raison, de com- parer la musique à l'architecture, c'est moins la variété que la solidité qu'il faut chercher; aussi trouvons-nous le plus souvent chez Bach l'orchestre et les voix intimement liées comme deux masses indissolubles ; dans les chorals cette union est encore plus frappante : les violons, flûtes, hautbois, premier cor, première trompette, premier trombone ou cornetto marchent avec le so- prano ; les deuxièmes violons, les hautbois, les deuxièmes trom- bone, cor et trompette sont réservés à l'alto ; la viole, le troisième trombone, le basson, la viole de gambe soutiennent le ténor, et la basse garde pour elle les bassons, le quatrième trombone, les violes graves et le violoncelle. C'est dans les chorals que Bach se rapproche le plus de l'instrumentation des maîtres qui l'ont précédé. Il semble que pour ces sortes de compositions il ait craint d'altérer la majesté de ses idées mélodiques par des brode- ries instrumentales. Tel est l'orchestre du grand maître qui écrivit les deux Passions y la Messe m A b, Y Oratorio de Noël, ses chefs-d'œuvre et les nom- breuses cantates, véritables trésors de science et d'inspiration. Il résume pour nous l'art de l'instrumentation, tel que nous l'avons étudié jusqu'à ce moment. Comme ses prédécesseurs, il a la richesse et la variété dans le nombre des instruments ; plus qu'eux il pos- sède, à un degré haut, le sentiment du coloris instrumental. A qui sait le lire, Bach dévoile tous les secrets de l'instrumenta- tion ancienne, comme il nous initie aux merveilles de l'orchestra- tion moderne. 280 HISTOIEE DE L'INSTRUMENTATION. Placés ainsi dans la première moitié du xyiii^ siècle, Bach et Haendel marquent la séparation des deux époques ; après eux rorchestre ne s'enrichira que dans de très-petites proportions au point de vue du nombre des instruments, mais c'est dans leur emploi que tout un art nouveau se révélera. ; DEUXIEME EPOQUE DEPUIS HAYDN JUSQU'A NOS JOURS, CHAPITRE VIL 4 LA SYMPHONIE EN ALLEMAGNE. — HAYDN, MOZART, BEETHOVEN. — LA SYMPHONIE DRAMATIQUE. • Il arrive toujours dans le drame un moment où, par Tenchaîne- ment des faits, les événements se pressent, les situations devien- nent plus intéressantes, Taction s'engage, le dénouement se prépare. Il en est de même en histoire, quelle que soit l'importance du sujet traité. Les faits s'accumulent et s'enchaînent, les détails se re- lient pour former l'ensemble ; placées côte à côte, les œuvres du passé se présentent à nos yeux pour être comparées, analysées ; mais chaque pas Mt dans le récit nous montre un nouveau pro- grès, chaque œuvre une nouvelle conquête, chaque page nous rapproche du moment où nous verrons s'épanouir,, avec un pro- digieux éclat, l'art que nous avons vu naître, grandir et prospérer. Le dénouement approche, nous sentons que l'art ancien est ar- rivé et à sa plus grande perfection, qu'il ne pourra plus que déchoir, si un prodige du génie humain ne vient pas le dé- tourner de la route parcourue jusqu'à ce jour, pour le jeter dans une voie nouvelle. L'exposition a été longue; nous avons vu peu à peu les instrui^ents se former, l'instrumentation se régulariser. Avec le xvi® tout est encore indécis et sans forme ; au xvn® l'orchestre essaie timidement ses forces ; plus tard, avan- çant d'un pas lent mais sûr, profitant des progrès de l'harmonie 282 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. et du contre-point^ il est solidement assis sur des bases fizes. Il a les violons, violoncelles, contre-basses, les flûtes, les bassons, les hautbois, les cors et les trompettes, les trombones, la harpe, en un mot tous les instruments que constituent l'orchestre moderne, excepté la clarinette. Il est prêt à s'animer du soufle de la vie, et, viennent les hommes de génie qui sauront vivifier cette masse harmonieuse, il avancera à pas de géant dans la voie du progrès. Le jour où les instruments seront pondérés entre eux, non plus d'après une imitation servile de la voix humaine, mais d'après les convenances des timbres, et les affinités des nuances sonores, le jour où les maîtres auront créé le coloris, prêté à chaque ins- trument l'accent expressif que lui convient, l'histoire de l'orches- tre entrera dans une nouvelle phase, et nous toucherons au dé- nouement. Dès le commencement de cette nouvelle période, nous voyons les instruments prendre dans l'art une place qu'ils n'avaient ja- mais occupée auparavant. Non contents d'accompagner les voix, de servir à mettre en relief l'habileté d'un virtuose, dans le con- certo plus ou moins accompagné, ils veulent avoir leur existence à part, et pour eux naît un art qui en moins de cinquante ans, atteindra des proportions colossales et qui a nom la symphonie. L'orchestre sera le seul interprète du maître qui lui confiera le plus pur de son génie, les plus poétiques élans de son âme. Que la symphonie soit la plus haute expression de la musique pure, que, supérieure à l'opéra, eUe permette au musicien de prendre son essor dans les régions plus éthérées, c'est une question qu'il ne nous appartient pas de juger, mais à partir de ce jour, l'or- chestre symphonique doit être séparé de l'orchestre dramatique et mérite une étude à part. Plus d'un maître saura en même temps, et s'inspirer aux sources les plus pures de la création musi- cale, là où il n'a pour toute aide que son imagination, là où il n'est soutenu, ni par les paroles d'un poëme, ni par les illu- sions de la scène et faire aussi vibrer dans le drame la corde de la passion. Mais, qu'il s'appelle Mozart ou Beethoven, qu'il écrive la symphonie de Jupiter ou Don Juan la symphonie en ut mineur ou Fidelio, il faudra toujours distinguer en lui deux styles, il se gardera bien d'appliquer au théâtre les procédés d'instrumen- tation de ses symphonies, Cette distinction entre l'orchestre sym- LA SYMPHONIE ÏIN ALLEMAGNE. 283 phonique et le dramatique^ que les grands compositeurs n'ont jamais manqué de faire^ nous ne pouvons manquer de la signaler à notre tour, sous peine de confondre deux arts, qui, ayant la même origine aboutissent chacun à des résultats absolument différent». Déjà les concerti-grossi de Corelli, les trios, les quatuors de Té- cole qui avait suivi ce maître des virtuoses avaient, comme nous Tavous vu, habitué les musiciens au développement purement ins- trumental ;le8 courtes symphonies de Buononcini et autres étaient devenues jeux d*enfants. N'ayant plus les voix à soutenir, voyant le quatuor à cordes bien solidement établi, les compositeurs avaient peu à peu abandonné la basse continue d'orgue ou de clavecin à la musique sacrée, et l'orchestre s'était allégé entre leurs mains. Lorsque Haydn vint, cette révolution était commencée. Dans sou Kvre, bien fait et intéressant, rempli d'aperçus si remarqua- bles, d'une critique si juste, malgré l'amitié qui le liait au grand homme, Carpani a raconté les premières années d'Haydn (1) ; il nous a montré le fdtur auteur de la Création n'ayant pour guides que quelques traités de Mattheson, de Fux, de Kimber- ger, apprenant la musique seul et sans maître et s'étant formé lui-môme. Peut-être est-ce à ces études solitaires que nous de- vons cet orchestre si différent de ce que nous avons vu jusqu'à ce jour. Un autre musicien un peu antérieur à Haydn, Sam- martini de Milan, dont le nom est aujourd'hui bien oublié, mais dont la réputation fdt grande autrefois en Italie et même en Allemagne, était comme le grand peintre des Saisons, élève de lui-même, et ses symphonies abondent en traits nouveaux, en {1) Le Haydine, Ovvero lettere suîïa vita e le opère dd célèbre maestro Giuseppe Baydn^ Milan, Buccinelli, 1812; 2« édition, Fadoue, 1823,'in-«*, traduit par Mondo BOUS ce titre : Haydn^ savie^ses ouvrctges, se» voyagea et ses aventure», Paris, 1837. Un vol. in»8*>. — Avant Mondo, Stendahl (Bombet) avait honteusement copié les lettres de Carpani et ce plagiat avait été si loin que les Lettres sur Haydn peuvent passer pour une véritable traduction des Haydine^ Stendahl a intitulé son audacieux larcin : Lettres écrites de Vienne en Autriche sur le célèbre com- positeur J^ Haydn, suivies d' une vict de Mozart et de considérations sur V état présent de la musique en France et en Italie, par Louis Alexandre Bombet (Bayle), Pa- ris, Didot, 1811. In-S". — Je n'ai pas retrouvé l'original de la vie de Mozart, etc., mais le célèbre auteur de ?e Rouge et le Noir est trop sujet à caution pour que 1^ paternité de ses études uq sçit pas et à juste titçe révoquée en doute, 284 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. passages pleins d'origiiialité. Mais si Hajdn n'apprit à jurer sur la parole d'aneun maître, au moin ne fat-il pas sans écouter dès sa jeunesse les œuyres de ses contemporains et sans en tirer profit, non pas en timide imitateur, trop heureux de suivre de près ses modèles, mais en maître dont le génie devait agrandir tout ce qu'il daignait toucher. En Italie Gasparini, Sammartini, Jomelli avaient donné plus d'intérêt à la musique instrumentale pure ; Vivaldi, outre plusieurs symphonies, avait écrit une suite d'œuvres intitulée les Quatre saisons. En Allemagne, Haendel avec ses trios, Bach avec ses concerti, Gassmann avec ses quartetti, avaient aussi fait progresser la musique symphoni- que. Les compositions de Toeschi, à Tharmonie riche et curieu- sement modulée, laissaient déjà deviner Tart de faire passer la phrase principale d'un instrument à un autre et de la varier par des changements de timbres. C'est à Emmanuel Bach, à Qtx^vjiy à Sammartini que Haydn semble avoir le plus emprunté. Em- manuel Bach, le second fils de Jean Sébastien, sut, dans la inu- sique instrumentale, dégager la cantilène des lourdes chaînes du contre-point, et rendre la musique plus légère, sans cependant mentir aux principes de l'école à laquelle il appartenait. Graun, dont les mélodies douces et tendres se détachaient d'un orches- tre simple sans pauvreté^ savant sans lourdeur, semble marquer la transition entre la vieille symphonie et celle d'Haydn. A côté de pièces dont l'instrumentation, la coupe et le développement annoncent l'auteur de la Création, on en lit d'autres dont les dispositions instrumentales nous rapprochent du passé ; c'est ainsi que nous trouvons de Graun une cantate avec accompagnement de trois flûtes traversières, trois hautbois, deux violons, un alto, un basson et un chœur à quatre voix. Myslievezeck, com- positeur bohémien distingué, et auteur de nombreux opéras et de symphonies qui eurent du succès, étant à Milan, entendit quel- ques vieilles symphonies de Sammartini et s'écria aussitôt : « J'ai' trouvé le père du style de Haydn. 2) En effet la fougue du vieux Milanais, ses véritables trouvailles d'instrumentation, ne sont pas sans avoir, jusqu'à un certain point, indiqué à l'il" lustre auteur de la symphonie de la Reine la voie à suivre. Toutes les qualités de Sammartini, nous les retrouvons chez Haydn, mais multipliées à l'infini et surtout réglées par cette LA SYMPHONIE EN ALLEMAGNE. 285 logique implacable du développement qui est un des caractères distinctifs de la musique du maître. Bumey, dans son Voyage mu- sical {\\ décrit ainsi le talent de Sanmiartini : « La seconde messe « du signor Jean-Baptiste Sammartini que j'ai entendue aujour- « d'hui a été exécutée, sous sa direction dans l'église del Car- et mine. Les accompagnements en sont ingénieux, pleins de bril- « lant et d'un feu tout particulier à ce compositeur ; la partie « instrumentale de ses compositions est admirablement traitée.- « Aucun des exécutants ne peut rester longtemps oisif. Les « violons surtout n'ont jamais un instant de repos; il serait Dans la bouche de Haydn, de cet homme pieux qui, en écrivant la Création, priait Dieu de l'inspirer pour chanter dignement sa gloire, ces quelques paroles valent un livre. De ces deux composi- tions l'une est un oratorio descriptif, l'autre une symphonie avec chœurs et soli, assez difficile à classer, le genre descriptif et imitatif y domine et partout les instruments y jouent un rôle des plus importants. Non-seulement chacun d'eux contribue dans l'ensem- ble à l'effet pittoresque, mais il n'en est pas un qui n'ait son rôle spécial parfaitement approprié à son timbre et à son caractère. Ecoutez ces bassons à la tierce, dont le sourd gloussement rend le roucoulement de la tourterelle, ces rapides traits de violon qui simulent le vol hardi de l'aigle, voyez cette prodigieuse explosion de lumière, si longuement et si habilement préparée dans la pre- mière partie de la Création, voyez, au commencement de la même œuvre, l'orchestre hésitant, bégayant timidement une phrase mé- lodique faiblement dessinée. C'est le chaos, tout est ombre dans cette page; les basses, auxquelles va se joindre le contre- basson, alourdissent encore la marche déjà embarrassée de l'idée mélodique ; puis, sur un mot du Créateur, la lumière se fait, le voile se lève et l'orchestre, comme délivré, lance vers le ciel ses fusées d'harmonies. Nous ne suivrons pas Haydn dans tous les détails d'instrumentation dont il s'est plu à enrichir ses œuvres; nous ne le montrerons pas frissonnant sous le blanc manteau des neiges de l'hiver, s'endormant au murmure du ruisseau, ou répé- tA SYMPHONIE Bît ALLEMAGNE^ 091 tant sur la flûte les capricieuses mélodies du rossignol. De ces tableaux les uns sont admirables^ les autres sont à notre avis d'une imitation trop fidèle pour n'être pas un peu mesquine; mais il en est un que jamais aucun maître n'a surpassé et qui pour nous est le modèle de la musique pittoresque. 11 est midi, le soleil éclatant darde ses rayons sur la terre desséchée; pas un souffle de brise, partout le silence, partout l'affaissement. Le paysan, chassé du sillon par la chaleur, quitte sa faucille, toute la nature dort acca- blée : seul le grillon, enivré de soleil, répète follement sa chanson monotone; les yiolons avec sourdines tantôt en trémolo, tantôt en pizzicato ou en accords brisés, et leurs basses descendantes pei- gnent ce tableau delà nature ; lorsque le ténor chante cet air d'une expression admirable et si vraie que chacun connaît, l'auditeur, semblable au pauvre paysan, ressent ce morne affaissement que l'auteur a voulu rendre. Que donnait pourtant la nature au com- positeur ? le néant, le silence, la négation même de la musique. Il n'avait à imiter aucun son qui, reproduit par l'orchestre, pût rap-, peler directement le modèle, et cependant l'imitation est parfaite; effacez le titré de cette composition, et il n'est personne qui, en l'entendant, n'éprouve la sensation de langueur et d'affaissement que cause la lourde chaleur d'un impitoyable ciel d'été. Peu de maîtres ont plus qu'Haydn exercé de l'influence sur la musique. Tous les compositeurs symphonistes ont rendu dans leurs œuvres hommage au vieux musicien, et Mozart et Beethoven ont pris plus d'une fois ses compositions pour modèle. Beethoven, surtout dans sa première manière, s'inspira beaucoup du vieil Haydn. Un critique allemand, dont le jugement mérite d'être conservé, finissait ainsi son compte rendu, écrit en 1805, sur la symphonie en ut majeur : « Un avertissement pour l'auteur, Haydn poussé par bizarrerie jusqu'à la caricature. » C'est gro- tesque, mais il y a du vrai ; c'est Haydn plus que Mozart qui forma Beethoven, au moins dans la période où l'admirable maître marchait encore sur les traces de quelqu'un. Le vieux maître est le père de la grande école symphonique. C'est lui qui enseigna et la conduite de l'orchestre, et le caractère de chaque timbre, et le développement symphonique. Il fraya lepremier la voie; après lui entrèrent ceux qui portèrent le bel art de la symphonie à sa perfection. C'est à l'œuvre d'Haydn que se rattache la florissante 292 HISTOIRH DE L'INSTRUMENTATION. école instrumentale qui brilla à la fin du siècle dernier et au commencement du nôtre, Mozart sert d'intermédiaire entre Haydn, le symphoniste naïf pour ainsi dire, cultivant le son pour lui-même, en virtuose, et Beethoven le grand et profond penseur musical, chez lequel cha- que note semble avoir un sens. Les symphonies de Mozart, je parle des dernières, ont perdu ce caractère descriptif que nous avons remarqué dans celles de Haydn, mais en revanche elles ont plus de puissance et de développement. La grâce du grand maître se retrouve encore dans ses andantes, mais le final prend plus de caractère, comme dans la symphonie en ut majeur; le menuet lui-même change de physionomie, le rhythme consacré devient plus riche et plus varié, la mélodie bondit avec plus de liberté et d'aisance ; écoutez le menuet si connu de la symphonie en mi b, reconnaîtrez- vous dans ces allures fougueuses l'auteur de la symphonie de la Reine qui a servi de modèle à Mozart pour ses pre- ,mières œuvres? En revanche il n'atteint pas encore les proportions colossales des pages dans lesquelles Beethoven ouvrira un monde nouveau à l'art instrumental ; bien plus, dans sespremières composi- tions, il semble hésiter encore sur les proportions de la symphonie. Deux faits curieux nous le prouvent. C'est en 1768 (Mozart avait à la vérité douze ans) que fut composée la première symphonie à orchestre complet (2 violons, viole, basse, 2 hautbois, 2 cors, trom- pettes et timbales), mais elle était si écourtée qu'il suffit de quel- ques changements pour qu'elle pût servir d'ouverture à la Finia simplice; onze ans après, lorsque Mozart avait déjà vingt- trois ans, nous retrouvons la même hésitation, et la symphonie en soZ majeur a encore la forme d'une ouverture; Otto Jahn (1) pense même qu'elle dut servir d'introduction à une œuvre dramatique (peut- être le roi Thamos) écrite la même année. Jusqu'à la dernière période, où le génie de Mozart parut dans tout son éclat, il est intéressant d'observer cette transformation de la symphonie. Pour étudier complètement l'auteur de Don Juariy nous devrons revenir sur ses œuvres lorsque nous nous occuperons de l'or- chestre dramatique; aussi ce que nous disons en ce moment ne doit- il s'appliquer uniquementqu'à samusique instrumentale pure, dans (1) W, A. Mozart von Otto lahn, Leipzig; 1866-69, 4 voL In-S» , t. II, p. 369. LA SYMPHONIE EN ALLEMAGNE. 295 laquelle nous ne comptons même pas les ouvertures trop intime- ment liées au drame pour en être séparées. Une des grandes inno- vations de Mozart dans Thistoire de l'instrumentation est d'avoir compris les admirables ressources de la clarinettcQu'elle complète le petit orchestre des bois ou qu'elle module de sa voix pleine et so- nore quelque phrase épisodique, ou qu'elle étale toutes les richesses de ses deux timbres dans un superbe adagio^ toujours elle est mise habilement en lumière, toujours elle joue un rôle important. Non content de tirer parti de cet instrument, Mozart augmente encore son étendue et la variété de son timbre, en lui adjoignant quelque- fois le cor de basset. Mais, qu'on ne s'y trompe pas, ce n'est pas du premier coup, ce n'est surtout pas dans les symphonies que cette innovation se montre avec tous ses avantages ; c'es^ au théâtre, dans lès divertissements, dans les sérénades, que Mozart essaye les forces de cet engin sonore appelé à compléter l'orchestre et à en aug- menter l'expression. Pendant longtemps il écrivit les symphonies avec l'orchestre consacré du vieux maître Haydn, 2 violons, violes, basses, hautbois, bassons, flûtes, cors, trompettes et timbales. C'est seulement en 1778, dans la symphonie exécutée à Paris, au concert spirituel, que nous voyons apparaître deux clarinettes; elles sont encore bien timides, cependant leur sonorité pleine fond les diffé- rents timbres des bois. A une époque plus avancée encore, en 1780, il revient à la première manière. Il semble même qu'il ait hésité à prendre une décision définitive. C'est ainsi qu'on le vit reprendre la symphonie en ré (1782), écrite primitivement pour violons, viole, basse, 2 hautbois, 2 cors, 2 bassons, trompettes et timbales et la compléter en y ajoutant 2 flûtes et 2 clarinettes ; en 1783, dans cette symphonie en sol où l'imitation d'Haydn est si évidente, les clarinettes manquent encore. C'est à partir de 1786, année des Noces de Figaro, de la symphonie en ré, du concerto en ut mineur, que son génie prend librement son essor, et alors la clarinette s'établit triomphalement dans l'orchestre symphonique. A partir de ce jour le grand musicien, que Eossini appelait la musique même, ne connaît plus de modèles. Les temps sont proches pour lui, les années sont comptées, et dans la même année il produira coup sur coup la symphonie en mi \>, où le sou- venir de- Haydn se laisse à peine entrevoir (juin), la symphonie en sol mineur où semble passer toute l'âme passionnée de Mozart 294 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. (juillet), enfin- celle en ut avec fugne (août) qui fût gnmomméa Jupiter et dans laquelle Mozart atteignit presque aux splendeurs de Beethoven. Dans toutes ces dernières œuvres Torchestre sym- phonique est arrivé matériellement à sa perfection; chaque instru- ment s'y trouve véritablement en valeur et Beethoven n'aura plus à 7 ajouter que les trombones, dont il n'abusera pas du reste. Il faut cependant ajouter, comme observation générale, que l'ins- trumentation de Mozart se rapproche beaucoup plus des formules dramatiques que celles d'Haydn et de Beethoven. Dans les œuvres instrumentales d'ensemble, autres que les sym- phonies, telles que sérénades, divertissements, marches, etc., on trouve plusieurs particularités qu'il convient de signaler. Dès les premières années(1764)nousyvoyonslaclarinette : tantôtMozart la traite dans la masse, tantôt il lui fait un rôle à part et la marie à d'autres instruments formant ainsi de curieuses combinaisons sonores. Le divertissement de 1771 est écrit pour deux clarinettes et deux cors anglais. Lorsque ce morceau fut joué à Salzbourg, Mozart, ne trouvant pas de clarinettistes, fut obligé d'en faire un quatuor de cors anglais. Un divertissement de 1773 est composé pour 2 hautbois, 2 clarinettes, 2 cors anglais, 2 cors et 2 bassons. Il ne manque que les flûtes à ce groupe pour constituer séparé- ment ce que nous appelons le petit orchestre. Enfin la sérénade pour deux clarinettes, deux cors et deux bassons est intéressante à étudier sous le rapport des timbres. Le cor de basset, que nous remplacerons à une époque plus moderne par la clarinette-alto, prend souvent place dans ces petites compositions. En 1782 Mozart écrit un adagio pour cor de basset et basson. Dans la marche fanèbre pour la mort d'un franc-maçon (1785), non-seu- lement il mit un cor de basset au milieu des violons, clarinettes, hautbois et cor, mais il ajouta plus tard à cet orchestre deux cors de basset et un contre-basson. Les trompettes et les trom- bones ne présentent chez lui aucune particularité dans la musi- que instrumentale pure; nous devons seulement remarquer quatre cors dans la symphonie en si b (1773), quatre timbales, cinq fcompettes et deux flûtes dans les dix morceaux écrits probable- ment pour marches militaires, en 1773. Si nous n'avons point cité la harpe dans sa musique instrumentale, c'est qu'elle y tient une place des plus modestes. Le seul morceau que Mozart écrivit LA SYMPHONIE EN ALLEMAGNE. 295 pour pet instrument^ qui devait plus tard devenir si à la mode^ est un petit concerto pour flûte et harpe ^ avec accompagnement de d^ix violons, deux basses^ deux hautbois et deux cors. Lors- qu'il était à Paris, en 1778, il reçut par l'intermédiaire de Grimm, fort bon accueil du duc de Guines. Celui-ci jouait de la flûte et sa fille de la harpe. Mozart donna des leçons de musique à la jeune fiUe et, pour remercier son protecteur, ne trouva rien de mieux que de composer ce duo concertant de flûte et harpe avec orchestre. Les critiques sévères, qui ont reproché à Berlioz la combinaison si charmante de flûte et harpe dans V Invitation àla valse, de Weber, pourront ainsi trouver 'un précédent chez les maîtres les plus classiques, si tant est que Berlioz ait eu absolu- ment besoin de circonstances atténuantes pour donner libre cours à son génie instrumental. Beethoven !... Ce n'est pas sans eflfroi que j'écris ce nom vénéré en tête de ce paragraphe. Tout dans ce livre a été préparé pour annoncer la venue de ce Messie de la musique instrumentale, et au moment de l'étudier nous nous arrêtons, sachant jusqu'à quel point nous resterons au-dessous de notre tâche. Non-seulement cet immense génie, que chacun admire, mais dont personne encore n'a pu mesurer toute l'étendue, effraie l'historien et.le critique par son immensité même, par sa variété, par sa prodigieuse puissance d'invention dont la musique ressent encore aujourd'hui les effets, mais nous venons après bien d'autres et la tâche a été rendue plus difficile encore par les excellents travaux de nos prédéces- seurs. Des biographes Schindler, Schlichtegroll, Seyfried, Nohl, nous ont raconté tous les détails de sa vie, nous ont fait assister à la création de chacune de ses compositions ; des critiques ont fouillé son œuvre dans tous ses détails, et ces glossateurs de l'Homère musical ont laissé bien peu de chose à glaner derrière eux. Trois surtout, Oulibicheff (1), de Lenz (2) et Berlioz ont soumisle maître à la plus scrupuleuse analyse. Les deux premiers, musiciens de goût et instruits, ont jugé Beethoven en dilettante ; leur critique passionnée quoique souvent juste a quelque chose (1) Oulibicheff, Beethovetij ses critiques^ ses glossateurs. Leipzig, 1866. In-6*. (2) Lbnz (W. du), Beethcoen et ses tro's styles^ 2* édition, ^aris, Lavinée, 1866. 2 vol. w-12, 296 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. de Bincère qui attire et charme le lecteur; mais c'est en artiste que Berlioz, le plus grand et peut-être le seul des critiques fran- çais, a étudié l'œuvre du puissant maître. Avec toutes les adora- tions (le mot est de lui) dont il était susceptible, il a commenté, page à page, je dirais presque ligne par ligne cet évangile de la musique instrumentale pure, qui a nom les neuf symphonies de Beethoven, il nous a montré le maître recueillant le riche héri- tage d'Haydn et de Mozart, élevant la symphonie descriptive du premier pour la transporter dans les hautes régions de la musi- que pittoresque ou le sentiment remplace l'imitation, élargissant encore le cadre des belles et fougueuses symphonies du second, pour en accentuer davantage le sens dramatique et passionné. Après ces importants travaux, il ne nous reste plus grand'chose à apprendre au lecteur, et s'il a bien voulu nous suivre jusqu'ici, il a pu remarquer qu'il n'était point dans nos habitudes de nous lancer dans les longues généralités esthétiques qui forment le plus souvent le fond de la critique et même de l'histoire. Conten- tons-nous donc de relever dans l'œuvre de Beethoven les faits qui intéressent notre sujet, d'indiquer les tendances nouvelles qui se manifestent dans ses symphonies, de marquer l'influence que le maître a exercée sur l'école moderne. Du reste nous aurons en- core à revenir sur l'auteur de Fïdelio, lorsque, plus loin, nous étu- dierons les transformations de l'orchestre dramatique. Matériellement, Beethoven n'a pas ajouté d'instruments nou- veaux à l'orchestre. Jusqu'à Y Ode à la Joie, son orchestre diffère peu de celui de Mozart sous ce rapport. Le quatuor, deux flûtes, deux hautbois, deux clarinettes, deux bassons, deux cors, deux trompettes et timbales le composent ordinairement. Deux seule- ment contiennent des trombones et des petites flûtes, celle en ut mineur (final) et la Pastorale (orage et final) deux (la cinquième et la neuvième) le contrebasson et une seule QHïéroïqnB) trois cors. M. Gevaert, dans son cours d'instrumentation, remarque chez Beethoven et avec raison l'emploi de deux trombones, si difficiles à faire entrer dans la pondération des masses de l'or- chestre symphonique; mais il est bon de faire observer que le maître n'a pas constamment fait usage de cette combinaison et que c'est seulement dans l'orage de la symphonie en fa et dans * celle en la, que nous ne trouvons que deux trombones. Les tim- LA STMPHONIE EN ALLEMAGNE. 297 baies ne sont jamais plus de deux, mais dans la petite symphonie en fa^ ces instruments sont accordés à Foctave au lieu d'être à la quinte. L'orchestre de la symphonie avec chœurs est plus consi- dérable et la percussion y tient une place inaccoutumée ; outre le contrebasson et quatre cors, on y rencontre aussi les cymbales^ la grosse caisse, le triangle, en un mot tous les instruments acces- soires de l'orchestre dramatique. Il en est de même de la Bataille de Vittarta, cette symphonie descriptive dont nous ne connais- sons que la partition et qu'il ne nous a pas été donné d'entendre. Lahar^^ese trouve une fois, dans le ballet de Prométhie, où elle semble peindre le doux battement d'ailes des filles de l'Océan, venant consoler le grand martyre de l'humanité, ce Christ des païens. Beethoven aussi, comme Mozart, s'est servi du cor de basset, mais séparément et dans un morceau sans grande importance. C'est un duo pour cet instrument et hautbois, dont la ligne mé- lodique et le style rappelle de très-près la manière de Mozart. Le cor de basset est écrit à la façon de la clarinette, et, comme elle, exécute des batteries sous le chant du hautbois. Accompagnés seulement par le quatuor, les deux instruments concertants dialo- guent entre eux de la façon la plus charmante. Il faut citer encore ici une singulière fantaisie de Beethoven que nous appellerions une profanation si le maître lui-même ne s'en était rendu coupable. D'après Schindler, la Bataille de Vitto- rta a été disposée (je ne dis pas arrangée) pour un instrument que Maelzel, l'ami de Beethoven, venait d'inventer et qui s'appelait le Panharmonikon ; c'était, un orchestre mécanique, qui faisait entendre toutes sortes d'instruments militaires, car la parti- tion comprend petite flûte^ Mte, hautbois, clarinette, basson, contre-basson, cors, trompettes, trombones, timbales. Sur la pre- mière page, on lit, de la main de Beethoven : Auf Wellingtons sieg bei Vittoria 1813. Oeschriedenfûr ffr. Maelzel von I/udwig van Beethoven (1). Il était dit que l'inventeur du métronome aurait plusieurs fois sa place dans l'œuvre du maître, car on sait que c'est avec un canon improvisé en l'honneur du « lieber (1) NoTTBBOHM, Themotisches verzeichniss der im Druck erschienen en werhe, 2« éd., Leipzig, 1868. 0rand in-8o. 298 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. Maelzel » que Beethoven a feit l'adorable allegretto de la sym- phonie en/a. Du reste Oherubini avait aussi écrit un écho pour rinstrument de Maelzel. La Bataille de Vittona pour Panharmonikon nous amène tout naturellement à rappeler, qu'outre plusieurs morceaux d'en- semble pour instruments à vent, Beethoven a encore écrit des compositions pour l'ancien orchestre de sérénade qui peu à peu a formé l'harmonie militaire moderne. Une entr'autres mérite notre attention; c'est une marche militaire, écrite par Beethoven en 1816. La bande était ainsi composée : Flauto piccolo 1-2. Oboi. Olarinetto en F. Clarinetti en C. Comi en B. basso. Corni en D. Oomi en D. Trombe en D. Tromba in G. Triangulo e cinelle. Tamburo militare. Gran tamburo. Fagotti. Contra-fagotto. Trombonî ténor et basso. Serpente. Cet orchestre, dans lequel on est étonné de ne pas trouver la grande flûte, devait fournir, avec les hautbois, clarinettes, cors, bas- sons, trompettes, trombones etc., des ressources variées que nos bandes modernes sont loin d'offrir aujourd'hui. Du reste, lorsque dans la Batailla de Vittoria, Beethoven voulut représenter les deux troupes anglaises et françaises, prêtes à en venir aux mains, et sonnant à grandes fanfares leurs marches guerrières, c'est aux flûtes, petites et grandes, aux hautbois, clarinettes, cors, trom- pettes et à la batterie qu'il confia l'exposition des thèmes de Ruh Britaimia et de l'air de Malhormigh, Mais, ce ne sont pas ces quelques particularités qui rendent remarquable entre tous l'orchestre du grand maître. Dans ses symphonies, comme dans Fidelio, comme dans ses intermèdes dra- matiques, comme dans ses ouvertures, Beethoven a su caractériser, pour ainsi dire, d'une façon qui n'appartenait qu'à lui, chacun des instruments dont il faisait usage. Nous étudierons, dans quelques lignes d'ensemble, le sens poétique de ses symphonies ; voyons seulement ici quelle place il a donnée à chacune de$ voix de l'or- chestre, LA 8YMPH0IÏIE EN ALLEMAGNE. 299 Ce sont naturellement les cordes qui tiennent la première place dans Torchestre de Beethoyen. Leur rôle est aussi riche que yarié; d'abord il en augmenta l'étendue en faisant monter le yiolon jus- qu'au quatrième la (symphonie en fa), puis il en varia à l'infini les formules et les combinaisons. Personne mieux que Beethoven n'a dû tirer parti du pizzicato^ soit qu'il vienne perler sous l'alleçretto de la 8* symphonie, soit que mêlé avec le col arcOy comme dans la symphonie en si b, il produise une sonorité char- mante et originale ; c'est Beethoven, si je ne me trompe, qui a em- ployé le premier cette forme d'instrumentation recommandée au- jourd'hui dans les meilleurs traités. C'est la sonorité vigoureuse et franche des violons à l'unisson qui prépare le formidable effet de la péroraison de la symphonie en ut mineur. Ces préparations d'effets dont Berlioz a parfaitement marqué le caractère sont un des signes caractéristiques du génie de Beethoven. Elles ont donné naissance aux plus étranges hardiesses instrumentales et nous aurons encore à les citer : au sujet des cors, des trompettes et des timbales. Si nous descendons dans le registre grave des cordes, nous trouvons des nouveautés du plus grand intérêt. Il ne semble pas que Beethoven ait, dans ses symphonies du moins, marqué pour l'alto une sympathie égale à celle des maîtres fran- çais de son temps; mais, en revanche, le violoncelle et la contre^ basse ont été royalement traités. Outre les immortels trios et qua- tuors, outre le septuor, les symphonies, et particulièrement la neu- vième, renferment de nombreux et magnifiques passages pour les yioloncelles. Dans cette dernière, c'est lui qui, véritable baryton, chante l'étrange récitatif par lequel Beethoven, passant de la musi- que pure à l'ode symphonique, annonce par avance sa transition et conmie l'intervention du drame dans le genre nouveau. Les contrebasses ne sont pas moins bien partagées ; ce sont elles qui peignent le grondement de l'orage dans la Pastorale et il est même à remarquer avec Berlioz que, dans cette page, elles donnent Xut à l'octave basse de Y ut des violoncelles. Les rapides traits de basse qu'elles exécutent au trio du scherzo, et que l'auteur delà Damna» tion de Faust compare spirituellement aux ébats d'un éléphant en gaieté est un des passages les plus curieux, les plus difS^ciles et les plus caractéristiques de tous ceux qui ont été confiés à cet ins- trument peu enclin de sa nature i la légèreté. On rapporte 300 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. qu'Habeneck, les premières fois qu'il fit entendre la symphonie en ut mineur au OonserYatoire, n'osa pas attaquer le monstre en face et biffa les traits pour la contrebasse^ en les confiant aux violoncelles seuls. La belle et riche famille des instruments à vent n'a pas été non plus négligée par le puissant maître, et aucune des délicatesses de leur timbre, aucune des nuances de leur Toix n'a échappé à l'auteur de la symphonie en ut mineur. Il n'a pas cher- ché à étendre leur registre, mais il a su leur trouver des ac- cents nouveaux, il a tiré de leurs associations sonores des effets inconnus jusqu'à lui. Tantôt la flûte, au timbre doux et clair, répond, comme dans la Pastorale, aux agaceries des cordes et des autres bois, tantôt, stridente et dure, elle fait entendre sa voix au milieu de tous les instruments déchaînés qui peignent l'orage d'une façon si saisissante. Les caractères différents du haut- bois fournissent à Beethoven un nombre prodigieux de ressour- ces. Il est agreste et gai dans la Pastorale, mais qu'il joigne sa voix à la flûte et son timbre criard reprend toute] sa force et tout son éclat dans l'Orage. Beethoven, pas plus que les grands maîtres qui l'ont précédé, n'a ignoré combien la voix du hautbois pouvait être tendre et touchante, et lorsque, dans l'adagio de la symphonie en ut mineur, il prépare la rentrée du thème, c'est une plainte douce et profonde à la fois qui se fait entendre dans cet immense concert de la douleur sans bornes. Il n'est pas jusqu'au timide basson qui ne joue son rôle à propos. Il est comi- que lorsqu'il marque lourdement la tonique et la dominante dans la danse des paysans, mais avec quelle douceur et quel moelleux il roucoule pour ainsi dire l'angéUque mélodie de la scène au bord du ruisseau ! Le contre-basson est voué aux effets puissants et terribles^ et c'est dans les compositions les plus grandioses du maître, dans la symphonie en ut mineur et dans la symphonie avec chœurs, qu'il fait entendre sa lugubre voix. L'orchestre symphonique de Beethoven n'est pas surchargé de cuivre, au moins jusqu'à Y Ode à la Joie. Nous avons signalé l'em- ploi particulier des trombones, mais le cor a été appelé à jouer dans ces œuvres instrumentales le rôle d'initiateur ; il pré- pare d'avance et souvent même sans se soucier complètement des règles de la tonalité la rentrée d'un nouveau thème ou LA SYMPHONIE EN ALLEMAGNE. 801 d'nne nouvelle idée ; c'est ainsi qne dans la symphonie en la, le second cor fait entendre, en dépit de l'harmonie, le la et le sol dièze, en mesore binaire, quoique le rhythme soit à trois temps, et appuie sur le sol dièze, quoique le la soit la note réelle. Dans deux autres passages son intervention est plus ex- traordinaire encore. Ici nous laissons la parole à Berlioz, c Nous expliquerons le fait par une fantaisie du musicien de génie, et nous n'aurons pas à donner d'autre raison de cette anomalie que celle que Beethoven a donnée, c'est-à-dire que cela devait être ainsi. Dans la symphonie Héroïque les premiers et les seconds violons seuls tiennent en trémolo la seconde majeure si bémol, la bémol, fragment de l'accord de septième sur la dominante de mi bémol, quand un cor qui a l'air de se tromper et de partir quatre mesures trop tôt, vient témérairement faire entendre le commencement du thème principal qui roule exclusivement sur les notes mi, sol, mi, si. On comprend quel étrange effet cette mé- lodie formée des trois notes de l'accord de tonique doit pro- duire contre les deux notes dissonantes de l'accord de dominante, quoique l'écartement des parties en affaiblisse beaucoup le frois- sement, mais au moment où l'oreille est sur le point de se révol- ter contre une semblable anomalie un vigoureux tutti vient couper la 'parole au cor et, se terminant piano sur l'accord de la tonique, laisse rentrer les violoncelles qui disent alors le thème tout entier sous l'harmonie qui lui convient. » Beethoven n'avait point écrit par hasard ce passage singulier, et £ies un jour lui ayant fait remarquer que le cor se trompait, qu'il partait trop tôt, fiit puni par une verte semonce de son zèle intempestif. Le second exemple est moins explicable encore, car s'il est possible de dire que dans YHéroïqm, le maître après un long développement a cru nécessaire de laisser entrevoir comme dans un nuage le thème principal qui va triomphalement prendre possession de l'orchestre tout entier, il n'en est pas de même de l'entrée des cors au début du dernier morceau de la Pastorale. Sur l'accord de fa, tenu par les violoncelles et les violons, le cor chante résolument en ut; on a expliqué le fait en disant que Beethoven avait voulu peindre par là les différents appels des Bergers se rassemblant après l'orage ; l'expUcation est très-accep- table, mais l'anomalie n'en reste pas moins curieuse. La trom- 302 HISTOIRE DE L*INflTRUMBNTATION.. pette a aussi nne part importante dans les symphonies de Beetto- yen et son rôle dans la septième est des plus remarquables^ mais on peut dire de plus qu'une œuvre tout entière a été composée pour elle. Dans la Bataille de Viiloria, les troupes ennemies, françaises et anglaises, «ont en présence, les fanfares résonnent et c'est sur la mélodie ou, pour mieux dire, sur le rhythme des- siné par l'instrument guerrier, que se développe toute la compo- sition, jusqu'au moment où la victoire s'étant déclarée, l'or- chestre entier entonne le Ood save the queen. Nous l'avons dit, la percussion n'apparaît que dans la sym- phonie avec chœurs, mais dans toutes les autres les timbales tiennent une place considérable. Beethoven est le premier qui ait délivré ces instruments de la servitude dans laquelle ils avaient été relégués. Dans la symphonie en si bémol elles font entendre un véritable solo, mais c'est surtout dans la symphonie en ut mineur que leur partie est intéressante. Pendant vingt-neuf mesures, les timbales frappent obstinément leur ut, l'orchestre paraît dormir sur la tonalité de la bémol dans laquelle cet ut grave, quoique appar- tenant au ton, semble jeter une sorte de trouble harmoruque ; les violons font entendre l'accord de septième de dominante sol si ré fa, et les timbales continuent toujours à répéter en crescendo la tonique annoncée par l'accord dissonnant quand tout l'orchestre s'élançant dans la mêlée et résolvant l'accord appellatifjjdes violons, vient donner la victoire aux timbales qui ont si vaillamment ré- sisté. Ici il n'y a pas anomalie, il y a une inspiration de génie. Cet w/ est un fragment de ce chant victorieux qui va éclater par toutes les voix instrumentales ; sourdement préparé, il grandit à chaque mesure, il va droit devant lui, pour ainsi dire, il est tonique, il est maître, et lorsqu'enfin se fait entendre le chant dont il est la note fondamentale, ce n'est pas lui qui rentre dans le ton, c'est toute la masse harmonique qui, attirée vers lui par une force invincible, semble se soumettre ^ sa puissance. Réunissant ces forces éparses dont nous venons d'énumérer les principales, Beethoven, plus que tout autre compositeur avant lui, sut trouver des combinaisons ingénieuses et neuves. Quelques- unes sont tombées dans le domaine public de la musique, d'au- tres sont restées sans être imitées, tant elles étaient inhérentes au génie même du maître, tant elles s'adaptaient merveilleusement LA SYMPHONIE EN ALLEMAGNE. 308 à la forme mélodique^ au déyeloppement de l'idée mère^ au tisBU de rharmonie. En parlant des cors et des timbales nous ayons signalé le procédé qui est particulier à Beethoven et qui consiste à préparer par un instrument solo dont rharmonie tranche sur la masse^ la rentrée d'un thème ou la péroraison d'une œuvre. Dès sa première symphonie (andante) on peut reconnaître un essai de cet artifice 9 et ce sonf les timbales qui jouent ce rôle particulier. Aucun maître n'a mieux que Beethoven fait converser les diffé- rentes masses de l'orchestre, ou varié un thème par le timbre des instruments ; en cela, l'auteur du Septuor semble se rapprocher plus d'Haydn que de Mozart. Quelquefois, comme dans la sym- phonie en réy c'est une conversation folâtre et badine, quelque- fois, comme dans V Héroïque, ou le grand poëme en ut mineur, c'est un prodigieux combat, un heurt titanesque de sonorités multiples et puissantes. Ici retentit un accord plein, majestueux; à peine ses domières vibrations se sont-elles fait entendre que du milieu de ce faisceau harmonique sort comme une voix solitaire qui pose le thème sur lequel se développera toute la composition. Ici au contraire c'est une seule mélodie qui, passant tour à tour dans toutes les voix de l'orchestre, chapge de caractère, d'un timbre à l'autre, jusqu'au moment où elle afSirme la tonalité définitive. C'est par l'inattendu, par la prodigieuse variété du coloris, non moins que par la puissance et l'heureux choix des timbres que les symphonies de Beethoven, considérées au point de vue purement instrumental, restent et resteront d'étemels et inimitables mo- dèles. Comme les livres d'Hérodote, chacune des neufàQ Beethoven pourrait prendre le nom d'une muse. Sur ces neuf chefe-d'œuvre deux seulement ont quelques rapports, la PaatoraU et la sym- phonie en Uy et encore le caractère subUme qu'un changement de mouvement dit-on a donné, à l'andante de cette dernière, lui enlève-t-il une partie de sa couleur agreste. Voyons-les toutes d'un rapide coup d'oeil et nous comprendrons quelle est la puis- sance de la musique instrumentale, puisque dans ces neuf livres sont exprimées avec une prodigieuse élévation les plus poétiques sensations de l'âme humaine. On a distingué dans Beethoven trois manières et -ce n'est pas ici le lieu d'examiner ni de discuter cette classification, mais il est bon 304 HISTOIRE DE L'iNSTEtJMBNTATlOK. de remarquer que si elle s'applique au style et à la facture du maî- tre, elle ne cadre pas arec le caractère poétique de chacune des sym- phonies. Les trois œuvres les plus charmantes du maître^ celles qui semblent respirer avant tout la gaieté, la fraîcheur, le repos, tien- nent place entre les plus formidables œuvres de la musique ins- trumentale, la symphonie en ut mineur et celle avec chœur. La facture change graduellement pour former ce qu'on appelle des manières. Msis l'imagination toujours capricieuse passe en même temps, de la plus délicieuse peinture aux plus déchirants cris de douleur. On le sait, la première symphonie est un hommage rendu aux maîtres du passé. Haydn y domine plus encore que Mozart, mais dès la symphonie en ré nous entrons en plein Beethoven, Non-seulement la mélodie s'élève aux plus sublimes hauteurs, comme dans le larghetto, par exemple, véritable ensemble dra- matique, mais nous sommes en faCe ^'une instrumentation plus large, plus sonore, et les procédés propres au maître y apparais- sent complets et dans toute leur beauté. Éclatante et fière, la symphonie en ré est comme le cri de victoire du génie; mais en revanche quelle majesté, quelle douleur dans V Héroïque ! puis tout à coup il abandonne ce ion épique, pour reprendre un chant moins élevé. A part la touchante élégie qui forme l'introduction de la symphonie en si bémol, tout dans cette œuvre semble pres- que appartenir au genre de demi-caractère, comparé au style des deux symphonies Héroïque et en ut mineur. L'adagio est mélan- colique, sans tomber dans les profonds désespoirs que peint cette dernière composition et enfin le scherzo et le final sont pleins d'entrain, d'éclat, je dirai presque de gaîté. Entre tou- tes, à notre avis du moins, la symphonie en ut mineur est la plus belle et la plus élevée, en exceptant la neuvième, à laquelle est réservée une place à part. Est-elle, comme on l'a dit, l'expres- sion d'un sentiment pei*sonnel ? Je ne sais, mais jamais la pensée humaine n'a trouvé un plus sublime langage pour rendre la lutte de notre âme avec l'anéantissement et le désespoir. Tout à coup, et coînme par un singulier retour du génie de Beethoven, nous passons à des sentiments infiniment plus doux. C'est la nature et ses charmes, ce sont les douces sensations qu'elle nous fait éprou- ver qui inspirent le maître. On sait quelle adorable bucolique Beethoven a chantée dans la Pastorale. Le plan et laconception LA SYMPHONIE EN ALLEMAGNE, 305 de la symphonie en la sont moins évidents naturellement que pour la Pastorale, puisqu'elle n'a pas de programme, et je dois avouer que si^ en altérant le mouvement de l'allégretto, on a obtenu une des plus prodigieuses pages qui existe en musique, du moins a-t-on singulièrement rompu l'unité de cette symphonie, qui sans cesser d'être élevée et poétique rappelle à l'auditeur Virgile, plutôt qu'Homère. Enfin avec la symphonie en fa, si élégante, avec l'andante scherzando, si fin, si gracieux, le maître paraît revenir à la première source de ses inspirations et c'est au moment d'écrire la symphonie avec chœurs qu'il brode d'une main légère cette merveille de grâce et d'élégance. La symphonie avec chœurs semble comme le couronnement du grand monument instrumental de Beethoven, et dans cette histoire elle marque pour nous une date et annonce pour ainsi dire l'aurore de la musique symphonique moderne. La suite de ce travail nous montrera la symphonie s'altérant chaque jour, descendant des régions élevées de la musique pure pour entrer dans le domaine du théâtre. Les deux genres, si distincts au- trefois de la symphonie et de l'oratorio, se confondront si in- timement qu'il arrivera un jour où la composition idéale, s'appuyant sur le développement d'une pensée mélodique, fera place à une création qui sera la traduction d'un drame ou la des- cription d'un tableau. Que cette symphonie soit accompagnée par les voix ou qu'elle soit seulement instrumentale, cela importe peu, la tendance est toujours la même, et l'élément dramatique y domine toujours d'une façon frappante. Je constate le fait sans le juger, en ajoutant seulement qu'au théâtre c'est le phénomène contraire qui s'est produit, et que pendant que la symphonie se dramatisait y le drame demandait à l'art instrumental de nou- veaux moyens d'effet et de variété. De tous les grands compo- siteurs c'est, à notre avis, Mendelssohn qui le dernier est resté fidèle à la tradition de l'ancienne symphonie, tout en y intro- duisant certains éléments dramatiques absolument modernes, mais c'est chez Beethoven que nous trouvons pour la première fois ces tendances nouvelles, bien marquées et ce sentiment pour ainsi dire scénique, dont quelques lueurs, à peine éclai- raient les symphonies de Mozart. On a refusé à Beethoven le génie dramatique, on a eu raison, 2« 306 HISTOIEE DE L'INSTRUMENTATION. BÎ le drame consiste dans4es conventions scéniques qni chan- gent suivant les époques et les pays. Mais si le drame gît dans la passion et dans son développement, bien plus que dans les aventures plus ou moins ingénieuses des personnages, Beetho- ven est dramatique et essentiellement dramatique. Je ne sais pas, je ne veux pas savoir le sens précis des symphonies de Beethoven ; à part Y Héroïque et la Pastorale^ aucune n'a de pro- gramme et le maître lui-même a repoussé ceux qu'on lui attri- buait. Imitons-le et laissons comme lui la symphonie errer dans les champs sans limites de l'imagination pure. Le thème princi- pal de la symphonie en ut mineur, par exemple, si puissant dans sa brièveté, n'est-il pas à lui seul un personnage ou pour mieux dire une passion ? Quel que soit le sens que nous lui donnions, il nous émeut, nous entraîne, nous en suivons les péripéties, nous pleurons avec lui, quelque chose de notre âme s'attache à ces quelques notes; qu'elles disparaissent dans la profusion des thèmes incidents, nous les attendons avec anxiété, et lorsque dans la suite du développement, elles reviennent après mille accidents divers, nous les retrouvons avec intérêt. N'est-ce pas là le drame, le drame dans ce qu'il a de plus pur et de plus éthéré, où la passion n'est plus l'attribut particulier d'un masque de théâtre, mais l'expression de notre propre sentiment. Chacun de nous prête un sens à ce mystique personnage, suivant les dispositions de son esprit, mais une fois ce sens admis, c'est toujours delà même façon que sa puissance agit sur nous. Après avoir confié à l'orchestre seul ce rôle si important, Beethoven comprit qu'il avait parcouru dans la musique purement symphonique le cercle des émotions ' dramatiques qu'elle pouvait rendre ; les instruments ne lui suffi- sant plus, il y joignit les voix et de cette alliance naquit la neu- vième symphonie, colossal monument autour duquel errent encore les musiciens inquiets. Ici l'intention dramatique, je dirai même plus, scénique , n'est pas déguisée ; le drame se trouve à découvert dans cette immense composition, avec ses mouvements, ses formules mêmes. Depuis le récitatif instrumen- tal, jusqu'à la dernière note du final, la formidable kermesse allemande de Y Hymne à la Joie semble se dérouler dans un décor brossé par Rubens ou pour mieux dire par Jordaens (1). (1) Voir pour Beethoven, la beUe édition de Leipzig, L. v,an Beetkoven*8 i LA SYMPHONIE EN ALLEMAGNE. -307 C'est Mendelssohn qui recueillit en partie l'héritage sympho- nique de Beethoven. Il n'a ni la grandeur ni la majesté du géant de la symphonie, mais sa phrase mélodique est pleine de chaleur et de verve; son développement clair, bien que quelquefois un peu long, est plein d'élégance et d'imprévu, et dans son instrumentation l'auteur de la symphonie en la mineur introduisit des formules dont nous retrouvons les traces jusque dans les œuvres des com- positeurs les plus modernes. Sa manière de grouper les instru- ments à vent, d'en opposer les sonorités, lui appartient complète- ment. Nul mieux que Mendelssohn n'a su tirer parti des timbres fins et délicats du petit orchestre desbois. Écoutez l'ouverture et les entr'actes du Songed'une nuit d'été. C'est la fantaisie poétique dans tout ce qu'elle a de plus gracieux et de plus élégant; la mélodie vive et légère s'appuie sur une harmonie variée et riche, mais quelle couleur n'ajoute pas l'orchestre à ce rêve de musicien ? Ici ce sont les violons qui font scintiller ce chant,, comme brillent au soleil les ailes des insectes dorés, de légers pizzicati d'alto viennent comme interrompre ce vol incessant et gracieux; là c'est le scherzo, incomparable gaze musicale; dans cette page Mendelssohn a donné le plus parfa.it modèle de la manière dont il traite les instruments à vent. A proprement parler, il n'a rien ajouté à l'orchestre et, à part le trombone basse, dont l'emploi n'est pas nouveau, nous n'avons chez lui aucun instrument ex- traordinaire à signaler, mais ces combinaisons sont entièrement neuves et originales, l'art des rentrées heureuses, des oppositions de couleurs est porté par lui à sa perfection, c'est un ciseleur d'orchestre. Dans le scherzo dont nous parlons ce sont les flûtes, les clarinettes qui posent le thème ; une adorable rentrée de cla- rinettes en tierces le ramènent avec bonheur dans le groupe des cordes. Ces combinaisons d'un timbre spécial, et dont la pré- sence est un des signes caractéristiques du style de Mendelssohn se retrouvent à chaque page dans ses symphonies. Quoi de plus charmant, de plus langoureux que le nocturne chanté par les cors et les bassons sous une tenue de clarinette ? quoi de plus suave que la broderie dessinée par la flûte lorsque les mêmes instru- ments répètent le thème. Ces scherzi à trois-huit, sont dans werke^ YoUst^disclie... Ansgabe, Leipzig, Breitkopf und Hartel. Li-fol. r 308- HISTOIRE DE L^INSTRUMBNTATION. la musique instrumentale des innovations dont l'honneur doit revenir à Tauteur de la symphonie en la mineur. Le rhyth- me, la mélodie, la coupe, Tinstrumentation, tout est absolument moderne dans ces légères et^charmantes pages. Rien dans tout cela n'est comparable à la profonde pensée de Beethoven ; mais on ne peut écouter ces deux symphonies si vivantes et si colorées, sans donner, derrière le grand maître, le premier rang à ce Musset de l'orchestre. Les sérieuses études qui donnèrent au style instrumental de Mendelssohn tant de largeur et de fermeté, lui permirent d'a- border les autres sujets lyriques avec le même bonheur que la poésie de Shakespeare. L'ouverture d'Athaïte, avec son choral grandiose, les chœurs HAntigone, les oratorios de Paultis et d'Elïe, nous montrent l'orchestre du maître à un point de vue tout différent de celui du Songe d'une nuit étété et des symphonies. Ici le style acquiert plus d'élévation, et si nous n'y trouvons pa^ l'éclat exubérant et jeune dont rayonne la marche nuptiale, du moins pouvons -nous y admirer un sentiment plus grave et plus religieux. Dans l'histoire de la symphonie, malgré la distance qui sépare ces deux compositeurs, Mendelssohn vient tout naturellement faire suite à Beethoven. Mais il serait assez diflBicile d'expliquer les tendances nouvelles qu'on remarque chez Mendelssohn, si un grand maître qui a sa place marquée au premier rang daAS la musique dramatique, et dont nous étudierons les œuvres dans la suite de ce travail, n'avait apporté dans la musique les éléments d'un art nouveau qui, passant du théâtre au concert, contribua puissamment à jeter la symphonie dans la voie qu'elle parcourt depuis un demi-siècle à peu près. Je veux parler de Weber, le musicien de la nature. Nous verrons comment ce sentiment nou- veau, que les critiques ont appelé le naturalisme, se manifeste dans les œuvres instrumentales du maître; qu'il nous suffise en ce moment de constater sa présence, d'indiquer sa source, pour montrer par quels multiples liens le génie de Mendelssohn se rat tache à la grande famille des maîtres de l'art. Dans sa musique pittoresque l'auteur de la Grotte de Fingal, du Songe d'une nuit dété n'a pas compris la nature comme l'a- vait fait Beethoven. De son tableau se dégage, non pas la LA SYMPHONIE EN ALLEMAGNE. 309 peinture exacte des objets, non pas le sentiment que leur vue nous inspire, mais comme une espèce de poésie même de la na- ture; c'est, qu'on me passe le mot, de la nature surnaturelle. C'était Weber qui le premier avait créé en musique le fantasti- que et le surnaturel, c'était lui qui avait rendu par les sons ce sen- timent étrange et singulier qui, provenant de la nature elle-même, prend corps dans notre pensée sous forme de légende. Mendels- sohn le suivit dans cette voie, appropriant à son talent la poésie nouvelle que Weber avait apportée au théâtre ; il la traduisit dans la musique instrumentale. Après le Songe d'une nuit d^ètéy qui se rapproche plus de la symphonie que du drame, l'ouverture de la Grotte de Fingalest, à notre avis, celle des compositionsde Mendels- sohn qui doit le plus à cette nouvelle source d'inspiration. En décrivant par les instruments la grotte aux singulières réson- nances, le compositeur a cherché non pas à nous faire entendre une reproduction exacte du phénomène de la nature, ni même exprimer ce sentiment que nous éprouverions à la vue de la grotte, mais il a voulu évoquer comme le souvenir de ces voix mysté- rieuses qui s'exhalent de l'antre sonore habité par les fées, les dé- mons, les divinités de la nature. Écoutez cette exposition à rhyth- mes brisés, qui commence l'ouverture, pendant que, semblables à des soupirs lointains, les tenues d,e hautbois, clarinettes et vio- lons paraissent représenter « les chants éoliens des ombres finga- liennes ». Puis l'accompagnement obstiné des seconds violons simule le frémissement continu des vagues et du vent s'engouf- frant dans les colonnes de basalte disposées en buffet d'orgue. Lorsque le fond du tableau est ainsi dessiné d'une main ma- gistrale, le basson entame un chant, large, plein, poétique, c'est la voix- surnaturelle qui remplit de ses accents la grotte féerique. La description se mêle à la poésie, les traits descriptifs rendent plus frappants encore la partie fantastique de l'œuvre. Ici nous entendons les résonnances de ces pierres chantantes qui multi- plient le son par mille échos, là les murmures du vent, la colère de l'ouragan, les plaintes de la brise de mer ; mais ce qui domine avant tout dans cette belle page, c'est le sentiment surnaturel, et il semble qu'en peignant ainsi la grotte de Fingal, Mendels- sohn ait voulu décrire un des séjours préférés par les dieux de YEdda ou des Niehehmgen, 310 HISTOIRE DE l'INSTBUMENTATION. Après Mendelssohn l'antique symphonie s'altéra de pins en plus pour devenir dramatique, pittoresque, descriptive et même imitative. De nombreux maîtres allemands la cultivèrent avec gloire et parmi ceux-ci brille au premier rang Robert Schumann ; mais ici nous quittons le domaine de l'histoire pour entrer sur le terrain brûlant delà critique et delà discussion. Nous laissons aux historiens le soin de donner à Schumann sa véritable place, d'apprécier ce musicien plein d'imprévu, de charme, de poésie va- gue et délicieuse, mais qu'il nous soit permis seulement en ce qui regarde notre sujet, de constater que ses symphonies moins variées, moins riches en effets nouveaux que des compositions telles que Faust, telles que le Paradis et la Péri, ne présentent, sous le rapport de l'instrumentation, qu'un intérêt des plus mé- diocres. L'orchestre, dont les parties sont trop divisées, est sourd et terne; les couleurs instrumentales ne se font pas valoir entre elles; plaquées, on dirait presqu'au hasard, elles n'ont ni vivacité, ni variété ; bref les masses sonores dans l'instrumentation des symphonies de Schumann sont loin d'être disposées avec cette habileté qui distingue les grands maîtres allemands , et lorsque plus tard on aura rendu justice au talent de Schumann^ c'est comme poëte inspiré, comme harmoniste hardi et souvent heu- reux, mais non pas comme coloriste, qu'il prendra place parmi les grands compositeurs de l'école moderne. L'étude de la symphonie deptiis Haydn nous a forcément con- duits jusqu'à une époque assez rapprochée de nous, et pourex- poser son histoire, il était nécessaire de la continuer jusqu'au moment où l'ancienne symphonie fait place à un art nouveau. Nous la retrouverons en France avec Berlioz et Félicien David ; mais abandonnons la musique instrumentale pure, et reprenons l'histoire de l'instrumentation dramatique qui va entrer dans une ère nouvelle avec Gluck, Mozart, Beethoven, Weber, Ros- sini, Meyerbeer et toute l'école moderne, qui a su donner à l'or- chestre un rôle si important et dans l'action scénique et dans l'expression des passions humaines. CHAPITRE VIII. e GLUCK ET MOZART. — SYSTÈME INSTRUMENTAL DE GLUCK, SES PARTITIONS ITALIENNES ET FRANÇAISES. — ROLE DES INSTRUMENTS DANS LE DRAME MUSICAL. — LES OUVERTURES DE GLUCK. — RÉVOLUTION OPÉRÉE DANS L'ORCHESTRE PAR MOZART, SON INSTRUMENTA- TION, SES OUVERTURES. — INFLUENCE DE GLUCK ET DE MOZART SUR LA MUSIQUE MODERNE. Lorsqne Gluck accomplit dans la musique dramatique cette révolution qui devait ouvrir à notre art des horizons jusqu'alors inconnus il n'eut garde de laisser de côté Torchestre, ce puissant auxiliaire de l'expression, h^ reprenant après Rameau qui, déjà en homme de génie, avait indiqué les effets qu'on en pouvait tirer, il le lia plus intimement à l'action , porta sa puissance expressive à un degré qui n'a pas encore été surpassé, inventa la progression sojiore, augmentant en proportion de l'intérêt dramatique. Ce ne fut pas lui qui donna à l'orchestre sa forme définitive par la juste pondération des timbres, par l'égale répartition des forces instrumentales ; à Mozart devait appartenir cet honneur, mais à Gluck revient la gloire d'avoir fait aux instruments large part dans l'expression pathétique de la piusique. Son instrumenta- tion est d'une admirable justesse de sentiment, d'un coloris aussi varié que riche, et c'est par là qu'il est essentiellement moderne, mais son orchestre se rattache au passé par une certaine lourdeur et par l'emploi fréquent de formules qui ne tardent pas à en gendrer la monotonie. Cette lourdeur, un des défauts du style de Gluck, est due principalement à l'usage des instruments graves comme partie principale et à la marche embarrassée des basses. Le maître se sert rarement de tous les instruments réunis et, dans ce cas , il écrit généralement à quatre parties réelles, sans rechercher beaucoup les artifices de contre-point qui distinguaient 312 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION, le style de ses contemporains en Allemagne. Lorsqu'il n'emploie qu'une certaine partie des forces de l'orchestre, on trouve chez lui une combinaison de timbres dont nous avions déjà vu des exemples nombreux dans Bach et dans Eameau. Cette combinai- son consiste à ajouter au quatuor une partie d'instrument à vent comme hautbois, cor ou basson, suivant le caractère du morceau ; quelquefois cette combinaison est des plus heureuses, c'est ainsi que dans l'air de danse pour les esclaves dVphigéntè m Aulide, les sons moelleux du cor, soutenus par les pizzicati des cordes, sont d'un effet charmant. Autre part il associe aux violons deux instruments de môme famille, comme deux hautbois, ou deux cors ou un hautbois et un basson. Enfin on rencontre fréquem- ment chez lui le trio de deux hautbois et basson formant, pour ainsi dire, petit orchestre à part, à côté des cordes. Dans certains opéras comme Armideet Iphigénie en Auïide, c'est-à-dire, ceux d'une expression amoureuse ou tendre, on ne trouve^ni trom- pettes ni timbales. Gluck fit disparaître de l'orchestre de l'Opéra le clavecin, der- nier vestige de labasse continue. Dqjis Aïcesfe il fixa définitivement la place des trombones, qui avaient déjà fait, à la vérité, une ti- mide apparition dans Isménor de Rodolphe, la harpe dans Orphée, les cymbales, le triangle et la grosse caisse dans Iphigé- nie en Tauride. Ces instruments étaient nouveaux pour la France, mais ils avaient été entendus maintes fois en Italie. Nous avons vu Haendel se servir de la harpe et Gluck lui-même l'avait déjà employée deux fois en Allemagne dans Orfeo (1762) et dans Paride ed Elena (1769) où l'air magnifique de GUocchi, au 3® acte, est accompagné par les harpes. Quant aux trombones, on sait de reste quel rôle important ils remplissaient dans l'orchestre allemand depuis le xvi® siècle. Outre la part qu'ils prennent chez Gluck à l'action dramatique, les trombones, particulière- ment dans les partitions italiennes écrites suivant le système al- lemand, servent à doubler les voix des chœurs, absolument comme dans les chorals de Bach. Dans la partition italienne de Y Orfeo, ils sont écrits à quatre parties à l'unisson des voix, et le dessus est doublé par le cornetto d'après l'antique usage ; c'est, je crois, dans cet opéra que le vieux Zincke fit sa dernière appa- rition. La copie à! Orfeo que nous avons sous les yeux, la parti- j GLUCK ET MOZART. 318 tion i'Alceaie gravée à Vienne, indiquent par les mots passano 1, 2, ou passani colla parte, les parties de trombones; ce mot n'est autre chose que le vocable allemand Fosaune italianisé. Dans les partitions italiennes du maître on ne trouve pas de par- ties de clarinettes et dans les deux passages à'Orfeo et d'Alcèste où le mot chalamaus désigne peut-être ces. instruments, ils se contentent de doubler le hautbois. Dans les œuvres françaises, au contraire, la clarinette apparaît à chaque page, sans être ce- pendant mise complètement en valeur. Mais Gluck Tavait trouvée établie à Torchestre de TOpéra depuis 1770, il s*en servit pour adoucir le timbre du hautbois. C'est encore la clarinette qui rem- place le cor anglais dans la 2® scène du 1®' acte d'Orfeo. Les mu- siciens français ne connaissaient évidenmient pas le corno inglese, ou ne savaient pas en jouer, car Gluck ne Ta- jamais employé dans notre pays, quoiqu'il parût avoir des préférences pour cet instrument. Dans la première Alceste Tair de la Reine, au premier tableau, était interrompu par un duo de ses enfants Eumèle et Aspasie, et leur touchante prière empruntait à la douce sonorité de deux cors anglais, soutenus par un basson et doublant les voix, des accents pleins de charme et de poésie. Deux cors anglais étaient employés dans l'ouverture des Pèlerins de lu Mecque. Le cor anglais ne fut introduit à l'Opéra qu'en 1808, par Catel, dans le ballet d'Alexandre chez Apelle. Quelques diflPérences dans l'orchestration distinguent encore les partitions italiennes des françaises dans les morceaux que Gluck a conser- vés ; mais en marquer les miUe détails serait superflu (1). (1) PoTir cette courte étude comparée nous avons eu sous les yeux Orphée et Eurydice^ tragédie-opéra en 3 actes, partition gravée par M*"' Lubry ; deux beUes copies appartenant à la Bibliothèque Nationale, Tune, intitulée Orfeo ed Eurydiceyjesta teatraîe; l'autre : Orfeo ed Eurydice^ Azione teatrale, Alceste^ tra- gédie en trois actes, Paris, in-fol. Alceste, tragedia messa in musicay Tienna, deUa stamperia auUca G. T. de Trattem, 1769, in-fol. A propos des différentes éditions ou copies de l'œuvre de Gluck, nous ne pouvons mieux faire que de citer la beUe édition due à M"® FeUetan et à M. Bam- cke. Dans son culte pour l'auteur d'Orphée, Mue Pelletan n'a reculé devant aucun sacrifice, pour élever au grand maître un monument digne de lui, et ses éditions des deux Iphigénie, outre la beauté de l'édition typographique, offrent, pour la première fois, une correction de texte que l'on était loin de rencontrer dans les premières éditions. 314 HISTOIEB DE L'INSTRUMENTATION. Jusqu'ici nous n'avons considéré rinstrumentation de Gluck qu'au point de vue matériel , mais nous n'avons pas encore vu cet orchestre vivre et palpiter avec les personnages, exprimer les plus profondes douleurs de leur cœur, rendre les plus sublimes élans de leur âme ; à ceux qui prétendent que tout n'est que pro- cédé dans l'art de l'oçchestre , qui lui refusent l'initiative de l'in- vention et de l'imagination, qui ne considèrent l'instrument que conune l'auxiliaire delà voix, incapable d'émouvoir par lui-même, qui ne sentent le génie du maître que dans la mélodie dont leur oreille est superficiellement frappéee, à ceux-là qu'on fasse com- prendre, s'ils en sont capables, l'œuvre de Gluck et ils verront quelle prodigieuse puissance d'expression le compositeur peut prêter à l'orchestre. Plus que personne, il avait saisi la loi des contrastes si féconde en effets puissants et inattendus. Au sujet de l'instrumentation de l'air d'Achille, au 8® acte à^Iphigénie enAulide, Gluck explique lui-même les causes du succès de cet air, dont la valeur mélodique est en résumé assez médiocre et qui cependant semblait toujours vivement frapper le public. « Dans ce € morceau toute ma magie consiste dans la nature du chant qui « précède et dans le choix des instruments qui l'accompagnent. « Vous n'entendez depuis longtemps que les tendres regrets d'I- « phigénie et ses adieux à Achille; les flûtes et le son lugubre des « cors y jouent le plus grand rôle. Ce n'est pas merveille si vos « oreilles reposées, frappées subitement du son aigu de tous les «instruments militaires réunis, vous causent un mouvement. « extraordinaire, mouvement qu'il était à la vérité de mon de- ce voir de vous faire éprouver, mais qui cependant ne tire pas « moins sa force d'un eflPet purement physique (1). » Meyer- beer obéissait à un sentiment analogue, lorsque, après avoir laissé l'action se développer dans l'ombre pendant tout \^ 3® acte des ffitgicenots, il éclairait subitement la scène par le son écla- tant des brillantes fanfares de la noce. M. A. Thomas, dans ffam- Uty n'a pas non plus négligé cet heureux contraste, et la scène de l'esplanade avec son orchestre lugubre et, pour ainsi dire, fris- sonnant, emprunte encore une partie de sa beauté au voisi- nage de la scène joyeuse à laquelle nous avons assisté dans le (1) Journal de Paris, 21 ^oût 1788, GLUCK ET MOZART. 315 palais du roi de' Danemark. Souvent, chez Gluck, Forchestre entier entre en scène et fait pour ainsi dire partie de la pensée musicale. Lorsque Alceste tremblante, éperdue, arrive aux portes des enfers, les longs murmures de Vorchestre, les cris rauques des oiseaux de nuit, frappent la malheureuse reine de terreur, le chœur des ombres, soutenu par les lugubres accords de l'orchestre, tout contribue à faire de cette page un merveilleux tableau. Dans ce morceau Gluck n'a pas craint de jeter quelques traits de mu- sique descriptive sur l'ensemble. Cependant nous devons dire que l'orchestre de Gluck si puissant et si coloré est rarement imi- tatif. Une seule fois dans le 3* acte des Pèlerins de la Mecque le maître s'est livré au style descriptif^ et encore semble-t-il avoir voulu railler la mode de l'imitation musicale, plutôt que peindre avec les sons le bruit de la bataille, le fracas du torrent qui bondit furieux de rochers en rochers, le doux murmure du ruisselet lais- sant mollement courir ses ondes entre les rives fleuries de la prairie. C'est encore l'orchestre qui contuibue à augmenter l'expres- sion de l'étonnant récitatif d'Alceste : « Où suis-je ? » Hésitant d'abord, il devient à chaque mesure plus pressant et plus palpi- tant, les syncopes se succèdent jusqu'à l'explosion d'amour et de passion qui termine cet admirable récitatif. C'est cette espèce de progression dans l'expression instrumentale que Gluck a le premier employée avec génie. Le plus bel exemple de ce genre est la scène du temple dans Akeste. Avec les prêtresses d'Apollon l'orchestre est simple et grandiose, mais le dietl va parler, le saint trépied s'agite; semblable au Joad de Eacine, le grand prêtre annonce les volontés divines. A sa voix les trompettes sacrées retentissent. Alors commence la prophétie. Troublé d'abord, comme par le délire fatidique, l'orchestre s'annonce par les arpèges des cordes, les fré- missements du trémolo l'agitent tout entier, le dieu s'approche, il vient, le voilà : ce dieu n'est point le dieu clément, il porte la mort avec lui, et son fatal oracle doit livrer une victime aux divi- nités infernales. La terrible entrée des cuivres sur les instruments à cordes marque le dénoûment du drame, jusqu'au moment où le dieu lui-même prenant la parole-, le quatuor des trombones lui prête la majesté et la sombre grandeur de ses larges accords. Toute cette scène instrumentale, merveilleusement développée sur le récitatif et sur une seule idée mélodique, cet art de dramatiser 316 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. rorchestre^ de le faire entrer en scène comme un personnage par une habile progression, est nne des pins belles conquêtes de la musique moderne et le premier, Gluck a su atteindre à ce degré de perfection. Non-seulement Gluck a fait jouer aux masses de l'orchestre un rôle dans l'action dramatique, mais aucun maître n'a eu plus que lui le sentiment juste de la force expressive du timbre de chaque instrument. Il ne les a pas tous employés avec bon- heur, mais quelques-uns, comme le hautbois, la flûte, le trombone, ont trouvé dans ses œuvres d'admirables accents. Chez Gluck, le hautbois n'est pas l'instrument gai ou pastoral. C'est le timbre triste , plaintif et douloureux de l'instrument qui semble avoir touché particulièrement ce compositeur. C'est par lui qu'il des- sine le trait incisif de l'expression, qu'il rend les sanglots de l'amour paternel ou filial. Qu'Agamemnon entende retentir dans son cœur « le cri plaintif de la nature », les hautbois, répondant aux bassons, paraissent représenter l'âme même du malheureux père dans ce terrible combat du devoir contre la tendresse. Si le souverir de ses enfants vient attendrir Alceste au moment d'ac- complir son sublime sacrifice, ce seront encore les hautbois qui exprimeront la douleur de la pauvre mère. Plus loin, Iphigénie, troublée par un rêve fatal, dépeint ses aflfreuses angoisses, et là les dissonnances du hautbois et de la clarinette traduisent les sentiments les plus intimes de la jeune Grecque. Ces exemples fourmillent dans l'œuvré de Gluck, et pour l'expression pathétique le hautbois tient souvent une place qui serait remplie aujour- ' d'hui par la clarinette. La flûte ne fut pas moins bien partagée et elle fom^nit à Gluck une des plus belles teintes de sa riche pa- . lette instrumentale. Qu'il veuille donner à son orchestre quelque chose de sauvage et de rude, comme dans la danse des Scythes, les traits stridents de la petite flûte domineront la masse sonore, et sembleront les cris sauvages de cette horde en délire. Mais qu'il nous conduise aux jardins enchantés d'Armide, qu'il nous peigne les doux plaisirs des Champs Élysées où errent les âmes bienhem*euses, alors la flûte prendra des sons cristallins et comme nacrés ; son timbre pur et limpide, marié aux voix, prêtera à la mélodie et à l'orchestre des teintes pour ainsi dire diaphanes, quelque chose de transparent d'une indéfinissable grâce. Meyer- GLUCK ET MOZART. 317 béer, au 4® acte de V Africaine, s'est inspiré du soutenir de Gluck. Lorsque Vasco aborde sur la terre inconnue, lorsque, frappé d'admiration, il regarde avec surprise les objets nouveaux qui l'entourent, les batteries précipitées de la flûte semblent rendre les miroitements de l'air tamisé par les chauds rayons d'un soleil sans nuages. C'était peut-être encore à la marche à'Alc^ste que pensait le maître allemand lorsque dans le songe de Jean de Leyde, il fit chanter pari a flûte, dans l'octave grave, la mélodie triomphale qui annonce les brillantes destinées du jeune paysan. Beaucoup de compositeurs avaient, avant Gluck, employé le trombone, mais aucun n'avait su véritablement tirer parti de son timbre si beau et si puissant. Gluck le premier comprit de quel se- cours pouvait être pour le musicien cette voix tantôt majes- tueuse et grave comme une invocation religieuse, tantôt terrible et stridente comme les cris des divinités infernales. Nous avons remarqué que les trombones entraient dans son système d'orches- tration des chœurs à la manière de Bach, mais nous ne les avons pas entendus encore jeter dans l'orchestre leur note sombre et terrible. C'est, à mon avis, dans Alceste que Gluck a fait du trom- bone le plus merveilleux emploi. Au temple il a pour ainsi dire deux caractères différents : d'abord, tombant de toute la puis- sance de sa sonorité sur la masse de l'orchestre, au moment où la progression si magnifiquement préparée arrive à son pa- roxysme, c'est lui qui annonce du dieu la puissance euprême ; puis, lorsqu'aux Grecs courbés par la terreur Comme au souffle du nord un peuple de loscaus, l'inexorable Apollon annonce lui-même sa volonté, ce sont les larges et majestueux accords des quatre trombones qui soutien- nent la voix divine; c'est un dieu qui parle sans colère et sans passion : il lit la terrible page du livre d'airain dii destin et, calmes et solennels, les trombones scandent mot pour mot la prédiction de l'infaillible héraut de la mort. On sait, et on l'a répété assez souvent, quelle impression avait été produite par cette scène sur le 318 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. génie de Mozart, puisqu'il Ta copiée presque textuellement dans don Juan. Dans Fair de < Divinités du Styx ]» comme dans la scène du Tartare, le trombone a mission de faire retentir aux oreilles de la malheureuse reine éperdue les cris sauvages des dieux in- fernaux, avides de saisir la proie qui leur est promise. Les cors partagent avec les trombones cette terrible besogne. Berlioz a raconté, comme il saitlefidre, de quelle façon Gluck était arrivé à rendre le sombre et morne appel du nocher des enfers, il a dit quels artifices il avait âillu employer pour rendre l'idée long- temps cherchée par le compositeur, nous ne reviendrons pas avec lui sur ce sujet. Lorsque dans Orphée, dans Iphtgénie en Tauride, nous entendons de nouveau les trombones, c'est pour annoncer la présence des esprits infernaux; là aussi ces instruments sont admirables par le coloris et la puissance dramatique, mais nulle part Gluck n'a comme dans Alceste tiré un plus beau parti des ressources du trombone. Le maître semble avoir moins magnifiquement doté les instru- ments à cordes, cependant devons-nous négliger de citer le su- perbe mouvement des violons dans la scène du temple d'Âkesie, le chœur triomphal à'Iphigénie en Aulide, dans lequel ces instru- ments, rhythmantpar accords plaqués les temps forts de la mesure, donnent à la mélodie chantée par les voix et les instruments à vent une incroyable vigueur ? Enfin n'est-ce pas à Gluck que nous devons le passage si vanté et tant de fois imité d'Iphigénie en Tauride : « Le calme est rentré dans mon âme », dans lequel le frémissement dur et rauque de l'alto rend si bien les tortures de l'âme d'Oreste, lorsque le fils d'Agamemnon, accablé de tant de souffrances, prend pour un instant de repos ce sommeil agité dont les Euménides vont profiter pour rendre plus terrible encore le châtiment du parricide ? L'école qui a suivi Gluck a montré pour l'alto des préférences marquées , au point que Méhul lui a confié, dans Uthaï, la première place dans l'orchestre. L'abus de l'alto a contribué en quelque chose à donner à l'orchestre des maîtres du commencement de ce siècle une certaine lourdeur, mais son emploi dans la scène que nous avons citée n'en est pas moins un des plus puissants effets d'instrumentation drama- tique. Une des plus belles conquêtes de Gluck dans le domaine ins- GLUCK ET MOZAET. 319 trumental est Touverture. Ni Lulli, ni Bach, ni Haendel n'a- vaient fait de véritable ouverture. La préface qui précédait un opéra avait subi peu de changements depuis le maître florentin, c'était toujours l'ouverture à deux mouvements. Elle était plus destinée à obtenir le silence nécessaire à l'audition de l'œuvre, qu'à faire véritablement partie de la composition elle-même. En Italie on avait été plus loin, et sans même se donner la peine de composer d'ouverture les musiciens s'étaient souvent contentés de prendre quelques ouvertures de Lulli, qui suffisaient largement aux nécessités de la consommation et qui s'appliquaient sans distinction à n'importe quel opéra. On sait de quelle nullité sont les ouvertures de Bach et de Haendel ; Rameau seul avait été le premier dans Nais et dans Acante et Céphise à faire une ouverture, variée dans ses formes, développée, et qui était une sorte de résumé de l'opéra, mais malgré le génie du maître bourguignon', l'ouverture n'était encore qu'à l'état d'ébauche. En arrivant en France, Gluck apporta sur cette partie si inté- ressante d'une œuvre lyrique dos idées nouvelles. « J'ai imaginé, « écrivait-il, que l'ouverture devait prévenir les spectateurs « de Taction qu'on allait mettre sous leurs yeux et leur indi- « quer le sujet. » Cette dernière phrase est de trop, car « indi- quer le sujet 3) d'un opéra est une chose impossible à la musique instrumentale ; mais dans les deux Iphigénie Gluck remplit admi- rablement la première partie de son programme. Toutes deux se relient intimement à l'action, toutes deux ne sont pour ainsi dire que des introductions au drame et ne se terminent qu'à l'entrée du premier chœur et lorsque la toile est levée. On sait que l'ou- vertiure à' Iphigénie en Aulide fut empruntée' par Gluck à celle de TekmacOy mais la phrase ^ur laquelle il appuie, son dé- veloppement symphonique est d'un caractère qui répond à mer- veille au sentiment qui règne dans l'œuvre tout entière. Il en est de même aussi de l'ouverture éFAlcestey trop longue et un peu diffuse , mais empreinte d'une désolation qui prépare l'au- diteur aux émotions qu'il éprouvera en face des malheurs de la reine. Avec l'ouverture descriptive ou pour mieux dire, l'in- troduction à^IpMgénie en Tauride, Gluck écrivit un épisode faisant partie du drame lui-même et la tempête qu'il a peinte dans ce morceau n'est autre que celle qui doit jeter les deux 820 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. amis sur la côte inhospitalière. Le maître^ dans cette page, n'a pas indiqué le sujet de la pièce, il a encore moins suivi les pé- ripéties du drame, mais il a fait de sa préface instrumentale une des scènes de sa tragédie. Dans ces trois ouvertures d^Alceste et des deux Tphigénie, Gluck avait créé toute une esthétique nou- velle, qui ne tarda pas, avec Mozart, Cherubini, Vogel, Beetho- ven, etc., à prendre dans Fart une place importante. Nous re- viendrons sur l'ouverture, cette symphonie du drame, lorsque nous aurons vu passer sous nos yeux les plus belles compositions de ce genre, et nous ne manquerons pas d'indiquer les change- ments que les compositeurs feront subir à ces sortes d'oeuvres qui, esquissées d'abord par Gluck, atteignirent leur perfection dans les œuvres de Mozart, Beethoven et Weber. c Malheur à qui me jugera sur ces bagatelles ! 3> a dit Mozart en parlant de ses œuvres de jeunesse, de ces lieder, de ces contre- danses, de ces compositions improvisées pour des éditeurs avides, pour des virtuoses en quête de succès, depuis des concertos de trompette, jusqu'à des pièces pour montre à carillon, de ces nom- breuses pages qu'il a écrites pour des amis auxquels ils faisait la charité des miettes de son génie. Malheur, trois fois malheur au critique qui ne se souviendra pas que Mozart était pauvre, qu'il avait à soutenir une femme et des enfants et qu'il est mort à trente-sept ans, laissant un nombre d'œuvres qui étonnerait en- core, si elles étaient sorties de la plume d'un homme auquel Dieu aurait dispensé les années d'une main généreuse! Écoutons les paroles du maître, laissons de côté, dans une étude du genre de celle-ci, les œuvres de sa jeunesse et celles qui, écrites d'une plume hâtive, feraient encore honneur à plus d'un musicien, mais qui sont indignes du nom de Mozïfft, et arrêtons-nous seulement sur les opéras qu'il a composés dans la force de l'âge, au moment où, à l'apogée de son génie, il créait Idommeo, le Nozzû di Figaro, Cosi fan iutie, il Flauto magico. De tous les musiciens, Mozart est celui qui avait reçu les dons les plus merveilleux : doué d'un prodigieux génie d'assimilation, il avait appris dès l'enfance ce qui pour les autres est l'objet d'une longue et pénible étude, et plus tard, lorsque, ses études complètement terminées, l'art n'eut plus de secrets pour lui, il sut par la puissance de son génie introduii*e dans l'orchestre des GLUCK ET MOZART. 321 formes nouvelles ; aussi devons-nous considérer Torchestration de Mozart au théâtre comme tout à fait originale; cependant cet orchestre, qu'il sut porter à un si haut degré de perfection , il le prit des mains de ses prédécesseurs comme un héritage, dont il doubla la valeur. Nous l'avons déjà vu, dans la symphonie, pro- fitant des chefs-d'œuvre d'Haydn, au point de devenir plus tard le maître de celui dont il avait été l'élève. Au théâtre, Mozart reprit l'orchestre que les Italiens, peu sou- cieux de sonorité, mais jaloux de mettre la voix humaine en va- leur, avaient su former ; il lui donna la vigueur et la solidité qui lui manquaient en le virilisant, pour ainsi dire, au contact de l'orchestre allemand. Arrivé au moment où son génie se dévelop- pait dans toute sa puissance , il connut les œuvres de Gluck, et comprenant alors la force expansive de l'orchestre, il dramatisa davantage son instrumentation, assouplie déjà par la pratique du style symphonique. Il sut le premier mettre la clarinette en relief, et tirer parti de son admirable timbre, autant pour augmenter la puissance de l'expression instrumentale, que pour donner plus de cohésion au groupe des bois. Rameau, Gluck, quelques compositeurs italiens s'en étaient servi avant lui, ou en même temps, mais tous avaient méconnu l'instrument. Dans ses symphonies, Mozart ne l'em- ploya réellement que vers la fin de sa carrière, mais au théâtre et dans les pièces vocales, il en fit usage chaque fois que les orches- tres qu'il avait à sa disposition lui offraient des clarinettistes suffisants. Cependant il en ménageait les effets et ne la faisait intervenir ^ qu'avec prudence et lorsque la situation l'exigeait. Beaucoup de morceaux dans ses opéras sont écrits sans clarinet- tes, comme le chœur des villageois de Don Juan^ l'air du Catalogue, le (( La ci darem ». Pour l'expression, Mozart tira un merveilleux parti du caractère mélancolique et suppliant de l'instrument, et les rehauts de clarinette en chromatiques sur la prière de Lepo- rello, dans le sextuor de Bon Juan^ sont d'un effet à la fois comique et touchant. Quel charme et quelle tendresse la clarinette donne à la ritournelle de « Voi che sapete » desiVlo^^e .' Ce maître est, avec Weber, celui qui le mieux connut la beauté de cet admirable instrument si riche, si souple, si étendu. Non content des res- sources que lui créait la clarinette, Mozart voulut les augmenter 21 i 822 HISTOIRE DE L*INSTRUMBNTATIOK. encore an moyen du cor de basset. Le timbre grave et doux à la fois de cet instrument convenait aux compositions religieuses et aux marches de prêtres. Tantôt, il les employait parpaires, comme xfttns le Requiem, dans la marche des prêtres de la Flûte enchantée, tantôt il relevait la mélodie vocale par un solo de cor de basset. Dans la marche et le chœur des prêtres, dans la marche pour la mort d'un franc-maçon, le cor de basset donne à l'orchestre quelque chose de sacerdotal et de hiératique; dans la Clémence de Titus l'instrument est mélancolique et doux, et ajoute à l'expres- sion mélodique une couleur charmante. Mozart avait pour le cor de basset un amour tout particulier et le beau catalogue de Kôchel (1) contient un très-grand nombre de morceaux dans les- quels cet instrument joue un rôle important. Dans les pièces vo- cales, dans les lieder, on le rencontre fréquemment ; un trio de 1780 « Luci care i» deux de 1783 « Ecco quel fiero istante, i> et le célèbre « due Pupille amabili t> ont pour accompagnement trois cors de basset. Deux autres de la même année . GLUCK ET MOZABT. 323 seule fois dans le chœur de Tinvocation de Is, flûte enchantée, il s'en sert à la manière de Bacli, à quatre parties à Tunisson des voix pour donner plus de majesté à la masse chorale. Lorsqu'ils sont mêlés à l'orchestre, ils sont plaqués sur les instruments par paquets d'accords à quatre parties. Le récitatif du commandeur, dans la scène du cimetière, prouve jusqu'à quel point Mozart avait été frappé de l'effet produit par les trombones de l'oracle i^AÎ- ceste. Déjà dans Idoménée l'oracle de Neptune, avec accompagne- ment de trois trombones et deux cors, derrière la coulisse était une réminiscence de Gluck, mais, dans Don Juan, l'imitation est encore plus évidente : non-seulement la disposition des instru- ments, mais même l'harmonie, rappelle le prodigieux passage d^Alceste. Les trombones qui accompagnent l'entrée du com- mandeur dans le final ont été l'objet d'une longue controverse, on prétend qu'ils ont été ajoutés par Sussmayer, et le célèbre Gotfried Weber avait déjà soulevé cette question qui avait porté la guerre dans le monde musical allemand, lorsqu'une nouvelle édition de Don Jtmn, publiée à Breslau en 1869, par M. B. 6u- gler, d'après le beau manuscrit autographe appartenant à M™° Viardot, est venue rallumer ces cendres mal éteintes. Au résumé <ï Adhùc 8ub judice lis est. D et nous ne sommes pas juge du procès ; tout ce que npus pouvons dire, c'est que dans le cas où Sussmayer aurait ajouté les sus- dits trombones, ce serait peut-être la seule fois où un arrangeur •n'aurait pas nui à l'œuvre primitive (1). Mozart écrivit aussi pour quelques instruments qui ne font pas pa»rtie de son système d'orchestre. Dans ce nombre, il faut citer la flûte tierce de V Enlèvement au Sérail, l'harmonica, pour lequel Mozart composa un adagio, destiné à une virtuose qui faisait à cette époque fureur en Allemagne (2), le Glockenspiel ou timbre à clavier, que l'air de Papageno a rendu célèbre et enfin la mando- line, qui enveloppe d'une dentelle merveilleuse de finesse la sé- (1) Voir sur cette question deux esceUents articles de M. Octave Fouque dans la Revue et Gazette musicale de Paris, W et 16 février 1874. (2) Voyez Kochel. 324 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. rénade de Don Juan. Deux lieder cités par Kôchel « Was frag- iûh 3> et « Komm, lieber Zither'i^ (1780) ont aussi nn accom- pagnement de mandoline. Enfin la grosse caisse, le fifre, le trian- gle, les cymbales, la tnrquerie en un mot, contribuent à donner à l'ouverture de V Enlèvement au Sérail la couleur exigée par le sujet. C'est la seule fois que Mozart a eu recours à ces engins plus bruyants que musicaux. . C'est avec Mozart que l'instrumentation arrive à sa perfection. Le manuscrit que possède M"® Viardot nous montre par quels procédés matériels le maître établissait son orchestre. Les cordes écrites dans les portées supérieures à part la basse qui occupe les parties inférieures, les voix placées immédiatement au-dessus des basses, sont de la même encre, comme si la pensée du com- positeur était sortie toute moulée dans le quatuor et le chant; puis, sur ce fond dessiné d'une main ferme, Mozart a semé les instruments à vent, suivant les besoins de l'expression ou du co- loris. Ce système répond au genre d'instrumentation dont Mozart le premier posa définitivement les bases. A moins de chercher un effet spécial, c'est aux violons que Mozart confie la masse har- monique et mélodique, chargeant les instruments à vent de pré- parer les rentrées, de reprendre dans l'ensemble les phrases des- sinées dans le quatuor, établissant ainsi le grand et le petit orchestre, division que nous avons conservée jusqu'à nos jours et qui donne à l'instrumentation une si merveilleuse clarté. Nous devons ajouter cependant que Içs maîtres modernes, tout en di- visant l'orchestre en deux masses, ont apporté une modification qui eut une grande influence sur le style instrumental. Mozart, comme Haydn, comme Beethoven, comme tous les grands com- positeurs, issus à différents degrés de l'école de Bach, variait à l'infini le mouvement des parties, donnant ainsi à l'orchestre un grand intérêt, lui enlevait quelque peu de son éclat. A partir de Rossini et de Meyerbeer, on diminue* le nombre des parties réelles, et en se contentant de redoubler le quatuor au moyen des instruments à vent, on obtient une sonorité plus brillante. Nous ne pouvons omettre les trois orchestres du finale du V^ acte de Don Juan. On sait que dans ce chef-d'œuvre, le premier de tous les grands finoUy Mozart, pour donner plus de mouvement à cette scène, a eu l'idée d'introduire sur la scène deux orchestres, GLUCK ET MOZART. 325 dont l'un joue une contredanse à 2/4, tandis que l'autre, après s'être préalablement accordé, exécute une charmante petite valse en 3/8, sans pour cela que Torchestre principal interrompe son menuet. Les rentrées des bois par deux ou par quatre, si rares chez Gluck, sont très-nombreuses chez Mozart ; je n'en veux pour exemple que l'adorable scène du balcon de Don Juauy dans la- quelle la mélodie dessinée par> les violons, est si finement ra- menée par les hautbois, clarinettes et bassons ; dans l'allégro en rè de l'ouverture, on retrouve le même mode d'instrumentation. Quelquefois Mozart confie aux instruments à vent seuls un rôle important. Les six mesures majestueuses de ritournelle qui pré- cèdent la marche des prêtres dans la Flûte enchaniééy sont jouées par les trompettes, cors de basset, flûte, hautbois, basson et les trois trombones. Ce sont encore les instruments à vent sans vio- lons, qui donnent au trio des génies (même opéra) tant de légèreté et de grâce. Enfin, comme si l'auteur avait voulu rappeler les an- ciennes sérénades allemandes qui se chantaient aux repas, c'est avec les hautbois, les clarinettes, les bassons, les cors, tout le petit orchestre moins les flûtes, qu'il écrit l'air de danse qu'in- terrompra le pas de pierre du commandeur. Dans la prière de la Flûte enchantée au contraire l'orchestration curieuse consiste en violes , violoncelles , basson et trombone. L'orchestre dramatique de Mozart n'est peut-être pas des plus éclatants ; il n'a ni la profondeur de celui de Beethoven, ni la poésie romantique, ni la puissance de Weber, et de Meyerbeer, ni le hrio italien de celui de Rossihi; cependant il en est peu qui soit plus approprié à l'effet scénique. C'est lui qui souvent complète l'idée que le compositeur n'a pas fait exprimer par les chanteurs. Dans les Nozze, où le sujet même obligeait à employer un grand nombre de récitatifs, l'orchestre est d une étonnante variété d'expression. Mais, en revanche, avec quel merveilleux sentiment de la situation Mozart sait le faire taire, lorsque la première place appartient au personnage ! Au moment oùles trois conjurés de Don Juan vont entrer dans la demeure du maudit, au moment où ils exhalent leur colère dans une dernière invocation au dieu vengeur, Mozart se garde bien de donner à l'orchestre un rôle qui en cet instant serait déplacé. Pour les scènes importantes comme le \ 826 HISTOIBE DE L'INSTRUMENTATION. finale et le sextuor dn même opéra^ une des pages les pins par- faites de toute la musique dramatique^ la progression sonore est marquée avec une habileté étonnante. On a pu faire plus grand, on n'a jamais fait plus juste. Pour Taccompagnement des voix, les formules de Mozart sont variées à l'infini depuis l'unisson jusqu'au style fdgué, depuis la fusée instrumentale, s*élançant du grave à l'aigu, jusqu'aux sim- ples arpèges. Fidèle aux traditions italiennes, quelque fût le dé- ploiement des forces instrumentales, Mozart savait toujours res- pecter les voix, sans les couvrir ou les écraser par l'orchestre. Mozart nous a montré jusqu'à quel point il était soucieux des détails d'instrumentation qui complètent la pensée du composi- teur et doublent l'expression. Écrivant à son père au sujet de VEnUvement au Sérail, il disait : « Pour ce qui est de l'air de « Belmont : me imffstlich, o wisfeurig ! le battement du cœur est « indiqué par la marche des violons en octaves. C'est l'air favori de « tous ceux qui l'ont entendu; c'est le mien aussi, il est écrit par- a faitement pour la voixd'Adamberger. On voit le tremblement, « l'incertitude ; on voit la poitrine qui se gonfle et se soulève avec dc le crescendo; on entend les soupirs et les murmures dans les pre- ff miers violons qui jouent avec la sourdine et la flûte qui chante « à l'unisson (1). » Quelle adorable grâce n'ajoute pas au « Batti, batti 3) l'accompagnement du violoncelle obligé brodant ses ri- ches variations sur l'inimitable mélodie ! Mais, lorsque la câline est sûre de la victoire, comme le violoùcelle joyeux et pimpant s'é- lance avec elle. Les instruments ne sont pas moins expressife lorsque les palpitations du petit orchestre marquent les battements du cœur de la coquette. Du reste Mozart n'a usé qu'avec beau- coup de modération du style descriptif et la Flûte enchantée est de toutes ses partitions celle dans laquelle il a le plus cherché le genre imitatif. Quelques traits d'une merveilleuse concision lui suflSsent pour peindre, en peu de mesures, le tableau où il veut placer ses personnages, qu'il fasse flamboyer les épées du comman- deur et de don Juan aux rayons de la lune, ou qu'il soulève les flots prêts à engloutir les compagnons d'idoménée. Plus loin (1) Mozart, Vie éPun artiste chrétien au XVI Ih siècle^ Extr. de sa correspou- (Jance par Gkjschlerj Paris, Doùniol, 1857, In-12, p. 283, GLUCK ET MOZART. 827 c'est dona Anna jurant de venger son honneur outragé ; les flûtes, les hautbois, les bassons non tempérés par les clarinettes, donnent une prodigieuse vigueur au terrible serment. Quelquefois même des oppositions de couleurs étaient pour Mozart l'occasion d'effets saisissants. Écoutez la scène entre don Juan et le commandeur ; le drame existe non-seulement sur la scène, mais encore à l'orchestre. Lorsque c'est la statue, inexorable agent du dieu justicier, qui parle, toutes les forces de l'orchestre sont déchaînées ; lorsque don Juan, fier encore, Taincu, mais non dompté, résiste dans une dernière lutte, l'orchestre est comme écrasé sous le'poids de pierre de la statue; il n'est pas jusqu'au pauvre Leporello qui, trem- blant, éperdu, ne trouve dans les syncopes des violons un écho à sa frayeur. Mozart développa l'ouverture dont Gluck avait déjà indiqué l'importance et le rôle. R. Wagner a très-bien défini le caractère de l'ouverture de Mozart, lorsqu'elle se rapporte au drame et en est pour ainsi dire le résumé : « Après Gluck, ce fat Mozart qui « donna à l'ouverture sa véritable signification, sans s'efforcer « péniblement d'exprimer ce que la musique ne peut et ne doit « jamais expliquer, à savoir les détails et les développements « de l'action elle-même; il saisit avec ce coup d'oeil du véritable « poëte la pensée principale du drame ; il la dépouilla de tout a détail incident et secondaire, par rapport à l'action principale, « pour faire de cette pensée une création musicale claire. Il en d exprime la passion par l'hlarmonie, en fait parfaitement com<* « prendre les idées par l'art des contrastes, et par cela même n expose d'une manière claire et nette toute l'action dramatique. « D'autre part il en résulte un morceau d'harmonie tout à fait oc indépendant, bien qu'il se rapproche par sa forme extérieure de « la première scène de l'opéra (1). » C'est en effet sur ce plan que Mozart établit les ouvertures de Don Juan et du Mariage de Fi- garo, à'Idoménée et de la Clémence de Tittis. On pourrait aussi considérer la préface instrumentale de Y Enlèvement au sérail, comme se rapportant à l'action par la grâce toute aimable et la (1) V. Guy de Charnaoé, Musique et Musiciens; Paris, 1873, in-12, 2« yo- lume. Fragments critiques de M. R. Wagner, traduits et annotés, p. 65. M. Wag- ner, à l'époque de son premier séjour à Paris a écrit sur l'ouverture des arti- cles remarquables dans la Gazette musicale de janvier 1841. 328 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. ooiileiir de rinstrnmentatioii^ mais il n'en est pas de même de la Flûie enchantée. Ici le maître, Yonlant ponr ainsi dire jeter nn regard en arrière, et donner un dernier modèle de œs anciennes ouvertures italiennes et allemandes à trois mouvements et à thème contrepointé qui avaient servi et servaient encore de pré- faces à tant d'opéras, s'est plu à montrer sous toutes ses for- mes, à parer de toutes les richesses de l'instrumentation et de rharmonie , le thème mélodique qu'il avait choisi. De ce mer- veilleux travail de ciselure , il est résulté une des plus parfaites compositions instrumentales que jamais esprit humain ait pro- duites ; mais il n'est personne qui puisse établir le moindre rap- prochement entre l'ouverture et la féerie grotesque sur laquelle Mozart a jeté à pleines mains les plus précieux trésors de sa pro- digieuse imagination. On a réclamé pour Clementi la paternité du sujet allegro de fiigue sur lequel se développe l'ouverture de la Flûte enchantée ; rendons à César ce qui lui appartient, serait-ce un as ; mais, puisque Clementi avait si bien commencé, qui l'em- pêchait de continuer, qui l'empêchait d'écrire l'ouverture toute entière et d'illustrer à jamais son nom en laissant ainsi à la pos- térité une page digne des plus grands maîtres ? Avec Gluck, avec Mozart, nous sommes entrés définitivement dans l'ère de la musique dramatique moderne. L'un, poussant jusqu'à la perfection la déclamation notée, laisse d'étemels mo- dèles du grand style et de la vérité d'expression; l'autre, le pre- mier des romantiques, agrandit les proportions réelles de l'opéra, conçoit, développe et définit tout un caractère dans le drame, ou dans la comédie musicale. Gliick avait créé la progression instru- mentale. Mozart perfectionna encore cette forme, et donna ainsi naissance à ces prodigieux effets de progression, conquête de l'art moderne qui commencent au premier finale de Don Juan, pour finir au finale du second acte djè,\ Africaine, C'est à lui plus qu'à Gliick que l'instrumentation dramatique est redevable de ses progrès'; mais il ne faut pas oublier que dans les œuvres de l'auteur SAl- eeste, Mozart avait trouvé plus d'un modèle dont son génie sut profiter. En un mdt, pour l'historien qui a étudié de près Gluck et Mozart, il devient possible sinon facile d'expliquer les éton- nants progrès qu'une pléiade de grands hommes a fait faire à l'ins- trumentation dramatique depuis le commencement de ce siècle. CHAPITRE IX. L'ORCHESTRE EN FRANCE DEPUIS RAMEAU JUSQU'A ROS- SINI.— LA MUSIQUE LITTÉRAIRE. — GRÉTRY MONSIGNY, DALAYRAC, NICOLO ET LEUR ORCHESTRE. — LA SUITE DE RAMEAU : PHILIDOR ET GOSSEC. — LA SUITE DE GLUCK ET DE MOZART : SALIERI, SACCHINI, CHERUBINI, MÉHUL, LESUEUR, CATEL, SPONTINI, BERTON, BOIEL- DIEU. « € Plus d'esprit que de musique, i> disait Méhul, en parlant de Grétry. Ce mot si yrai et si profond d'un grand artiste qui compte au premier rang parmi ceux qui ont fait plus de musique que d'es- prit, pourrait s'appliquer à un grand nombre de maîtres de la fin du siècle dernier. Il est en effet peu de pays où la littérature ait plus influé sur la musique qu'en France, et la seconde moitié du XVIII* siècle nous montre entre les romanciers, les poètes, les auteurs dramatiques et les musiciens de tels rapprochements, qu'on ne peut apprécier l'école qui a donné Grétry, Monsigny, Dalayrac, Nicole, Méhul, Cherubini, Spontini, Lesueur, Berton Boïeldieu, la mettre au point, pour ainsi dire, qu'à la condition d'embrasser d'un coup d'œil tout le mouvement littéraire- de cette époque. C'était le temps où Sedaine, grâce à son profond sentiment dramatique, avait su conquérir à la scène une place brillante, où Marmontel écrivait les Contes moraux^ où M. de Florian faisait pleurer Marie- Antoinette avec ses arlequinades ; c'était l'époque où, évoqué par Eousseau, naissait le sentiment vrai de la nature ; petits vers galants, spirituels madrigaux, rondeaux anacréonti- ques agrémentaient cette littérature. Plus tard ce fut le tour des Grecs et des Romains. André Chénier, retrouvant la lyre aban- donnée par les Grecs au pied du Parthénon, exhalait son âme en vers dignes de la beauté antique, tandis que sur la scène son 880 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. frère portait, arec Gains Oraechtis, les mâles accents des vertus prétendues romaines. Enfin Mac Pherson ayant traduit en An- gleterre les poésies dites ossianiques, en France Baour Lor- mian trouva moyen de passer pour un poëte, protégé qu'il était par l'ombre fingalienne du barde calédonien. C'est le temps des harpes 9 des poétiques combats sur les rivages déserts, où l'écho répète les cris de guerre des serviteurs du grand Odin; mais peu à peu le barde guerrier s'humanise; au contact de la société polie il devient tendre; ce n'est plus [un rude guerrier, à l'allure sauvage, à l'œil féroce, c'est un courtois chevalier français; ap- puyé sur sa lance, il veille en galant paladin sur la France et sur son amie ; ce n'est plus un barde inspiré par les poétiques lé- gendes du Nord, c'est un troubadour fier de son doux servage, chantant à la beauté ses dou^ lais d'amour. La toque crénelée a remplacé le lourd casque d'airain. Il n'est pas un seul dé ces mouvements littéraires dont nous ne retrouvions la reproduction fidèle dans les œuvres des composi- teurs. Grétry, avec son esprit, sa finesse, sa vérité expressive, nous paraît le meilleur interprète musical de la délicatesse de Sedaine, de la finesse de Marmontel. Par un phénomène qui se présente rarement dans l'art, Rousseau, le même écrivain qui avait créé le naturalisme littéraire, devait aussi dans la musique donner, avec le Devin de Village, le signal de la recherche de la vérité , loin des héroïques sujets préférés dans le grand opéra. Mon- signy, si tendre, si émouvant, chez lequel l'expression arrivait aune si grande puissance d'émotion, ne paraît-il pas avoir tra- duit en musique la note que Sedaine avait fait entendre dans le Philosophe sans le savoir. Avec Méhul, Lesueur, Spontini, nous retrouvons comme un reflet de la muse néo-classique et le sou- venir des inspirations ossianiques. Nicolo, Berton Boïeldieune sont-ils pas souvent les musiciens des joyeux ménestrels et des galants troubadours ? De toutes ces écoles, la plus populaire est celle de Grétry, Mon- signy, Dalayrac, Nicolo, école dont l'expression est si juste et si vraie, la mélodie un peu courte, mais si expressive, les ensembles peu développés, mais d'une si admirable justesse scénique. Non- seulement ils forent en musique les représentants des Sedaine, des Marmontel, des Bernardin de Saint-Pierre, mais les quali- l'obchbstre français avant eossini. 331 tés qui distingnèrent ces écrivains , ils les agrandirent encore^ en même temps qu'ils savaient en éviter les défauts. Leur musi- que resta touchante et simple, pendant que les écrivains tombaient dans la sensiblerie et le maniérisme. Leurs étonnantes qualités scéniques rendirent leurs opéras chers au public et font encore leur succès, lorsqu'un directeur daigne se souvenir de nos vieux maîtres ; mais ce n'est pas à eux qu'appartient la première place dans une étude de ce genre ; aussi nous contenterons-nous de passer rapidement en revue ces musiciens, pour arriver à ceux auxquels l'instrumentation française doit ses plus belles pages. Comme Ta écrit spirituellement Ad. Adam : « Grétry avait mal « appris, mais il devinait beaucoup. » Son orchestre est faible et son harmonie souvent insuffisante. Il réduisait le quatuor à trois parties et, conmie on disait, même de son temps « on ferait passer un carrosse entre la basse et les deux parties supérieures ». Malgré cela, grâce à la justesse de son talent scénique, grâce au sen- timent vrai de l'eflEet à produire, l'auteur de Richard Cœur de Lion trouva des traits pleins de finesse et d'imprévu. Il y aurait un bien joli chapitre à faire sur Tinstrumentation des maîtres qui ne savaient pas écrire, mais ce n'est point ici le Ueu de se livrer à ces sortes de fantaisies critiques. Loin de nous la pensée de pro- fesser un sot mépris pour des maîtres qui sont et seront tou- jours la gloire de notre école française; mais nous étudions dans ce travail, ceux qui ont le plus contribué au progrès de l'orchestre et dans ce cas la place de Grétry ne peut être que de peu d'importance. Les combinaisons sonores, les puissants effets d'orchestre convenaient peu au spirituel artiste ; je dois même dire que sa pensée musicale si fine, si juste, et quelque- fois un peu brève se serait peu accommodée de lourds orne- ments symphoniques; il n'a pris de l'instrumentation que ce qui lui était nécessaire, et pour lui l'orchestre était simplement le socle qui convenait à sa charmante statuette. ^Aussi avons- nous peu de nouveautés instrumentales à signaler chez Gré- try ; cependant nous devons citer pour mémoire l'introduction de l'orgue à l'opéra dans la Rosière républicaine et des ins- truments dé percussion dans la Fausse magie. Ils sont ainsi in- diqués sur la partition d'orchestre : Marche des bohémiens, accom' pagnée de cymbales, triangles et autres instruments singuliers. 382 HISTOIBE D£ L'INSTRUMENTATION. Grétry se servit encore de cymbales, grosse caisse et cdsse rou- lante au finale du 2^ acte de Guillaume TelL Quoique Tinstrumentation de Monsigny et de Dalayrac soit plus correcte et mieux fournie que celle de Grétry, et qu'on y re- trouve les qualités d'expression et de justesse qui caractérisent le talent mélodique de ces deux maîtres, ils ne méritent pas non plus ici une place bien importante, ainsi que Nicole qui, venu plus tard, ne possède guère plus qu'eux un orchestre bien riche ; mais chacun sait par quelles immenses qualités ces maîtres rachè- tent ce qui leur manque du côté de l'instrumentation. Cependant Bameau avait eu des imitateurs et des successeurs, et avant l'arrivée de Gliick, on peut compter plusieurs musiciens qui avaient gardé les traditions du grand style français. Dans ce nombre, et au premier rang, brillent Philidor et Gossec. Au mo- ment même où j'écris, M. Arthur Pougin, un habile dans l'art de remuer la poussière des bibUothèques, publie une étude com- plète sur Philidor. Dans la comédie à ariettes ce musicien avait prouvé qu'il possédait à un haut degré les qualités propres à l'é- cole française, la justesse, la finesse et l'esprit, sans cependant arriver à l'émotion de Monsigny, et il avait su donner à l'ins- trumentation plus de variété et de légèreté qu'on n'en rencontre ordinairement dans les opéras comiques de ce temps. Je n'en veux pour exemple que le spirituel quintette de Biaise le savetier, avec son joli accompagnement brodé à l'italienne. Le Sorcier, le Maréchal ferrant sont remplis de détails charmants, comme l'air de révocation (1) dans le Sorcier, où l'on entendit pour la pre- mière foisle tam-tam. Mais c'est surtout à l'Opéra, dans ErneUnde et Thémistocle, que Philidor se montra un digne successeur de Ra- meau. L'orchestre est encore un peu massif, mais plein de vigueur et d'une belle sonorité, ainsi que le style choral, daus lequel du reste les maîtres français ont toujours été fort habiles. Le ser- ment à! ErneUnde « Jurons sur ces glaives sanglants » est à ran- ger parmi les plus beaux morceaux de la musique française , et il emprunte au mouvement des violons une incroyable vigueur; nous en dirons autant du double chœur des assiégés et des as- siégeants. (1) Charge spirituelle des grands airs d'opéra. • l'orchestre français avant ROSSINI. 833 La part de Gossec ^. dans rinstrumentation française^ est plus belle encore. A lui revient Thonnenr d'avoir constitué en France Torchestre symphonique. C'est lui qui le premier écrivit en France pour la clariïiette. En 1756, deux artistes allemands, jouant de cet instrument, avaient été reçus au nombre des mu- siciens du financier La Popelinière, auquel Rameau devait ses premiers succès. Gossec écrivit pour deux clarinettes et deux cors un morceau qui fat joué en 1757, et depuis il compléta, au moyen de cet instrument , l'orchestre symphonique dont il donna les premiers modèles. « En 1772, dit le Diapason des instruments à vent, publié par Francœur, la clarinette fat admise à l'orchestre de l'Opéra, » et lorsque Gluck vint dans notre pays, il put faire usage de ces instruments. Ils étaient bien incomplets , il est vrai, et les musiciens farent obligés de choisir pour eux les tdns les plus simples à'ut et de /a, mais le premier pas était fait, et nous avons vu dans la première partie de ce travail quels furent les progrès de la clarinette. Gossec était un compositeur plus majestueux que dramatique; aussi est-ce surtout au concert et à l'église qu'il faut l'apprécier. La plus belle de ses œuvres religieuses est sa Messe des Morts, Dans le « Tuba mirum d de cette remarquable partition, nous trouvons en germe les grandes dispositions instrumentales de Berlioz et de Cherubini. Cette page est écrite pour baryton solo et deux orchestres. Le second orchestre est composé de clari- nettes, trompettes ou cors et trois trombones qui sonnent le lu- gubre appel de la fin du monde et auxquels répond l'orchestre principal. Un dialogue serré "s'établit entre l^s deux masses so- nores, tandis que le soliste semble indiquer par son récit les épi- sodes de ce fanèbre drame. Ce ne farent pas les Français qui subirent les premiers l'in- fluence de Gluck mais bien les Italiens établis en France, comme Sacchini, Salieri et Cherubini ; bientôt avec Méhul, Berton, Le- sueur, on vit nos musiciens briller au premier rang dans l'art de l'instrumentation. L'école franco-italienne de Salieri, Sacchini et Cherubini, l'é- cole purement française des Lesueur et des Méhul, sont loin d'avoir en France la popularité dont jouissent les maîtres tels que Gré- try, Monsigny, Dalayrac, Nicolo, et cependant si jamais l'école \ 334 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. française s'est montrée grande et forte, si jamais elle a cherché ridéal de la pensée et de la fonne, c'est avec les hommes dont nous avons cité les noms. S'ensuit-il que Salieri au talent si riche et varié, que le tendre Sacchini, que Cherubini,le génie de la forme pure et grandiose, que Méhul, un des plus grands musiciens de la France, que le hardi Lesueur qui, devançant son époque, a in- diqué la route aux plus audacieux novateurs, que ces maîtres qui ont permis à l'école française de se placer à côté des plus belles, aient été inférieurs en génie à ceux qui, restant dans les bornes de la comédie à ariettes, ont demandé à la muse des inspirations moins épiques? Je ne le crois pas; mais à part Spontini, musi- cien passionné venu trop tôt pour sa gloire, ces maîtres n'ont généralement pas chanté l'amour, le grand mobile de toute émo- tion ati théâtre. L'élévation et la majesté de la pensée , les élans guerriers, la tendresse filiale ou paternelle, une certaine re- cherche de la poésie idéale souriaient plus à leur génie que les soupirs des amants malheureux. De cette sévère époque devaient sortir de purs et admirables chefs-d'œuvre, comme Jos&phy mais, si les vrais ainis du beau conservent le culte de ces œuvres, si Jos&ph par la force du génie parvient à se maintenir au réper- toire, nombre de belles et grandes partitions restent ignorées du public, plus prompt à subir la fascination des mille souplesses de l'esprit, à se laisser entraîner par la peinture de la passion amoureuse, qu'à ressentir les émotions plus calmes de senti- ments moins fougueux, tels que l'amour paternel ou filial. L'orchestre de Salieri, comme celui de Sacchini, est à peu de chose près celui de Gluck, dont tous deux ils étaient les élèves ; mais il n'en fut pas de même pour Cherubini ; c'est àcelui-ci qu'on doit la formation définitive de l'orchestre dramatique en France et il eut sur notre pays l'influence que Mozart eut sur l'Allem* gne, au point de vue instrumental. Dès les commencements de sa carrière, Cherubini, l'élève chéri de Sarti, avait suivi la mode italienne ; mais après avoir goûté les œuvres de Mozart et une fois arrivé en France, il entra dans une seconde manière qui commença avec DémopJwn et surtout avec LodoïsJca en 179L Avec cette seconde partition , il ouvrit une voie nouvelle à l'or- chestre français. Gardant la justesse de l'expression instrumen- tale, il donna à l'instrumentation plus de largeur et de souplesse, L^OECHESTRB FRANÇAIS AVANT ROSSINI. 335 et en ce sens le finale du second acte de Loâmslca fat toute une révélation pour nos musiciens, et par le développement de la scène , et par Taisance dans le maniement de Torchestre. Plus que personne il savait donner à chaque instrument le rôle qui convenait à son timbre et à son caractère, combinant les différentes teintes dans un tout harmonieux en les réunis- sant en masses sonores. On a pu reprocher à Cherubini le mauvais choix de ses poëmes, une certaine froideur dans l'action scénique, mais il n'en reste pas moins celui qui a eu [peut-être le plus grand succès au commencement du siècle avec les Deux journées, et chez lequel le génie et la puissance instrumentale , l'ampleur et l'expression dramatiques de l'orchestre, la pureté du style ont été portés au plus haut degré. Je ne citerai pas tous les détails d'orchestre qui rendent les partitions de Cherubini si intéressantes à étudier. Quel char- mant tableau que le chœur des moines au commencement d'Êîisa (1794) ! La phrase, d'abord annoncée par le son dur et froid des altos, semble frissonner sous les traits des instruments à vent; puis la mélodie haletante, dessinée par les violons, déve- loppée dans le reste de l'orchestre, peint la marche des moines inquiets, courant à la recherche des voyageurs égarés dans les glaciers du Mont Saint-Bernard. Cette partition écrite en même temps que YHoratius Codes, dans lequel Méhul introduisit quatre cors à l'Opéra, contient aussi quatre de ces instruments. Je citerai encore, dans le même opéra, la jolie marche des muletiers, dans laquelle la petite flûte dessine une élégante mélodie sur un dé- licat accompagnement des cordes , et l'air si dramatique de Flo- rindo en ut mineur. Chacun connaît de réputation le trio, dans lequel la cloche et les cors en ré sont d'un effet si dra- matique, et le double chœur final. La partition des Deux journées n'est pas moins riche. On sait quelle admiration Bee- thoven professait pour cette œuvre ; et oii comprend facilement cette préférence lorsqu'on lit cette ouverture si clairement et si bien développée, l'entr'acte pittoresque et coloré qui prépare l'entrée des soldats au second acte, et surtout le finale du pre- mier, si touchant et si dramatique, où les instruments sont disposés avec tant d'art et tant d'expression. Il n'entre pas dans mon sujet d'étudier en son entier l'œuvre de Cherubini, mais 336 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. je ne puis laisser de côté les opéras de ce compositeur, sans ci- ter Anacréon, dans lequel le maître déploya une indicible grâce et une adorable fraîcheur. Rien n'est gracieux comme le duo des esclaves lorsque les altos et les deuxièmes violons accompa- gnent le chant des violons par un élégant dessin, tandis que les instruments à vent ajoutent encore au piquant de cette compo- sition en battant leurs trilles sur chaque temps fort de la mesure. L'ouverture, la tempête du même opéra sont restées dans le sou- venir des amateurs. Le chant d'Anacréon est accompagné par le cor anglais, ou la clarinette ad libitum , et à ce sujet nous fe- rons remarquer que c'est la première fois que le cor anglais est indiqué dans une partition française. Le timbre voilé et un peu triste de l'instrument était bien choisi et convenait bien au tendre chant d'un vieillard pour lequel l'amour n'est plus qu'un regret ; mais les symphonistes de l'Opéra préférèrent la clarinette, car ce ne fut qu'en 1808, dans Alexandre chez Apelle, de Catel, que Vogt fit entendre le cor anglais à l'Académie impériale de musique. Malgré tout ce que l'orchestre dramatique de Cherubini peut présenter de remarquable, le maître se surpassa encore dans la musique d'église; là son instrumentation est d'une puissance, d'une pureté et d'un éclat incomparables. Par une étrange fata- lité, le musicien, qui passait pour peu dramatique au théâtre, a été accusé d'avoir donné à sa musique d'église une tendance trop théâtrale. C'est une question qu'il ne m'appartient pas de discu- ter; mais je dois avouer que, pour ma part, je ne me sens pas le courage de faire des reproches à celui qui a écrit la messe en ré, la messe du sacre, le Requiem et tant d'autres chefs-d'œuvre de l'art religieux. Il faudrait un livre spécial pour détailler toutes les beautés instrumentales dont sont remplies les compositions sa- crées de Cherubini. Tantôt, comme dans le Resurrexit de la messe en ré, l'orchestre éclate ainsi qu'une brillante fanfare, tantôt l'orchestre à vent répondant aux traits précipités des cordes, comme dans le « Qui tollis », donne aux masses chorales une étonnante variété et une prodigieuse vigueur, et toujours la plus parfaite pureté de style, la plus poétique élévation de pensée, dominent dans ces œuvres immortelles. Parmi les combinaisons curieuses d'instruments qu'on ren- l'orchbstbb français avant rossini. 837 contre dans Cherubini, il en est denx qu'il faut citer particuliè- rement. La première est l'emploi des quatre parties de violon- celles, dans le Chant pour ïa mort d'Haydriféont à l'époque où Ton avait annoncé faussement la mort de l'auteur des Saisons. L'Ins- titut, abusé par cette nouvelle mensongère, avait voulu rendre au grand maître un hommage digne de lui, et Cherubini s'était chargé d'écrire son chant funèbre. Cette composition d'un carac- tère plein de grandeur débutait par un morceau instrumental où les violoncelles étaient divisés en quatre parties. Rossini, dans l'ouverture de Guillaume Tell, a employé aussi, et on sait avec quel bonheur, cette forme d'instrumentation. Dans l'autre combi- naison nouvelle, Cherubini fait doubler les contrebasses par l'ophicléide, sans les trombones (allegro du Credo de la messe du Sacre), L'ophicléide et le basson représentent seuls le contin- gent des instruments à vent dans ce passage. Le Sanctus offre aussi la même particularité. Je n'ai retrouvé cette association de timbre, d'un effet grandiose que dans Meyerbeer, et dans R. Wagner, qui fait quelquefois doubler le violoncelle au grave par l'ophicléide. De Cherubini, le grand maître de la musique religieuse mo- derne, à Lesueur, qui sut aussi conquérir à l'église une place ho* norable , la transition est facile. Ce n'est pas à Thistorien à laisser dans l'ombre ce maître aujourd'hui victime de l'indifférence du public, et qui fut un de ceux qui contribuèrent le plus aux progrès de l'instrumentation en France. Égaré par des recher- ches d'archéologie fort à la mode à cette époque, puisque Cheru- bini et Méhul ont composé en rhythmes soit disant grecs plusieurs morceaux sur les odes d'Anacréon (1), Lesueur a cru de bonne foi avoir retrouvé l'antique mélopée; ses partitions de la Mort c^Adamei de TéUmaque sont littéralement surchargées d'indi- cations historiques et didactiques pour l'exécution de cette mu- sique qu'il disait avoir reconstituée. Malgré ces préoccupa* (1) Voiries Odes cTAnacréon traduites en français par le citoyen Ghdl...., avec estampes, odes grecques mises en musique par Gossec, Mehul, Lesueur et Cherubini, et un discours sur la musique grecque, Paris, Didot, an VII, in-4"'. ^ On sait que plus tard, à l'époque des recherches de M, Vincent sur la musique grecque, Halévy composa son Prométhéej dans lequel il chercha à employer les intervalles des anciens. 22 838 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. tiens étrangères à l'art véritable, le grand musicien se laisse, apercevoir derrière ses théories trop risquées, et Lesueur a eu beau faire tous ses eflPorts pour ridiculiser sa musique , il est resté digne d'être considéré comme un des plus grands com- positeurs de notre école française. Les partitions grecques telles que TèUmaque et la Mort âlAàam renferment d'admirables, pages. Le trio dans lequel Calypso donne libre cours à sa jalousie est accompagné de main de maître. La Mort â^Adam, qui a subi le sort que subissent en France les œuvres dans lesquelles l'auteur a cherché* une voie nouvelle et qui a succombé sous les quolibets des gens d'esprit, fourmille de pages originales et heu- reusement trouvées, sous le rapport de la mélodie et de l'instru- mentation. La jolie danse des jeunes iilles, le prélude (( Avant- coureur des événements qui vont suivre » et qui prépare la grande scène d'Adam et Càïn, avec la belle intervention des chœurs, suffiraient seuls à sauver de l'oubli cette, partition. Il faut remarquer en passant que dans la Mortel Adam, Lesueur a fréquemment divisé les violons et les altos, en écrivant jusqu'à quatre parties de violons. La Caverne, Paul et Virginie, et surtout les Bardes, telles furent les partitions de ce maître qui réussirent au théâtre. Les Bardes oQpupent dans une étude du genre de celle-ci une place importante. Cette composition, pleine de grandeur et de poésie, est des plus curieuses à étudier au point de vue de l'instrumenta- tion. Ossian ou les Bardes pourrait s'appeler l'opéra des harpes : douze virtuoses étaient chargés d'exécuter les nombreux passages confiés à ces instruments : et on lit en marge de la partition : « Dans tous les morceaux de l'opéra où il y a des harpes, il faut « six premières harpes et six secondes qui puissent dominer <£ l'orchestre et en faire ressortir l'effet des cent harpes de Sel- « ma. » Mais cène sont pas seulement les harpes qu'il faut remar- quer dans l'orchestration de cette partition , et nous devons noter aussi le premier emploi à l'Opéra du tam-tam, dans l'appel du bouclier à sept voix, et la présence des triangles, cymbales, et tambours, dont la sonorité stridente produit un curieux effet sur le quatuor à cordes. Parmi les belles et majestueuses combinaisons d'orchestre que Lesueur a jetées à pleines mains dans son opéra, il faut compter l'Invocation , la grande scène des Bardes « dan- l'orchestre français avant rossini. 389 sant au son des harpes, tandis que leurs ennemis conspirent au fond delà vallée, » Tair de danse pour les Scandinaves soumis et les Calédoniens vainqueurs. Dans l'évocation, le beau chœur des bardes est annoncé par un immense unisson de quatre octaves frappé par tout l'orchestre. Cet unisson, qui scande chaque phrase du chœur, est d'un effet plein de grandeur. Le chant des Calédo- niens est écrit d'une façon curieuse, avec développement de fiigue et contrepoint doublé à la quinte et à l'octave. Les altos, violoncelles et basses, en un mot les instruments à sonorité grave et sévère, forment l'orchestre de cette sorte de danse. On sait que Méhul, s'inspirant aussi dans Uthal des poésies ossianiques, eut l'idée de bannir complètement les violons de sa partition, ne con- servant de ses instruments à cordes que les" altos, violoncelles et contrebasses. De tous les compositeurs qui vinrent après Lesueur, ou fu- rent ses élèves, Berlioz est peut-être celui qui rappelle le plus la manière du maître, bien qu'il ait prétendu que Lesueur ne possédait de son art que des notions fort bornées. Il avait comme lui l'imagination ardente et poétique , comme lui il aimait les grandes et magistrales combinaisons sonores, et il recher- chait comme lui des sujets qui lui permissent de donner carrière ' à son esprit avide d'innovations. Peut-être Lesueur ne lui a-t-il pas appris matériellement le maniement et la disposition de l'or- chestre, mais, à coup sûr, il n'a pas été sans influence sur les tendances romantiques de l'auteur des Troyens, Avec Cherubini et Lesuem', Méhul ftit un des maîtres qui con- tribuèrent le plus aux progrès de l'orchestre dans notre pays.' Génie puissant et réfléchi, Méhul recherchait avec ardeur les combinaisons nouvelles de sonorité et avait grand souci de l'expression instrumentale. « Méhul, a dit Grétry dans ses Es- « sais, a tout à coup triplé la puissance de l'orchestre par son « harmonie surtout propre à la situation. » L'orchestre de Méhul n'est pas à la vérité exempt de lourdeur, et les mêmes formules reviennent fréquemment dans son instrumentation. Élève et ad- mirateur de Gluck, Tauteur de Jos&ph n'avait pu apprendre & donner de la légèreté à son instrumentation, et ce défaut lui est commun, du reste, avec les musiciens français de l'école que nous étudions en ce moment ; mais nul plus que lui n'a connu le secret 840 * HISTOIBE DE L'INSTRUMENTATION. défaire exprimer à l'orchestre les sentiments des personnages en scène y nul ne sayait mieux, même parmi les Allemands, mélan*^ ger habilement les timbres et les faire concourir à l'effet drama- tique. Fidèle au génie français et à ses traditions, il garda tou« jours une grande prédilection pour la musique pittoresque, dont il nous a laissé un modèle si parfait dans Touyerture du Jmm Benri, On lui a reproché d'avoir abusé du mélodrame, dans le- quel la mélodie instrumentale, courant sous le dialogue parlé, complète le sens des paroles ;mais, outre que cet emploi de l'or- chestre peut être souvent d'un heureux effet, songerons-nous à le lui reprocher, lorsque nous voyons que da^is le beau duo de la jalousie ^Euphrosine et Gonradiriy c'est l'accompagnement plus encore que le chant qui a mission de traduire la rage jalouse qui dévore le cœur du personnage ? Du reste, cette partition, la pre- mière de Méhul, fut, avec la Lodoîaha de Cherubini, le signal d'une véritable révolution dans l'orchestre dramatique français, et l'ouverture, le duo et le finale révélèrent du premier coup un génie éminemment dramatique et un maître dans l'art d'écrire pour l'orchestre. Ce finale du second acte, en progression sonore, est préparé avec un art prodigieux, et lorsque les cuivres lancent leurs vigoureuses bordées sur l'orchestre déchaîné, l'expression est d'un effet saisissant : c'est de cette explosion que Grétry a dit qu'elle semblait ouvrir le plafond de la salle avec le crâne des spectateurs. Il n'est pas un seul de ces opéras où on ne retrouve le sentiment juste de l'expression vraie, qualité distinctive du talent de .Méhul. Ici c'est Uthal, drame ossianique dans lequel il n'emploie que les altos, violoncelles et basses sans les violons; là Stratonice, dont l'air célèbre est accompagné d'une façon si expressive ; plus loin Ariodant, avec le bel air : « Démon de la jalousie! », dont le début, d'une puissante déclamation, tire son principal effet de l'orchestre. L'ouverture de cette par^ tition présente une des plus curieuses combinaisons instru- mentales de la musique française. La première partie est écrite pour trois violoncelles, ui;i trombone, puis bientôt le trombone est remplacé par deu;x violons sans altos, et enfin les instruments de bois dessinent le chant, pendant que seul d^ns le groupe des cor^ des le violoncelle brode un accompagnement fleuri, jusqu'au mo- ment où la rentrée du tutti termine cette pré&ce instrumentale. l'orchestre français avant rossini. 341 « Joseph est le seul opéra de Méhul qu'il nous ait été donné de juger autrement que par la lecture de la partition ; cette œuvre est à notre avis une des plus élevées et des plus expressives de tout le répertoire français. Il n'est pas un morceau qui ne mérite d'être cité, et pour la grandeur et la noblesse des mélodies, et pour l'ad- mirable justesse scénique et la perfection du style instrumental. Écoutez Joseph pleurant au souvenir de son père éploré, suivez Torchestre si suave et si pur de l'air de Benjamin. En même temps, la partition entière est empreinte d'un étonnant senti- ment biblique. Le peuple d'Israël s'éveille aux premiers rayons du jour et chante la gloire du Créateur, les trompettes et les cors soutenant les voix de leurs accords majestueux ne semblent-ils pas le schophar appelant les fidèles à la prière ? et lorsque les jeunes filles viennent danser au son des harpes, il passe dans toute la composition comme un souffle des saintes poésies. Au finale du second acte de cet opéra (p. 145 de la partition orchestre), Méhul a indiqué une partie de tuba, sonnant la toni- que et la dominante du ton de ré^ à l'octave au-dessus des timbales. Nous ne nous sommes pas rendu encore complètement compte de ce qu'était cet instrument, qui^ paraît avoir été à son fixe comme les timbales et sans tons de rechange, puisque le composi- teur l'employant à l'unisson des cors et trompettes en ré, écrits en uty indique le tuba dans le ton réel sans même marquer d'ac- cident à la clef. Voici comment Castil-Blaze, dans son Diction- naire, décrit le tuba corva : « Espèce de trompe dont le registre « est très-borné, mais qui a des sons très-éclatants et très-forts. » En 1795, dit M. Lassabathie dans son Histoire du ConservaMrey il y avaitÀ cette école un professeur de buccin et de tuba corva. Il est probable qu'avec cet instrument , Méhul avait voulu rap- peler la trompette sacrée et traditionnelle des Juife. Méhul avait du reste pour les cuivres une certaine prédilection ; on sait le rôle que joue le cor dans le finale du second acte à'Uthal, lorsqu'il traduit les râles d'un mourant; personne n'ignore l'importance de ces instruments dans l'ouverture du Jeune Henri; enfin ce fut Méhul qui introduisit quatre corsa l'orchestre de l'Opéra dans Adrien, Moins pur que Cherubîni, moins grandiose que Méhul, Gas- pard Spontini possédait à un plus haut degré que ces deux mai- 342 HISTOIEB DE L'INSTRUMENTATION. très la passion dramatique; son style est souvent obscur et embar- rassé, je le veux bien, mais il n'en faut pas moins compter au nombre des maîtres celui qui a su donner aux finales les dé- veloppements grandioses-dont Meyerbeer et Rossini ont profité plus tard, et qui, doué d'un instinct dramatique égal à celui des plus grands compositeurs, a appelé au secours de la passion les forces vives de l'orchestre. Avant de relever quelques-uns des détails les plus remarqua- bles de l'œuvre de Spontini, il est bon de noter un fait intéres- sant pour l'histoire de l'instrumentation. Jusqu'à ce jour, quels que soient les maîtres que nous avons étudiés, nous avons tou- jours trouvé l'orchestre pour ainsi dire divisé par petits groupes, soit que les bois plaquent les tenues sur les instruments à cordes, soit que ceux-ci accompagnent par des arpèges le chant confié .aux bois, soit que deux groupes se mêlent en contre-point. Avec Spontini, nous rencontrons une forme nouvelle, c'est ceUe qui con- siste à orchestrer par grandes masses, en se contentant dé dou- bler le quatuor par les différents groupes des instruments à vent ; cette disposition, plus favorable à l'unité et à la sonorité de l'or- chestre, mais qui ne tarde pas à engendrer la monotonie, fut sou- vent reproduite depuis dans l'école dramatique italienne et fran- çaise. C'est surtout dans Olympie qu'on trouve l'orchestre ainsi divisé par paquets de timbres, dont l'harmonie réelle se réduit toujours à quatre parties. La Vestale est restée le chef-d'œuvre de Spontini ; son ouver- ture, l'hymne du matin, la marche des vestales écrite pour vio- lons, cors et basson, la marche triomphale avec son orchestre sur le théâtre, enfin l'admirable finale du second acte où la prière de Julia, inspiration digne de Meyerbeer, est accompagnée par les soupirs navrants des hautbois et dès bassons, ont un peu fait ou- blier Fernand Gortez et Olympie ; mais nous devons noter la danse des sauvages du premier de ces opéras, si colorée et si originale, et la belle marche S! Olympie dans laquelle une partie du quatuor est employée avec sourdines, pendant que le reste est sans sour- dines. Nous avons, et à dessein, laissé de côté bien des maîtres dont l'orchestre ne nous a pas semblé 'présenter un intérêt suffisant; mais il en est deux sur lesquels nous devons nous arrêter quelques s l'orchestre français avant rossini. instants avant de quitter l'école française qui a précédé Rossini : je veux parler de Berton et de Boïeldieu, Berton n'appartient pas à la famille des grands musiciens que nous venons de citer, il ne s'éleva pas comme eux dans les hautes régions de la poésie lyrique, mais il est peu de maîtres qui plus que lui aient eu le sentiment dramatique. Son orchestre est co- loré, expressif et varié. Aime, cette œuvre en deux parties, où un acte d'une couleur toute provençale se trouve intercalé dans un tableau de l'Orient, est sous ce rapport une partition des plus cu- rieuses (1). Mais c'est Montàno et Stéphanie^ aujourd'hui trop oublié, qui a montré jusqu'à quel point Berton comprenait l'in- tervention de l'orchestre dans le drame. La scène de nuit de M(mtano est une des pages les plus pittoresques et les plus drama- tiques de l'école française. On connaît la situation : il fait nuit, Montano, cet Othello de Sicile, s'avance doucement, guidé par le traître Altamont. Il est entouré de ses amis, et croit voir sa fiancée dans les bras d'un autre amant. C'est l'orchestre qui pose pour ainsi dire le décor dans lequel se nouera cette action dramatique ; l'ins- trumentation, d'abord mystérieuse et poétique, s'accentue de plus en plus jusqu'au moment où éclate la rage de l'amant qui se croit trompé : c'est un pur chef-d'œuvre (2). Les dernières partitions de Berton sont loin d'être à cette hauteur ; cependant il en est une que nous devons citer, c'est Virginie. Quoique faible sous bien des rapports, cette œuvre présente plusieurs pages dignes de l'au- teur de Montano, La scène de l'appel aux armes est soutenue par une instrumentation des plus vigoureuses et des plus colorées , dont le trait principal est un accompagnement obstiné des ins- truments à cordes d'une grande vigueur. Enfin l'instrumentation de la marche de nuit est très-intéressante. Quatre pelotons de soldats entrent tour à tour sur la scène, et chacune de ces entrées est marquée à l'orchestre par les sujets et contre-sujets d'une fugue ou plutôt d'un fugato exécuté par le quatuor. Lorsque Appius traverse silencieusement la scène, accompagné de la vieille femme dont le feux témoignage perdra Virginie, un sourd gron- (1) On sait que dans Aline^ reine de Golconde, Berton s'est servi du galoubet avec tambourin. (2) C'est dans la marche de Montano et Stéphanie que Berton a introduit une partie de serpent. 844 HISTOIBE DE L'INSTRUMENTATION. dément de timbales jette la note dramatique sur tonte la com- position : c'est étrange. Remarquons que dans maints passages de cette partition^ au lieu de distribuer les instruments à vent par paires , Berton n'en emploie qu'un seul de chaque timbre et prend bien soin d'indiquer cette particularité (1). Les Allemands nous ont épargné la peine de juger Boïeldieu. Voici ce que dit Weber de l'adorable maître jfrançais, de son style et de son instrumentation : « Aux plus grands maîtres de l'art « il appartient de tirer les éléments de leurs œuvres, à l'esprit « même des nations, de les assembler, de les fondre et de les im- « poser au reste du monde. Dans le petit nombre, Boïeldieu est « presque en droit de revendiquer le premier rang parmi les a: compositeurs qui vivent actuellement en France, bien que « l'opinion publique place Isouard à ses côtés. Tous deux possè- « dent assurément un admirable talent ; mais ce qui met Boïel- cc dieu bien au-dessus de tous ses émules, c'est sa mélodie cou- ce lante et bien menée, le plan des morceaux séparés et le plan « général; l'instrumentation excellente et soignée, toutes qualités « qui désignent un maître, et donnent droit de vie étemelle et « de classicité à son œuvre dans le royaume de l'art. Ces qua- « lités, il les partage à la vérité avec Méhul, mais son penchant flc le portant vers la forme italienne, sa mélodie s'en trouve plus « pure, sans qu'il sacrifie pour cela, bien entendu, le sens des pa- « rôles (2). » Robert Schumann, si sévère pour les Italiens et qui appelle la Favoritey puppen theater musik (musique de marion- nettes), s'incline à son tour devant Boïeldieu, dans des notes prises à la hâte au sortir d'une représentation de Jean de Paris : « Jean de Paris j\m maître opéra ; Jean de Paris, Figaro et le Bar- « dier, les premiers opéras-comiques du monde. L'instrumenta- « tion partout traitée supérieurement. Les instruments à vent « et particulièrement les clarinettes et cors sont écrits avec un « soin tout spécial et sans couvrir les voix (3). » Qu'ajouter après de pareils éloges ? Mais aucun des deux maîtres allemands ne (1) M. Henry Cohen a publié dans VArt musical (1878) une étude détaillée çt d^ pluB Intéressantes sur l'œuvre de Berton. (2) Journal de Dresde^ l^*" mai 1817. (3) Schumann, Gesammelte Schrijien uber musik und mtLsiker, 4 vol. in-12, Leipzig, 1854, t. IV, p. 288. ' y l'obchestre français ayant eossini. 345 parle de la Barm hlanche, dans laquelle Boïeldieu a bu réunir l'esprit et la finesse, l'élégance française à la poésie de Walter Scott. L'orchestre de cette partition, le chef-d'œuvre de Boïel- dieu et de l'ancien opéra-comique de demi-caractère, ne pré- sente pas de combinaisons insolites ou d'instruments extraordi- naires , mais il est merveilleusement approprié à chacune des. scènes qu'il est chargé d'accompagner. Déjà, sous l'influence de Bossini, l'instrumentation prenait plus d'éclat et de brio, mais elle ne perdait rien de sa vérité de détails et de son expression ; tantôt chevaleresque et élégamment troubadour, cet orchestre sonne gaiement la fanfare des combats ; tantôt poétique et voilé^ rempli de détails charmants, il annonce l'approche de cette Dame blanche si impatiemment attendue par le jeune officier» Enfin il prend une ampleur inaccoutumée, lorsque les échos du château d' Avenel redisent les vieux chants oubliés sur les harpe» des ménestrels. Nous ne devons pas quitter Boïeldieu sans citer de lui un sin- gulier caprice de musicien, qui prouve jusqu'à quel point il était soucieux de la vérité jusqu'aux détails les plus minutieux. Il s'est amusé (je ne puis trouver d'autre mot pour désigner cette fantaisie), il s'est amusé, dis-je, à raconter en musique toute la première partie du conte du Petit Chaperon rot^e, dans l'ouver- tare de ce charmant opéra. Je copie ses indications d'orchestre : « Ifote de l'auteur. Le sujet de cette ouverture est une partie du conte du Petit Chaperon. — : L'auteur croit devoir en donner le programme sous chaque phrase musicale, pour que le chef d'or- chestre fasse sentir les nuances qui sans cette précaution pour- raient échapper à l'attention. « Le Petit Chaperon rouge se promène dans le bois »^ — gra- cieux solo de flûte ; « le Loup aperçoit le Petit Chaperon », — les bassons et les cors, chantent pendant que la flûte continue se& trilles. « Le Loup répond^ d — trait de basson ; « mouvement de frayeur », — trait de flûte ; « dialogue du Loup et du Chape- ron 3), — ici flûte et basson représentent la conversation ; « le Petit Chaperon raconte au Loup qu'elle va chez la Mère-grand t> ^ le Loup se met en course pour arriver avant le Petit Chaperon chez la Mère-grand », — staccato de basson et violons ; « — le Loup frappe à la porte. — La Mère-grand demande qui est là ? 846 HISTOIRE DE L'iNSTaUMENTATION. — le loup répond ; le Petit Chaperon » — cette fois il emprunte la douce voix de la flûte. « Tirez la bobinette, etc. », — dit le violoncelle, avec une vieille cadence ad libitum. — Entrée. du Loup contrefaisant le Petit Chaperon, » — long trait de flûte ; « Conversation du Loup », — cette fois il a repris son basson. « Effiroide la Mère-grand reconnaissant le Loup. t> Ici cette fantaisie a ennuyé Boïeldieu, qui a profité de ce que le Loup était fort occupé pour terminer son ouverture par le coup de fouet final. Tout ce petit récit musical est un étrange caprice plus curieux que vraiment musical, cependant la composition ne manque ni de grâce ni de piquant. Bésumons-nous en quelques mots sur l'instrumentation de cette ancienne école française. Depuis Philidor jusqu'à Boïeldieu, depuis Ernelinde jusqu'à la Dame Hanche^ l'orchestre est encore entaché d'une certaine lourdeur, il est vrai , mais par combien de qualités ce défaut n'est-il pas racheté ? Ne retrouvons-nous pas dans tous ces maîtres les qualités qui distinguent notre école française, la clarté, la recherche minutieuse de la vérité drama- tique et l'admirable adaptation des instruments à l'effet scéni- que ? Du plus grand au plus petit, de Méhul à Gaveaux, c'est le caractère distinctif de notre instrumentation. Avec des maîtres tels que Méhul, Lesueur, elle atteint à des effets de puissance et de grandeur que les compositeurs étrangers ont rarement sur- passés. Avec Boïeldieu, Berton, Grétry et tant d'autres, elle se montre souple autant qu'expressive,.dramatique autant que colo- rée. Nous la verrons devenir plus éclatante et plus légère, nous verrons des maîtres, agrandissant les proportions du drame lyri- que, porter jusqu'à sa perfection l'art instrumental ; l'orchestre deviendra plus riche et plus varié, mais, on peut le dire sans of- fenser les compositeurs de notre époque, il ne pourra plus gagner, ni en justesse scénique, ni en expression dramatique. 1 I i CHAPITRE X. L'ORCHESTRE ITALIEN ET L'ART DE L'ACCOMPAGNEMENT DES VOIX DEPUIS LE MILIEU DU XVIII« SIÈCLE JUSQU'A ROSSINL — GALUPPI, JOMELLI, ANFOSSI, RINALDO DA CAPUA, LATILLA, CIAMPl, PICCINI, BERTONI, GÙGLIEL- MI, PAISIELLO, CIMAROSA, ZINGARELLI, PAER, S. MAYER. Nous n'appartenons pas à cette école qui se plaît à rabaisser tout ce qui a été grand, tout ce qui a été glorieux. Si nous écri- vions une histoire de la musique , il. nous plairait de montrer de quel éclat a brillé Técole italienne, de niontrer ces inépuisables mélodistes, tantôt pleins de pathétique et d'expression, conser- vant toujours, dans les mouvements de passion les plus émouvants, le pur dessin de la Ugne mélodique,. tantôt tissant artistement la gracieuse et légère dentelle du style vocal ; tantôt s'esclaffant joyeusement de ce rire de lazzarone , qui éclate spontanément aux bruyants lazzis de la plus bouffonne gaieté, sans pour cela que la musique perde rien de sa grâce et de son élégance; mais, c'est de l'orchestre qu'il s'agit ici, et, faut-il le dire, ces maîtres qui ont fait naître l'art de l'orchestre ont été dépassés par leurs élèves ; sans parler de l'Allemagne, qui, en science instrumentale, ne connaissait pas de rivaux, la France, la pauvre France,- que nous avons toujours l'habitude de regarder comme la dernière, avait complètement surpassé l'Italie. D'un trait de plume Eameau avait ouvert à l'orchestre dramatique des horizons que les fa- meuses écoles de Venise, de Rome et de Florence ne purent de- viner que près de quarante ans plus tard, lorsque l'Allemagne leur eut enseigné la puissance de l'expression instrumentale. Fidèles à leurs traditions de dilettanti de génie, les Italiens n'avaient demandé à l'orchestre que ce qui pouvait contribuer à donner plus de relief à Tins trument par excellence, à la voix 348 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. humaine. Avec quel soin ils entourèrent le chanteur favori d'une atmosphère sonore habilement ménagée ! Pour lui les violons n'é- taient pas assez légers ; les cors^ flûtes et hautbois assez moel- leux ; craignant toujours de surcharger leur instrumentation, les Italiens n'acceptèrent qu'avec méfiance les instruments nou- veaux. Un tel système convenait merveilleusement à leur génie, mais ne permettait pas à l'orchestration de prendre un bien grand essor, aussi peut-on dire que pendant toute la période où brillèrent à la fois Haydn, Gluck, Mozart, Méhul, Beethoven, l'orchestre italien n'eut que le mérite do la discrétion. Il est bien entendu que je ne parle ici que de l'orchestre des maîtres qui, restant pu- rement italiens, ne transigèrent pas avec l'étranger. Depuis Pergolèse jusqu'aux vingt dernières années du xviii® siècle, l'orchestre eut en Italie peu d'importance et on ferait l'histoire de l'opéra italien avec la biographie des chanteurs. Le seul progrès à noter est dans l'augmentation du nombre des formules d'accompagnement, dans la plus grande importance donnée aux ritournelles dçs récitatifs. Le véritable orchestre ita- talien est dans le quatuor, nous devrions dire dans le trio, car l'alto marchant presque toujours avec la basse n'a pas de partie réelle; là nous retrouvons ces fines harmonies et ces élégantes broderies de premier violon sur le chant qui ne sont autre chose que des diminutions, dont Doni nous, a indiqué.le procédé et qui donnent tant de légèreté et même d'éclat à l'instrumentation italienne. Les instruments à vent sont réduits au rôle de ripkni, et lorsque, par hasard, on en rencontre , on les voit se contenter de timides tenues harmoniques qui n'ajoutent rien au coloris de l'orchestre. Ce ne fut qu'après Gluck et Mozart que l'orchestre italien prit plus de fermeté et de variété. Il est cependant bon de remarquer que c'est dans l'opéra luffa qu'il fit les progrès les plus sensibles. Arrêtés dans leur essor par le despotisme des chan- teurs qui faisaient un art dans l'art, les compositeurs n'hésitè- rent pas dans l'opéra séria à sacrifier l'expression et le sentiment dramatique à la virtuosité, qui seule intéressait le vrai dilettante. Devant le grand virtuose, sans l'agrément duquel il n'était pas de succès, non-seulement l'orchestre devait se faire le très-hum- ble serviteur de la voix, mais l'opéra se réduisait aux pro- portions d'un concert dans lequel quelques airs, attachés au bout k. . l'orchestre italien avant rossini. 349 d'interminables récitatifs, que personne n'écoutait du reste, fai- saient briller le chanteur ou la chanteuse ; l'absence même des ténors et des basses nous montre assez quel était le sexe des chanteurs; on y ajoutait un duo à effet, un petit chœur bénin terminait la cérémonie, et compositeur, opéra et exécutants al- laient alU stelle. Mais il n'en était pas de même dans l'opéra buffa ou de demi-caractère , là le compositeur italien était vraiment maître; tout en réservant à l'art du chant la place qui lui était due, il ne sacrifiait ni son sentiment dramatique, ni la vérité d'expression, il suivait le drame dans ses développements, dans sa progression; son génie se trouvait là dans son élément; aussi dès les premiers maîtres, avec Pergolèse, Galuppi, Einaldo da Ca- pua, etc., nous voyons l'opérette, l'opéra de demi-caractère dé- bordant de gaieté, de tendresse, et riche de véritables mélodies, prendre plus de variété et d'animation. Pour compléter leur œuvre, les compositeurs italiens sentirent la nécessité de se ser- vir de l'orchestre et de lui donner plus d'importance. Après Gluck et Mozart, cette révolution se fit aussi dans l'opéra séria en Italie, et ce fiit alors que l'orchestre joua un rôle plus inté- ressant, jusqu'au jour où, passant par Piccini, Anfossi, Sarti, Ci- marosa, Guglielnû, Paesiello, Paer, Mayer, etc., il devii;it l'écla- tant et léger orclèstre de Eossini qui, faisant oublier tous ses prédécesseurs, excepté Cimarosa, résuma dans ses premières ma- nières les qualités, comme aussi les défauts, de l'instrumentation purement italienne. Après Pergolèse , cefiit Galuppi qui perfectionna les formes de l'accompagnement. Son instrumentation réside presque tout entière dans le quatuor et souvent même, comme dans l'ouverture HAttalo, on trouve de longs passages dans lesquels les deux premiers violons sont absolument seuls et sans basses ; mais gé- néralement sous les broderies des violons, les basses dessinent le rhythme par des accords plaqués ; quant aux instruments à vent, s'il s'en trouve, ils se contentent de doubler les cordes ou d'exé- cuter de longues tenues. U'est chez Galuppi que nous voyons ces interminables ritournelles de l'opéra aeria^ dont les Italiens ont conservé la tradition jusqu'à nous, et qui donnaient au virtuose le temps de jouir pleinement de l'accueil enthousiaste et bruyant de ses admirateurs. 350 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. Vers le même temps Einaldo da Gapna^ mort malheureuse- ment fort jeune, fit faire quelques progrès à l'instrumentation italienne, surtout dans Topera luffa, auquel il donna des déve- loppements considérables et par le style vocal et par Taccompa- gnement. Il chercha, dans les récitatifs avec orchestre obligé, à confier aux instruments quelques traits en rapport avec les senti- x ments des personnages. Dans le finale plein de gaieté et d'entrain de la Zingara (1753), l'instrumentation est d'un style plus soigné que ne le sont ordinairement les œuvres de cette époque. Parmi d'autres morceaux de ce compositeur, la Bibliothèque Nationale possède un air de soprano « al mio cor » daté de 1749 et avec accompagnement d'orchestre, dont la facture est d'une fermeté de touche qu'on rencontre rarement chez les Italiens du xvm® siècle. Jomelli continua les progrès indiqués par Galuppi et Einaldo y les broderies des violons devinrent plus riches et plus variées, et on peut même reconnaître quelques intentions de coloris instru- mental dans l'emploi des instruments à vent, comme dans le beau récitatif d'Argine de I>%d/)n et l'air de Mégaclès, où le cor est d'un heureux effet. On peut citer aussi comme pièce instrumen- tale le joli entr'acte du même opéra. Jomelli donna à l'opéra séria de plus grandes proportions, et le trio de Y Olympiade est une page des plus remarquables. Dans ses opéras bouffes comme Y Uccelltt' irice, la Schiava liberta, etc., le rôle de l'orchestrç prit une im- portance encore plus grande que dans ses opéra séria. En même temps que Jomelli brilla un compositeur qui ne tint pas le premier rang dans cette école, mais qui cependant ne fdt pas sans influence sur l'instrumentation italienne. Je veux parler de Bertoni, qui fdt le maître de Sarti, et dont le style marquait un certain souci de la couleur instrumentale. J'ai eu sous lei yeux deux partitions de ce musicien, Tancredi (1767) et YOrfeo (1776). C'est dans Tancredi que se trouve l'air que Gluck reprit pour en faire le célèbre morceau SUphigénie en Tauredi, « Le calme est rentré dans mon âme. 2) Bertoni n'a pas trouvé à la vérité le superbe mouvement d'orchestre qui accompagne cette scène, mais cependant l'instrumentation de Tancredi est de beau- coup supérieure à celle des musiciens contemporains ; l'ouverture, écrite pour violons, hautbois, cors et trompettes, violes, timbales. l'oechestre italien avant rossini. 351 bassons et basses, est suffisamment colorée au point de vue instru- mental. Quelques rehauts d'instruments à vent commencent à accentuer Texpression di*amatique, comme dans l'air d'Aménaïde. IkOrfeo est d'un style supérieur : en ouvrant la partition on se trouve devant un orchestre plein et sonore, mais (il y a un mais) Bertoni a étudié Gluck de si près qu'il s'est approprié jusqu'à ses mélodies. L'entrée d'Orphée dans les enfers, l'air d'Eurydice,, sont textuellement reproduits d'après VOrfeo. Fétis, en citant le fait, n'avait pas vu la partition, mais il est curieux de comparer les deux œuvres. Je dois à la vérité de dire que Bertoni a dai- gné réorchestrer son modèle ; comme lui, il emploie la harpe,, comme lui il oppose les terribles voix des dieux qui ne lâchent jamais leur proie aux plaintes désolées de l'époux d'Eurydice^ mais il trouve encore les trombones trop germains et les rem- place par des violons. Il faut lui rendre cependant cette justice que s'il a tenté de conserver la coupe célèbre de l'air d'Orphée, il a imité Gluck sans le copier absolument. Son biographe Caffi (1) avoue que le succès de cette partition à Turin a été dû en grande partie à la musique de Gluck; l'aveu est naïf, mais ne semble-t-il pas singulier que le compositeur auquel le maître allemand a fait rhonneur d'emprunter une mélodie et qui s'en est plaint si hau- tement soit justement celui qui a pillé l'auteur avec le plus. d'auda<îe ? Nous devons pourtant dire que dans les pages qui lui appartiennent, Bertoni a montré un véritable sentiment de l'instrumentation et une réelle habileté de touche. Dans ^J.rw^^rfed'Anfossi (1770), YHypermnesire de MiUico, et tant d'autres œuvres aujourd'hui bien oubliées, nous voyons le progrès s'accentuer peu à peu. Un beau récitatif d'une tou- chante expression, au premier acte âHArmidey est accompagné par les violons; le rhythme syncopé est marqué par les accords, des instruments à vent. De même Millico, sans tenir le premier rang parmi les maîtres de la mélodie italienne, paraît avoir mis un soin tout particulier à traiter l'orchestre; des pièces instru- mentales sont bien développées et la scène du meurtre des fils d'Égyptus, dans la partition d'ffypermnestr&, n'égale pas à la vérité la vigueur de la musique de Salieri , dans les Danaïdes, maia (t) Storia ddla Musica sacra nella cappella ducale di San Marco in Venizia^ dal 1318 al 1797, Venise, 1864-66. 2 toI. in-8*». S52 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. n'en est pas moins dramatiquement exposée. Elle est écrite à deax «hœnrsaTec orchestre complet. Outre les violons, flûtes, clati- nettes, hautbois, etc., le compositeur dit dans une note que pen- dant Torgie sanglante les cymbales, triangles, cors et trompettes doivent éclater de tous côtés. On sait tout ce que notre art doit à Piccini, aujourd'hui plus fameux, hélas ! par sa lutte avec Gluck que par ses œuvres. Le temps injuste a fait presque disparaître ses vrais titres de gloire, • Dîdon, VAmore soîdato, la Cecchina. Aucun maître ne montra plus d'élégance dans la mélodie, plus de grâce touchante dans l'expression, mais celui qui avait su donner le premier b,uk finale de l'opéra-bouffe inventés par Logroscino, leurs véritables déve- loppements, celui qui avait trouvé les* pages si gracieuses et d'une bouffonnerie si distinguée de YAmore soldato, celui qui avait écrit les scènes de Roland et de Didcn, si mélodiques et si expressives, était trop Italien pour ajouter- une réelle importance à l'orchestre. Une instrumentation claire et sonore, mais dans la- quelle nous n'avons rien de nouveau à citer, suffisait pour accom- pagner ses chants. Sans. avoir la valeur de Piccini, Sarti présente cependant au point de vue de l'instrumentation plus d'intérêt que l'auteur de Didon, Chez Sarti, qui fut le maître de Simon Mayer et de Che- rubini, et dont les nombreuses partitions révèlent une certaine habileté dans le maniement de l'orchestre, les instruments con- tribuent à l'expression par des solos ingénieux qui éclairent toute l'instrumentation. Fra due litiganti, Il terzo gode (1782), les Nozze diDorina, les Gelosie villane (1777) sont remplis de traits de ce genre. L'emploi de l'orchestre n'est pas encore bien pon- déré, il est vrai, mais l'intervention des instruments est sou- vent spirituelle et scénique. Dans le finale si mouvementé du premier acte des Ihie Utiganti, les réponses des cors aux trom- pettes et des flûtes aux hautbois, donnent beaucoup de variété et de coloris à ce morceau. Le trait de basson, au finale du second acte, est de l'effet le plus comique. Les Nozze di Donna, qui furent traduites et jouées en France sous le titre des Noces de Dorine ou ^Hélène et Francisque, contiennent un sextuor, « Cocodrilli o que piangete, ]d qui est une des meilleures pages du répertoire bouffe italien. Dans ce morceau, rempli de gaieté et d'entrain. ^1 l'obchestee italien. 363 Torchestre a une allure légère et indépendante, tout à fait en rapport avec la couleur générale de cette page charmante. Sarti ne se contentait pas des ressources instrumentales que lui offrait son art. Appelé en Eussie par l'impératrice Catherine, il écrivit nombre de partitions pour la cour de Saint-Pétersbourg, parmi lesquelles on compte un Te Deum, où les cors russes étaient réu- nis à Torchestre ordinaire. On sait en quoi consistent ces cors russes. C'était le corniste bohémien Maresch, qui avait. eu l'idée de réunir les cors des chasseurs russes, dont chacun ne donnait qu'une note et d'en former une échelle du grave à l'aigu, faisant sonner ainsi tous les degrés de la gamme par trente-sept cor- nistes. Cet orchestre fut entendu pour la première fois en 1755 ; il était composé des chasseurs du prince Narischkine. Les cornistes russes sont venus à Paris, si je ne me trompe , il y a une quarantaine d'années. Sarti ne borna pas là ses innovations. Chargé d'écrire un Te Bmm pour la victoire d'Ochzakow, il rehaussa encore l'éclat de son orchestre par l'emploi de la voix grave du canon. Ce n'est pas la première fois que nous rencon- trons cet engin de guerre dans l'instrumentation. Déjà en 1615, à la fameuse représentation de YOloferno, qui fit tant rire l'Élec- teur, déjà en 1643, dans le Te Deum de Eauch, le canon avait eu une partie importante. NoB-seulement Sarti n'était pas le pre- mier à jeter la poudre aux oreilles, mais encore il ne fut pas le dernier. Cari Stamitz donna ,à Nuremberg un concert instru- mental avec canon, enfin Meyer, dans son livre intitulé : Sou- venirs de la Russie^ parle d'un concert donné en 1836, à Krasnoé- Sélo, près de Saint-Pétersbourg, « dans lequel on exécuta un « morceau qui commençait par une introduction de vingt coups « de canon. Des trompettes , des tambours, au nombre de seize « cents, accompagnaient le chant et des coups de canou mar- « quaient les -temps forts de la mesure. » Je laisse au narrateur la responsabilité des seize cents trompettes , mais le canon n'a rien d'exagéré ; on sait quel usage Eossini a fait de l'^'tillerie , dans son Hymne au peuple français en 1867; en 1869, et 1872, deux fêtes musicales furent données à Boston, sous la direction de M. Gillimore, dans lesquelles le canon avait large part, Sarti trou7a une récompense bien digne de ses efforts : dis^acié par l'impératrice, il fiit secouru parPotemkin qui lui donna en toute 23 *\ 354 HISTOIBE DE L'INSTRUMENTATION. propriété un village de l'Ukraine où les belles voix abondaient; il y fonda une école de musique dont il fiit nommé directeur, avec le titre bien mérité de lieutenant-major de l'armée impériale ; on ne dit pas s'il était attaché à l'artillerie. Trois noms dominent cette brillante période de l'art italien : Cimarosa, Paësiello, Guglielmi; personne plus que nous ne rend pleinement hommage à ces maîtres qui ont illustré l'école ita- lienne, pendant les vingt dernières années du xvin® siècle. L'au- teur de la Nina, de PirrOy de la Fraacutanay du Barbier de Se- ville, de tant d'autres œuvres mélodiques et touchantes, occupe dans l'histoire de la musique italienne une place importante; mais au point de vue de l'orchestre le progrès est bien faible; ci- tons cependant le sextuor final du 1®' acte de PirrOy où le rôle des instruments à vent est intéressant. Notons, dans ce même opéra, les cymbales, triangles et tambours, dont Gluck du reste avait déjà fait emploi, et enfin la piquante et originale orches- tration de la marche du 2® acte, écrite pour hautbois, clarinettes, bassons et cors. Guglielmi, dont la musique est cependant d'un caractère plus profond, n'offre pas non plus dans son orchestratioii de particularité bien remarquable. Toutefois, l'ora- torio de Delora et Gisara, qui passe pour son chef-d'œuvre, est d'une tessitura d'orchestre plus ferme, plus solide que celle de ses opéras. Dans le duo El mio contente , les cla- rinettes, bassons et cors, répondant aux voix, sont d'un effet plein de charme et de poésie. Enfin Cimarosa, le plus grand maître de cette période, venu avant Eossini, presque en même temps que Mozart, a su rester immortel au milieu de tant de chefe-d'œuvre. Cette bonhomie mêlée de tendresse, cette chaleur d'âm0, Eossini ne les a pas eues, comme Mozart lui-même n'a pu surpaWr la grâce, l'esprit, la verve, la gaîté tèute scénique de l'auterj du Matrimonio segreto. Il est homme de génie et parmi les phis grand, mais il n'était pas de ceux qui font faire des progrès à l'instrumentation. Il se servit sans y rien ajouter de Torcher tre laissé parles maîtres italiens, mettant tous ses soins dans l'eifet scénique et dans la belle ordonnance des voix^; eff un mot, si Dieu avait permis que Cimarosa n'existât pas, certes il manquerait quelque chose à la musique , mais rien ne manque- rait à Tart de l'instrumentation. s l'orchestre italien. 355 Après Cimarosa et avant que Rossini eût absorbé toute l'é- cole italienne dans sa puissante personnalité, deux maîtres pré- parèrent les voies aux innovations instrumentales en Italie , je veux parler de Paer et de Mayer ; chez tous deux l'orchestre italien a plus de fermeté et d'accent; ils ont emprunté à Mozart quel- que chose de ses formes et de son style. Avec la Camilla de Paer nous nous trouvons en faos d'un orchestre peu puissant, il est vrai, mais expressif et varié. Le rôle des instruments à vent de- vient plus intéressant et leurs soli ingénieusemeut disposés éclai- rent l'instrumentation de la façon la plus charmante. L'ouver- ture n'a pas encore cet éclatant fourmillement de couleurs légères qui étincelle dans les ouvertures de Èossini, mais on sent que cette partie de l'opéra italien va prendre une forme nouvelle. Plus d'une page, comme le finale du V^ acte ou l'air de Lorédan, emprunte à l'orchestre ses meilleurs effets. On cite encore la scène de la cloche, dans laquelle les tintements de cet instrument sont utilisés de la façon la plus dramatique. Comme particula- rité instrumentale on trouve un solo de cor anglais au second acte. Moins connu que Ferdinand Paer, Simon Mayer est un des maî- tres qui ont le plus contribué au progrès de l'instrumentation italienne. Comme l'a fort bien dit M. Chouquet, dans son Histoire de la musique dramatique, « il manquait essentiellement d'indi- « vidualité et déjà on ne se souviendrait plus de sa fertile plume, « s'il n'eût compté Donizetti au nombre de ses élèves. » Au point de vue dramatique et mélodique, les œuvres de Mayer. n'offrent en effet qu'un médiocre intérêt ; mais, comme il arrive souvent aux maîtres secondaires, Mayer fut un de ceux dont l'influence se fit le plus sentir dans l'art d'instrumenter. Allemand égaré en Italie, il garda de son origine comme un sentimeùt inné de l'orchestration Sfr-de ses effets, et nous ne pouvons négliger de lui donner une place dans cette étude. Écrivant d'abord des ora- torios, il sut se former un style élevé et ferme. Ce fut dans Sajffh qu'il se révéla un véritable musicien coloriste. C'est à lui que nous idevonsle complet développement de l'ouverture, et, en ce genre, celle de LodoïsJca est un véritable chef-d'œuvre. C'est dans cette ouverture (1796) (1) qu'on trouve pour la première fois le cres- (1) Cette Lodoïska est la première en date dans l'œuvre de Mayer, qui com- 856 HISTOIBE DE L'HTSTEUICENTATIOX. cendo. Déjà nous voyons les premières tentatives de cet artifice dans JomeUi et quelques œuvres des maîtres qui ont suivi ; mais le crescendo qui s'obtient avec une seule phrase qni, partant de la basse^ parvient sur un accompagnement uniforme, en passant par les différents timbres des instruments, à soulever les masses du tutti, se trouve pour la première fois au complet dans l'ouvertore de Lodoîsha. L'effet de ce crescendo .fdt si grand sur le public à la première représentation , que la salle entière se leva pour ao- clamer l'auteur. On sait combien le pauvre Mosca réclama la priorité de cette inventioningénieuse, lorsque Bossini eut fait re- tentir le crescendo dans toute l'Italie ; mais LodcHska avait pré- cédé les œuvres de Mosca de quinze ans, et sans vouloir dépré- / cier le génie de l'auteur du Barlner par cette revendication un peu tardive, le fait est curieux à noter (1). Bien des maîtres, tels que Fioraventi, Zingarelli, etc., brillèrent encore en Italie à l'époque qui nous occupe; mais leur orchestre ne présente qu'un fort médiocre intérêt ; ils n'ajoutèrent rien à l'art de l'instrumentation auquel Eossini devait donner l'éclat et la légèreté qui lui manquaient encore. posa trois opéras sons ce même titre, dont un bouffe (en 1800), qui est le plus connu. (1) C'était dauB une valse de ses Pretendenti ddusi, opéra joué en 1811, que Mosça prétendait avoir employé pour la première fois le crescendo. M. le docteur Girolamo Calvi a publié dans la Gazette musicale de Milan (1845-47) une longue et consciencieuse étude sur Simon Mayer, à l'époque où ce maître mourut. ( 'I CHAPITRE XI. BEETHOVEN ET WEBER. — LE COLORIS ET LE ROMANTISME DANS L'INSTRUMENTATION DRAMATIQUE. Arrivés à cette phase de notre histoire, nous retrouvons en- core ce nom de Beethoven ^ qui domine toutes les écoles et plane conune un génie bienfaisant sur Tart de l'instrumentation. Nous l'avons vu dans la symphonie, traduisant, avec les ressources que lui offrait l'orchestre , une pensée musicale , la dramatisant, pour ainsi dire, tirant d'elle tous les éléments d'émotion dont elle était susceptible. Là l'orchestre seul régnait en maître ; il était à la fois, la scène, le décor et presque le personnage. Au point de vue purement idéal, Beethoven avait élevé à son plus hauf degré de perfection l'art difficile de mélanger les timbres, de manier les forces [instrumentales. Avec lui l'ancienne symphonie avait dit son dernier mot, et pour trouver des effets nouveaux, les compositeurs avaient dû altérer ce genî*e, et entrer dans une voie que le grand maître lui-même avait indiquée. En abor- dant le théâtre, Beethoven, renversant les effets de la sympho- nie, avait dû astreindre l'orchestre à traduire un sentiment plus défini, à se soumettre aux lois qu'exige l'action dramatique. Là, comme dans la symphonie, ainsi qu'il arrive toujours, il fat à la fois et continuateur et précurseur. Gluck, Mozart, Cherubini, Méhul, dont il appréciait fort les œuvres, lui avaient montré de quelle puissance était l'orchestre dans l'expression des sentiments dramatiques; il suivit leurs traces, mais les dépassa. Non seule- ment il fit de l'orchestre un utile auxiliaire de la pensée mu- sicale, mais souvent il lui confia la partie la plus expressive et la plufi saillante de la scène, et cette profondeur, qui n'est pas sans avoir nui à la popularité de Fidelic, est justement ce qui fait de l'instrumentation de cet opéra une des plus intéressantes à signa- ler pour le sujet qui nous occupe ici. Nous avons réuni Weber et Beethoven, non parce que ces 858 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. deux hommes de génie présentent entre eux beaucoup de points de comparaison, leur œuvre provenant de deux esprits absolument différents, mais parce que, arrivant dans la première moitié du siècle, ils exercent tous deux sur l'instrumentation dramatique une influence prépondérante. C'est de Weber que procède au- jourd'hui en grande partie notre orchestre moderne; c'est à lui que nous devons ce coloris, cette variété, cette poésie qui dis- tinguent l'instrumentation des maîtres qui l'ont suivi. Ingénieuse- ment marié à celui de Eossini, le style de Weber a donné nais- sance à l'orchestre de Meyerbeer, qui emprunte à l'un son éclat et son brio, sa forme si favorable aux grands effets scéniques, à l'autre la solidité des dessous, la poésie du coloris; pour les détails mêmes , tels que l'emploi des instruments à vent, nous voyons l'auteur des HiiguenoU s'inspirer directement du créateur du Freyschuiz. Moins profond peut-être, mais plus pittoresque et plus léger que l'orchestre de Beethoven, celui de Weber, venant se fondre avec celui du .grand maître, forme cette instrumentation moderne sur laquelle s'appuie la symphonie dramatique, avec ou sans chœurs, qui est une des gloires de notre école et dans la- quelle briUent au premier rang Berlioz et Mendelssohn. Enfin si, devançant le temps, nous arrivons jusqu'à Bichard Wagner qui semble devoir apporter dans l'art de l'orchestre de si importantes modifications, nous sentons encore la souveraine influence de Weber. Au concert conmie au théâtre, les traces de Weber et de Beethoven, se laissent toujours apercevoir malgré toutes les ré- volutions que les maîtres qui leur ont succédé opérées dans l'art instrumental. L'orchestre de Ftdelio est un des plus riches et des plus expres- sife du répertoire dramatique. Il procède par petits groupes se mouvant avec aisance, mais composés d'un grand nombre de parties aux dessins variés. Ce style, qui est celui des grands maî- tres symphonistes, rend la trame instrumentale des plus curieuses et des plus intéressantes ; ainsi disposé, l'orchestre est propre à re- cevoir tous les dessins sonores nécessaires à l'expression des sentiments divers , mais, il faut le dire, il n'a pas pour le public la carrure et la clarté qui distinguent les orchestres moins beaux, moins réellement puissants, dont les compositeurs italiens se sont servis et qui semblent brossés par grandes taches, comme des dé- BEETHOVEN ET WEBER. 359 cors de théâtre. Ainsi que l'a justement remarqué Berlioz, « il faut tout écouter dans cette musique complexe ; il faut' tout en- tendre pour pouvoir comprendre. Les parties de l'orchestre, les principales dans certains cas, les plus obscures dans d'autres , con- tiennent quelquefois l'accent expressif, le cri de la passion, l'idée enfin que l'auteur n'a pas pu donner à la partie vocale. » C'est là, en effet, le caractère particulier du style instrumental de Bee- thoven. Au théâtre, il est plus que riche, il est prodigue; chaque instrument concourt par son timbre à l'expression de la passion, et grâce à la multiplicité des mouvements, il donne à son or- chestre une étonnante intensité de vie et de sentiment. Fidelio est le seul opéra que le maître ait écrit. Chaque page de la partition mériterait de nous arrêter, mais il est dans l'en- semble même de l'instrumentation une quahté dominante qui distingue cette œuvre entre toutes et que nous ne retrouverons que bien rarement dans les ouvrages des autres compositeurs; je veux parler de cette habile progression qui , suivant la pièce dans sa marche dramatique, proportionne l'effet instrumen- tal au progrès croissant de la passion , pour aboutir au dé- noûment, avec la plus grande somme de sentiment et de puis- sance dont l'orchestre puisse être susceptible. Simple d'abord, délicatement travaillée, l'instrumentation grandit à mesure que le drame s'acQentue davantage; ce n'est plus la progression de Gluck, marquant les incidents d'une scène déterminée, c'est une progression insensible , s'attachant avec une scrupuleuse fidélité à toutes les péripéties du drame , jusqu'à l'explosion finale où Léonore, vibrante d'amour et de courage, se dressé menaçante devant Bizarre. Ce n'est pas par l'emploi d'instruments nouveaux, par des combinaisons sonores extraordinaires, que se distingue la partie tion de Fidelio ; aussi est-il bien diflBcile à une plume aussi inexpé- rimentée que la nôtre de donner au lecteur une idée de tous les détails dont fourmille l'instrumentation de cet opéra. Du reste Berlioz, que nous retrouvons chaque fois qu'il s'agit d'étudier une belle œuvre, n'a pas manqué d'analyser l'opéra de Beetho- ven, et notre critique ne peut que suivre humblement les traces laftsées par ce grand maître. On a jugé sévèrement Fidelio : le style du symphoniste a paru B60 HISTOIRE DE L'iXSTBnCEXTATIOK. trop chargé, trop instromental ponr des anditenrs habitués à ne chercher la yéritable sittiation dramatique qne dans la partie to- cale d'un opéra. Cette œuvre complexe, qui s'impose , mais qni yent qu'on se donne la peine de l'écouter pour la comprendre, a été et est encore aujourd'hui une de ces partitions que les dilet- tanti respectent d'après le nom dont elles sont signées, mais qui en France surtout, n'ont jamais joui de la fareur puUique ce qui la ùàt paraître à ces amateurs froide, obscure, peu sôénique est justement ce qui la rend ici digne de toute notre attention. Le sujet est sombre et terrible^ les chanteurs j scmt traités en esclayes, sans pitié, soit, je souscris à toutes ces critiques, je ne les discute même pas, mais il n'est pas une note de l'orchestre qui n'ait son sens dramatique et passionné ; il n'est pas un instrument qui ne &S8e pour ainsi dire partie des personnages, Yoilà ce qui pour nous fait de FideUoy l'opéra unique de Beethoyen,- un des plus intéressants de la période moderne. Toute la première partie, jusqu'à l'air de Pizarre, est instru- mentée d'une main légère ; l'air de Marceline, si élégamment brodé, le quatuor d'une simplicité orchestrale presque italienne, la marche des soldats, ou ]e grondement des timbales, mêlé aux sourds pizzicati des contrebasses, fait un si étrange effet, que bien des compositeurs ont reproduit depuis , semblent comme une introduction au drame instrumental et yocal,.qui va se dé- rouler devant l'auditeur. C'est avec l'air de Pizzarre que le drame s'acceptue; l'orchestre alors sonne puissamment, c'est tout un tableau, je dirai même plus, c'est tout un caractère. C'est par de pareils morceaux que le maître a innové 4aus la musique dra- matique. Peindre non-seulement les mouvements de la passion, mais encore un personnage au moyen de l'orchestre, c'est ce qu'ont fait, ou cherché à feire, les plus grands maîtres de l'école contemporaine, et Beethoven, poursuivant en cela l'idéal rêvé par Gluck, paraît être le premier qui ait résolu avec autant de perfec- tion ce problème difficile. Parmi les formes curieuses de l'instru- mentation, qui présentent de l'intérêt non-seulement par leur nouveauté, mais encore par la puissante vérité de couleur dra- matique, il faut citer l'accompagnement de cors et bassons qui soutient l'air de Fidelio. Dans la scène du préau, le rôle de Yàt- chestre est des plus singuliers. Grétry, chez lequel le musicien BEETHOVEN ET WEBER. 361 démentait souTent le critique, avait dit assez finement en parlant de la clarinette : a: Si on chantait dans ime prison, ce serait avec accompagnement de clarinette ; j> il est juste de remarquer que le compositeur n'a point fait usage de cet instrument dans Bi~ chard Cœur de Lion^ mais si Beethoven n'a pas cru devoir notii plus nous faire entendre les longs soupirs de la clarinette solo,. du moins a-t-il donné aux instruments à vent un caractère doux et mélancolique tout à la fois dans la délicieuse phrase mélodique, dessinée par l'orchestre sous le murmure des voix. Le final du second acte est encore une page d'une incroyable har- diesse. Ici, loin de déchaîner l'orchestre, pour terminer avec éclat l'acte commencé, Beethoven en a réprimé les forces et lorsque la toile tombe, la couleur du style vocal et instrumental a dans sa sombre simplicité quelque chose de mystérieux et de terrible A partir de ce moment, l'orchestre se lie encore plus intimement à la scène ; la belle et dramatique symphonie qui sert d'entr'acte ,. et qui se rattache d'une façon si heureuse et si nouvelle à l'air de Florestan, cet air lui-même où le hautbois, suivant le chant à la- manière de Gluck, pleure avec le malheureux prisonnier, le sombre et terrible duo de Rocko et Fidelio, la scène du pistolet, où l'or- chestre et les voix- concourent également à l'expression drama- tique, et le duo des deux époux, sont des pages trop connues, trop admirées pour que j'aie ici à en rappeler les principaux traits. Beethoven, comme jarluck, comme Mozart, comme quelques- uns des grands maîtres de l'école française, a compris l'ouverture comme une sorte de résumé du drame qui doit se dérouler devant les spectateurs. Là, le maître symphoniste se retrouve dans toute sa puissance et toute sa force. C'est par le développement de l'idée mère, par la progression dramatique du morceau instru- mental que ces pages- brillent parmi les chefe-d'œuvre. Le maître quelquefois, comme l'avait fait souvent Mozart, comme le fit plus, tard Weber, prit quelques thèmes saillants de sa partition qui devaient servir de fondations à son édifice sonore. Mais quelque- fois aussi, comme dans Fidelio, par exemple, l'ouverture chez lui se relie au drame par le sentiment, par la couleur, par l'enchaî- nement des idées; en même temps elle forme une œuvre pour ainsi dire détachée, qui à elle seule reproduit jusqu'à un certain- point l'action dramatique. Beethoven a écrit onze ouvertures,. 562 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. •celles de Prométhée, de Gortoïan, S!Egmont, les trois à'ÉUonore «en ut, celle de Fidelio en mi, celles des Ruines d'AtMnes et du Roi Etienne, plus deux autres sans sujet et dédiée aux princes Eadziwill et Galitzin. Cette dernière n'est à proprement parler qu'une sorte d'exercice musical. Schindler nous apprend que dans Tété de 1822, Beethoven, cherchant le sujet de l'ouverture destinée à l'inauguration du théâtre de la Josephsstadt, à Vienne, choisit deux thèmes dont l'un devait être traité dans le style de Haendel et l'autre dans sa propre manière ; mais, malgré une introduction magistrale, malgré un développement intéres- >sant, cette page d'une forme un peu scolastique réussit peu (1). De ces onze ouvertures, les plus belles sont , sans contredit, celles à!Egmontetà!è Coriolan, et enfin les quatre de Fidelio (2). La préface dUEgmont est un des plus parfaits modèles des ouvertures qui retracent les péripéties d'un drame. Gotfried "Weber l'a fort bien caractérisée : « C'est, dit-il, le miroir magique qui reflète tous les grands traits de la tragédie, le chaud entraînement qui dis- tingue toute l'action, la noble grandeur du héros, la tendresse de son amour, les plaintes de Clara, la gloire, et l'apothéose du héros qui tombe sans avoir plié. » L'ouverture de Coriolan semble une page détachée de Shakespeare. C'est dans une nuit d'inspi- ration, disent les historiens, qu'il écrivit entièrement ce ma- gnifique morceau digne de servir de préface à l'héroïque tragédie du poëte anglais, et cependant, malgré le souffle tout shakes- pearien qui l'anime, malgré l'élévation de la pensée, malgré la puissance de développement qui règne dans cette composition, ce n'est pas pour la pièce anglaise que fat écrite cette ouverture. TJn poëte allemand, Collin, avait écrit un Coriolan, Afin de donner plus de relief à sa tragédie, il la porta chez Beethoven en le priant de lui faire une ouverture. Peut-être Beethoven connais- sait-il le Coriolan anglais, peut-être le caractère vindicatif et in- domptable du rude Romain l'inspira-t-il, comme il avait inspiré Shakespeare, tant est-il que les critiques ont trouvé avec raison «des rapports frappants entre le Coriolan de Shakespeare et l'ou- (1) Lenz (W, de), Beetlwvm et ses trois sti/îes. 2 vol. in-12. (2) On peut remarquer que Hummel a réduit l'ouverture de Prométhée pour une flûte, un violon et un violoncelle, mais je ne sais si cette aberration d'un homme de talent a eu grand succès, même parmi des dilettantes flûtistes. BEETHOVEN ET WEBEE. 363 verture de Beethoven; mais, si l'anecdote est rigoureusement vraie, elle prouve une fois de plus Tintime parenté qui relie entre eux les grands génies. Beethoven a donné au monde musical ce grand exemple d'un maître qui, non content de son œuvre, la refait, et la repré- sente au public sous une nouvelle forme. Les quatre ouvertures composées pour l'opéra de Fidelio permettent de juger quelles différentes formes peut prendre l'inspiration sur le même sujet. Deux de ces pages sont composées sur un plan analogue ; les thèmes sont les mêmes, le développement de même dimension; elles ne diffèrent que par des détails de modulations et l'or- chestre ; une troisième, d'un sentiment plus doux et plus élégant, mais répondant moins au sujet de la pièce, vint après ces deux premières ; enfin fdt écrite la véritable et splendide ouverture de Fidelio. Jusqu'ici Beethoven avait suivi le procédé qui consiste 4 faire de l'ouverture une sorte de résumé de l'œuvre, qui en rappelle les principales situations par les mélodies que l'auditeur retrouvera plus tard; dans l'ouverture de Fidelio^ le maître voulut faire une page qui, détachée de l'œuvre, vécût par elle- même conmie un morceau symphonique où passerait le souffle puissant d'un drame. Si nous faisions une histoire détaillée de l'ouverture, nous aurions à nous étendre longuement sur la com- paraison de ces œuvres si différentes et qui cependant se ratta- chent à un même sujet, non-seulement par leurs titres mais en- core par le sentiment qui les inspire ; mais d'autres maîtres nous attendent, dont les œuvres nous restent encore à étudier. Une grande révolution se prépare dans l'art de l'orchestre; obéissant à cette loi de progression qui la régit depuis deux siècles déjà, l'instrumentation va s'enrichir de formes nouvelles, et pendant que Beethoven écrit ses dernières œuvres, un jeune maître s'é- lève en Allemagne qui va ouvrir aux musiciens des horizons inconnus : ce maître, c'est Weber, qui marché fièrement à la tête de récole instrumentale moderne , précédant Meyerbeer, Mendelssohn, Berlioz et R. "Wagner. En effet si on voulait, en étudiant l'histoire de l'instrumenta- tion, marquer une nouvelle période, c'est de Weber qu'il fau- drait la dater. Avec l'auteur de Freyschutz, nous voyons ap- paraître pour la première fois dans l'art un élément nouveau 364 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. auquel les Allemands ont donné le nom de naturalisme. Cet élé- ment est plus facile à nommer qu'à définir, il tient en même temps et de l'imitation de la nature et du sentiment poétique de celui qui écoute ses voix mystérieuses. Le naturalisme réside à la vérité en partie dans la mélodie et l'harmonie, mais surtout dans l'or- chestre, dont les voix multiples se prêtent avec une incroyable souplesse, non-seulement à la peinture variée des faits naturels, mais encore à tous les rêves de l'imagination. C'est pour ainsi dire à l'orchestre qu'appartient cet art nouveau qui ne pouvait naître qu'à l'époque où l'instrumentation, complètement formée, était en possession de tous ses moyens. C'est donc ici qu'il convient d'é- tudier ce genre de musique dont l'influence est si grande sur nos écoles modernes, d'en indiquer l'origine, d'en montrer les ré- sultats. C'est à nous de tenter de définir cette poétique nouvelle de l'orchestre, qui vient moins des dispositions générales de l'instrumentation que de l'art d'associer les timbres, art dont le sentiment appartient au génie seul, dont les lois ne peuvent être fixées et qui a nom, le coloris. Nous n'avons point à faire ici un cours d'esthétique com- parée , cependant il est nécessaire pour expliquer la révolution qui s'apprête avec Weber dans la musique et surtout dans l'or- chestre, de remonter un peu dans l'histoire littéraire. La mu- sique n'est pas, comme le prétendent certains, un art de genre, un caprice singulier de quelques imaginations bizarres; elle a sa raison d'être dans la logique humaine et c'est une étrange erreur de vouloir l'exclure de cette communion qui relie entre eux tous les arts. Une des sources les plus fécondes de l'inspiration poé-* tique est, sans contredit, la tendance de l'esprit humain, à donner des attributs divins à tous les phénomènes qui l'étonnent. Or c'est évidemment la nature et ses manifestations qui a le plus frappé les hommes. Tantôt formidable et écrasant tout dans ses colères , elle les a glacés de terreur ; tantôt bienfaisante et salu- taire , elle les a libéralement nourris et soutenus. Par crainte et par reconnaissance, les hommes avaient divinisé ces forces de la nature, et ces sentiments dont les poëtes se firent les interprètes, avaient donné naissance aux fictions poétiques, qui ont nom mythologie et qui chez les peuples fortunés de la Grèce et de l'Asie, comme chez les rudes populations de la Germanie, remon- 11 BEETHOVEN ET WEBER. 365 tent toutes à la même source. La gracieuse naiade, et la blonde waLdrye, sont sœurs. On sait, et de reste, quelles singulières mo- difications subirent les mythes antiques. Perdant peu à peu leur sens, les dieux de la fable ne représentaient plus les forces de la nature, ils étaient devenus comme une sorte de représentation fan- taisiste et allégorique des idées les plus abstraites, conçues par des peuples à l'esprit raffiné. Les mythes primitifs s'étaient conservés intacts chez les races germaines, qui les avaient transmis de géné- ration en génération ; il vint un jour où la légende et le conte fan- tastique, reste des mythes naturels, reprirent peu à peu leur place dans la poésie civilisée. Longtemps leur saveur sauvage effraya les lettrés, mais la puissante sève ne s'arrêta pas, elle inonda bientôt de ses effluves la poésie tout entière. L'heure avait sonné où, nouveaux Titans, les fiers et indomptables héros du Wahalla, les divinités terribles issues du culte de la nature, détrôneraient les anciens dieux majestueusement assis sur leurs nuages d'opéra. D'abord on résista, on arrangea ces récits aii goût du jour, on les rendit supportables pour les honnêtes gens; mais bientôt les poètes triomphèrent de tous ces scrupules, et la suave légende, avec ses étrangetés, ses charmantes inventions, dont chacune est comme une page arrachée au livre de la nature, vint répandre sur la littérature moderne comme un parfam printanier et fortifiant. C'est en Allemagne que cette poésie était née, c'est là qu'elle avait prit droit de cité ; ce fut naturellement un musicien de ce pays qui le premier comprit quelle puissance cet élément nou- veau devait ajouter à son art. Mais avant d'en arriver à traduire par les sons ces rêveries des sens inspirées par les voix mysté- rieuses de la nature , il avait fallu que la musique subît les dif- férentes transformations que nous avons étudiées. Suivant la loi immuable de l'histoire, cette révolution salutaire n'eut lieu que lorsque de longs siècles l'eurent préparée. En effet, venue à la fin du moyen âge au moment où la mythologie antique allait régner sans partage, la musique dut nécessairement s'inspirer des con- ventions de la Fable et il fallut qu'un nouvel élément s'introdui- sît dans la poésie pour donner naissance dans la musique à ce que les critiques ont appelé le naturalisme. Par une singulière anomalie, le mot naturaliarm désigne jus- tement le surnaturel. Tous les musiciens allemands et français 366 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. avaient cherché à peindre la nature ; Haydn, Beethoven avaient traduit dans la langue des sons les sentiments qu'elle fait naître. "Weber le premier alla plus loin; il ne rendit ni la nature, ni les sensations qu'elle nous inspire ; mais, ressuscitant, pour ainsi dire, les dieux qui l'animaient, il créa une nature nou- velle, dont les voix ont quelque chose d'humain, tout en restant en dehors de l'humanité. Son imagination lui fit voir ce monde dont Obéronest le roi ; les sylphes dansèrent devant lui ; il enten- dit chanter les nymphes de la mer, et vit Titania s'avancer sur son char fait d'une coquille de noix. Tout cela était encore la nature, car c'est en rappelant dans sa musique ses sonorités les plus pures et les voix les plus mystérieuses, qu'il nous trans- porte dans ce monde nouveau ; mais c'était la nature animée, per- sonnifiée pour ainsi dire, et de ses créations faiitastiques "Weber avait fait des personnages dramatiques. Nous assistons en ce moment aune sorte de crise musicale dont "Weber est le premier auteur. Abandonnant le drame et ses péripé- ties passionnées, les compositeurs modernes aiment à prendre pour personnages ces êtres d'imagination que "Weber a su si bien mettre en scène. Leur intervention permet au musicien de se livrer au charme de la rêverie, comme elle lui permet aussi de se laisser aller à l'entraînement de la musique descriptive , grâce au milieu dans lequel se meuvent ces êtres surnaturels. Dis- cuter cette question nous entraînerait trop loin ; mais que les musiciens se souviennent qu'un drame où manque la passion humaine ne peut être qu'une longue féerie symphonique. Des deux plus grands chefs-d'œuvre de "Weber, Oleron et FreyschutZy l'un est resté l'objet de l'admiration de tous les musiciens, sans cependant jouir d'une réelle popularité; l'autre, non moins poé- tique, non moins grand, a pris sa place à tous les répertoires; de de ces deux opéras, l'un est une admirable inspiration poétique, l'autre renferme les accents les plus pathétiques du sentiment purement humain. Que le sort différent, réservé à deux œuvres d'égal génie, serve d'enseignement aux compositeurs qui, en- traînés par le charmant mirage du rêve fantastique et surna- turel, croient pouvoir remplacer partout et toujours, dans une œuvre dramatique, le drame proprement dit par de gracieux ta- bleaux ou de poétiques rêveries. BEETHOVEN ET WEBBR. 367 Qu'on ne croie 'pas que cette longue digression nous ait écarté de notre sujet ; en eflPet, en créant un art nouveau, ce fut surtout à l'orchestre que "Weber demanda les accents inconnus dont il avait besoin. L'orchestre a été pour le maître une sorte de décor sonore dans lequel il a donné libye cours à sa poétique ima- gination. Le pizzicato des violons, élégante dentelle posée sur le tissu musical, l'emploi tout moderne des sons harmoniques^ le chant mystique des cors, les soupirs de la clarinette, la voix imposante des trombones, les cris stridents du piccolo, les perles, de la harpe, le son sépulcral du basson, toute la magie de l'orchestre en un mot, offre au musicien mille moyens de peindre le monde surnaturel. Aussi est-ce l'orchestre qui s'est le plus ressenti de la poétique nouvelle, c'est l'instrumentation qui aujourd'hui, soit au concert, soit au théâtre, tend à prendre chaque jour une part plus importante , au grand désespoir des dilettanti qui s'empressent de déplorer la mort de la musique, avant que la crise que nous traversons soit terminée , avant de connaître les résultats du grand combat musical qui se livre devant nous et dont Weber a le premier donné le signal. Les ouvertures tiennent dans l'œuvre du maître une place des plus importantes. Richard "Wagner a accusé Weber d'avoir créé ce qu'il appelle irrévérencieusement les ouvertures pois- pourris. Il est assez singulier que ce reproche soit fait à l'au- teur de Freyschutz par celui-là justement qui a écrit la plus belle ouverture moderne, c'est-à-dire la préface symphonique de Tann" havser dans le style qui lui paraît si condamnable chez Weber. Voici du reste ce que dit le compositeur allemand qui, malgré de grandes erreurs de critique, a trouvé plus d'une fois des ob- servations pleines d'élévation et de justesse : « Après les introduc- tions de Beethoven et de Cherubini, Weber produisit les siennes. Bien qu'il ne s'élevât jamais aux hauteurs sublimes atteintes par Beethoven dans son ouverture de Léonme, il suivit avec bonheur la voie dramatique, sans jamais s'égarer dans la pénible peinture des détails inutiles à l'action. Là même où, se laissant entraî- ner par la fantaisie à donner plus d'importance aux motifs accessoires que n'en comportait la forme de l'ouverture, telle qu'elle lui avait été transmise, il sut toujours contenir le drame dans ses limites. On peut donc attribuer à Weber la découverte S68 HISTOIEE DE L'INSTRUMENTATION. d'un nouveau genre : la fantaisie dramatique, dont l'ouverture d'Obéron est le plus beau type. Ce morceau d'harmonie exerça nne influence considérable sur les compositeurs modernes. Weber a fait là un pas en avant qui ne pouvait avoir que de brillants résultats, ainsi que nous l'avons vu, en raison de l'élan vraiment poétique de son inspiration musicale. » <£ Toutefois, on ne peut pas nier que l'originalité de la forme musicale ne souffre de la subordination à une pensée dramatique, lorsque cette pensée n'est pas considérée sous son aspect le plus large, c'est-à-dire dans le génie même de la musique. D'un autre ■côté le thème principal se trouve interrompu par les détails de l'action, lorsqu'il en est autrement. Comme j'ai l'intention de revenir sur cette question, je me contente de remarquer que cette manière devait nécessairement conduire à la décadence et rap- procher de plus en plus l'ouverture de ces morceaux d'harmonie que l'on a désignés sous le nom dû pots-pourris (1), » Ces observations du compositeur allemand sont justes dans toute la première partie ; mais les dernières lignes pèchent par la base. Il oubliait en les écrivant que Mozart dans l'ouverture de Don Juan avait donné un modèle de YouYerture pot-pourri, et lui-même se contredit un peu plus loin, lorsque c'est à Spontini, dans l'ouverture de la Vestale, qu'il attribue l'origne de ces sortes de préfaces instrumentales. Mais il est absolument dans la vérité lorsqu'il rapporte à "Weber l'honneur d'avoir donné naissance à la fantaisie dramatique, honneur qu'il partage avec le maître des maîtres, avec Beethoven. Freyschutz, Oheron, Euryanthe, les principales œuvres, en un mot, de Weber sont précédées d'admirables pages symphoniques que chacun connaît trop aujourd'hui pour que je revienne les analyser encore ici ; mais il est bon de constater un fait singulier. A partir de "Weber les écoles italiennes et françaises paraissent seules avoir consei*vé l'habitude de faire précéder un opéra par une ouverture. Rossini, Hérold, Auber, Berlioz seront les seuls pendant longtemps à en écrire, et on verra l'auteur de Zampa (1) Nous empruntons ce passage à la traduction que M. Guy de Ghamacé a donnée de quelques fragments de Wagner dans son livre intitulé Musique et •musiciens, Paris, 2 vol. in«12. Ce travail sur l'ouverture n'est pas le même que celui que Wagner avait inséré dans la Gazette musicale en 1811. BEETHOVEN ET WEBER. 369 prendre pour modèles les chefs-d'œuvre de "Weber et continuer la grande tradition instrumentale de Méhul et de Cherubini; mais les Allemands, qui semblaient passés maîtres dans l'art de compo- ser une ouverture, abandonneront ce genre de style. Les ouvertures chez Meyerbeer ne sont pas toujours la meilleure partie de son œu- vre ; Wagner après avoir composé la belle préface du Vaisseau fan- tôme et la fougueuse page de Tannkauser, s'arrêtera à son tour pour s'en tenir au prélude, genre nouveau inauguré à notre époque. Pour retrouver l'ouverture chez les Allemands, il faudra la cher- cher dans les musiciens qui, comme Mendelssohn et Schumann, semblent n'avoir pas osé aborder directement le théâtre, et s'être contentés de résumer dans uùe page instrumentale le sentiment dramatique d'un opéra, resté pour ainsi dire à l'état d'embryon. L'orchestre de Weber se présente à nous sous deux formes bien différentes, dont Oberon et le Freyschutz sont les plus par- faits modèles. L'un est plein de douceur, de charme, de poétique rêverie ; pour le roi des génies et ses légers serviteurs, les haut- bois, les flûtes et les cors, n'ont point de timbres assez aériens , les violons de sonorités assez pures. Assistons-nous au contraire, aux sombres mystères de la Gorge aux loups, les puissants tré- molos des cordes, les mugissements des cuivi'és, les sifflements aigus des flûtes, les résonnances étranges des cors, nous transpor- tent dans le fantastique le plus noir et le plus terrible, et toute cette page si attachante consiste dans les effets d'instrumentation, sans que ce qu'on est convenu d'appeler la mélodie, tienne la pre- mière place. Mais Weber ne s'en est pas tenu là; son orchestre, puissamment dramatique, excelle à rendre les mouvements de l'âme les plus tendres ou les plus passionnés. Comme Beethoven, il varie son style suivant le personnage. Max, Gaspard, Agathe, Annette, Eezia, retrouvent toujours dans l'orchestre l'écho des sentiments qui les animent. Nous n'avons pas à constater dans l'œuvre de Weber la pré- sence d'instruments nouveaux ; c'est par la merveilleuse intelli- gence de l'emploi des différents timbres que le maître a créé ce coloris que les musiciens modernes ont tant de fois imité depuis. Le cor a été traité par le maître avec un soin tout particulier, soit que ses éclatantes fanfares, perçant les monts et les bois, remplis- sent l'air de joyeuses harmonies , soit que ses appels mystérieux 24 • \ 370 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. semblent réveiller dans la nature endormie les génies des bois et des eaux. Personne mieux que Weber n'a su faire jeter au milieu de», rorchestre, parla clarinette, ces longs cris de douleur et d'é- pouvante, qui semblent une plainte de damné traversant les fo- rêts. Pour la clarinette il a trouvé des phrases spéciales, ces lentes et poétiques gammes chromatiques qui permettent de faire admirer la richesse de ses timbres. Quoi de plus beau que les deux phrases de clarinette des ouvertures de Freyschutz et à'Oberonf Les mille combinaisons du petit orchestre sont aussi variées chez Weber que chez les maîtres les plus modernes. Ici c'est le joyeux basson accompagnant le chant de Kilian, là c'est la sonorité étrange et sonore des bassons venant aboutir à la brillante explosion sonore où les instruments à vent chan- tent à plein souffle sur l'accompagnement des cordes ; plus loin, dans l'air de Max, aussi profondément dramatique que poé- tiquement pittoresque, le petit orchestre forme tout un tableau, on pourrait croire que l'andante analogue et instrumenté dans le même style que l'air d'Agathe est comme une réponse au souvenir touchant et amoureux du jeune hcgnme. Oheron, Eu- ryanthe sont remplis de merveilles de ce genre , tels que l'ac- compagnement pianissimo des cuivres dans le trio dHOheron; les cordes ne sont pas moins bien partagées ; écoutez le délicieux accompagnement d'alto dans la ballade d'Annette, les empor- tements fougueux et dramatiques des violons dans le sublime air d'Agathe. La tendresse, l'emportement, la grâce féminine, vien- nent se fondre dans cet orchestre avec une incroyable harmonie; chacun de ces accents est un tableau nouveau ou une expression profondément sentie. Au sentiment juste et vrai de l'expression vient se joindre la richesse et la variété de l'orchestre. Dans le pittoresque fantastique dont Weber est le créateur, les instru- ments régnent en maîtres. Quel que soit le tableau, ou la gra- cieuse danse des génies au final ôiOleron^ avec la délicieuse bar- caroUe que le cor accompagne, ou la fonte des balles, ou la ronde délirante que conduit le cor d'Obéron, toujours dans ces pages l'orchestre est au premier plan. Jamais avant Weber on n'avait donné dans la musique dramatique une si grande part à l'ins- trumentation. Aussi avons-nous dû faire dater des œuvres du maître allemand la tendance que nous remarquons aujourd'hui BEETHOVEN ET WEBEB. 371 dans les compositeurs modernes. Si nous avons été assez heureux pour rendre claire notre pensée, si nous sommes restés fidèles au plan que nous avions conçu, après avoir étudié Weber et Bee- thoven au concert et au théâtre, après avoir montré d'un côté la symphonie devenant dramatique et pittoresque, de l'autre le drame lyrique empruntant au développement instrumental de nouveaux éléments d'eflPets et d'émotion, nous pouvons espérer que le lecteur, dans les chapitres qui vont suivre, se rendra compte de la révolution à laquelle nous le feirons assister, lors- que nous parlerons de Meyerbeer, de Berlioz, de Félicien David, de Richard Wagner, de tous les maîtres en un mot, qui, malgré les dififérences de leur génie, ont suivi par des chemins divers la voie dans laquelle le sublime auteur de la symphonie avec chœurs, et le poëte de Freyschutz et A'Oberon les avaient précédés. ?. CHAPITRE XU. ^tOSSmi ET METEBBEER. Cimarosa, Zingaielli, PaesiellOy ménageant axant tout ks Toi^ miûtrisantde parti pris la puissance de loichestre, avaient donné à la mâodie pore et à la iessiàtra Tocaley tonte la force d'expression dont elles étaient susceptibles à cette époque. Ce- pendant^ autour d'eux, de grandes rérolntions s'étaient accom- plies. Glnck, MoKart, pour les AllAfnnndR^ Mâiul et tonte Féoole française^ étaient entrés dans la Toie du pn^rès. Les Italiens même, qui avaient quitté leur pays, le tendre Hccini, Saodiini, Salieri, ^pondni, dierubini, avaient senti le besoin de faire à l'orchestre une part plus grande dans l'expression dramatique; bien plus, au sein m&ne de l'Italie, Bertoni, Paer, Maver n'avaient pas craint de violenter le goût des dikttanti, et si on ksavait un pen traités de ÊÊdesMy du moins avait-on apprécié leurs œuvres. Enfin, et ceci se passait en 1813, ks Italiens avaient compris en écoutant DonJwm^ que si Mosart n'avait pas oabUé les le- çons qu'il avait pnses ai Italie, dn moins il avait su puiser, Smsl ses conqiatriotes et dans son génie, les secrets d'nn art pour lequel Finstrumentation était nn puissant moyen d'effet dramatique; ks Italiens ocHumençaient à sentir le besoin d'une muâqne pliB nervmise ^ ptns forte, et la camère s'onvrait Isillame pour le muaden capable ai nnâne tempsi, et de rmouveler les formes de la mélodie, et del'emidiîr par une harmonie et une instrum enta- ti«m plus dramatîqnes et plus coloiée& Ge musicîeB foc Rossini, et Tamtndiy le dixième oçia% du m;dtre, marqua Fèie nouvelle de la mii^[ue italienne. Lliistoîre de Forchestre de Boesinî pcnt être fidâement suivie par cnâDe duronolpgiqoe, et diaqœ omvre paraît préparer la sornoit^ ROSSINI ET MEYERBBBR. 873 jusqu'au moment où cet orchestre arrive, avec Guillaume Tell, à son plus haut degré de perfection. Tancredi, qui aujourd'hui nous semble bien démodé, donna cependant le signal de la révolution musicale, et, malgré son succès éclatant, ne fat pas sans encourir le reproche d'être trop brayamment et trop savamment orchestré. EneflPet, le jeune maître avait essayé ses forces avec ses premiers CipéTBa,YIhganno Felûe, la Piefra di Paragone, etc. Il avait entendu les œuvres de Mozart \ il résolut de sortir dé page et de frapper un grand coup. Avec Tancredi, il transporta dans l'opéra séria les trios, quatuors, et mor- ceau:^ d'ensemble que les Italiens avaient jusque-là consacrés àl'Q- péra luffa; il serra de plus près le récitatif, introduisit de nouveau dans l 'opéra la voix de basse qui en avait été bannie, enfin jeta dans l'orchestre plus de vie et de mouvement; les traits brillants se multiplièrent , les instruments à vent jouèrent un rôle plus actif et longtemps encore on parla de l'autre côté des Alpes de l'éclat des trompettes dans le duo guerrier de TancredL En sui- vant l'histoire de l'orchestre, nous avons vu que les Italiens de la vieille école avaient beaucoup employé les instruments les plus bruyants; mais les contemporains de Rossini avaient oublié les anciennes partitions qui dormaient poudreuses au fond des con- servatoires, et si quelques-uns forent scandalisés des audaces du jeune maître, le public applaudit à outrance ces hardies innova- tions, et peu s'en fallut que Eossini passât pour avoit découvert la seule, la vraie musique dramatique. Est-on sûr aujourd'hui même encore que quelques amateurs ne considèrent pas l'au- teur de Sentir amide comme le père de la musique moderne, et ses œuvres comme l'Évangile hors duquel il n'est point de sàlut ? Dans l'opéra bouffe, l'œuvre de Rossini offrait moins de diflâ- cultés ; tout ce que le génie italien possédait de richesse mélo- dique, de justesse dans l'expression, de gaieté, de tendresse, de sentiment dramatique, les vieux maîtres l'avaient répandu à profusion dans leurs opéras bouffes et de demi-caractère et on peut dire que si Rossini accomplit définitivement une révolution déjà commencée dans l'opéra séria, du moins il ne fit que perfec- tionner, pour l'opéra iuffay un genre dans lequel on comptait déjà d'incomparables chefe-d'œuvre, comme le Matrimonio se- greto. Moins franchement gai que Cimarosa, il ftit plus brillant , 874 HISTOIRE DE L'INSTBUMENTATION. moins profondément tendre, il fut plus varié. C'est avec Vlia- liana in Aîgieri qu'il débuta dans la voie qu'il voulait suivre. Écoutez cet orchestre léger, vivant, toujours rhythmique et mé- lodique ; rien de charmant comme cette instrumentation pour ainsi dire vernie, qui fait ressortir chacune des paillettes de la mélodie. Partout, même dans le &meux Fapatact, si bruyant et si éclatant, l'orchestre respecte les voix, les suit et les soutient; mais comparez avec Ylialiana certains passages du Mairimonio, et plus d'une fois vous retrouverez dans la formule un peu maigre 4e Oimarosa le thème premier des broderies dont Rossini habille si richement son idée mélodique. Dans ses ouvertures seulement, Rossini laisse bien loin derrière lui l'immortel auteur du Ma- monio, mais nous aurons à revenir, sur cette partie intéressante de l'œuvre du maître de Pesaro. Tancredi, pour Y opéra séria, Vltaliana in Aîgieri, pour Y opéra Tmffa, n'étaient que les brillants préludes d'oeuvres plus complètes et dans lesquelles l'orchestre devait jouer chaque jour un rôle plus important. C'est en 1816 que Eossini fit représenter le Barbier, qui est resté et restera son chef-d'œuvre bouffe, et Otello, qui avec la Semiramide et Mose, est un des opéras les plus importants ^t les plus intéressants de l'œuvre de Eossini à l'époque ita- lienne. Tous les termes de l'éloge ont été épuisés pour admirer di- gnement le Barbier de Séville, le chef-d'œuvre de l'opéra bouffe italien. Rien n'a manqué à cette œuvre, pas même les critiques .qui donnent plus de prix à la louange. Nous partageons sans restriction l'enthousiasme dont cette adorable partition a été l'objet, mais qu'on ne nous demande pas de trouver la moindre trace d'amour et de tendresse dans ces brillants conceiti musi- . eaux, de considérer l'orage du second acte comme une véritable tempête, mais bien comme un simple grain, assez peu dangereux et tout juste suffisant pour préparer l'entrée d'Almaviva. La part de l'orchestre, dans ce feu pétillant d'esprit et de mélodie, est faite avec un goût et un tact parfaits. Jamais bruyant, toujours juste dans ses effets, il vole allègre et gai sous le parlante du récitatif, fleurit avec ses broderies d'une incroyable verve le , chant, qu'il soutient sans le couvrir. Lorsqu'il doit concourir à l'expression dramatique ou au mouvement de la scène, l'orchestre E08SINI ET MEYEBBBEE. 375 du Bardier devient d'une extrême délicatesse ; je n'en veux pour exemple que la marche si spirituelle qui annonce l'entrée d'Alma- viva. L'air de la calomnie, tout en conservant certaines formules bouffes, que Rossini n'a même pas abandonnées dans V opéra séria, est presque orchestré à la française, d'une façon serrée, des- criptive et pittoresque. Stendhal, blâmant cet admirable morceau, a prétendu que c'était un extrait de Mozart. Sans être absolument vraie, son observation ne manque pas de justesse. Dans cet air l'orchestre est loin d'être tudesque et barbare , comme le critique semble le croire, dans sa passion aveugle pour la première manière de Rossini ;mais il arrive en effet à une puissance, à une sonorité, à unie justesse de description, qui rappellent un peu les bonnes pages du grand maître allemand. C'est encore de l'opéra bouffe, mais il s'en faut de bien peu que le maître, emporté par son sujet, ne force la note pour entrer de plein pied dans l'instrumentation dramatique. Avec Otelb, Eossinî, continuant l'œuvre commencée par Tan- credi, fit un grand pas dans la voie du progrès. La partition est bien incomplète, les caractères y sont peu suivis, les mélodies manquent souvent de l'expression qui conviendrait à un pareil sujet, mais dans plusieurs passages, le génie du maître qui écrira Ouillaume Tell perce au milieu de ces nom- breuses mélodies fleuries, et alors l'instrumentation s'élève avec la pensée créatrice du compositeur ; la belle phrase du finale « Se il padre m'abandonna, » l'air de la malédiction, la prière sont des morceaux de premier ordre ; trois passages surtout doi- vent nous arrêter dans le sujet qui nous occupe. Je veux par- ler du duo de la jalousie, de l'introduction du troisième acte et de la Romance du Saule. Ce duo, qui contient une des phrases les plus pathétiques de la partition « Non piu crudel un' anima, » est terminé , comme chacun sait, par une strette du plus vigou- reux effet. L'orchestre qui soutient la pensée musicale bouillonne, pour ainsi dire, sous le chant, les fdrieux triolets des violons pei- gnent admirablement la colère délirante du More, tandis que les grondements des basses complètent ce tableau frappant de vérité et d'expression. Nous pourrons faire remarquer en passant que cette inspiration de l'auteur dHOtelh n'a pas échappé à Verdi dans le fameux duo de Gilda et Rigoletto. C'est le même mouve- ! 376 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. ment^ la même marche mélodique, presque la même formule d'accompagnement avec une moins grande puissance de sonorité. Tout le commencement du troisième acte, avec, l'introduction^ la chanson du gondolier, la romance du Saule, est empreint d'un sentiment bien différent; mais là encore le rôle réservé à Torchestre mérite d'être signalé. L'introduction est une page instrumentale simplement écrite, mais remplie de poésie et de vague rêverie, et qui, avec la chanson du gondolier, prépare ad- mirablement l'auditeur à entendre Desdémone, cédant à de va- gues pressentiments, soupirer la romance du Saule. L'accompa- gnement de cette romance, dans lequel les traits de basses se mêlant aux sons perlés de la harpe, semblent les grondemeirts de la tempête glaçant d'eflfroi le cœur de Desdémone, ajoute en- core à la mélancolique poésie dont est empreinte la mélodie. Cette page serait parfaite si le musicien, obéissant aux habitude» italiennes, ou peut-être aux exigences d'une chanteuse, n'avait chargé le second couplet de la romance de fioritures et d'orne- ments, tort élégants sans doute, mais complètement hors de sai- son. Enfin nous ne poavons abandonner Oiello, sans remarquer que c'est dans cette partition que Eossini, suivant en cela l'exem- ple de Grluck et des musiciens français et allemands, remplaça dans Je recitavo secco de Vopera séria, le clavecin, par le quatuor d'accompagnement. Dans la longue liste des opéras italiens de Eossini, deux nous restent encore qui méritent d'arrêter notre attention ; Semira^ mide et Mose. Semiramide est une bien curieuse partition , dan» laquelle se mêlent de la façon la plus étrange des pages de grand maître, avec des contre-sens de situation, des vulgarités in- tolérables. Les Italiens prétendent que Eossini dans cette œu- vre a cherché la couleur locale; il y a en effet de la couleur et beaucoup, mais, si la couleur prétendue locale n'est pas une con- vention, je ne sache pas que cette couleur puisse s'apphquer plutôt aux Assyriens qu'à tout autre peuple, et nous devons même remarquer en passant que le seul boléro que Eossini ait jamais écrit, c'est dans Semiramide qu'il a trouvé bon de le placer. Malgré ces interminables duos, où les chanteurs, alternant comme des bergers de Virgile, se renvoient la mélodie, en l'ornant à qui mieux mieux de tous les oripeaux de la vocalise, malgré BOSSINI ET METEBBEER. 377 ces marches pins gaillerettes qu'afiSTrienneSy malgré ces nom- breux défauts, en un mot, cette partition est pour nous une des œuvres les plus remarquables du maître. Le style instrumental de Semiramide est à notre avis le modèle du style italien fleuri. Élégante, variée, légère, éclatante, colorée, avec ses traits, ses gammes, ses broderies pleines de fantaisie, l'instrumentation de cet opéra appartient, comme dirait un architecte, au genre flamboyant L'orchestre n'a ni la profondeur de Beethoven^ ni la poésie de Weber, mais avec quelle souplesse il soutient et ome la mélodie I Avec quelle adresse il accompagne la voix^ sans pour cela se laisser oublier ! Bien n'est plus agréabte et plus charmant que ces pétillements de sonorités, que ces entrela- cements de guirlandes musicales. Au milieu de tous ces orne- ments, des pages se détachent, tracées de main de maître et dans lesquelles l'orchestre vient prendre part à l'action de la façon la plus dramatique et la plus saisissante ; l'apparition de Ninus, le serment et l'ensemble c Quai mesto gemîto, d en un mot, tout le finale du premier acte est, non-seulement une des scènes lyriques les mieux réussies de tout le répertoire italien , mais l'instrumentation sombre et puissante de ce filiale, est des plus remarquables. Le serment, avec le solennel accompagne- ment de quatre cors, les gémissements de la clarinette sur le mouvement des instruments à cordes, le cri douloureux des cors^ au moment de la reprise de l'ensemble, la progression sonore habilement développée pendant toute la scène ; tout cela nous transporte bien loin de Tancredi. Si, en arrivant en France, Ros ani a imprimé un plus vigoureux élan à son génie, déjà, par ce final, il avait donné la mesure de ce qu'il pouvait faire, en met- tant le pied dans la voie qui devait le conduire à Ghiillaunie Tell. Étudiée dans ses détails, iSemiramide, abstraction faite de la vérité dramatique et de la couleur locale, renferme mille sur- prises charmantes qu'il serait trop long de relever ici, et dans le mélange des timbres et dans l'accompagnement vocal. Bossini, pour cette partition fit plusieurs innovations qui toutes ne furent pas absolument du goût de ses compatriotes, mais qui mon- trent jusqu'à quel point il était tourmenté du désir d'enrichir l'orchestre italien et de le transformer. C'est dans Semiramide 378 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. qu'on entendit pour la première fois le bugle à clefs. Dans la marche, Rossini avait mis un orchestre sur la scène, et déployé un apfpareil instrumental qui parut formidable aux Italiens élèves de Cimarosa et de Paësiello. Trombones, grosse-caisse, triangle, tout cela souriait peu aux véritables dilettanti italienfi* Tout un parti se forma contre le novateur. Ce parti l'accusa d'a- buser de sa science, de tourner à l'ennemi, de devenir Allemand. Stendhal, écrivain d'esprit, fanfaron d'ignorance en musique, se fit l'interprète de ces plaintes. Il y avait bien un peu de vrai dans sa critique, et le principal reproche à faire à l'orchestre de Rossini est d'être plus bruyant que sonore, et d'avoir entraîné l'art de l'instrumentation dans des abus que ses successeurs rendirent sou- vent intolérables; mais rien n'est amusant comme d'entendre traiter de tudesque et de barbare le maître dont une certaine école méprise trop aujourd'hui la simplicité. Pour Stendhal , l'orchestre modèle est celui des premières œuvres de Rossini, et c'est à Tan- cr« sonnages, ils avaient voulu non-seulement traduire la passion par la mélodie, jointe à l'harmonie, mais encore par celles des voix de Forohestre qui correspondaient le plus exactement à ces passions; mais Meyerbeer poussa plus loin encore la recherche de ce genre d'effet. Bertram, Marcel, les Anabaptistes, Nelusko, Fides, Alice, ont toujours dans l'orchestre une sorte de petit orchestre qui annonce leur entrée, accompagne chacun de leurs pas, carac- térise leur action. Si Robert, Biaoul et Valentine, Jean, Vasco, Selika, ne se présentent pas ainsi escortés de leur instrumentation spéciale^ c'est que la multiplicité même des passions qu'ils ressen- tent bannit cette Uniformité de formule ; mais pour tous les per- sonnages secondaires du drame, le compositeur emploie constam- ment ce procédé si bien fait pour graver les traits d'une figure dans l'esprit de l'auditeur. A cet égard Bertram, Marcel^ les ana- baptistes, et Nelusko ne sont pas sans rapports les uns avec les autres, on pourrait peut-être leur joindre encore Pierre, de YÉMe éhA Nord; mais, à notre avis, ce personnage est moins bien défini, moins complet que ceux que nous vêtions de citer. Chacun dififtre par des traits essentiels que le maître n'a pas manqué de repro- duire dans son orchestre, mais tous se raj^rochent par le carac- tère spécial de l'instrumentation qui accompagne leur chant. Bertram, le génie du mal, le aervitenr du Eprouvé, résume en lui tout ce qu'il y a d'infernal dans le drame de Robert h Diable. Aussi Meyerbeer lui réserve-t-îl les trombones, l'ophicléide, les bassons, toutes les couleurs sombres, tous les timbres stridents 390 HISTOIBE DE l'INSTBUMEKTATION. d6 son orchestre; au premier mot prononcé par le ÉIb de l'Enfer, dès rintroduction^ les cors^ clarinettes, bassons ^ trombones se groupent autour de lui et répondent à sa Yoix. Dans Térocation ce sont encore les trombones qui donnent la réplique à Ber- tram, pendant que les cors et trompettes ajoutent une infer- nale yigueur à son terrible appel. Dans le duo avec Robert^ Bertram chante accompagné par les bassons, quatre trombones et Tophidéide. La fameuse phrase si caractéristique : , le maître a «loore employé une instrumentation pleine d'originalité et qu'il est bon de signaler : ce sont les bois avec les cors, l'alto et les basses seules qui accompf^ent la mélodie principale ; l'absence des yiolons donne à cette comlûnaison instrumentale quelque diose d'étrange et de rude du meilleur effet. Mais Yoici une figure plus intéressante et plus dramatique , je Teux parler de Nelusko. En créant ce sombre personnage, Meyer- beer a voulu nous montrer un homme encore sauvage et dont le cœur est agité de mille sentiments divers. L'amour et le respect pour Selika^ la haine et le fiinatisme contre l'étranger, sont peints tour à tour dans ce rôle que le maître a ciselé avec un soin sin- gulier. Chacun des morceaux que chante Nelusko est étrange et plein d'originalité par son rhythme, son harmonie, ou son instru- mentation. L'air du second acte est, sous ce rapport, comme le résumé de tout le caractère. D'abord grave et presque religieux, lorsque Nelusko exprime à la reine son adoration et son res- pect, l'orchestre se colore peu à peu, et le pizzicato des violon- celles et contrebasses a quelque chose de sauvage qui rappelle le style qui dominera dans le quatrième acte. Puis peu à peu Nelusko s'échauffe, la jalousie, la haine s'emparent de son âme et, alors l'orchestre avec lui devient éclatant, brillant; enfin l'ac- compagnement de violoncelles et altos divisés qui accompagnent l'admirable prière donne à cette phrase si pleine d'onction et de grandeur une iniaroyable majesté. Tel n«us le voyons dans ce morceau si varié et si complet, tel nous retrouvons Nelusko dans le reste de la partition. La ballade d'Adamastor est un étonnant cheM'œutre de coloris instrumental Les flûtes piquant leurs notes répétées au-dessus des bassons et violoncelles qui doublent la mélodie vocale, les coups secs du boia de l'archet firappant sur les cordes des violons, les grondements du basson, répondant aux rires sataniqnes du sauvage, égayé par l'idée de la mort de nés ennemis, tous ces détails d'une instrumentation un peu cherchée, mais frappante d'originalité, conviennent parfaitement bien au personnage sombre et ironique, que Meyerbeer nous a montré dès la scène du conseil. Enfin dans un dernier trait au quatrième BOSSIKI ET HEYBBBBES. . 898 acte, le maître a aobevé de peindre cette figure^ et la ritonmelle des denx cors fmglaifi qui accompagnent la caratîne « L'avoir tant adorée^ i> tant en rappelant un peu la ritournelle de la Jtme, est expressiye et remplie de tendresse et de regrets. Les rôles de femmes n'ont pas été moins bien partagés; à côté des grandes passionnées qui ont nom Yalentine et Seli&a^ on voit paraître de douces et angéliques figures de jeunes filles , comme celle d'Alice, de saints et sublimes caractères comme celui de Fidès, pour lesquels Meyetbeer a réservé un style spécial et une instrumentation particulière. Le rôle de Fidèç^ cette per- sonnification musicale de l'amour maternel^ a été l'objet de tous les soins du maître et dans les scènes principales de l'ouvrage auxquelles Fidès prend part, nous retrouvons constamment cette préoccupation de mettre les effets d'orchestre, en rapport, non- seulement avec le sentiment qui anime le personnage au moment où il parle, mais avec le caractère général du rôle. Dans le su- blime arioso où la mère bénit ce fils qui a pu lui sacrifier son amour, c'est le timbre douloureux et grave du violoncelle non doublé par les bassons qui dessine la ligne principale de l'accom- pagnement, et ce sentiment est encore accentué par les soupirs de l'alto. Ce sont les bassons, altos, violoncelles qui soutienneni la complainte de la mendiante. Enfin, dans la scène du quatrième acte, les fi*émissements de l'alto peignent les sanglots de la mère méconnue. A ces instruments, au timbre à la fois sévère et doux^ Meyerbeer joint volontiers le cor anglais, et dans l'rtir du cinquième acte « Mon cœur est désarmé », la voix triste et plaintive de l'ins- trument ajoute une nouvelle force à la pathétique mélodie de la mère appelant sur son fils égaré le pardon du ciel. De tout cet orchestre discret et pour ainsi dire intime, Meyerbeer a ex- clu généralement non-seulement tes instruments bruyants, mais encore tous ceux dont le timbre pouvait éyeiller l'idée d'une au- tre passion que l'amour maternel. Le rôle d'Aliee est moins sublime, moins important ; mais il n*est pas moins frappant de vérité et de justesse dans tous les détails de l'orchestration ; c'est une simple villageoise à la vérité, mais elle parle à Robert au nom de sa mère vénérée, au nom du devoir, et Meyerbeer a soigneusement Mt ressortir les deux faces de ce rôle. La ritourftdle qtti précède les premiers mots d'Alice aussitôt qu'elle est seule avec Eobert, 394 HISTOIBE DE L'iNSTBUMBNTATIOlir. a one tournure un peu itaUenne, mais le timbre doux de la cla- rinetie, qui dominera plusieurs fois dans l'accompagneinent du rôle d'Alice, a quelque chose de pur et de virginal qui convient merveillenfiement à cette charmante figore. C'est surtout dans le court prélude instnunental des couplets du 3® acte que l'inten- tion du compositeur est évidente. L'orchestre est composé de deux flûtes, deux hautbois, deux clarinettes. Tous ces instruments d'un coloris fln et délicat, dialoguent les uns avec les autres, se sou- tiennent mutuellement; cette combinaison d'une sonorité pour ainsi dire transparente, forme un contraste remarquable avec l'instrumentation puissante de la scène précédente, et en même temps peint parfaitement les sentiments de la jeune fille ; la ritournelle des couplets reste dans la même couleur. Mettez en regard de cette page la romance du premier acte, le trio du cinquième; ici Alice n'est plus l'humble vassale, la douce pay- sanne ; elle commande à son tour, elle est le génie du bien, du devoir; la mère de Robert parle par sa bouche ; ce ne sont plus les voix de la flûte de la clarinette qui se font discrètement en- tendre, c'est le timbre plein et nourri du cor, c'est le son mordant et incisif de la trompette à pistons qui indiquent toute la tona- lité du coloris instrumental Dans la peinture des passions qui donnent à ses drames ime si grande intensité de puissance et d'émotion, Meyerbeer ne s'en tint plus à cette instrumentation spéciale que nous venons de signaler. L'amour, le désespoir, la colère, la haine prennent chez lui mille formes. Ce ne sont plus des personnages qu'il fait mou- voir sur la scène, ce sont les passions qu'il met en jeu avec leurs nuances, leur variété, leur gradation d'effet, et l'orchestre, fidèle interprète, suit tous les mouvements dramatiques, tous les senti- ments divers. Personne mieux- que Meyerbeer n'a su peindre l'a- mour passionné, romantique pour dire le mot; mais voyez de combien de couleurs multiples il revêt sa pensée musicale, grâce à la magique palette de l'orchestre. Raoul a vu Valentine un instant; son souvenir est comme un rêve enchanté qui traverse sa pensée et domine son cœur ; c'est à la viole d'amour et à ses sons harmoniques que le musicien confie l'accompagnement de la suave mélodie. Voici Valentine, dans le sublime duo avec Marcel ; son amour est craintif d'abord, et ce sont les cors qui lui BOSSINI ET METEBBEEB. 395 prêtent leur timbre doux et mystérieux ; l'angoisse la saisit à la gorge : « Qu'il ne Tienne au combat que bien accompagné », dit- .elle et les altos, flûtes et clarinettes lui répondent par cette pro- digieuse descente chromatique dont l'effet est encore augmenté par le déyeloppement de la phrase en octave des cors, qui a servi de ritournelle au morceau. Enfin, peu à peu, aux accents paternels de Marcel, l'amour éclate, violent, irrésistible, et les altos et violon- celles dessinent un- accompagnement d'une indomptable énergie. Que de nuances dans cette page et de quel secours n'a pas été pour le compositeur de génie la puissance de l'orchestre ! Plus • loin c'est le duo du quatrième acte, et là encore la passion débor- dante trouve un écho dans les voix des instruments. Dès le réci- tatif de début les. traits d'altos, de violons et de violoncelle peignent les inquiétudes des deux amants, puis la clarinette chante la phrase suppliante : € Mais le temps presse :», quand Baoul, entraîné par l'aveu de Valentine, savoure à longs traits l'amour enivrant, c'est le violoncelle au timbre mordant et chaud qui i^dit les doux mots d'amour, tandis que le cor anglais, dou- loureux et triste, semble exprimer les soupirs de la jeune femme. N'est-ce point à l'orchestre que le compositeur a confié le princi- pal rôle, lorsque sortant de son rêve, Eaoul entend retentir dans son cœur, comme un écho, la phrase d'amour que répètent tour à tour le cor anglais et la flûte? Un dernier trait termine cette étonnante peinture de la passion, où les instruments ont une si grande part. Lorsque l'orchestre a rappelé les dernières paro- les de Valentine, lorsque Raoul éperdu s'enfuit pour courir où le devoir l'appelle, le chant n'est pas terminé et s'arrête sur la sensible, ce sont les instruments qui sont chargés de terminer la scène. Nous nous sommes arrêté quelque temps sur ces deux duos qui sont ce que Meyerbeer a écrit de plus parfait dans le genre passionné, mais toutes ces œuvres, et particulièrement V Afri- caine, fourmillent de traits non moins beaux, dont l'effet est dû en grande partie à l'instrumentation. Pour n'en citer qu'un, notons la fameux unisson du cinquième acte, où l'amour sans espoir, la douleur sans borne de cette Ariane de l'Orient sont rendus avec une étoimante puissance. Cette ritournelle est la plus drama- tique, la plus belle et la plus importante de celles qui ont été écrites jusqu'à ce jour ; mais si nous avons cit^ avec éloge les ri- 396 HISTOIRE DS L'HfBTBtTMSirrATIOir. toumelles de Rossini nous ne pouvons laisser de fixer on instant notre attention sur celles de Meyerbeer. La litonmelle chez loi est tout nn art. Tantôt conrte et nerveuse, comme dans le septuor et la bénédiction des poignards, elle indique rapidement, en quelques notes, la couleur du morceau et attaque franchement la situation. Tantôt, plus développée, comme dans Tair de < grâce », elle ex- prime avant le personnage les sentiments qui l'agitent. Nous avons vu celle des couplets d'Alice ; la ritournelle de clarinette basse au quatrième acte des fftiguenois, celle qui précède l'arioso de Fidès, celle de la scène de l'exorcisme, sont sous ce rapport d'admirables inspirations. Quelquefois elle est tout un portrait, et' l'entrée de Yasco, qui n'est pour ainsi dire qu'une ritournelle, a quelque chose de fier et de jeune qui annonce merveilleuse- ment le personnage. Nous ne pouvons toutes les citer ici, et ces quelques lignes sufBisent pour montrer quelle importance Meyer- beer ajoutait à ce court prélude instrumental, qui pour tant de compositeurs n'est qu'une introduction banale, destinée à faire écouter le chanteur. A tous ces portraits si nettement dessinés, il fÎEkLlait des cadres; à toutes ces passions exprimées, développées et suivies avec tant de vérité, de soin et de logique, il fallait un milieu musical, dont la couleur tùt en rapport avec le sens du drame. Personne mieux que Meyerbeer n'a su par mille détaQs ^blir la mise en scène de ses oeuvres. Il a poussé jusqu'à l'exagération, comme nous l'avons déjà dit, là minutie de la description, et c'est À l'or- chestre qu'il a confié tous les épisodes accessoires de ses drames. Chaque mot est pour ainsi dire souligné par les instruments, toutes les fois qu'il éveille l'idée d'un bruit matériel que la musi- que peut imiter, d'une image qui peut ôtre rendue par les sons. Nous avons eu plusieurs fois l'occasion d'exprimer notre opinion sur la musique imitative, nous ne reviendrons pas sur ce sujet; mais ce que nous pouvons louer sans réserve chez le maître, c'est l'intensité de coloris qu'il sait donner à toute une scène, à tout nn acte même, grâce à l'instrumentation. Observant rigoureus^n^t la loi des oppositions de couleurs, il dispose ses effets dans une gsffiime harmonieuse dont les teintes se font valoir les unes par les autres. C'est encore à l'orchestre qu'il doit un des puissants effets dramatique dont il fait si souvent usage et avec tant de BOSSINI ET MEYEBBEEB. 397 bonheur ; je veux parler de la réminiscence. Déjà dans Robert nons en trouvons quelques traces^ mais c'est surtout dans les ffih gnenotSy le Prophète, le Pardon de Plœrmely V Étoile du Nord, VA- frioaine, qu'il a eu recours à ce procédé et toujours d'une façon variée^ et avec une admirable justesse scénique. Tantôt^ oomnie dans le duo du quatrième acte des Hvgmmts, c'est par une des phrases saillantes du morceau, qu'il arrête le mouyement drama- tique pour jeter le spectateur dans un nouvel ordre d'idées. Tan- tôt^ c'est toute une scène que le musicien rappelle, soit que, comme dans le Pardon, il répète le chœur d'ouverture, soit que, comme dans VÉt(dîe du Nord, il ramène son personnage et le public au sentiment du premier acte. D'autres fois, et cette sorte de réminis- cence mérite une attention particulière, il charge l'orchestre d'indiquer une des situations principales du drame et de la rap- peler avant qu'elle se soit présentée. C'est ainsi que pendant le rêve du Profpfhète l'orchestre chante au second acte la mélodie de la marche kiomi^ale qui ne se fera entendre qu'au quatrième acte. Ce procédé est ingénieux et dramatique, mais la réminis^ cence ainsi antièipée présente un danger : si l'auditeur ne connaît pas la partition, l'intention du compositeur court grand risque d'être perdue, car ilfi sont bien rares les dilettanti qui peu- vent à deux actes d'intervalle garder le souvenir d'un détail d'orchestre, surtout dans une partition aussi riche que celle du Prophète. Aujourd'hui du reste cet inconvénient a disparu, car ' il n'est pas, je pense, un vrai musicien qui ne sache par cœur l'admirable œuvre de Meyerbeer. A mon avis, c'est aussi comme une sorte de réminiscence du même genre qu'il faut considérer la belle phrase de harpe qui, d'abord entendue dans l'ouverture de Strueneàe, passe à travers la partition sous des formes différentes, comme le rêve insensé d'amour et d'ambition qui hante le cœur et l'esprit du malheureux Struensée. Struensée nous conduit tout naturellement à traiter d'une par- tie des ouvres du maître trop dédaignée par la critique et par le public. Je veux parler des nombreuses pièces symphoniques qui enrichifisent le répertoire de Mejerbeer, de ses ouvertures, de ses ballets, de ses mélodrames. ÎTous ne nous arrêterons pas sur la prétendue pauvreté mélodique de Meyerbeer, c'est un cÛché dont on ne se sert plus depuis longtemps ; mais il est une erreur que nous 898 HISTOEBB DE L'INSTRUMENTATION. ne pouYons laisser subsister. Meyerbeer, a-t-on prétendu, n'apoint fût d'ouverture parce qu'il ne savait pas les faire. D'abord un Allemand qui ne saurait point faire une ouverture ne serait pas un Allemand ; ensuite il en a fait et je sais plus d'une ouverture brillante et célèbre qu'il serait difficile de comparer à l'introduc- tion des Huguenots^ à l'ouverture de Strtiensée. Meyerbeer a écrit trois espèces d'ouvertures. V L'introduction, page courte et ca- ractéristique, dans laquelle il traite avec une incroyable habileté de main un ou deux des thèmes principaux de l'œuvre; telles sont les pages initiales de Robert, des HugumotSy de YA/rtcaine ; 2* l'ou- verture proprement dite, où il développe en symphoniste consommé les trois] idées qui font le sujet de sa pièce instrumentale ; citons dans ce genre celle du Pardon de Ploermel, de Struensée et de YÉ-^ toile du Nord; enfin, 3**, l'ouverture dansée et mimée, dont nous trouvons un exemple dans le Orociafo, Des introductions nous avons peu de chose à dire. Dans ces pages le maître a cherché à indiquer dans quelques mesures courtes et d'une forme serrée, la couleur du drame auquel doit assister le spectateur. Les grandes ouvertures de Meyerbeer sont d'une incroyable richesse d'idée, de détail, de développement. Elles ont de l'unité, du coloris, seu- lement, il faut l'avouer, elles sont en général longues et manquent de légèreté; mais par combien de brillantes qualités le maître ne rachète-t-il pas ces défauts ? Prenons l'ouverture de Struensée. Les trois idées qui la composent représentent trois situations du drame, dont la musique est l'auxiliaire. *Oes trois idées, toutes originales, puissantes et mélodiques, se meuvent avec aisance, se croisant en tous* sens sans se confondre un instant, sans tomber dans l'obscurité, malgré la multiplicité des mouvements mélodi- ques. Il en est de même de celle du Pardon de Ploermel, à laquelle on peut cependant reprocher d'être peu en proportion avec le su- jet, mais qui contient des beautés de premier ordre, et dans la- quelle la progression de la marche est ménagée avec une éton- nante puissance d'instrumentation et une singulière entente de l'orchestre. Cette ouverture, comme chacun sait, contient un chœur soutenu par l'harmonium et le pizzicato des cordes. Notons en passant que Donizetti, dans les Martyrs, avait aussi mêlé les voix aux instruments de la façon la plus heureuse, M. Gounod a em- ployé le même procédé dans l'introduction de Roméo et JuUette. BOSSINI BT HEYÎsBBEEIL B99 Nous n'avons pas cité ici l'onverture du Prophète ^ et pour cause^ malgré sa péroraison puissante et cuivrée ; en effet elle nous paraît inférieure aux autres et notre but n'est pas d'écrire une critique de Meyerbeer, mais de faire admirer sous toutes ses formes le génie instrumental de ce maître. La gracieuse et gen- tille introduction du Crociato, pendant laquelle une scène entière est mimée sur le théâtre^ comme dans Richard Cœur de Lion, comme dans Azémia de Dalayrac , n'a pas une grande impor- tance dans l'œuvre de Meyerbeer^ mais elle nous amène tout naturellement aux ballets où l'auteur des Huguenots a déployé une si grande variété d'imagination^ une si grande richesse de coloris. Les ballets^ dans l'œuvre de Meyerbeer^ tiennent une place à part. C'est dans ces pages que ce compositeur qui^ prétend-on, n'avait point d'idées^ a répandu des trésors de mélodie, de rhythme, et de variété dans l'instrumentation. C'est là qu'il s'est livré sans contrainte à toute sa fantaisie; ses ballets, comme ceux de Rossini, ont la grâce, mais cette grâce puissante qui ne peut vieillir; leurs rbythmes sont variés à l'infini et d'une incroyable vigueur. Pour tous ses opéras il a écrit un ou plu- sieurs ballets, et chacune de ces compositions est conçue avec un merveilleux à propos de couleur et de sentiment. Le ballet des Nonnes dans Bohert, si original et si gracieux tout à la fois, est non-seulement une charmante page, pleine de mouvement et de variété, mais ilj entre pour ainsi dire dans l'action, il forme scène; rien ne pourrait le séparer de l'ouvrage pour lequel il a été écrit. Les ballets des Huguenots, comme ceux du Prophète, font moins partie inhérente du drame ; mais, si le premier tient une si grande place dans le tableau que le maître a peint d'une main magistrale au commencement de son troisième acte, le second permet pour ainsi dire au spectateur de reprendre haleine, avant d'assister aux merveilles de la scène de l'église. Je ne cite pas dans ce court aperçu le joli chœur dansé des baigneuses, la valse villageoise, d'un rhythme si franc, qui accompagne la danse des paysans dans l'auberge de Jean. Notons en passant que le pas des soldats, cette puissante mélodie que Meyerbeera hardiment confiée aux trombones, dans le ballet des Huguenots, a été ajouté à la par- tition en 1860. Dans V Africaine, où le genre descriptif tient tant 400 HISTOIRE BB L'INSTBUMBNTÀTION. de place, où la peinture musicale est; traitée avec une si prodi- gieuee richesse de détails, Meyerbeer ne pouvait manquer de confier à Torchestre, dans les ballets et dans les marches^ une part importante dans la composition générale de son œuvre. Après la répétition générale de Y Africaine, parmi les pages qu'il a été nécessaire de couper, il en était d'admirables, et on a dû letran- cher le ballet final du troisième acte. C'est bien en efPet comme un ballet qu'il faut considérer ce morceau vocal et instrumental, où la fureur des sauvages acharnés au mi^acre étaient peinte avec une singulière vigueur de rhythme et de coloris ; mais, en revanche, la marche indienne qui ouvre le quatrième acte a été conservée dans son entier ; l'éclat, la grâce, la puissance de cette marche sont incomparables. C'est par un portique de marbre et d'or enri- chi d'étincelantes pierreries que le poëte nous &it entrer dans ce pays des rêves qui est celui de Sélika. Yoici les hardis guerriers, brandissant la hache sanglante, voici les prêtres aux longues robes, les brahmines, à la tiare richement ornée et marchant d'un pas majestueux. Yoici les amazones, les jongleurs, s'avançant sur un rhythme léger et capricieux, enfin, et par une de ces progressions que Meyerbeer seul savait préparer, la marche triomphale éclate à l'entrée de la Eeine. C'est un éblouissement de lumière, un épanouissement prodigieux de sonorité. Toute cette page est traitée avec une habileté de touche, une minutie de détails qui n'enlève rien à l'unité de l'ensemble. Meyerbeer a posé son décor lui-même, pour ainsi dire ; il nous a transporté dans le milieu où il voulait que nous fussions, pour écouter la musique de cet acte pittoresque et d'une couleur si resplendissante. Ce tableau ainsi commencé se termine par le chœur des bayadères qui, déjà plein de langueur amoureuse et de morUdezza, devient éminemment dramatique, lorsqu'à son rhythme élégant, à ses modulations fines et inattendues, vient se mêler le doux chant d'amour et le cri douloureux d'Inès. Si j'en crois M. Bourges, qui dans la Oazette musicale a raconté l'histoire de Y Africaine^ c'est en 1863 que cet acte a été écrit. Et c'est le maître qui à soixante-neuf ans com- pose de pareille musique que l'on a osé accuser de sécheresse dans l'imagination, de pauvreté dans l'invention mélodique (1) ! (1) Voici, d'après les dates inscrites par Meyerbeer ïw-même sur sa partition BOSSINI ET MEYERBEBB. 401 Ces paissantes qualités Meyerbeer les a portées dans tontes les parties de ses œuvres où Torchestre est chargé, soit d'exprimer le sentiment des personnages, soit d'indiquer le caractère de la situa- tion. Nous avons citérunisson de VAfricainey Fentr'acte du deuxième au troisième acte, la magnifique ritoumelle-entr'acte du chœur des moines dans Robert Mais il est une œuvre complète dans laquelle l'orchestre tient la première place et que nous ne pouvons passer sous silence. Je veux parler de Skuensée, dont la musique, comme chacun sait, a été écrite pour le drame de Michel Béer, le frère du musicien. Six morceaux importants composent cette partition : l'ouverture que nous avons citée déjà, la belle scène de la révolte, la polonaise si connue, et digne de prendre place à côté des inspirations les plus originales du grand maître, l'auberge du village, où Meyerbeer a su, tout en conservant à cet entr'acte un caractère villageois, lui donner une tournure puissamment dramatique ; le rêve de Struensée, où nous retrouvons une partie des mélodies déjà présentées dans l'ouverture ; enfin la marche fu- nèbre et la superbe prière de la bénédiction, aussi touchante, aussi dramatique, aussi vraie dans l'expression qtie si elle était confiée à une voix humaine. Mais, en dehors de ces pages magistrales, Meyerbeer est parvenu en quelques mesures à souligner les fortes situations de la pièce, à ajouter encore à la force scénique du drame. Le choix de certaines mélodies caractéristiques et qui se représentent presque à chaque acte dans ces courts mélodrames, donne de l'unité à toute la composition. Depuis quelques an- nées, on a fort discuté sur le genre moderne qui consiste donner dans les œuvres dramatiques une place importante à la musique, en dehors des opéras. Il ne m'appartient pas de me poser en juge dans un procès aussi délicat, mais je puis dire que si la cause doit être gagnée, la partition de Struensée fournira un puis- sant argument pour les partisans du drame avec musique. Nous avons étudié de notre mieux le côté pittoresque, philoso- phique et poétique de l'instrumentation de Meyerbeer ; il nous reste maintenant à énumérer les innovations que le maître a faites autographe l'époque de composition des différents morceaux de V Africaine : 1863 , romance d'Inès ; 1857-58, les deux premiers actes ; 1860-1863, les deux derniers ; 1862, le chœur de femmes du troisième acte, les scènes nuptiales et le duo du quatrième ; 1863, la marche Indienne. Y. Gazette mtwica/e, 18 juin 1865. 26 402 HISTOIBE DE L'iNSTRUXEirTATION, dans rorchestre, soit parla digpositioii des masses sonoiesy soit par le mélange insolite des timbres, soit par l'introdiiction d'ios- tmments nonveanx. Solidement assis sur les quatre parties de Thannonie, Toichestre de Meyerbeer est éminemment dramatique; il tient également de Bossîni et de l'école allemande. Gomme Bossini^ le maître procède par grandes masses^ il brosse pour ainsi dire son orchestre à la manière des décors de théâtre; conmie les musiciens allemands^ il sait à meryeille fondre les timbres ou les diviser et placer les couleurs suivant le sens des situations. Il évite avant tout d'épar- piller les forces de son orchestre, de lui rien laisser perdre de son édat et de sa sonorité. Il est rare que M^erbeer écrive à plus de quatre parties réelles, et ses {dus puissantes conceptions ne àépsm- sent pas en réalité ce nombre de parties. Je n'en veux pour exempte que la scène du conseil de l'Africaine, la conjuration dea poi- gnards elle-même. C'est en redoublant ces parties à l'aigu, c'est en réunissant Tharmonie sur un groupe d'instruments dont le tim- bre convient à cette harmonieou au senjbimentqirïl&ut rendre que que Mejerbeer donne à son orchestre la cohésion et la puissance nous admirons en lui. Ce redoublement des parties de l'harmonie se fait chez le maître d'une façon toute particulière et qui ne con- tribue pas peu à donner de l'ampleur à son instrumentation ; lorsqu^'il redouble quelques parties il prend soin de les écarts, le plus souvent à l'octave ou à la double octave ; agrandissant ainsi ce que nous pourrions aj^ler l'horizon de son orchestre, il lui donne ainsi des proportions magistrales, sans pour cela être forcé d'augmenter le nombre des parties, sans noyer la sonorité dans mille détails qui conviennent mieux à la symphonie qu'au drame^ sans courir le risque de tomber dans l'obscurité. Chez les maîtres allemands qui ont précédé, Meyerbeer, chez ceux qui le suivent aujourd'hui, le mouvement des parties est au contraire très-mul- tiple. Nous avons étudié l'instrumentation de Beethoven et de Weber et nous avons constaté le fait. Dans Schumann et sur- tout dans Wagner, nous verrons se former dans l'orchestre de nombreux petits orchestres aux mouvements variés. Les partitions de la TétrcUogie, des Niebelungen, contiennent jusqu'à huit parties de violons, chaque groupe instrumental peut pour ainsi dire se mouvoir sans l'aide du reste de l'orchestre. Nous n'avons point à B06SIKI ET METEBBBBB. 403 juger daBS ce chapitre des maîtres dont l'immeiise talent est en- core discuté ; mais il est de notre devoir de constater la diffé- rence bien tranchée qui existe entre Meyerbeer et ses successeurs. On a fort accusé Meyerbeer d'avoir surchargé Torchestre, d'avoir été sans pitié pour les chanteurs qu'il force à lutter contre les plus puissantes sonorités. D'abord, il serait temps peut-être que les musiciens composassent en vue du drame et non en vue du chanteur ; ensuite il est fort probable que le maître savait oe qtt'il écrivait ; ensuite on découvre dans son orchestre les traces des minutieuses précautions qu'il prenait pour aider l'interprète. Non-seulement il proportionne toujours ses timbres à la voix dont il se sert^ mais il est rare que quelque partie instrumentale ne redouble pas le chant, de façon à conduire le chanteur pour ainsi dire par la main. Meyerbeer, qui cherchait avant tout la clarté, qui faisait ce qu'on a nommé de la musique d'effet, ne négligeait rien de ce qui pouvait appeler l'attentioA du spectateur Bur la mélodie qui traduisait sa pensée, et, en musicien prudent, il savait mettre en relief cette mélodie, tant dans la partie vocale que dans l'instrumentation, chaque fois qu'il le jugeait nécessaire Cet orchestre si puissant, si sonore, est en même temps d'une incroyable souplesse. Non-seulement le maître, le maniant à squ gré, peut le faire arriver par une habile progression à sa plus grande vigueur de sonorité, mais il peut encore l'arrêter dans son élan, le faire redescendre aux plus doux effets dnptano, puis, le lançant derechef, retrouver de nouveaux effets plus vigoureux encore. Le finale du premier acte de VAfHcaine est un modèle de ce genre. Après le déchaînement tumultueux des passions diverses, cette fougue se calme un instant à la voix du grand inquisiteur; les instruments, sonnant de tout leur éclat, cessent peu à peu, la mé- lodie lancée à toute volée, s'adoiicit par degrés pendant la prière des évêques, pour finir par une sorte de susurrement murmuré dans le fond de l'orchestre; tout à coup, à la voix de Vasco outragé par un vote injuste, tous ces instruments se relèvent pour ainsi dire avec lui et éclatent de nouveau sur le thème écrit à la ma- nière de Haendel qui forme la strette de ce finale. Cette double progression, unique jusqu'à ce jour dans la musique dramatique, s'opère avec aisance, sans que le retour du même procédé puisse fatiguer un instant l'auditeur. 404 HISTOIBE DE L'INSTRUMENTATION. . Nous ayons, autant qu'il était possible, tenté de donner une idée générale du style instrumental de Meyerbeer, mais nous Q'aTons pas relevé les mille combinaisons de cet orchestre si ri- die et si multiple. Avec le système adopté par Meyerbeer, chaque personnage, chaque mot presque donnait naissance à de nou- yeaux accouplements de timbres. La lecture attentive des parti- tions du maître peut seule donner une idée exacte de cette âK>nnante variété. Je mé contenterai donc d'indiquer les plus nouvelles et les plus remarquables de ces combinaisons sonores. Chez Meyerbeer, comme chez tous les conïpositeurB, c'iest le quatuor à cordes qui constitue le fond de l'orchestre, mais, outre qu'il cède souvent la place à la famille des bois et des cuivres, il est souvent sujet à des altérations qui ne sont pas de peu d'im- portance pour la variété du coloris. Tantôt retranchant les violons et les contrebasses, Meyerbeer divise les violons et violon- celles pour obtenir la couleur profondément religieuse dont est em- preinte la prière de Nelusko e: Brahma ! 2> La même combinaison se retrouve encore dans les Htcgîtenots^msAsy cette fois, la mélodie et le rhythme lui prêtent ,un sentiment tout différent. L'accompa- gnement caractéristique sur la phrase passionnée, c Tu ne peux . éprouver d, et sur le récitatif déchirant d'angoisse « Où je vais » est exécuté par les altos et violoncelles. On peut citer encore, dans le septuor de& Huguenots, un bel emploi de l'alto et du vio- loncelle doublant la voix de Marcel, tandis que les violons frappent obstinément la dominante ; une autre fois, c'est au violon que le violonceUe est joint comme partie principale d'accompagnement et alors nous écoutons les gracieuses variations de la romance de Dinorah. Un instrument solo concertant domine dans l'ac- compagnement, c'est la viole d'amour ou l'alto, avec les sons harmoniques^ dans la romance , est soutenue par les bassons, trompettes, trombones basses et contrebasses doublant la Toix à l'unisson ou à l'octave; dans l'évocation an Pardon a Disparais- sez, vaines ombres ]>, Meyerbeer avait employé les bassons, trom- bones, altos, violoncelles et contrebasses delà même façon, mais jamais iln'était arrivé aune sonorité aussi extraordinaire que celle del'unissonde VAfricaineJjecomjnejïcem.eTit de la marche Indienne présente encore une curieuse combinaison que nous ne pouvons omettre de citer, c'est l'union de la clarinette basse aux bassons, altos et violoncelles. La clarinette, jointe à la harpe dans l'hymne AnPropTiète, double le chant. Soutenue parles hautbois, les altos, les flûtes et la clarinette basse, eUe prend un caractère étrange. Citons encore dans l'air de Dinorah, au second acte du Pardon, l'effet singulier de la flûte et des sons harmoniques de la harpe, se faisant entendre au-dessus du chant des violoncelles. Meyerbeer a souvent employé le petit orchestre, seul ou par fragments, sans le joindre aux instruments à cordes. Un des passages les plus remarquables dans ce genre est la ritournelle d'Alice, au troisième acte de Robert le Diable, les deux flûtes, hautbois et clarinettes forment seules l'orchestre. Ces instruments se suivent^ s'imitent, s'entrelacent et rien n'est gracieux et pur comme le timbre de ces voix aiguës réunies, se mariant dans une harmonie flatteuse et douce et répondant à l'appel tremblant de la jeune fille. C'est par des timbres semblables que Meyer- beer a encore accompagné la litanie à deux voix dans les Hugue- nots, et la quinte crt^ qui termine cette prière ajoute un effet re- ligieux à cette charmante combinaison; Meyerbeer n'écrivait rien au hasard et si, au premier acte du Prophète, nous trouvons encore les clarinettes et les hautbois, mais cette fois sans les flû- tes, c'est que sur ces paroles « Les filles de Dordrecht i> il n'a plus à traduire aucun sentiment religieux ; c'est un gai caquetage de femmes et alors le bavard hautbois peut être à découvert; mais ail contraire, que le compositeur yeuille donner à son orchestre unje 408 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. conleur tout à fait religiense, il mêlera aux bassonB et aux clari- nettes le cor anglais, dont le timbre un peu yoilé donnera à toute la masse sonore un accent qui rappellera les jeux d'anches de l'orgue, ainsi qu'il l'a fait dans l'introduction des Huguenots. En ajoutant les quatre cors, comme dans le « Pater noster ^ du Pardon, il retrouvera encore les jeux pleins de l'instrument sa- cré. Il est bon encore de note? avec quel bonheur Meyerbeer a imité le son de la cornemuse dans le Pardon ; il réunit deux haut- bois, un cor anglais, deux clarinettes, deux bassons, et les cors» et les batteries de ce petit groupe sonore, se jouant sur une pé- dale continue, tenue par le hautbois et le cor anglais, rappellent notre biniou breton retentissant dans la lande dorée par les ajoncs. La pastorale du Prophète est encore en partie confiéeau petit orchestre, mais ici la harpe lui donne de la légèreté et du relief. Si Meyerbeer fait dominer au contraire les instruments à yent dans les situations dramatiques, son choix est tout autre. Écoutez l'exorcisme du Prophète, la clarinette basse solo annonce la ritournelle, le cor anglais, la clarinette, et le basson lui répon- dent et ces instruments au timbre voilé mettent en relief la voix dramatique de la clarinette basse. Qu'il peigne une scène de meurtre et de massacre, comme dans le duo du 4*^ acte des Hvr guenots DIEU JUSQU'A NOS JOURS. — AUBER, HÉROLD, HALÉVY, FÉL. DAVID. li nous nous sommes arrêtés si longtemps sur Rossini et Meyerbeer, ce n'est pas seulement à cause du grand intérêt que présentent en elles-mêmes les œuvres de ces deux hommes de génie, mais c'est aussi parce qu'en étudiant leur manière nous avons pour ainsi dire étudié l'instrumentation des maîtres français qui les ont suivis. En effet, Auber, Hérold, Halévy, se distinguent chacun par un talent qui leur est propre, par une inspiration orginale, mais dans leur instrumentation nous retrou- vons les traces évidentes de l'influence exercée par les deux maî- tres qui ont fait l'objet du chapitre précédent. Hérold, mort peu de temps après Rolert le Diable, ne connut point Meyerbeer ; mais si nous sentons dans son orchestre comme un parfum de la poésie de Weber, nous reconnaissons aussi à des signes certains le passage fécondant des chauds rayons du soleil rossinien. Au- ber, s'éloignant du maître allemand, sait se modeler un orches- tre à sa taille dans la riche et brillante instrumentation du maî- tre de Pesaro ; enfin Halévy, musicien éclectique, emprunte aux deux compositeurs italien et germanique les procédés et les formules qui conviennent le mieux à son puissant talent. Qu'on ne croie pas que je songe un instant à nier l'originalité absolue de ces trois maîtres, mais si le lecteur a bien voulu nous suivre jus- qu'ici, il comprendra que nous désirons avant tout montrer quelle chaîne non interrompue relie toutes les diverses périodes de l'histoire de l'instrumentation ; il comprendra que c'est honorer encore ces hommes qui font notre gloire en ce siècle que de les rattacher à la grande famille des Rameau, des Gluck, des Mozart, des Cimarosa, des Weber, des Rossini et des Meyerbeer. 27 418 HISTOIEE DE L'INSTRUMENTATION. Dans ses premières partitions, Auber avait pieusement con- servé les traditions de Técole française, mais à l'audition des œuvres de Rossini, il avait compris qu'il manquait à son instru- mentation l'éclat et le brio, 6t avec la Muette, il inaugura la nouvelle manière, la ftision complète de l'orchestre français et italien. Du premier' coup, il était amvé à la perfection de son style instrumental. Nous ne retrouvons chez lui ni l'em- ploi de nouveaux engins sonores, ni combinaisons inconnues et étranges, et cependant, il est peu de musiciens dont l'influence directe ait été plus grande sur l'école française. Il a transporté dans son instrumentation, le tact, le goût parfait qui distingue son talent. Qu'avait-il besoin de puissants développements, d'ef- fets d'orchestre insolites et étranges ? Sa musique courait alerte et légère sur le poëme qu'elle traduisait, qu'elle complétait sou- vent, comme les dessins d'un maître courent autour du texte d'un livre. Il avait presque toujours évité avec soin tout ce qui pouvait l'entraîner dans des scènes trop dramatiques, dans des élans d'un lyrisme trop élevé, aussi ne demandait-il aux instru- ments que ce qui était nécessaire pour colorer d'un trait rapide la scène qu'il voulait présenter. Charmant conteur musical, il n'orchestrait pas, il accompagnait. Considérée à ce point de vue son instrumentation est absolument parfaite. Elle n'est ni bien expressive, ni d'un sentiment bien profond, mais elle est juste, et relève à propos le trait musical ; plus brillante que solide elle est loin de présenter l'intérêt de l'orchestre d'Hérold ou d'Halévy, mais portant en général tous ses effets sur les parties aigiies, elle acquiert un éclat et .une lumineuse clarté qui la rend reconnaissa- ble entre toutes. « La sonorité, disait un jour Auber à un jeune compositeur, c'est la clarté dans le bruit ». Jamais mot ne fat plus juste, jamais précepte ne fut plus religieusement suivi par celui- là même qui l'avait formulé. Grâce à des procédés simples, mais d'un effet sûr, le style d' Auber était de tous celui qui pouvait le plus facilement être imité, c'était du Rossini à la portée de tout le monde ; l'école qui vécut à l'époque où le compositeur écrivait les Diamants de la couronne, ne manqua pas de suivre en foule le maître sur le chemin émaillé de fleurs qui conduisait- au succès: de là vient que les formules instrumentales d' Auber, tombées rapidement dans le domaine public, paraissent aujourd'hui bien l'obohebtbe bbamatique en fbange. 410 •vieillies , mais une place brillante doit être réservée dans l'hi»- toire au musicien qui a donné ce qu'on appellerait en rhétorique les modèles du style tempéré. Après ce que nous avons dit nous n'ayons pas à nous arrê- ter sur les détails de l'instrumentation d'Auber, non qu'eUe manque d'originalité, loin de là, et qu'elle ne soit pas reconnais- sablés entre toutes, mais elle ne présente aucun fait nouveau in- téressant l'histoire de l'orchestre. Elle emprunte sa valeur au ca- ractère mélodique de la musique, sans vouloir briller de son propre éclat ; elle égaie et colore la scène, mais elle n'a pas la prétention de peindre un personnage et un sentiment, c'est une instrumentation à fleur de musique, pour ainsi dire.. Auber, dans la Mmtte, a donné à l'orchestre un rôle important, c'est lui qui exprime mé- lodieusement les divers sentiments qui agitent le cœur de la pauvre Fenella, Ces morceaux sont les meilleurs à mon avis que le maître ait écrits dans le style Instrumental. Les idées mélodiques sont expressives, les effets d'une frappante vérité, et sans s'éleva au rang des grandes œuvres d'orchestre, le rôle de Fenella, est une des plus remarquables compositions instrumen- tales du maître français. Chaque œuvre d' Auber est précédée d'une ouverture fraîche, gaie, pimpante et parfaitement adaptée au caractère de la corné" die musicale dont elle est le résumé. Les ouvertures de la Mmtte, des Diamants de la couronne, du Domino noir, de la Fiancée, du /Serment sont et seront encore longtemps populaires. Elles rentrent dans le genre appelé pot-pourri, c'est-à-dire qu'elles se compo- sent en général des principaux morceaux de la partition. Ce genre, qui a donné naissance à des pages instrumentales de premier or- dre, comme les ouvertures du Frei/schutz,àe Zampa, du Tann» hauser, semble être aussi celui qui convient le mieux au goût français. Auber en a tiré un merveilleux parti, tout en res- tant bien loin des maîtres dont nous venons de citer les œu- vres. Tantôt ses ouvertures sont éclatantes comme celle de la Mmtte, la meilleure de toutes, comme celles de Fra Diavolo ; tantôt, ainsi qu'il l'a fait dans le Serment et surtout dans les Dia- mants de la couronne, il firit précéder sa brillante fantaisie d'une introduction où il laisse apercevoir comme une vague et charmante senteur de poésie. Dans ces compositions, Auber procède non 420 HISTOIBS DE L'nrSTBUMSHTATIOSr. par dérdoppement, mais par cfppomtioa BacoessÎTe de ]nék>dîe8. Ses oaTertures, qni sont trop oonniies pour être détaillées ici, offrent plus d'une analogie dans leor conpe arec celles de BossinL Si lenn formules se rapprochent nn pende celles de l'antenr de Semiramide, elles sont loin de yaloir^ malgré lenr brio et leur grâce, les pages instrumentales dn maître de Pesaro. Telles sont les obserrations que nons suggère l'étude de l'œu- Tre d'Auber. Que le lecteur ^i lisant ces lignes yeuille bien se souvenir que nous ne ûiisons pas une histoire de la musique, mais bien un historique de l'instrumentation; nous n'avons pas à ju- ger l'idéal, l'invention mélodique, le style du musicien, nous n'ayons qu'à constater les faits qui intéressent notre sujet. Aussi, malgré l'éclat du grand nom d'Auber, malgré l'immense in- fluence qu'il a exercée sur toute une génération de compositeurs, nous avons peu de chose à dire de l'intrumentation de ce maître : après avoir mis en valeur aussi bien qu'il nous était possible les mérites de ce charmant orchestre, nous ayons dû nous arrêter, aauB appuyer sur des détails qni, en réalité, ne présentent aucun fait important pour l'histoire de l'instrumentation et qui ont été déjà longuement analysés dans les œuyres des musiciens qui ont précédé l'auteur de la Muette. C'est par des qualités d'ensemble que brille l'orchestre du maître français, c'est donc sur l'ensemble seul que nous devons fixer notre attention. Hérold, compositeur moins léger, moins gracieux peut-être qu'Auber, possède à un plus haut degré que l'auteur de la Muette les qualités qui font les grands musiciens. Gomme celui de tous les maîtres de forte race, son orchestre est avant tout expressif, dramatique et profond. Il se rapproche plus de l'ancienne école française et même de Weber que de Rossini, et il faut même avouer que les formules empruntées par Hérold au compositeur italien ne sont pas ce que nous devons le plus admirer dans son œuvre. On a accusé son instrumentation d'être quelquefois un peu lourde; c'est qu'on ne réfléchissait pas que ce que l'orchestre gagne en légèreté, il le perd souvent en profondeur et que l'ex- pression juste et vraie bannit quelquefois la grâce et rélégançe. Le rapport que nous avons signalé, après tant d'autres, entre Hérold et Weber ne consiste réellement que dans une certaine si- militude de sensations que quelques page^ de ces deux maîtres l'orchestre dramatique en FRANCE. 421 nous font éprouver. A part l'ouverture de Zampa, qu'Hérold n'eût peut-être pas écrite s'il n'avait pas entendu celle du Freys^ chuiz, nous n'avons rien à signaler qui rappelle les formules du musicien allemand : l'instrumentation d'Hérold est toute dif- férente ; elle procède surtout du génie français qui cherche à peindre par l'orchestre, non-seulement les sentiments des per- sonnages, mais encore les détails de la mise en scène. Intimement liée àl'action, l'instrumentation d'Hérold en suit le mouvement et la progression ; c'est dans Zampa surtout que son orchestre est arrivé au plus haut degré de puissance et de force dramatique. Ecoutez la ballade. Sur une harmonie d'une remarqua» ble richesse, les bassons, clarinettes et cors prêtent à la mélodie un caractère grave et religieux. Le dernier couplet est d'une colora- tionplus accentuée, lamodulation de ré bémol, l'emploi des accords diminués, les trénolos des timbales et des violons, sur les soupirs des trombones et des cors, forment un ensemble d'une poésie som- bre et lugubre. C'est la même nuance que nous retrouverons dans toute la partie instrumentale que le maître a réservée à la Fiancée de marbre. Ce sont les cuivres et les bassons qui signalent la présence de la statue vengeresse, et lorsqu'au final du second actei l'apparition vient arrêter Zampa sur le seuil de l'église, ces ins- truments, grondant sourdement, semblent un premier appel de l'enfer. C'est un écho de Don Juan^ résonnant avec puissance dans cet opéra-comique français. Notons en passant que Meyerbeer avait été assez frappé de cette page pour la reproduire presque textuellement dans la Bénédiction des poignards. A côté de ces inspirations de premier ordre, combien de détails gracieux, spiri- tuels, se présentent en foule : ici, c'est le comique grognement de l'alto traduisant- la terreur du pauvre Dandolo, là les traits légers des bassons et violons, brodant leurs arabesques sur la mélodie de la barcaroUe. Plus variée peut-être, plus riche, et surtout écrite sur un meilleur poëme,la musique du Prk aux Clercs n'atteint pas à la hauteur de celle de Zampa, mais son instrumentation est plus capricieuse et plus légère. Connue de tous, la partition n'a pas besoin d'être analysée pour une centième fois encore, mais que de pages qui ont droit au premier rang dans une histoire du genre de celle-ci ! C'est tout le rôle d'Isabelle exhalant un doux . parfum de mélancolique poésie, c'est le final du second acte si 422 HISTOIBB DE L'INBTBUMBNTATION. dramatique, si passionné et dans lequel le mouvement saccadé et continu des* cordes rend vigoureusement la rage concentrée de Eaoul et de Comminges ; c'est l'admirable début du duel avec son trait de violons, flûte, hautbois, clarinette et le passage chro- matique de la petite flûte, enfin c'est tout le final du troisième acte, où les traits de génie abondent dans la mélodie, l'harmonie, l'instrumentation. Ce sont les altos, clarinettes, bassons divisés et doublés par les basses qui accompagnent le chœur des soldats d'une si étrange couleur. On sait que dans la scène de la barque les altos baissent leur ut au si naturel, pour produire la sonorité sourde et sombre dont le musicien avait besoin. Combien de détails ne pourrions-nous pas noter, si le lecteur ne les avait pas relevés avant nous, et dans le pittoresque accompagnement du duo du premier acte, et dans les soupirs des instruments à vent sur la romance du ténor, et surtout dans le charmant solo de violon qui accompagne la poétique romance d'Isabelle ! Hérold a aussi sa place marquée dans la musique purement instrumentale par des oeuvres de chambre et par des] pièces de piano ; comme symphoniste il a écrit les deux plus belles ouvertu- res de notre répertoire français. Toutes deux appartiennent à la vérité au genre appelé pot pourri, mais, loin d'être composées, comme celle de la Daim blanche, comme celles d'Auber, de thè- mes choisis dans la partition avec plus'ou moins de bonheur et rattachés entre eux un peu au hasard, les préfaces symphoniques d'Hérold accusent une puissance de conception et une richesse de développement que nous retrouvons à peine chez les maîtres de 1^ grande école du commencement du siècle. C'est avec raison qu'on a pensé à comparer la page initiale de Zampa aux ouver» tures de Weber. Développée sur trois thèmes de la partition, elle suit la progression logique de la pensée musicale, gardant pen- dant toute sa durée la chaleur intense que Tallegro du début lui a communiquée, dès les première* mesures ; c'est un drame tout entier dans lequel l'épisode de la ballade vient jeter sa note poétique et attristée. Je regrette pour ma part que la mélodie de l'allégro soit d'une grâce un peu frêle et d'un éclat trop rossinien, peu en rapport avec le reste de l'œuvre ,• mais il faut dire que loTsqu'Hérold écrivait Zampa, ce Don Juan, français, il avait cru devoir lui laisser quelques-uns des oripeaux qui faisaient l'orne- L'OBCHESTRE DEAMATIQTTE en FRANCE. é23 ment de son cousin Jocondè, et la strette finale, toute d'em- portement et de verve, rend à cette belle page le souffle lyrique que son gentil aUegro lui avait fait perdre un instant. Avec moins de grandeur et d'élévation, l'ouverture du Pré aux Clercs repro- duit à peu près les mêmes qualités, l'italianisme j est seule- ment plus marqué, mais la forme du développement ne s'éloigne pas beaucoup de celle dont nous venons de parler, et là encore, comme dans Zampa, nous retrouvons dans l'emploi de certains instruments, comme la clarinette par exemple, la trace de l'école germanique dont Hérold a su tirer un si excellent parti, sang pour cela laisser étouffer son originalité par l'imitation des com- positeurs d'outre-Ehin. Avec Halévy, nous sommes en présence d'un des maîtres français qui ont le plus curieusement interrogé l'orchestre, qui lui ont demandé avec le plus d'ardeur le secret de sa puissance lyrique et de son e^ression dramatique. Trop prisé par ses con- temporains, trop négligé aujourd'hui, Halévy aborda tous les genres, comme il étudia tous les maîtres. Il est, avec Meyer- beer, le plus remarquable représentant de l'école éclectique. Si nous avions à juger son œuvre* l'étude serait longue et la somme des critiques égale au moins à celle des éloges. Nous ver- rions ce musicien, si éminemment doué, si intelligent, sacrifier sans honte au succès du moment, chercher dans une mélodie banale, vulgaire môme, souvent, des applaudissements faciles; nous verrions ce compositeur si dramatique renier ses tendances toutes françaises, pour céder à de sottes conventions imposées par la mode, mais en revanche nous le verrions aussi , musicien savant et délicat, au style curieux et élégant, nous le verrions souvent pathétique et profondément inspiré, et nous moAtrerions en lui le seul compositeur français moderne dont les grands opéras puis- sent être mis en parallèle avec ceux des grands maîtres étrangers. Au point de vue instrumental, Halévy a droit à tous nos éloges et à toute notre attention. Par ses formules, par ses procédés, son orchestre rappelle fréquemment celui de Meyerbeer; mais «i l'auteur de la Juive et de la Reine de Chypre a souvent emprunté au musicien qui avait écrit Robert le Diable, il ne faut pas oublier que plus d'une fois le maître allemand a su se rappeler à propos les œuvres du compositeur français. Comme Meyerbeer, Halévy 424 . HISTOIBE DE L'INSTRXTMENTATION. cherchait à donner à chaque instrument le rôle qui lui convenait dans Texprossion dramatique, mais, comme lui aussi, il simpli- fiait les formes orchestrales, écrivant par grandes masses harmo- niques, et n'ayant recours au détail que pour la peinture précise d'une passion ou d'une situation. Comme le compositeur aile* mand, il a enrichi l'orchestre d'un grand nombre d'organes nou- veaux. Pour rehausser l'éclat de ses ballets et de ses somptueuses marches, pour ajouter une couleur nouvelle à son tableau, il n'hé- sitait pas à avoir recours aux inventions les plus récentes. Il fut un de ceux qui favorisèrent le plus les progrès de la famille des cuivres. Il compta parmi les plus chaleureux défenseurs des in- ventions de Sax. Il les employa judicieusement, les protégea avec ardeur. Voici du reste, avant d'étudier en détail l'instrumenta- tion d'Halévy, le relevé des innovations qu'il introduisit dans l'orchestre. Dans la famille des bois l'emploi des deux cors anglais de la Juive était une nouveauté, mais ce sont surtout les cuivres qui ont été l'objet de toute la sollicitude d'Halévy. Le trombone soprano à pistons apparut dans Ouido et Ginevra et le morceau ftit exécuté par Schiltz. Deux^cors à pistons remplacent les se- conds cor sOrdinaires pour la première fois dans l'orchestre de la Juive, et cette habitude de mêler les instruments naturels à ceux armés de pistons ou de clefs se répandra chaque jour davan- tage chez les compositeurs. Il étend et perfectionne l'emploi du saxhorn, qui s'était déjà fait entendre sur la scène dans Rol&rt Bruce, et donne droit ' de cité dans l'orchestre au sax-tuba, dont l'apparition, sous la forme antique, pendant la marche du Juif-Errant, donna lieu à tant de polémiques. On voit par là combien Halévy s'efforçait de rendre général l'usage des ins- truments nouveaux, sans pour cela abandonner les anciens. Il faut citer aussi l'emploi de huit trompettes, dans l'apparition des spectres de Charles YI, et l'introduction très-passagère du mélo- pTwne, dont nous avons suffisamment parlé, dans la première partie. Nous l'avons dit, l'orchestre d'Halévy n'est pas sans rapport avec celui de Meyerbeer : c'est avec moins de richesse la même justesse d'effet, la même recherche d'expression; mais de nom- breuses pages appartiennent bien en propre au maître firançais, et l'orchestre dramatique en FRANCE. 425 afin de rester fidèle à notre plan, nous devons choisir pour les citer le,s passages les plus remarquables de son œuvre. Nul maî- tre n'a plus que lui opposé dans une partition les couleurs les unes aux autres. Les premiers actes de la Reine de Chypre, sobres d'instrumentation et pour ainsi dire peints en demi-tein- tes, font ressortir avec un art parfait l'éclat et le brio des der- niers; l'orchestration chatoyante, je dirais presque trop voyante, de Jaguarita montre jusqu'à quel point Halévy savait jeter les couleurs à pleines mains sur une partition. Les combinaisons neuves et en même temps ingénieuses se présentent en foule dans l'œuvre du maître ; comme tous les compositeurs qui ont le génie de l'orchestre, Halévy sait choisir le mélange de timbres qui convient à la situation et à l'expres- sion. Citer tous les passages remarquables serait trop long, mais nous ne pouvons omettre de noter les principaux. L'orchestre d'Halévy présente des combinaisons de masses nombreuses et variées. Aimant les tableaux grandioses, les scènes magistrales, le maître savait tirer pour elles de l'orchestre des effets nouveaux et originaux ; autant et plus peut-être que Meyerbeer, il recherchait des orchestres pompeux et sonores pour ses grandes marches triomphales, pour ses grandes scènes solennelles. Les marches de la Juive, du Juif-Errant, présentent de l'intérêt dans la composition instrumentale. Dans la marche du Juif-Errant l'orchestre, comme chez Meyerbeer, répond en dialogue à une formidable masse de cuivres, dont voici la composition : Petits saxhorns , Cornets à pistons, Saxhorns contraltos, Saxhorns ténors , Trompettes à cylindres , Saxhorns barytons, Trombones , Saxhorns basses, Ophidéides, Saxhorns contrebasses. A cette masse il faut ajouter 15 sax-tubas, instruments d'une puis- sante sonorité, auxquels on avait donné la forme droite, rappe- lant les trompettes antiqueç. Les basses avaient 48 pieds de long. 426 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. La marche de iBb Juive, moins éclatante, présente cependant de rintérêt avec son orchestre supplémentaire de trompettes, cors, bassons, trombones. La grande scène finale du Juif-Errant, dans laquelle les terribles appels de la voix céleste forçant inexorable- ment le malheureux à poursuivre sa route, résonnent par les voix de deux orchestres en progressions diatoniques, est aussi une de ces compositions qui méritent de nous arrêter ; c'est une véri- table harmonie militaire, qui des coulisses répond à l'orchestre de la salle et dialogue avec le trémolo des cordes ; on y trouve : 2 hautbois, 2 clarinettes, 2 trompettes, 2 œmets à pistons en mi b , 2 cors, 2 cornets & pistons en la b , 2 bassons, 8 trombones et 1 ophioléide. C'est un genre d'effet analogue qu'Halévy a cherché dans la scène du Jugement dernier, mais à l'orchestre des cuivres il a joint quatre saxophones en mi b, dont la sonorité étrange et voilée figurait les voix du suprême appel. Ce n'était pas toujours pour des conceptions aussi grandioses qu'Halévy savait donner à l'or* chestre des formes nouvelles et originales et le gracieux ballet de Guido et Ginevra,da,rïB lequel les flûtes, clarinettes, cors, bassons et mélophone, répondent mesure par mesure au pizzicato des cordes, et la poétique page du sommeil de Jaguarita, où les instruments à vent colorent avec grâce le chant murmuré par les violons avec sourdines et la mélodie si originale mi naturel. 2» » D si bémol bas. 1«" altos. 4 cornets à pistons en si bémol, ges j) 440 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. 4 ophicléides ea ut, G-rosse caisse. 3 paires de cjrmbales. Ténor solo. Chœur. !«" violoncelles. 2" » Contrebasses. Voici Torchestre du Tuià mirum : 4 flûtes. 2 hautbois. 2 clarinettes en ti<. 8 bassons. 4 cors en mi bémol. » en/a. jt en soi, 4 cornets à pistons en si bémol. 4 trombones ténors. 1 ophicléide monstre à pistons. 2 premières trompettes en yà. 2 deuxièmes 2> en mi bémol. 4 trombones ténors. 4 trompettes en mi bémol. 4 trombones ténors. 4 trompettes en si bémol bas. 4 trombones ténors. 2 ophicléides en ut, 2 ophicléides en si bémol. 2 timbaliers sur une paire de timbales en ré , fa. l^orch. au nord. 2® orch, à l'est. 3« orch. à Touest. 4« orch. au sud. res de i ■flî r-H ^ Q* u ù> M u o -tJ i <« h 1 •^ s o .s: P4 o t3 ^ î 1 O (S si « ^ â •r* V a s 2 51 d o e8 5 -S -M 6 S s H a ^ «S .g p 3^8 I o I 2> 2> D ]» en sol f mi bémol. en sol bémol, si bémol. en si naturel, mi natu- rel. en la naturel, mi bé- mol. en la bémol, ut natu- rel. en sol naturel, ré bé- mol. en fa naturel, si bé- mol. 1 grosse caisse roulante en si bémol. 1 grosse caisse avec deux tampons. 60 violons. 20 altos. Chœur (70 sopranos, 60 ténors, 70 basses )• Violoncelles. 18 contrebasses. ■♦a 'c! g. 8 'd S i o 00 s c4 I I i o V 5 '5 T? S) LA SYMPHONIE EN FRANCE. 441 On sait que la disposition de l'église des Invalides où fut exécuté ce Requiem^ permettait de placer les masses ainsi que Berlioz rayait indiqué lui-même dans sa partition. Dans VAgnus Dei, on retrouvait les seize trombones, les douze cors et les huit paires de timbales. Dans l'emploi de chacun des instruments, pris séparément, l'or- chestre de Berlioz présente de nombreuses particularités ; à cha- que page nous trouvons un effet nouveau et heureux, une appli- cation juste et expressive des timbres les plus variés. Nous avons signalé dans les instruments à cordes cette division des violons, altos et violoncelles qui est un des caractères distinctifs de l'ins- trumentation de Berlioz. Nous avons vu, dans la symphonie d'iTo- rold en Italie, que l'alto était à lui seul le personnage de ce drame instrumental que l'on pourrait appeler un concerto dramati- que. Dans la marche des devins de V Enfance du Christ et surtout dans la scène des évolutions cabalistiques, à sept temps, les violon- celles et altos se croisent d'une manière curieuse. Dans la scène du jardin de Roméo le rôle du violoncelle est des plus remarquables, et. dans le duo des Troyens la voix de l'alto, douce et grave, se marie heureusement à l'ensemble des deux voix de femmes. C'est encore Valto qui contribue à donner au Sanctus du Requiem le caractère profondément religieux dont il est empreint. Berlioz a fait grand usage des sons harmoniques des violons divisés, et cette sonorité étrange et pour ainsi dire cristalline, prête aux scènes fantastiques quelque chose d'aérien ; pour le scherzo de la Reine Mal, Berlioz a tiré des sons harmoniques de charmants effets. Il est le premier qui ait eu recours aux sons harmoniques de la harpe, en les unis- sant à ceux des violons, dans ce même scherzo de la reine Mab. L'effet de cette association est réellement féerique. Le compositeur n'a pas traité avec moins de soin les instru- ments à vent. Chez lui, comme chez Meyerbeer, le cor anglais vient compléter le quatuor deshautbois et bassons ; les flûtes, clarinettes, hautbois, sont divisés comme nous l'avons vu en petits paquets qui semblent se mouvoir chacun séparément. A chaque page ces voix ont un rôle prédominant : dans la Damnation de Faust, c'est le cor anglais qui pleure avec Marguerite, pendant que les bruits joyeux retentissent au dehors; dans la Symphonie fantastique, ce sont les instruments à vent qui, reprenant tour à tour l'idée 442 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. mère, la transforment de mille façons selon l'inspiration du maî- tre. Berlioz a tiré des flûtes les effets les plus délicieux; tan- tôt il les groupe par trois, tautôt il les emploie au grave, mais toujours avec un sentiment parfait du timbre cristallin et poéti- que de rinstrument. La combinaison des trois flûtes se rencon- tre deux fois dans ses œuvres. La première fois, c'est dans VITos- tiaa du Requiem que nous les voyons mêlées à l'orcliestre des cuivres eb des cordes. Le second exemple est le charmant ballet des filles Ismaléïtes dans l'Enfance du Christ Cette page, d'une sonorité si légère et si transparente, également relevée par les sons perlés de la harpe, est une des plus complètes de toute la musique instrumentale et tiendra dignement sa place à côté des ballets à!Armide, dont elle rappelle un peu la poésie . calme et douce. Du reste le mariage de la flûte à la harpe, combi- naison des plus heureuses, se retrouve encore plusieurs fois chez Berlioz ; et V Invitation à la valse de Weber, orchestrée par lui, nous en offre un exemple remarquable. Berlioz a donné aux cuivres toute la puissance de sonorité dont ils étaient susceptibles, soit en les groupant de la manière la plus favorable au développement du son, soit en écrivant pour eux dans la partie la plus riche de leurs registres, mais il ne faut pas oublier qu'il a été le premier, non pas à trouver, mais à signaler dans son traité d'instrumentation, quels magnifiques effets on pouvait tirer des trompettes et trombones, dans le piano et même dans le pianissimo. Nous avons vu l'importance qu'il leur avait donnée dans le Requiem. Il a été avec Halévy un des plus ardents propa- gateurs des instruments de Sax et c'est dans la Bénédiction des drapeaux du Te Deum (1855) qu'il a fait usage du petit saxhorn suraigu à trois cylindres, en si bémol. C'était Arban qui était chargé de cette partie. Partout oii il a pu le faire, Berlioz a cherché à remplacer l'ophicléide lourd et pâteux par le tuba au timbre plus sonore et plus plein ; c'est cet instrument qu'on rencontre en gé- néral dans ses dernières œuvres, et il est à remarquer que sur les partitions que possède la Bibliothèque nationale et qui portent des corrections autographes, Berlioz indique presque partout le tuba à la place de l'ophicléide. Les instruments de percussion tiennent une grande place dans les œuvres du maître. Il les soigne d'une manière toute particu- ^ LA SYMPHONIE EN FRANCE. 443 lière et, multipliant les indications et les conseils aux exécutants, il va jusqu'à la minutie : baguettes de bois, d'épongé et de peau pour les timbales, double ou simple tampon pour les grosses caisses, mailloches pour les cymbales et tams-tams, tout' est noté. C'est lui qui, en effet, s'est le plus servi de ces engins sonores. La dispo- sition de ses timbales varie à chaque page, nous en avons vu huit paires dans le Requiem, Cet exemple n'était pas nouveau, et Eei- cha,voulant dans une ode de Schiller, imiter la musique des sphè- res roulant dans l'espace, en avait employé quatre paires ; mais les seize timbales de Berlioz donnaient tous les intervalles de la gamme chromatique de ré bémol majeur. Ces instruments se re- trouvent encore dans le Sanctus, Quatre seulement se font enten- dre dans la Symphonie fantastique et dans les huit scènes de Faust, ces quatre timbales sont accordées en octaves. On connaît l'ef- fet de la grosse caisse dans la marche de la Damnation de Faust, Les cymbales petites et grandes n'ont pas moins d'importance pour Berlioz : on sait qu'il fit faire exprès pour le scherzo de la Bdne Mal des petites cymbales antiques, dont le son était très- aigu et très-faible. Dans le Sanctus on constate la présence de trois paires de cymbales et le Te Deum exige cinq paires de c«s instru- ments ; il ne fallait point qu'elles fassent fêlées, ni posées sur la grosse caisse; Berlioz exigeait des cymbales neuves, à la garde desquelles des exécutants spéciaux étaient particulièrement pré- posés. Enfin, citons pour mémoire le tamtam dans le Eequiem, le glockenspiel dans les huit scènes de Faust, sans oublier le feu de peloton indiqué par Berlioz dans la marche funèbre de Tristia, Je l'avoue, ce ne sont point ces petites excentricités musicales qui excitent mon admiration pour le maître qui a écrit Bornéo et Juliette, mais nous ne pouvions donner une idée à peu près complète du style instrumental de Berlioz sans noter ces particularités de son orchestre. Bien des innovations introdui- tes par, ce musicien sont tombées dans le domaine public, beau- coup de ses nouveautés sont devenues aujourd'hui banales, mais celui qui sait à quel singulier public s'adressait le compositeur, ne peut s'empêcher d'admirer ce maître qui marcha d'un pas ferme dans la route de l'art idéal regardant non autour de lui, mais devant lui, et suivant les traces des maîtres, sans pour cela les imiter, sachant bien que lui-même passerait maître im jour. 444 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. I Avec Félicien David, nous sommes en face d'un musicien moins varié .dans ses effets, moins puissant dans ses conceptions. Plus que Berlioz, il se rapproche de l'école française et ses succès au théâtre prouvent qu'il avait, mieux que l'auteur de Roméo et Juliette le sentiment des proportions scéniques, qui conviennent à notre public. Son orchestre est moins riche, moins varié que celui de Berlioz, et si nous avons à signaler des pages d'une remar- quable couleur instrumentale, si, son œuvre décèle une merveil- leuse entente des timbres, si, en écrivant le Désert, il a été un des premiers à lancer l'école française dans la voie qu'elle parcourt aujourd'hui avec tant d'éclat, du moins n'a-t-il pas, à proprement parler, fait faire de progrès à l'instrumentation. Son orchestre procède de celui de Haydn, plutôt que de tout au- tre maître. Kecouvrant souvent une mélodie un peu maigre, une harmonie élégante, mais qui frise la pauvreté, l'instrumentation de Fél. David accapare à elle seule toute l'attention de l'auditeur. Elle est riche, limpide et variée. Le développement symphonique toujours écrit sur un rhythme bien marqué, sur une phrase mé-- lodique dont tous les contours sont nettement accusés, n'exige, pour être compris, ni longue attention, ni aptitudes spéciales. Le maître écrivait comme il sentait, c'est-à-dire sans fouiller la musi- que jusque dans ses profondeurs, sans lui demander plus qu'elle ne pouvait exprimer. Une lettre de lui à son ami Sylvain Saint- Etienne nous dévoile toute son esthétique. « A mon avis, disait il, l'unité voilà une des qualités les plus diflSciles et les plus im- portantes de la composition. Il n'est pas malaisé d'entasser pensées surpensées,quin'ontaucunrapportentr'elles; mais faire qu'un mor- ceau ne fasse qu'un tout, qu'une idée principale domine toujours, qu'elle reparaisse sous différentes formes, sans lasser par une trop grande répétition, joindre à cela des entrées intéressantes, despar- ties, des repos bien ménagés, des imitations surtout, voilà l'art du compositeur, voilà ce qui embellit l'imagination sans l'enchaîner. » Félicien David n'était point critique et parlait rarement de son art, mais je connais peu de Laharpe musicaux capables de définir ainsi la symphonie. Il joignait l'exemple au précepte ; avant tout il cherchait à être clair, et c'est la clarté, dans la disposi- tion de ses plans, la poésie et Je coloris de ses peintures qui font de David un des maîtres dont s'honore le plus notre école. LA SYMPHONIE EN FRANCE. 445 Au théâtre, comme au concert, son orchestre est à peu près le même : non-seulement il marie les timbres de la .façon la plus heureuse, non-seulement il sait les fondre et les opposer avec un goût infini, un admirable à propos, mais il a des formes à lui ; personne mieux que David ne sait superposer un sujet à un autre sujet, sans s'astreindre aux raides formules de la scolastique ; per- sonne ne sait mieux colorer un chant par un élégant contrepoint instrumental. Écoutez la marche du Désert; sur ce thème si bien rhythmé, si original, le hautbois brod ses arabesques gracieuses, puis, reprenant le chant, laisse le basson voltiger dans les parties graves de l'orchestre. Dans la danse sauvage de Christophe Colomb, c'est sur un accompagnement choral que les instru- ments se livrent à leurs adorables fantaisies, les voix battent le rhythme pendant que l'orchestre trace ses capricieux desseins. La danse des aimées, du Désert, le ballet des Fleurs de VÉden, le ballet de Lalla-Rouh sont de purs chefs-d'œuvre dans ce genre de style, mais c'est surtout dans l'accompagnement d'une par- tie vocale que David déploie toute la souplesse et toute la grâce de son instrumentation. I^e chant reste identiquement le même et ce- pendant, grâce à la variété de l'orchestre, à chaque reprise il prend une nouvelle forme, à chaque couplet il excite en nous une sensation différente. C'est généralement à un instrument solo que revient le rôle de varier le thème ; tantôt c'est le hautbois, dont Félicien David a toujours fait un si excellent emçloi, tan- tôt le violoncelle, tantôt la flûte. La rêverie du soir du Désert, le chant du mousse et la chanson de la mère indienne de Christo- phe Colomb, les stances de la jeune Israélite de Moïse, écrites dans ce style, sont des pages de maître. C'est dans le genre pittoresque surtout que David a excellé ; c'est'iin peintre en musique. Tantôt il a peint le silence au com- mencement du Désert, où de longs accords, à peine interrompus par les fragments d'une vague mélodie, représentent à notre es- prit comme des solitudes sans fin ; tantôt c'est l'immensité des flots qu'il traduit poétiquement ; une phrase longue et bien con- duite passe lentement à travers tous les timbres de l'orchestre, tandis que de légers traits rappellent les oiseaux de mer frisant de leurs longues ailes le sommet des vagues argentées d'écume blanche. Ici c'est la tempête, c'est le simoun, avec ses sourds gron- 446 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. déments, ses sifflements étranges ; là, la forêt vierge avec ses chants d'oiseaux, avec ses mystérieuses hannonies. Dans toutes ces pein- tures, David a su éviter de tomber dans le détail inutile et mes- quin; la description est toujours élevée, poétique; ce qu'il veut éveiller en nous, c'est le sentiment, c^est la poésie de ces grands tableaux de la nature, et non nous les représenter comme par une sorte de photographie musicale. Parmi ces pages il en est deux surtout qui, à mon avis, présentent même encore aujour- d'hui une originalité de forme, une intensité d'effet des plus re- marquables ; je veux parler du lever de soleil du Désert et de la Bacchanale d! Herculanum. Le premier morceau procède d'une manière neuve et originale. Ce n'est pas par une progression ascen- dante que Fél. Davidra rendu le lever du soleil ; au contraire, le chant, posé d'abord dans les instruments aigus, et au-dessus du- quel scintiUe le trémolo des violons, descend graduellement de timbre en timbre, gagnant en puissance ce qu'il perd en éclat ; l'horizon musical s'élargit ainsi jusqu'au moment où la resplen- dissante tonalité de la naturel revient dans toute sa plénitude sur l'accord parfait majeur. C'est une irradiation sonore d'un effet aussi neuf que saisissant et d'une admirable vérité de peinture. La Bacchanale, morceau plus considérable, pièce symphonique avec chœurs, est développée sur un thème, ou pour mieux dire, sur un rhythme dans lequel les bassons et violoncelles répondent aux hautbois, et dont la mélodie passe successivement dans toutes les voix de l'orchestre ; puis, après quelques pages de musique pure- ment insti-umentale, le choeur entre en scène en criant Évohé. Ce cri, d'abord longuement espacé de huit en huit mesures, se res- serre de plus en plus, jusqu'au moment où toutes les parties vo- cales, dialoguant rapidement, se renvoient le joyeux Évohé de l'une à l'autre, sans interruption. Pendant ce temps l'orchestre n'a cessé de marquer son rhythme entraînant ; les violons et les altos en pizzicato, les harpes, les crotales, les tambours de basque ont battu obstinément les quatre croches de la mesure, rendues plus accentuées encore par la vigoureuse sonorité du ré à vide des violons. Il n'est rien qui représente mieux à notre esprit le tourbillon de ces danses de corybantes que nous voyons figurer sur les bas-reliefs antiques; c'est une continuelle progression de rhythme et de sonorité. LA SYMPHONIE EN FRANCE. 447 Lorsqu'un compositeur a donné ce que les artistes appellent sa note, il est pour ainsi dire relégué dans le genre qu'il a choisi. Pour le public, Félicien David est le rêveur par excellence, il est le chantre des roses, le Marilhat de la musique, « il ne des- cend pas de son chameau. » On oublie combien, avec LdllorRouh, il a montré de tact et de goût dans ses proportions scéniques ; on oublie que dans Herculanum il a écrit plus d'une page empreinte d'un sentiment profond et dramatique. David avait conservé de son éducation première, du milieu où il avait vécu, à Ménil- montant, une sorte de culte à lui, purement déiste, qui avait fait sur son âme une durable impression se traduisant dans sa musi- que par des accents d'une couleur singulièrement religieuse et grandiose. L'entrée de Magnus dans Herculanum^ la partition de Moïse au Sinaï, sont des morceaux écrits dans un style élevé. L'orchestre alors devient pompeux et sonore; les cuivres y chan- tent de toute la puissance de leur voix ; ce n'est plus le David du Désert, c'est un David puissant, à la manière large. D'au- tres fois comme dans le Credo de Lilia, comme dans le chœur des chrétiens, la prière a une simplicité touchante qui nous montre l'auteur d' Herculanum sous un jour tout nouveau. Notons à ce su- jet un touchant accompagnement de cor anglais dans la romance de la jeune chrétienne. La dernière œuvre inédite de Félicien Da- vid, exécutée en public de son vivant, pendant la semaine sainte de 1876, était une scène du Jugement dernier, qui pourra compter parmi les plus belles compositions religieuses de ce compositeur. Sur une mélodie large, claire et bien développée, la masse des . cuivres répond à la double phalange des chœurs, et tout ce mor- ceau a une majesté et une gi^andeur des plus remarquables. Nous ne pouvons finir ce chapitre sur la symphonie en France, sans citer deux musiciens qui, eux aussi, ont contribué pour une large part aux progrès de la musique instrumentale en France, quoiqu'ils soient restés fidèles aux traditions classi- ques, sans trop se lancer dans les chemins de la symphonie dramatique et pittoresque. Le premier, Onslow, compositeur correct mais froid et sans invention, n'est cité ici que pour mé- moire. Le second, dont les œuvres passées nous font aujourd'hui regretter le silence, mérite d'arrêter plus longtemps notre atten- tion. Musicien délicat et châtié, M. Eeber, tout en prenant pour 448 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATIOK. modèle les œuvres du passé, a bu néanmoins garder son origina- lité, et se» symphonies intéressantes, finement et élégamment écri- ies, resteront longtemps encore chères aux musiciens amoureux de Tart du bien écrire, sensibles à toutes les délicatesses du style le plus pur. Du reste, Berlioz, juge si compétent en matière de mu- sique instrumentale, a formulé ainsi son jugement sur rinstrumën- tation de M. Eeber, et nous ne changerons rien à ce passage : « Quant à Tinstrumentation de ses symphonies, elle est soignée, fine, souvent ingénieuse et tout à fait exempte de brutalités. L'or- chestre est composé comme celui de Mozart ; les instruments à grande voix, tels que les trombones, en sont exclus; on n'y trouve pas d'autres instruments à percussion que les timbales, ni les mo- dernes instruments à vent. Inutile d'ajouter que la main de l'ha- bile contre-pointiste se décèle partout et que les diverses parties d'orchestre se croisent, se poursuivent, s'imitent avec une aisance et une liberté dont la clarté de l'ensemble n'a jamais rien à souffrir. » CONCLUSION, L'INSTRUMENTATION CONTEMPORAINE, EN ITALIE, EN FRANCE, EN ALLEMAGNE (RICHARD WAGNER).— AVE- NIR DE L'ÉCOLE FRANÇAISE. Tous les maîtres dont nous, avons admiré le génie , compulsé les œuvres, indiqué les tendances, appartiennent au passé. Un seul, M. Eeber, est encore une des gloires de notre école, mais son silence, que nous regrettons, semble indiquer que lui-même a renoncé à la lutte ardente à laquelle il avait autrefois si bril- lamment pris part. Nous n'avons plus qu'à constater les efforts et les conquêtes des compositeurs contemporains, à mon- trer dans quelle voie l'orchestre est entré et chercher quel avenir est réservé à l'art symphonique , qui, chaque jom* grandissant, a conquis dans la musique une place si importante, trop impor- tante peut-être. Ici, une difficulté se présente : les musiciens dont nous avons à parler sont vivants et leur tâche n*est point terminée; leur place n'est pas encore marquée dans l'histoire ; des polé- miques s'élèvent autour de leurs noms et de leurs œuvres. Au- jourd'hui, comme au temps de Rossini, comme au temps de Gluck, comme au temps de Rameau, la lutte est vive, les éloges exagérés, les critiques passionnées, les préventions injustes; l'historien lui-même le plus impartial ne peut abandonner com- plètement ses tendances d'école, ses sympathies d'artiste. Il serait injuste de se prononcer sur des compositeurs dont les dernières, et peut-être les plus belles créations, sont encore à venir, sur des œuvres dont Tinfluence définitive n'est pas encore connue. Le goût du public lui-même est flottant et indécis. S'il reste des critiques, des amateurs, des artistes même, qui en sont encore à séparer l'harmonie de la mélodie, à parler du fameux 29 450 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. mot de Grétry, plus spirituel que juste, au sujet du piédestal et de la statue, qui arment leur critique de tout Tiarsenal suranné des anciens dilettanti, il en est d'autres, qui, iancés à toute bride dans l'esthétique transcendante, méprisent le passé ne croyant qu'à l'avenir, nient le génie des maîtres sans lesquels l'école qui fait leur espoir n'existerait pas, et semblent naïvement persuadés que tout avant nous n'était que ténèbres et chaosj cee deux écueils sont à éviter l'un et l'autre, mais nous espérons, en restant dans la spécialité de notre sujet, en nous contentant de constater les faits, d'indiquer les tendances sans porter de jugement, pouvoir résumer dans un rapide tableau l'état de l'art instrumental à notre époque, marquer les efforts constants et souvent heureux de notre école moderne, laissant au temps le soin de faire rendre définitivement justice à cette vaillante pha- lange d'urtistes qui portent si haut le' drapeau de l'art moderne. Chez les Allemands, comme nous l'avons vu, l'élément sym- phonique avait fait irruption dans le drame avec Beethoven et Weber. D'un autre côté, avec Beethoven encore et Men- delssohn, la symphonie s'était renouvelée par l'emploi de cer- taines foiTQules qui ne semblaient appartenir qu'à l'art dramati- que. A partir de cette époque nous voyons souvent le mélange des deux genres s'accentuer davantage chez les maîtres contem- porains. L'orchestre prend au théâtre une place plus consi- dérable et ce n'est pas, comme on le prétend, par l'emploi exagéré des masses sonores, mais bien plutôt par le dévelop- pement donné aux pièces instrumentales dans les opéras, par le rôle que les instruments sont appelés à jouer dans la partie purement expressive d'une œuvre lyrique. Sans entrer dans une inutile théorie au sujet du théâtre, on peut dire que la voix humaine ne règne plus seule dans le drame. Les instruments eux aussi prennent part à l'action, et c'est à eux souvent que revient l'honneur de^ traduire les pensées, les émotions les plus intimes des personnages. Aujourd'hui, plus que jamais, nous pouvons répéter, comme nous le disions aux premières pages de ce livre, «l'orchestre complète la pensée du personnage, il la définit, il en explique les sous-entendus. » Ce n'est pas un bruit inutile, plus ou moins flatteur, plus ou moins mélodique, c'est l'expression même de la passion et du sentiment. l'instrumentation contemporaine. 451 Tel est le caractère de rinstrumentation dramatique dés maîtres de notre époqne. N'est-il pas à craindre, dira-t-on, que cette tendance à exagérer Timportance de Torchestre ne nuise à la justesse et à la vérité du mouvement dramatique ? C'est à l'avenir à décider cette question ; mais est-on bien sûr que les procédés dramatiques, en usage aujourd'hui, ne seront pas chan- gés dans leur essence même ? Est-on bien sûr que les efforts de tant d'hommes de talent ne causeront pas dans le drame lyri- que, sinon une révolution complète, du moins des changements si considérables, que cette exagération de l'orchestre, qui paraît choquante aujourd'hui, se trouvera parfaitement d'accord avec l'harmonie, la déclamation, la mélodie, en un mot, toutes les ha- bitudes lyriques que les nouvelles œuvres auront fait naître ? C'est à ces questions qu'il faudrait pouvoir répondre, avant de décider si des hommes d'un incontestable talent sont dans l'er- reur, avant de sourire dédaigneusement à ce qu'on appelle les billevesées des musiciens de V avenir. Pour ma part, j'avoue qu'après ce long voyage accompli à travers la musique du passé, après avoir vu chaque école nouvelle soulever les mêmes objec- tions, réveiller les mêmes querelles, je n'ose me prononcer; je puis seulement dire que ces tendances, nous les avons signalées chez les compositeurs les plus anciens, chaque fois qu'il s'en est rencontré un pour lequel l'instrumentation était autre chose que l'art de flatter et d'accompagner le chanteur ; je puis dire aussi que les maîtres dignes de ce nom , depuis LuUi jusqu'à Meyerbeer, sans môme excepter les Italiens, ont relevé le rôle de l'orchestre, et que ces progrès de l'instrumentation dont on paraît se plain- dre aujourd'hui ne sont autre chose que la conséquence logique des efforts de tous les génies qui ont précédé notre, temps. Du reste, s'il y a quelque exagération dans l'emploi des procédés nouveaux, s'il est arrivé aux compositeurs modernes, tant alle- mands que français, de donner trop de place dans le drame à la symphonie, de confier aux voix des mélodies qui convenaient mieux aux instruments, la faute ne doit pas en revenir seulement aux musiciens. Les maîtres du passé, et jusqu'à notre époque, se sont trompés souvent sur l'essence du drame lyrique. Recher- chant les applaudissements du public, ils ont laissé attribuer aux chanteurs la part qui ne. devait revenir qu'au créateur de l'œu- 452 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. vre. Les virtuoses, fiers de leurs triomphes, gonflés par les succès que les compositeurs eux-mêmes leur avaient préparés, se sont posés en arbitres de Tart, ont dicté leurs lois, et bref, d'esclaves qu'ils auraient dû rester, ont voulu se faire maîtres. Or depuis quelques trente ans, par des raisons qu'il est in utile d'expliquer ici, les voix ont perdu de leur étendue et de leur beauté, les étu- des sont devenues plus négligées et plus faibles; et les chanteurs, moins baillants, moins habiles, moins artistes qu'autrefois, ont vu grandir leur arrogance à mesure que leur talent diminuait» N'ayant souvent à leur disposition que des interprètes, dont les moyens étaient restreints et l'ignorance absolue, à quelques ho- norables exceptions près, sentant que ces chanteurs étaient sou- vent absolument incapables de chanter autre chose que de la musique écrite dans le style qui leur était familier, les composi- teurs eurent recours aux instrumentistes, interprètes moins bril- lants, mais plus sûrs de leur pensée; peu à peu ils s'habituèrent à traiter la voix comme un instrument, ils lui confièrent des traits et des formules qui semblaient plus appropriés au style symphoni- que qu'au style vocal. Ils ne connurent plus l'art de marier les voix, de faire miroiter l'harmonie dans un ensemble habilement écrit 5 accoutumés à manier la masse polyphonique de l'orchestre, ils ne surent plus mettre en relief la voix humaine qui, malgré les. chanteurs, est et sera toujours le premier des instruments. Ces nou- velles habitudes ne sont certainement pas sans inconvénients et nous aussi nous regrettons la perte de cet art du chant si char- mant et si riche à la fois ; mais nous pensons que la crise est momentanée, que l'abus disparaîtra par son exagération même, que les chanteurs, soumis à un meilleur système d'étude, rede- viendront poiu' les compositeurs d'utiles auxiliaires, sans cher- cher à empiéter sur^ les droits de l'expression dramatique, et qu'alors les compositeurs à leur tour, sans rien laisser perdre des conquêtes faites dans l'instrumentation, sauront rendre à la voix humaine la place qui lui est due au théâtre. Dans tous les cas, ce n'est pas aux maîtres italiens qui ont suivi Eossini qu'il convient de reprocher d'avoir exagéré l'importance de l'orchestre. Ils ont gardé jusque vers la moitié de ce siècle, l'habitude de respecter les voix, d'écrire pour elles avec goût et avec soin^ mais ils se sont peu mêlés au grand mouvement l'instrumentation contemporaine. 453 symphonique qui depuis plus de soixante ans s'est opéré dans Tart musical. Prenant l'orchestre après Eossini, ils.ne surent même pas l'améliorer, ils se contentèrent d'imiter le modèle sans faire un progrès, loin de là. Pendant que les Français et les Alle- mands s'appropriaient les découvertes du maître de Pesaro, et ajoutaient à leurs richesses celles qu'il avait apportées, les Italiens paraissaient prendre plaisir à laisser tomber en décadence cet art de l'orchestre que l'auteur de Guillaume Tell avait porté si haut. Toujours féconds mélodistes, daus le sens vulgaire du mot, habiles dans la science vocale, ils continuèrent , malgré les leçons de Rossini, à considérer l'orchestre comme un simple accompagna- teur ou à s'autoriser de quelques mauvais exemples du maître pour chercher l'efifet dans les sonorités plates et brutales, plutôt que dans l'habile agencement des masses sonores. Nous ne passerons pas en revue tous les compositeurs italiens qui ont écrit depuis Eossini ; nommer seulement les principaux sera très-suffisant ; d'autant plus que toutes leurs œuvres réunies ne nous donnent pas un renseignement nouveau sur l'histoire de l'orchestre. Carafa et Mercadante, trop faibles pour résister à l'influence de Eossini, se contentèrent de suivre de loin ce maître qui les avait charmés. Le premier, qui semblait d'abord, en arrivant * d'Italie, devoir s'assimiler la manière de Boieldieu et des maî- tres français, avait un orchestre qui n'était ni bien nouveau ni bien intéressant; aussi, tout en regrettant que le mélodique auteur de Masaniello et de la Prison d'Edimbourg ait laissé s'éteindre sa réputation dans les rayons de la gloire de Eossini, nous n'avons que peu d'avantages à retirer de l'étude de ces œuvres. Merca- dante appartenait, comme Bertoni, comme Simon Mayer, à cette race de compositeurs de talent destinés à briller au premier rang, quand un homme d'un génie supérieur ne les éclipse pas. Son orchestre est souvent un peu lourd, à la vérité ; cependant il est plus soigné, plus expressif, que ne l'est en général celui des Ita- liens. Donizetti et Bellini sont les brillants héritiers du maître de Pesaro. L'un, doué d'une prodigieuse richesse mélodique, ayant acquis une grande habileté et une grande sûreté de main dans le maniement de l'orchestre, semblait prodiguer à plaisir tous les 4:54 HlgTOIBE DE l'instrumentation, trésors de son exubérante imagination, laissant au hasard le soin (le lui inspirer les pages de maître que nous admirons en lui ; cependant, de tous les compositeurs italiens de cette période, il p^t celui qui a su avec le plus de bonbeur appliquer à Texpression dramatique les ressources de l'instrumentation, Bellini, au cor.'- traire, plus profond, plus tendre, plus élevé -même quelquefois que Donizetti, a un style instrumental d'une singulière pauvreté ; il semble géué plutôt qu'aidé par son orchestre : cherchant avant tout à nous communiquer sq, sensibilité si vraie et si expressive, il réduit les instruments à leur plus simple compression, il a peur de s'en servir, et cependant, comme malgré lui, quelque chpse de son âme de poëte passe encore parfois dans l'orchestre} mais c'est un éclair fugitif et rien ne peut intéresser l'historien dans ces accompagnements naïfs, pour lesquels un pi^np serait plus quç suffisant. Pc toute cette école M. Verdi nous reste. Souvent passionné jusqu'à la violence, le maître de Bussetto ne sut pas toujours dis* tinguer les limites qui séparent la sonorité du bruit;, mais il ftiiUt reconnaître et déclarer hautement que peu de qornpositeurs ont eu plus que lui l'instinct des effets dramatiques d^ l'oyches^^ tre. RigoUtto, la Traviata^ le Balh in maschera^ le brutal Tro-^ vaiore lui-même, renferment des pages où l'instrumentation est pittoresque et d'un sentiment absolument juste, Depuis qu'il a écrit Don Garïos- pour la France, M. Verdi a perfectionné son atyle symphonique; il est entré dans une nouvelle manière, Il n'a pas, comme on se plaît à le dire, fait des concessions à Técole germanique nouvelle; M. Verdi n'est pas de ceux qui ne savent qu'imiter, il est resté lui-môme avec toutes ses qualités, et aussi quelques-uns de ses défauts, m^is sa déclamation est devenue plus juste et plus serrée, son style plus soigné et plus expressif, son instrumentation plus nerveuse et plus colorée, Cette nou- velk manière^ dont on trouve déjà des traces dans le Balïo in fnascherçù, s'est affirmée davantage dans Don Carlos, et s'est per^- fectiqnnée encore avec la messe de Requiem, que le maître a com" posée pour les funérailles de Manzoni, et surtout avec la belle partition à'Aïda, la dernière œuvre de M. Verdi. Ce n'est pas sans embarras que nous abordons l'école des maî- tres français vivants ; c'est sur nos juges mêmes que nous devong L'iNSTRUMENTATIOIir COITTBMPORAINE, 455 nous prononcer, et le lecteur comprendra quel sentiment nous oblige à mettre des bornes aux éloges que chacun d'eux mérite; qu'il nous permette donc de nommer simplement, en quelques ligne» rapides, les compositeurs qui ont formé la jeune génération con-^ temporaine. Tous sont passés maîtres en l'art d'écrire pour lesins* truments, tous, avec les qualités qui leur sont propres, ont su trouver dans l'élément symphonique l'auxiliaire de leur pensée. Pour la force et' la puissance, ils n'ont rien à envier aux con- temporains allemands, qu'ils surpassent en clarté; pour la finesse des détails, le charme et la grâce, la justesse scénique du style instrumental, ils laissent loin derrière eux les Italiens. Voici l'or- chestre M. A. Thomas, que sa situation met à la tête de l'école française; il est clair dans l'ensemble, spirituel et ingénieux dans les détails, toujours intéressant et rempli de poétiques reflets, de surprises aimables, soit que le maître s'inspire de la poésie de Shakespeare ou de Goethe, soit qu'il veuille sourire avec nous dans ces charmants pastiches, qui ont nom le Caïd, Gilles et Gilbtin, où le compositeur raille finement les formules ita- liennes, en conservant son individualité. Veut-il s'éleyer dans Hamlet jusqu'à la grande tragédie lyrique, le musicien donne à son instrumentation, déjà si délicate et si variée, plus de vi- gueur et de fermeté, sans rien perdre de cette poésie vaporeuse et élégante qui a fait le succès de Mignon, Voici M. Reber, dont nous avons déjà parlé au chapitre de la symphonie, apportant à l'orchestre, dans des œuvres aujourd'hui trop oubliées du public, mais toujours admirées des musiciens, la finesse et la distinction de son esprit. Voici M. Gounod, qui, sous les dehors charmants d'une poésie toute sensuelle, cache dans son instrumentation une science toute germanique. C'est M. Massé qui, dans Ga^ îatée, fait pjasser dans son orchestre quelque chose des suaves senteurs dès abeilles de l'Hymette, et, pittoresque et spirituel, retrouve dans les Noces de Jeannette toute la finesse de touche de nos maîtres français. C'est JJ. Bazin, musicien correct et fin, qui reste fidèle à l'école dont il est sorti et qui sait donner à ses élèves l'exemple de la pureté du style (1). M. Eeyer, au con- (1) Au moment où paraissent ces lignes M. Bazin n'est plus ; le souyenir de cet excellent professeur vivra longtemps dans la mémoire de tous ceux qu| aiment les bonnes et sérieuses études musicales. 456 HISTOIEE DE L'INSTRUMENTATION. traire, le dernier venu à TAcadémie, s'est lancé hardiment dans la voie ouverte par Berlioz, et semble vouloir même suivre les traces de la nouvelle école germanique, mais son œuvre n'est point terminée, et Userait bien audacieux de juger un maître avant qu'il ait pris 'définitivement son rang parmi ses égaux. Tels sont les compositeurs que leur situation et leur talent mettent aujourd'hui à la tête des musiciens français. Nous attendons d'eux chaque jour quelque nouveau modèle à suivre ; mais tous ont compris de quelle importance était l'instnimentation dans l'art musical ; tous ont contribué et contribuent encore à enri- chir le style instrumental. M. Richard Wagner attire sur lui l'attention du monde mu- sical, depuis plus de trente ans, et chacune de ses œuvres est l'objet de vives discussions, de polémiques violentes et achar- nées. Nous n'avons pas à prendre part à ces luttes. Que M. Wa- gner, ivre de lui-même et affolé d'orgueil, n'entende, ne connaisse, n'admire que lui ; qu'il cherche à tirer vengeance de nos stupi- des mépris pour le Tannhauser, cela le regarde; l'homme est jugé et je sais dans le dictionnaire plus d'une épithète qui lui conviendrait à merveille. Il n'en est pas de même de l'artiste : musicien puissant et plein de passion , possédant au plus haut degré la science des effets d'harmonie et d'instrumentation, doué, bien qu'on en ait dit, d'une remarquable richesse mélodique, M, Richard Wagner est incontestablement le premier musicien de notre époque. Ces qualités éminentes il les emploie à réaliser un idéal de drame qui, d'après nous, est inadmissible, mais ses erreurs même nous laissent voir chez lui une imagination ardente, amoureuse d'une poésie forte et élevée. Nous n'avons pas à racon- ter l'histoire de M. Richard Wagner et de ses œuvres, ce compo- Biteur ne pourra être bien jugé que le jour ou la passion aura fait place à la saine critique, lorsqu'il ne sera plus là lui-ïnême pour indisposer contre lui les esprits les plus impartiaux, par sa mau- vaise foi, son arrogance et son insupportable orgueil. Laissons donc de côté les conceptions de M. Richard Wagner, son sys- tème dramatique, mélodique même; ne nous arrêtons même pas sur les trésors de science harmonique qu'il a répandus à pleines mains dans ses partitions ; contentons-nous, en restant dans notre sujet, de constater rapidement les innovations que ce çomposi- ¥ l'instrumentation contemporaine. 457 teur a faites dans Tart de l'orchestres , les formules nouvelles de son instrumentation, laissant à de mieux! instruits et de plus ha- biles le soin d'apprécier dans son ensemble ce singulier génie. Le caractère dominant de l'orchestre de Wagner est une grande fermeté jointe aune extrême souplesse. Depuis les premiers ac- cords de Rienzi, jusqu'au final du Gotterdammerung, ces qualités se retrouvent à travers toutes les altérations qu'a subies le style instrumental du maître. Les différentes manières de E. Wagner se sont modifiées chronologiquement d'une façon très-logique et très-facile à observer. Dans ses premières partitions, Rienzi et le Vaisseau fantôme^ Je compositeur ne s'est pas très-sensiblement éloigné des maîtres de l'école allemande au point de vue de l'or^ chestre. Le style mélodique est même empreint d'un italianisme qui étonne chez un musicien essentiellement germanique. Le Vaisseau fantôme, grâce à de certaines hardiesses instrumentales, grâce à des combinaisons nouvelles que nous retrouverons dans les œuvres postérieures, annonce déjà une transformation prochaine. Abusant du sujet, et de la tempête par laquelle commence ce drame en grande partie descri[)tif, Wagner emploie les trémolos et le» gammes chromatiques fatigantes ; mais l'usage des instru- ments de cuivre, des cors par exemple, tout en rappelant les effets trouvés par Webey, marque un pas nouveau dans la disposition des instruments naturels ou à pistons. Déjà nous voyons apparaî- tre la division des instruments à cordes, dont le compositeur tirera des effets si poétiques. Empressons-nous de rappeler seulement que ce procédé, porté à sa perfection par Wagner, avait déjà été em- ployé par Rossini, Meyerbeer et surtout Berlioz, que l'auteur de Lohengrin a dû singulièrement étudier, sans vouloir l'avouer. Tannhauser est d'une forme beaucoup plus moderne et la signature du maître se laisse voir à chaque page d'une façon plus évidente. Le prodigieux mouvement des violons de l'ouverture , entourant comme d'une spirale sonore le chant des pèlerins, la tournure altière de la marche, avec ses quatre parties d'altos, ses douze trompettes sonnant à trois parties, ses alliances de timbres si ori- ginales et si colorées, tout cela pris dans son ensemble décèle un puissant maître de l'orchestre qui, procédant à la manière des plus grands génies, peut ménager ses effets avec un art et un savoir merveilleux. Avec Lohengrin, la meilleure des partitions du 458 HISTOIEE DE L'INSTRUMENTATION. maître à notre ayis, et celle qui semblerait devoir convenir le mieux au public français, nous nous trouvons en face d'un orcheS' tre dont les tendances sont, absolument nouvelles. Non-seulement des crescendo comme le prélude, des explosions pompeuses de sono- rités comme la marche, des progressions comme le duo d'amour arrêtent le lecteur, non-seulement nous avons à relever une foule de combinaisons diverses que nous étudierons en détail , mais le système instrumental lui-même est neuf et mérite d'être signalé. D'abord, les cordes sont souvent divisées eh 3 ou 4 parties.- Wagner n'emploie que rarement les instruments à vent par paires, il les divise par groupe de trois, ce qui lui donne pour chaque timbre une harmonie complète; chez les maîtres tels que Berlioz et Meyerbeer, nous avons déjà signalé cette tendance, mais ici le procédé est constant. Disposant ses flûtes en trio, Wagner ajoute aux hautbois, le cor anglais, aux clarinettes, la clarinette basse; ces instruments qui avant lui n'étaient que d'exception ou à peu près, font partie de ce qu'on pourrait appeler la pâte même de l'or- chestre. Meyerbeer a fait de même dans VAfricainey et il n'est pas impossible qu'il ait en cela suivi l'exemple de Wagner. Cette divi- sion par trois sert au compositeur, moins pour quelques effets spé- ciaux que pour donnera la masse de l'orchestre plus de fermeté et de sonorité. C'est ainsi que nous la retrouvons dans les grands tutti, comme le final des fiançailles où chaque groupe instrumental, re- doublant Tharmonie de l'ensemble, se trouve composer lui-même une harmonie complète. Ces cara<îtères se retrouvent encore dans Tristan et Iseult, mais à un plus haut degré ; la fantaisie a plus de part dans le rôle de l'orchestre, les effets nouveaux sont plus nom- breux encore. Il est à remarquer que, dans ces deux partitions, les cordes et les instruments à vent sont divisés à la vérité comme * nous l'avons dit, mais que les cuivres tels que cors et. tromt)ones procèdent généralement par groupe de quatre dans les masses. La Tétralogie indique encore une dernière transformation du système instrumental de Wagner. Des familles complètes, comme celle des tubas, viennent prendre place à l'orchestre ; l'extrême division des parties de violons subsiste toujours, mais souvent la réu- nion par groupes de trois des instruments à vent est remplacée par la disposition en quatre parties. De plus les cors, eux aussi, sont divisés dans plusieurs passages et au troisième acte de la Ji'jîfSTOUMENTATION CONTEMPORAINE. 459 Waïjpure, par ej^emple, on compte six parties réelles de ces ins- truments ; rintroduction du Gotterdammerung en contient huit, se partageant Tacoord de mi bémol, et il est à remarquer que tout les huit sont dans le même ton, Wagner aime à grouper ensemble par petits orchestres détachés des instruments de même tim- bre. Le quatuor des tubas marche souvent seul à découvert; la femille des trompettes se complète par la trompette basse, les trombones ténors, basses et contrebasses ; les cors se détachent davantage du petit orchestre de bois, en ayant pour basse, soit le basson, soit le bass-tuba ; il est bon de remarquer que dans le dialogue instrumental, Wagner cherche souvent à opposer dans les différents timbres des combinaisons de même genre ; c'est ainsi que dans Siegfriedy le cor anglais formant harmonie avec les trois bassons, répond à Talto, s'appuyant sur les basses et contrebasses. Du reste Wagner, en tête de chacune de ses partitions, a donné la oomposition de son orchestre; la voici : 16 premiers violons, 16 seconds, 12 altos, 12 violoncelles, 8 contrebasses, 3 grandes flûtes, 1 petite flûte, 3 hautbois, 1 cor anglais « qui peut être considéré comme quatrième hautbois » S clarinettes, une clarinette basse, 3 bassons, 8 cors, 1 tuba-ténor, 2 bass'tubas, une contrebasse tuba, 3 trompettes, 1 trompette- basse, 3 trombones ténor et basses, 1 trombone contrebasse. 2 paires de timbales, triangle, cymbales, tambour, caisse rou- lante, A cette batterie il faut ajouter 18 enclumes qui ont une partie importante dans le Rheingold surtout, un engin sonore que le compositeur appelle Donner maschine et un Glockenspiel. Le dragon Fa&er chante dans un portevoix. Six harpes com- plètenÇi cet orchestre varié. Il est bon de remarquer aussi que l'instrumentation particu- lière au rôle et au caractère de chaque personnage se laisse plus apercevoir dans la Tétralogie que dans les œuvres précédentes de B. Wagner, Vouloir écrire en détail tous les effets nouveaux que contien- nent les partitions de Wagner, serait allonger ^démesurément ce travail ; cependant nous en choisirons quelques-uns qui paraissent présenter le plus d'originalité et d'intérêt. Dans la famille des instruments à cordes, nous avons dit combien, à l'imitation de Berlioz, Wagner se plaisait à subdi- 460 ^ HISTOIRE DE L'iNSTRUMENTATIOK, viser les parties ; mais là n'est pas la seule particularité qu'on peut remarquer dans l'emploi de ces instruments. On sait quelle est leur prodigieuse vigueur dans l'ouverture de Tannhauser, Ce sont les violoncelles et les altos qui prêtent au chant des pèlerins du premier acte leurs accents graves et religieux. Lorsque Wol- fram chante l'amour pur et éthéré, ce sont les altos et les violon- celles, dialoguant avec les harpes, qui l'accompagnent. Cette charmante combinaison se retrouve encore dans Lohen^rin, pour peindre l'extase d'Eisa. On connaît le prflude de Lohengrin, on sait quel est l'effet de ce prodigieux crescendo et decrescendo, surtout au moment où, entrant dans la mêlée, les instruments à vent et les cuivres écrasent les cordes de leur puissante voix. Les parties de violons dans cette page sont des plus curieuses, quatre de ces parties font entendre les sons harmoniques, les quatre au- tres sont naturelles. Du reste, voici la composition de ce morceau intéressant : 3 flûtes , 2 hautbois, 1 cor anglais , 2 clarinettes, 1 clarinette basse , 3 bassons, 3 trompettes, 4 cors, 3 trombones, 1 bass-tuba, violons divisés, altos, violoncelles, contrebasses. Au second acte, lorsque les deux époux félons conspirent contre le bonheur d'Eisa, le timbre grave du violoncelle, marié au cor an- glais, aux clarinettes, à la clarinette basse et aux bassons, est d'un effet sombre et énergique. Ce sont les cors, bassons et violoncelles qui, dans la marche des fiançailles, dessinent la mélodie si origi- nale et si vigoureuse par laquelle débute cette belle page. Dans l'introduction de Tristan et Iseuït, composition poétique et d'un effet nouveau, ce sont les quatre parties de violoncelles qui do- minent. Dans le beau duo d'amour de cet opéra nous trouvons une •» l'instrumentation contemî>oraine. 461 combinaisoii qu'il est bon de citer. Tandis que les groupes de bois font entendre des triolets précipités, les violons divisés, les altos et les violoncelles accompagnent la voix sur un rhythme mélangé de § et de J, le duo s'échauffe, et dans la suite du développement symphonique, au moment où Brangaene vient avertir les deux amants du danger qu'ils courent, les violons se subdivisent encore et on peut en compter six parties. Tristan et Iseult fait pressen- tir la Tétralogie et on y trouve des bizarreries de rhythme qui ne sont ni dans Tannhauser^ ni dans Lohengrin : c'est ainsi qu'au second acte le solo de hautbois se dessine en | sur un accompa- gnement en f . Lorsque Tristan attend Iseult, la mesure est à 1 , mais, altérée à chaque page, elle est altérée suivant toutes les expressions du sentiment. Dans la Tétralogie l'emploi des instruments à cordes est des plus variés. Dès la première scène du Rhsingold, le chœur des filles du Rhin est accompagné d'une façon charmante ; pendant que les instruments à vent posent le chant et dessinent des ara- besques pleines d'élégance, les violons divisés en huit et les har- pes imitent le doux balancement des flots dans lesquels nagent mollement les filles du fleuve. C'est une page toute de poésie et de couleur. Plus loin, c'est un trait qui, pai-tant du violoncelle, traverse les neuf parties de cordes pour venir expirer dans les premiers violons. Nous verrons, en parlant des instruments à vent, que le compositeur a employé de la même manière leurs diverses familles avec beaucoup de bonheur. Le final du Rhein- gold présente un grand déploiement de forces instrumentales et les cordes surtout méritent d'arrêter notre attention ; le chant se développe symphoniquement avec les fiûtes, hautbois, cla- rinettes, auxquelles répondent les violoncelles, les six harpes et huit parties de violons, enchaînant gracieusement leurs ar- pèges. Toute cette longue, mais poétique symphonie avait débuté par une mélodie des cors, que soutenaient six parties de 1 et de 2 violons, et six parties d'altos. Siegfried n'est pas moins riche en effets nouveaux. Outre les combinaisons des violons et des violoncelles divisés, outre la place importante donnée aux con- trebasses, il faut noter dans cette partition un emploi particu- lier des altos. Ces instruments dessinent des arpèges d'une grande étendue, et certes ce n'est pas en lisant ces passages que l'on 462 HISTOIRE Dîf li'lîïSmXJMENTATION. pourra dire qu'un mauvais second violon esè toujours assez bon pour faire un alto. De plus, et c'est la première fois, si -je ne me trompe, que le fait se présente, Wagner a employé les note» har- moniques de l'alto dans le dialogue de Siegfried avec les oiseaux. Dans la Walkure le même style domine, ainsi que dans le Oottef'^ dammerung, et nous arrêter plus longtemps sur l'usage des instru- ments à cordes, dans l'œuvre de Wagner, serait nous exposer à de nombreuses répétitions. Cependant nous ne pouvons omettre de mÀat dans la première scène de la Walkure l'emploi de cinq parties de violoncelles, chantant une mélodie large et poétique, et au second acte un curieux effet de violoncelles et timbales. La harpe tient une place très-importante dans les derniers opéras de Wagner. Nous avons vu qu'il en employait six et qu'el- les aussi étaient entrées dans le istyle courant de l'instrumen- tation. Mais combinée seule avec les cuivres et les bois, la harpe produit plusieurs effets nouveaux qu'il faut remarquer. Dans la scène du concours de chant de Tannhauser elle exécute des arpèges autour des tenues des clarinettes, des cors et des bassons. Dans le final de Tannhauser, elle est jointe au trombone et au bass-tuba. Dans le final de" Siegfried, nous retrouvons un effet analogue, accompagné par les tenues d'instruments à vent ; la harpe dialo- gue avec les violons et dans la Walkure, nous entendons encore son timbre léger et aérien se détachant de la masse compacte du petit orchestre. Eéunî aux cordes, ou se suffisant à lui-même, le petit orchestre des bois et des cuivres nous offre aussi un grand nombre de com- binaisons nouvelles ou ingénieuses, et les innovations de Richard Wagner dans cette partie de l'instrumentation ne sont pas les moins curieuses à étudier. Nous avons vu depuis Haydn l'emploi des instruments à vent se transformer complètement dans les œuvres de Gluck, Mozart, Beettoven, Weber, Meyerbeer, Ber- lioz. V"enu après ces maîtres, qu'il renie, M. Wagner a su habi- lement profiter de leurs découvertes, mais les a rendues siennes, il faut le dire, par des applications judicieuses et originales. Nous avons marqué l'emploi de ces instruments par groupes de trois quatre. Citons avant de les analyser séparément quelques-unes de ces alliances de timbres les plus remarquables. A la deuxième scène du second acte de Lohmgrin, pendant qu'Eisa, à la fenêtre, L'iNSTRUMENTATIOir CONTEMPORAINE. 463 rêve à son amour, les flûtes, les hautbois, le cor anglais, les cla- rinettes, les bassons et les cors accompagnent la mélopée chantée par la jetme femme. Toute l'introânctioiz du choBur des jeunes filles, dans la scène des fiançailles, est exécutée par un orcl^stre analogue. Nous avons vu à la vérité cet effet dans Meyerbeer, mais employé avec moins de développement. Dans Tristan et. Ismlt, à la scène des poisons, le cor anglais, le basson, le trom- bone forment un assemblage dont la sonorité doit être d'une cou- leur sombre et farouche. Il en est de même au commencement de Siegfried où le compositeur fait sonner ensemble les bassons, les altos et le bass-tuba. Les traits montant du grave à l'aigu, que nous avons déjà signalés au sujet des cordes, se trouvent encore appliqués aux différentes familles d'instruments à vent. Ici {Sieg- fried), partant de la clarinette basse, cette sorte d'arpège passe successivement par le basson, le cor anglais, la clarinette, le haut- bois, pour s'éteindre dans le registre de la flûte; là {Gotterdam- merung, premier acte), im trait analogue joint le trombone basse à la trompette. Au troisième acte de la Walkure, rien n'est char- mant comme les brode;pies de tout le petit orchestre, sur l'accom- pagnement des cordes, et le chant des jeunes filles. Chaque groupe compact a son rôle dans l'ensemble, et ce mélange de sonorités doit être d'un effet plein de poésie et de grâce. Si nous examinons en détail le groupe des instruments en bois, nous aurons encore quelques particularités à signaler. Wa- gner n'a pas étendu au grave le registre des flûtes et on ne trouve pas dans ses œuvres, comme dans celles de Mozart, de flûte en soi, mais, en revanche, en écrivant soit pour trois grandes flûtes et une petite, soit même pour les deux ordinaires et le piccolo, ainsi que nous l'avons dit, il a formé un véritable groupe. Cette combinaison n'est pas seulement passagère ainsi qu'on peut la rencontrer dans Haendel, Gluck, dernièrement encore dans la messe de Verdi, c'est une habitude de style et les trois ou quatre flûtes (suivant la période) font partie intégrante de l'orchestre. Les hautbois auxquels il ajoute le cor anglais sont traités de la même façon. C'est dans l'orchestre de la l'étralogie que nous ren- controns trois hautbois formant quatuor avec le cor anglais ; quant aux bassons, qui sont le plus souvent réunis par trois, Wagner ne les divise pas, mais il les marie soit aux bois, soit aux cors, suivant 464 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. en cela la* coutume reçue. Les clarinettes sont l'objet de toute la prédilection du maître 5 il en a employé d'abord trois, puis quatre dans ses dernières œuvres, en comptant la clarinette basse ; mais, outre qu'elles tiennent une place importante dans la masse de l'orchestre, il leur a réservé un grand nombre d'effets nouveaux et charmants. C'est cet instrument qui dans le duo de Tanti" hauser accompagne le chant de la douce Elisabeth. Au commen- cement du 2® acte de Tristan et Iseuli, Wagner a fait de cet ins- trument un emploi nouveau et ingénieux. Iseult, rêveuse, pense à celui qu'elle aime, les hautbois font alors entendre un chant .que les violons reprennent après lui 5 mais pendant ce temps deux clarinettes, d'abord soutenues par les cors, ensuite par la clarinette basse, exécutent sur le trémolo des violons et altos avec sourdines, une batterie de l'effet le plus poétique et le plus lumineux. Le caractère de la clarinette basse est plus sombre plus mélancoli- que et au second acte du même opéra, le compositeur en a tiré un bon parti de l'instrument, soit en le traitant en solo sur les trémo- los des cordes et les traits des bassons, soit en lui confiant le chant dominant la masse de l'harmonie. Dans Swgfrîed^ on trouve un véritable quatuor de clarinettes jointes aux violoncelles, et dans un passage de la Waïkure, elles sont traitées à quatre par- ties, sans adjonction d'aucun autre instrument. Le groupe des cuivres est celui dans lequel Wagner a introduit peut-être le plus d'innovations; nous avons vu par quelques exem- ples comment il les fond dans la masse de l'orchestre ; mais, considérés à part, ils offrent encore de l'intérêt. Leur nombre est augmenté ; 12 cors, chantant à trois parties, se font entendre dans le fiual du premier acte de Tannhauser; dans la marche, ce sont 12 trompettes qui sonnent la fanfare, et à partir du Rheingold, huit cors prennent définitivement place dans l'orchestre de la Té- tralogie. L'emploi du trombone contre-basse ajoute une voix de plus au grave, sans préjudice du bass-tuba qui remplace l'ophi- cléide dans les derniers opéras. L'introduction de la famille des tubas ténors, basses et contrebasses est une innovation qu'il faut attribuer uniquement à l'auteur de Lohengrin et leur rôle est si important que, dans Siegfried par exemple, ils représentent un personnage (le dragon Fafner). Pour les instruments de cuivre, et particulièrement pour les cors, Wagner écrit d'une façon l'instrumentation contemporaine. 465 toute spéciale, sachant habilement mêler les cors naturels aux cors à pistons, trouyant l'art de donner à chacun la note la plus favorable. Au troisième acte de Siegfried, on compte six parties réelles de cors et nous avons cité Tintroduction de Rheirir gold qui en compte huit dans le même ton. Les trombones com- posent à eux seuls un groupe, comme dans les orchestres ordinai- res ; augmentés du trombone contre-basse, ils se joignent aussi aux trompettes, produisant avec elles une sonorité homogène; quant à Tophicléide, il n'en est plus question dans la Tétralo- gie; il est remplacé par le bass-tuba. Dès l'ouverture du Vaisseau fantôme celui-ci fait son apparition, mais c'est surtout dans la Tétralogie qu'il règne en maître. Dans le combat entre Fafner et Siegfried, le bass-tuba, doublé à l'octave par le contrebass-tuba, suit tous les mouvements du monstre .et ne se tait que lorsque le héros a abattu le dragon, mais ce n'est pas le seul passage où le groupe des tubas fait entendre sa voix, on le retrouve joint aux trombones dans le Rhei^igold et dans la Walkure (duo de Sie- gelinde et de Hunding) ; dans le second acte du même opéra, c'est lui qui répond au groupe des trompettes et trombones. Dans le sombre orchestre de cuivre qui accompagne le chant de Mime {Siegfried), le tuba joue aussi un rôle important. E. Wagner n'a pas abusé des instruments de percussion, c'est à peine si on trouve une fois la grosse caisse dans son orchestre, et encore les tambours, triangles, cymbales sont-ils ejnployés rarement et seulement dans les passages qui nécessitent absolu- ment leur présence, en revanche, il est resté fidèle aux traditions de l'instrumentation moderne, en conservant aux timbales l'impor- tance que les grands maîtres leur avaient donnéeJl en emploie deux, trois et quatre, et dans la dernière partie de la Tétralogie surtout, il les oblige à de fréquents changements. Parmi les passages où elles sont employées avec le plus de bonheur, il faut citer, dans le Vais- seau fantôme, la première entrevue de Senta et du Hollandais. Jointes aux violoncelles, elles battent pendant longtemps im rhy- thme obstiné qui peint bien l'étonnem'ent de la jeune fille devant l'être mystérieux, dont elle connaît le portrait et dont elle rêve chaque nuit ; au second acte de la Walkure, nous retrouvons en- core un effet analogue. Enfin la sonorité des timbales ressortant sur le chant et sur les tenues des violons avec sourdines^ dans le 30 466 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. Ootterdammerung , est à*\me couleur des plus originales. Nous avons cité dans le Eheingold les dix-huit enclumes de trois diffé* rentes tailles, petites, moyennes et grandes, placées sur le théâtre et qui se font entendre tantôt dans le tutti, tantôt sur des tenues de cuivre. Elles doivent être accordées en fa, faisant entendre cette note à des distances d'octaves, suivant leurs dimensions. • Ici doit s'arrêter notre étude de l'orchestre de Wagner, sous peine d'entrer dans le domaine de la polémique que nous vou- lons à tout prix éviter. Nous sommes ici en face d'un orchestre nouveau, qui est pour ainsi dire la résultante des progrès accom- plis depuis ces cinquante dernières années dans l'instrumen- tation ; il était nécessaire d'en indiquer les principaux caractères, nous l'avons fait de notre mieux, nous espérons que le lecteur nous tiendra compte de notre prudence et de notre impartialité, en un temps où pour juger le musicien allemand on consulte plu- tôt la passion politique que le sentiment de l'art. L'avenir seul permettra de décider si Wagner a été un grand maître ou un simple rêveur, mais qu'il nous soit permis de déclarer hautement que, considéré ainsi que nous l'avons fait au point de vue ins- trumental seul, l'auteur de Tannhatcser, de Lohengrin, de Tristan et IseuUet de la Tétralogie est non-seulement un hardi novateur daiis l'art de l'instrumentation, mais encore un puissant coloriste, et à ce titre il a droit de prendre place à côté des plus grande musiciens de l'époque moderne, à côté de Weber, de Rossini, de Meyerbeer et de Berhoz, dont il est du reste le continuateur. Nous sommes enfin parvenu au terme de notre long voyage. Avons-nous bien marqué toutes les étapes de la route, avons- nous, fidèle historien, donné à chacun la place qui lui était due ? c'est ce que seul le lecteur peut dire. Nous nous sommes tenu dans l'exactitude des faits, sans nous hasarder dans la haute philoso- phie de l'esthétique, restant à la fois éloigné et de l'admiration exagérée et de la critique injuste, mais quel fruit retirer d'une si patiente étude si nous ne cherchons pas à soulever le voile de l'avenir, à deviner quels résultats auront pour notre brillante école française tant d'efforts successifs, tant d'œuvres de génie ? L'orchestre tel que nous l'avons étudié dans ses transforma- tions successives semble être arrivé dans notre siècle, avec Bee- thoven, Weber, Kossiui^ Meyerbeer, Mendelssohn, Berlioz, etc.^ l'instrumentation contemporaine. 467 an pins haut degré de perfection dont il est susceptible. Au point de vue matériel ses forces sont pondérées dans une proportion absolument juste. Sous le rapport dramatique, on a vu grandir chaque jour son importance, et nous assistons à ce fait singulier que la symphonie et le drame paraissent devoir se confondre dans une seule et même poétique. Continuer à suivre en instrumenta- tion les traces des grands maîtres du commencement du siècle, serait s'exposer à rester pour toujours dans le cercle étroit de l'imitation. C'est ce qui a été compris par l'école moderne depuis une trentaine d'années. Non-seulement on a cherché dans chacun des instruments des accents nouveaux, non-seulement on a tiré parti de leurs diffé- rents timbres pour leur faire exprimer des sentiments auxquels ils semblaient peu propres au premier abord, mais on les a chan- gés dans leur essence même. Les perfectionnements nouveaux ont créé des sonorités nouvelles, les registres de certains instruments ont pris plus d'étendufe, à l'aigu comme au grave. La couleur même du son s'est altérée, et il est évident que la flûte, le hautbois, la clarinette de nos jours n'ont plus la même sonorité qu'il y a cinquante ans. Une plus grande justesse dans l'instrument a donné plus de hardiesse aux compositeurs, pour lesquels il n'est point de difl&cultés que l'instrumentiste ne par- vienne à surmonter. Par un singulier retour, nous paraissons revenir aujourd'hui au système instrumental qui fut en honneur aux xvi® et xvii® siècles. Nous reconstituons les familles sonores qui avaient été abandonnées. Aujourd'hui comme autrefois, nous semblons refor- mer les différents quatuors des instruments à vent. Déjà des maîtres modernes, imitant en cela ceux du passé, ont groupé les timbres de la flûte dans un élégant trio. Le cor anglais, le con- trebasson viennent compléter la famille des hautbois, et des essais ont été tentés pour transformer le quatuor en quintette, au moyen du hautbois de Triébert. Nous avons soigneusement montré le cor anglais abandonnant son rôle épisodique pour entrer 'franchement dans la masse sonore, en qualité d'alto de hautbois. Il en est de même des clarinettes qui, de la basse au soprano, sont complètes, sans même qu'il soit, à mon avis, besoin de se servir de la clarinette contrebasse, qui cependant I *. 468 HISTOIRE DE L'INSTRUMENTATION. existe. La riche famille des saxophones, tout à fait homogène de la contrebasse au sopmno, vient encore ajouter à Torches- tre de nouTcUes voix distinctes tout à la fois de celles de la clarinette et du basson, et les dernières œuvres de R. Wagner nous montrent le quatuor des tubas entièrement formé. Est-ce à dire pour cela que nos compositeurs se mettront à écrire comme on le faisait autrefois des concerts de flûtes, de hautbois, de clarinettes? Certes non, mais la constitution de nouvelles familles doit nécessairement entraîner de nouveaux effets ; c'est à eux qu'il appartient de les trouver. Les instruments à cordes pincées sont restés en arrière ; seule la harpe a été conservée, et encore ne fait-elle pas partie intégrante de l'orchestre. Le pizzicato des violons peut jusqu'à un certain point les remplacer, mais il est dur et sec, et on peut, sans entrer dans de stupides théories, prévoir le moment où de nouvelles sonorités pourront être obtenues par l'emploi d'instruments à cordes pincées d'un timbre plus moelleux et plus doux. Nous n'exigeons pas la résurrection des luths, théorbes, cithares et au- tres instruments, difficiles à jouer, mais nous croyons que les compositeurs n'ont pas suflSsamment encore demandé aux harpes, par exemple, tous les effets dont elles étaient susceptibles. Nous avons laissé de côté et à dessein les instruments de cui- vre. Ici, la révolution est complète : de nouveaux instruments viennent prendre place à côté des anciens, sans pour cela les faire oublier. Ce sont les cors qui se transforment et acquièrent les notes qui leur manquaient, ce sont les trompettes qui devien- nent plus justes, plus agiles, ce sont les magnifiques instruments de Sax, qui joignent à la beauté du timbre la souplesse du son, et qui complètent toute la famille des cuivres. Dans remploi même de ces agents sonores on découvre de nouveaux procédés; non-seulement ces instruments chantent pompeusement la viC" toire et la guerre, mais, modérant leur voix stridente, ils pren- nent quelque chose de la solennité des vastes cathédrales, ils se prêtent sans effort à l'expression des sentiments les plus dra- matiques et les plus profonds. S'il nous est permis de donner modestement un conseil aux musiciens, n'abandonnons à aucun prix les instruments naturels ; ils sont moins souples à la vérité, leur échelle musicale est incomplète, mais ce sont des instruments l'instrumentation contemporaine. 469 à part qui ont leur caractère et leur génie, pour ainsi dire, et les laisser complètement de côté serait enlever à la palette de Tor- chestre quelques-unes de ses plus belles couleurs. Les maîtres de Técole moderne îie laisseront pas péricliter le • riche héritage légué par les musiciens du passé. Pour ne parler que de la France, elle est nombreuse la foule de jeunes maîtres qui se presse aujourd'hui à la porte de nos concerts et de nos théâ* très. MM. Massenet, Saint-Saens, devant lesquels semblent de- voir s'ouvrir les portes de l'Institut, Guiraud, Joncières, Franck Lalo, Delibes (je nomme au hasard), et avec eux une courageuse et brillante phalange d'artistes, s'élancent dans la carrière. Chacun poursuit son idéal, chacun obéit aux tendances de son talent, mais tous savent aujourd'hui qu'il n'est réellement pas de musiqua sans instrumentation, tous ont compris quelle était la puissance des voix de l'orchestre dans une œuvre lyrique ; tous, jusqu'aux compositeurs d'opérettes, ont cru nécessaire de relever leur style, de donner à leur orchestre un peu plus d'élé- gance et de fini, pour satisfaire aux exigences d'un public de^ venu à son insu plus délicat et meilleur musicien. On accuse aujourd'hui la jeûne école de se renfermer dans la musique symphonique, de craindre le théâtre , de manquer de sentiment dramatique. Nous avons expliqué précédemment pour- quoi nos compositeurs préféraient les instruments aux voix. De plus nous ne sommes pas sortis de l'époque de transition' dont nous avons marqué les différents périodes. Le théâtre obéit en- core à certaines lois qui paraissent en contradiction avec le génie et les formes de la musique moderne. Cela est si vrai que tel com- positeur plein d'originalitémélodique, de verve, de passion drama- tique au concert, perd en partie ces qualités en arrivant en scène. Les musiciens se méfient du public, comme le public se méfie d'eux; ils ne se doutent pas que se donner franchement, avec sa nature et son talent, serait la plus simple manière de conquérir ce juge sévère qui les effraie, mais qui ne demande qu'à les applaudir, qu'à éprouver des sensations nouvelles. Médiocrement portés vers le genre de l'opérette qui tend chaque jour à remplacer l'opéra- comique, voyant les portes des grands théâtres s'ouvrir avec tant de difficulté, découragés aussi, sans vouloir l'avouer, par la per- fection des œuvres qui ont précédé le^ leurs^ les jeunes composi- 470 HISTOIEB DE L'INSTRUMENTATION, teurs semblent hésiter sur le chemin qu'ils ont à suivre, ils demandent à l'art instrumental, dans la symphonie^ comme dans l'oratorio, les inspirations que le théâtre paraît devoir leur refu- ser : riches de science et d'acquit, ils errent inquiets et troublés à la recherche d'un art nouveau, craignant à la fois de tomber dans les banalités de l'opéra-comique bourgeois, craignant aussi de voir leurs tendances poétiques méconnues. Cet art, le trou- veront-ils ? Je le crois fermement, mais, pour rester dans les bor* nés du sujet qui nous occupe , nous devons constater que jamais l'instrumentation n'a été dans un état plus florissant. Le temps donnera raison à nos jeunes compositeurs, et l'école moderne sor- tira victorieuse de cette crise artistique à laquelle nous assistons en ce moment, nous pouvons aflBrmer dès à présent que l'art difficile de l'orchestre est loin de péricliter : le style instrumen- tal devient de plus en plus riche et varié ; le public lui-même comprend mieux toutes les délicatesses de l'orchestre, et le jour n'est pas loin où les jeunes compositeurs français, ayant enfin trouvé des librettistes qui leur manquent aujourd'hui, pourront réaliser l'idéal qu'ils poursuivent depuis si longtemps : marier la symphonie aux voix dans de justes proportions scéni- ques et obtenir au théâtre, comme il l'ont déjà obtenu dans les concerts, le succès dû à leurs efforts et à leur incontestable talent. Ici doit s'arrêter notre tâche ; notre programme est rempli : nous avons étudié l'orchestre dans tous ses détails, nous en avons suivi l'histoire pas à pas dans toutes ses manifestations. Si nous avons pu montrer par quel enchaînement logique des faits, l'orchestre de nos jours se rattache tout naturellement à l'orchestre du moyen âge, si nous avons pu faire voir que notre bel art instrumental contemporain n'est qu'un héritage que nous recueillons aujourd'hui, après que tant de génies l'ont enrichi et augmenté, nous avons atteint notre but. fIN.